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L'homme approximatif de Tristan Tzara

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Tzara peint par Picabia en 1924

Poème de Tristan Tzara, pseudonyme de Samuel Rosenstock (1896-1963), publié à Paris chez Fourcade en 1931.

 

Travail de longue haleine rédigé de 1925 à 1930, dans le semi-retrait de l'après-Dada, le poème est à la fois une synthèse et une genèse. Il marque, après l'Indicateur des chemins de cour (1928), l'inflexion personnelle de Tzara vers un surréalisme qu'il contribua, dès son rapprochement avec le groupe, en 1929, à relancer avec son "Essai sur la situation de la poésie contemporaine".

 

Composé de dix-neuf chants en versets hétérométriques, le poème est une seule coulée épique qui "pense à la chaleur que tisse la parole / autour de son noyau le rêve qu'on appelle nous". A la suggestion d'un brusque réveil (I-III) s'oppose une réflexion sur le rêve (IV-V), bientôt suivie de trois tableaux du monde quotidien qui en est probablement l'envers. De "l'aile du silence" surgit alors le loup (IX), emblème d'une liberté compromise par son indétermination: ainsi la dixième séquence dira-t-elle l'échec de la création poétique, suivi d'une illusoire ascension (XI). Le "Tourniquet suprême" catapulte enfin le texte dans un désordre vertigineux (XII-XVIII), jusqu'à ce que se dessine une "morale provisoire" (XIX) par quoi "l'homme approximatif" tente de se vouer "au robuste avènement du feu".

 

Dans une écriture saturée d'images, pleine d'alluvions et de moraines, de blocs disparates qui s'entrechoquent, Tzara ne cherche rien de moins qu'une possibilité d'être, écrivant ici une véritable épopée de la poésie. Aussi le texte explose-t-il de combattre et de se débattre sur tous les plans: confronté à la terre, qui "me tient serré dans son poing d'orageuse angoisse", au temps, puisque nos "nerfs sont des fouets" entre "ses mains", au rêve dont il serait vain de tout attendre, "perdu à l'intérieur de soi-même là où personne ne s'aventure sauf l'oubli", l'homme approximatif "comme moi comme toi lecteur et comme les autres" se jette à l'eau des phrases pour arracher une esquisse de sens à ce qui semble une universelle débâcle, un pressentiment d'énergies inabouties. Conscient de tout sauf de soi-même, témoin involontaire d'un inconnu qui le propulse, le "héros" égaré dans son labyrinthe est bien, sous le "je" poétique, l'"homme nouveau" dont Tzara tentait de célébrer la naissance. Balancé dans le bouillonnement volcanique des formes, le lecteur est à son tour condamné à l'intermittence, mis à distance parfois par le systématique excès de voix, puis soudain convoqué, requis dès lors qu'un vers parvient à l'atteindre. Au bord de l'écriture automatique (que Tzara préférait appeler "spontanée"), l'immense poème roule ainsi l'épopée du sujet moderne dans le débordement de la langue et l'éclatement du réel. Une telle problématique poétique demeure certes datée, la saturation d'images assurément y masque parfois le rythme, au point de créer par endroits un dégoulis sonore qui est autant la source que la conséquence de l'échec de la parole; et la "spongieuse léthargie du fer" dit assez, près du "gargarisme des nuages", un engouement pour l'excès qui retombe parfois comme un soufflé. Mais il reste ce témoignage déchiré d'une conscience béante, assistant sans complaisance à son naufrage, et travaillant à sa façon (comme Artaud à la même période) à l'invention d'un sens ouvert - un sens disséminé et bien évidemment approximatif, qui est celui même de la modernité.

 

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