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La balade du grand macabre

Il s'agit d'une farce en trois actes et en prose de Michel de Ghelderode, pseudonyme puis patronyme d'Adémar Adolphe Louis Martens (Belgique, 1898-1962), publiée à Bruxelles aux Éditions Tréteaux en 1933, et créée sous le titre la Grande Kermesse à Paris en 1953.

Comme toujours chez Ghelderode, il est ici question de la mort: mais elle est comiquement orchestrée à partir de variations sur le thème de la Danse macabre et de l'Apocalypse. En quelque sorte, une catharsis.

En proie à une ivresse joyeuse, le pochard Porprenaz importune deux amoureux assis dans un parc près d'un tombeau. Excédés, ils l'éconduisent. Grimpant alors à l'arbre proche il y rencontre Nekrozotar, sinistre personnage qui le malmène, lui annonce la fin du monde pour cette nuit même et qui, après avoir enfermé dans le tombeau les amoureux ravis d'être enfin seuls, part pour la ville en se servant de Porprenaz comme monture. Nous sommes chez Videbolle, astrologue, philosophe officiel et chroniqueur de la principauté de Breugellande. Sa femme Salivaine le fait danser à coups de fouet, lui impose des fantaisies grotesques avant de s'endormir ivre-morte. Videbolle s'inquiète d'une rougeur dans le ciel coïncidant avec le passage d'une comète, qu'il a prédit, tandis qu'arrivent Nekrozotar et Porprenaz. Nekrozotar se précipite sur Salivaine, prise de délire érotique pendant son sommeil, mais son étreinte vampirique la tue (Acte I).

Les ministres Aspiquet et Basiliquet donnent une leçon d'équitation, puis d'éloquence au jeune prince Goulave, mal fait de sa personne, et bègue de surcroît. Ils le traitent en irresponsable. Dans la rue, le peuple, pris de panique «sans motif sérieux», exige de voir le prince. Celui-ci alors se métamorphose, fait taire ses ministres et calme la foule par des promesses de libations. Sur fond de Dies irae, Nekrozotar paraît à cheval sur Porprenaz en brandissant une faux; Videbolle annonce le minuit apocalyptique, le «grand raffut», et le choeur se lamente (intermèdes 1 et 2). Dans une salle du palais, Videbolle cache Goulave ivre sous la table, tandis que Nekrozotar-le-Grand Macabre fait son entrée, toujours juché sur Porprenaz. Il se met à boire afin de prendre courage pour le «grand fauchement». Le tonnerre gronde et, saisissant sa faux, il enfourche en titubant un cheval de bois pour fondre sur la foule (Acte II).

Videbolle et Porprenaz, revêtus d'un linceul, jettent le cadavre de Nekrozotar à la cave. Goulave, qui ne bégaie plus, se croit un instant «prince sans sujet», mais constate son erreur. Ceux qui avaient du coeur ont survécu, Videbolle et Porprenaz sont nommés ministres, Salivaine ne ressuscite que pour le châtiment. Les amoureux de l'acte I sortent de leur refuge: ils ne se sont aperçus de rien (Acte III).

La pièce est construite comme un triptyque démultiplié: de part et d'autre d'un épisode central marqué par l'irruption de l'horreur, trois «stations» nous menent du parc chez Videbolle et enfin au palais, puis l'inverse. Dans cette géométrie rigoureuse se déploie une vision carnavalesque du monde incarnée par un jeu de masques: nous assistons au «spectacle tumultueux de la fausse mort trépassée un jour de fausse apocalypse». Fausse mort en effet que ce Nekrozotar qui s'est identifié au Grand Macabre mais qui n'est en réalité - nous l'apprenons à la fin - qu'un pauvre hère devenu misanthrope, par suite des mauvais traitements que lui a infligés Salivaine dont il fut le premier mari. Fausse apocalypse - comme celle de l'an Mil - que cet orage mâtiné de comète au cours duquel les victimes mourront de leur propre peur et de leur propre bêtise. «Farce pour rhétoriciens», a dit l'auteur, ajoutant que les rhétoriciens étaient des âmes simples. Comme dans toutes les farces, il y a bastonnades, mais celles du théâtre de Molière, comparativement, sont à l'eau de rose. Quelle féroce imagination chez Salivaine qui, après avoir roué de coups son mari en dépit de la précaution qu'il a prise de se cuirasser le derrière avec un couvercle de casserole, s'écrie: «Le faraud, il est mort! Il a osé mourir! Et il s'imagine que je vais le laisser mort?», puis le ranime avec une gigantesque araignée. Poussée à ce degré, la mascarade révèle la nature profonde des personnages: masques difformes exprimant des instincts élémentaires qui leur insufflent un délire verbal. La farce, chez Ghelderode, n'exclut pas la profondeur: bien au contraire, elle la révèle.

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Commentaires

  • Rocambolesque à souhait cette balade.  Merci de nous en avoir ouvert le chemin avec votre talent habituel.

    Bon We.  Claudine.

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