« Jean de la lune » est une comédie en trois actes et en prose de Marcel Achard, pseudonyme de Marcel-Augustin Ferréol (1899-1974), créée à Paris à la Comédie des Champs-Élysées le 16 avril 1929, et publiée à Paris aux Éditions de l'Illustration la même année.
Sans aller aussi loin que Giraudoux, à une époque où le théâtre n'a pas encore renoncé au réalisme trivial et conventionnel du Boulevard, Achard introduit sur scène un goût pour la poésie et les symboles qui n'y paraissait plus depuis longtemps. Pourtant, dans sa forme au moins, Jean de la Lune n'est qu'une comédie légère, proche du vaudeville.
Jef est un homme plein de délicatesse et de sensibilité. Il exerce son métier de fleuriste comme un art véritable et pardonne à ceux qui raillent sa candeur en l'appelant «Jean de la Lune». Il attend fébrilement la visite de Marceline, une coquette qu'il voudrait séduire, bien qu'elle soit la maîtresse du bouillant Richard. Mais la belle se fait précéder par son frère Clotaire, un compositeur raté, qui, avec un étonnant sans-gêne, s'installe chez Jef, se sert à boire et joue du piano. Marceline arrive ensuite, suivie de près par Richard. Celui-ci, jaloux, rompt avec elle et tente d'ouvrir les yeux à Jef: la femme qu'il aime n'est qu'une dévoreuse d'hommes, incapable d'amour; elle utilise son indigne frère pour cacher ses infidélités à ses dupes. Peu importe au gentil fleuriste: il épouse Marceline (Acte I).
Les années ont passé. Jef est toujours heureux. Il ne semble rien voir de l'agitation qui l'entoure. Avec la complicité de Clotaire et de la bonne, Marceline ne songe en secret qu'à rejoindre son nouvel amant qui, brouillé avec elle, a décidé de partir au Brésil. Elle ne sait, cependant, si Jef accorde foi à ses mensonges par bêtise ou par amour. Touchée par l'absolue confiance qu'il lui témoigne, elle se résout à rester avec lui (Acte II).
Jef est depuis cinq ans marié à Marceline. Elle n'a guère tenu ses engagements: la voilà résolue à quitter son naïf époux pour complaire à Alexandre, «un petit blond qui danse bien». Devenu l'ami de Jef, Clotaire essaie vainement de la dissuader et, la mort dans l'âme, accepte d'annoncer la triste nouvelle à l'infortuné. Mais rien n'y fait: avec une obstination inébranlable, Jef refuse d'admettre les révélations de Clotaire et les aveux de Marceline. Il continue à affirmer: «Tu es la droiture même. Il n'y a rien de louche en toi, rien de trouble.» Ainsi, il la reconquiert et promet de manifester désormais sa tendresse avec moins de pudeur et davantage d'autorité (Acte III).
En dépit d'un dénouement aussi heureux qu'invraisemblable, la pièce renvoie l'image d'un monde médiocre et triste. Seul Jef, par son extraordinaire bonté et son manque total de malice, se distingue de cette pauvre humanité de ratés et d'hypocrites, parfaitement incarnée par Richard et même par Clotaire, soudain très lucide envers lui-même et sa soeur: «L'atmosphère louche, les petits mensonges de tous les jours, la poste restante, les histoires de bonnes.»
Mais loin d'apparaître comme une dupe ridicule, Jef tire une forme de dignité de son inaptitude foncière à comprendre, à voir clair dans les tortueuses compromissions de cet univers. Non seulement sa naïveté l'en préserve, mais on finit même par se demander si, au fond, elle ne correspond pas à un choix: en s'imposant de jouer son rôle d'ingénu dans une société dont il n'ignore peut-être pas la perversité, Jean de la Lune désarme la méchanceté des autres, les oblige à s'amender. C'est en se laissant peu à peu toucher par l'image idéalisée qu'il lui renvoie d'elle-même que Marceline finit par prendre en horreur la femme frivole et égoïste qu'elle a toujours été. Jusqu'à l'odieux Clotaire, frère entremetteur, parasite cynique, imbécile notoire, qui se découvre un sens moral.
L'intrigue boulevardière ne prétend plus seulement amuser: elle a valeur d'un reflet des moeurs. Elle affirme l'existence d'une réalité désolante, dans laquelle le fou, le simple ou le candide sont seuls encore à réclamer une vie plus belle que la comédie de tous les jours.
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