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La symphonie pastorale de Gide

12272777099?profile=originalIl s’agit d’un roman d'André Gide (1869-1951), publié à Paris en feuilleton dans la Nouvelle Revue française les 1er octobre et 1er novembre 1919, puis en volume chez Gallimard la même année.

 

Composée après les Caves du Vatican, la Symphonie pastorale, que Gide avait tout d'abord songé à intituler l'Aveugle et dont le projet a été conçu dans son esprit dès 1893, s'inscrit plutôt dans la continuité des ouvrages antérieurs. Tout comme l'Immoraliste, la Porte étroite et Isabelle, la

Symphonie pastorale est en effet, pour l'auteur, davantage un «récit» qu'un «roman» dans la mesure où l'histoire, rapportée à la première personne par le protagoniste qui l'a vécue, est concentrée sur une intrigue simple et unique. En outre, ces quatre ouvrages sont des «livres "avertisseurs" [qui] dénoncent tour à tour les dangers de l'individualisme outrancier, d'une certaine forme de mysticisme très précisément protestant [...], du romantisme, et, dans la Symphonie pastorale, de la libre interprétation des Écritures» (lettre au R.P. Victor Poucel, 1929).

 

Le pasteur - le personnage n'a pas de nom dans le roman qui utilise sa fonction pour le désigner - recueille une jeune orpheline d'environ quinze ans, aveugle et, semble-t-il, totalement dépourvue d'intelligence. Il se consacre à l'éducation de l'enfant, dont il note les progrès dans son journal. Il lui apprend la beauté du monde dont la Symphonie pastorale de Beethoven, écoutée avec la jeune fille lors d'un concert, lui fournit la métaphore. Grâce aux soins attentifs du pasteur qui, se justifiant par la parabole de la brebis égarée, lui consacre plus de temps et d'attention qu'à ses propres enfants, l'aveugle, nommée désormais Gertrude, fait de rapides et spectaculaires progrès. Le pasteur finit peu à peu par comprendre, bien après sa femme, Amélie, et Gertrude elle-même, la véritable nature de son sentiment à l'égard de cette dernière: l'amour. Il interprète toutefois les Écritures d'une façon qui lui permet de ne pas juger cet amour coupable. Gertrude, grâce à une opération, recouvre la vue. Se rendant compte alors, elle qui voulait «être sûre de ne pas ajouter au mal», que le pasteur a abusé de son ignorance, et mesurant l'ampleur de la souffrance d'Amélie, elle se jette dans la rivière. Avant de mourir, elle révèle au pasteur qu'elle a compris, après avoir retrouvé la vue, que c'était son fils Jacques qu'elle aimait (le pasteur avait auparavant écarté celui-ci de Gertrude qu'il voulait épouser) et que tous deux ont abjuré la foi protestante pour se convertir au catholicisme.

 

Gide écrit dans ses Feuillets d'automne: «A la seule exception de mes Nourritures, tous mes livres sont des livres ironiques; ce sont des livres de critique. [...] La Symphonie pastorale [est la critique] d'une forme de mensonge à soi-même.» Ainsi, le premier titre envisagé par l'auteur, l'Aveugle, aurait tout aussi bien pu désigner Gertrude, en raison de son infirmité physique, que le pasteur, en raison de son aveuglement moral. Plein d'une onction et d'une rhétorique très puritaines, son journal trahit son inconsciente hypocrisie. Il révèle en outre les nombreux préjugés et l'absence de véritable communication entre les êtres qui règnent au coeur d'une famille protestante modèle, et ce n'est sans doute pas un hasard si l'ouvrage a suscité l'indignation de bien des huguenots.

 

Composé en Suisse, dans le village de La Brévine, la Symphonie pastorale n'est pas dépourvue d'accents rousseauistes. La solennelle austérité du paysage montagnard est en harmonie avec le drame et celui-ci conte, à travers Gertrude, l'histoire d'un être proche de l'«état de nature». La cécité de la jeune fille va de pair avec une extrême sensibilité au monde qu'elle conçoit à l'image de la naïveté et de la pureté qui sont en elle. Le recouvrement physique de la vue est l'équivalent symbolique d'une expérience spirituelle: Gertrude comprend que le pasteur lui a peint «non point le monde tel qu'il était, mais bien tel qu'il aurait pu être, qu'il pourrait être sans le mal et sans le péché».

 

A travers la tragédie du pasteur et de Gertrude, la Symphonie pastorale, comme nombre d'oeuvres de Gide, explore l'écart qui sépare l'idéal de la réalité, les aspirations des faits. Dans un monde hanté par la faute et soumis à l'emprise médiocre des normes sociales, l'individu ne peut trouver que dans la mort, comme Gertrude, ou dans le renoncement, comme Jacques qui entre dans les ordres, la pleine et libre affirmation de son être.

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