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Introspection d’après le principe de l’anaphore, « écrire, c’est… »

 

 « Créer, voilà la grande délivrance de la souffrance,

voilà ce qui rend la vie légère.[1]»

Friedrich Nietzsche

 

 

Écrire, c’est exercer une mission de cœur, avec une ferveur comparable à celle du mystique entrant en religion, faisant de ses failles un atout majeur, sacerdoce qui parfois peut vous conduire jusqu’à éprouver un état d’exultation indescriptible, surtout si l’on est convaincu que la formule imaginée est judicieuse, embrassant l’idéal du père de la « Fabrique des mots » et de «La révolte des accents » :

« Le bonheur de l’écrivain, c’est le mot juste, l’adéquation miraculeuse entre la pensée encore vague et l’expression qui la fait venir au jour. Il s’agit d’une vraie naissance, avec la part de surprise, d’émerveillement et de découverte qu’implique toute naissance. »[2]

 

Écrire, c’est faire fi d’un savoir faire au profit d’un savoir être, c’est ôter les oripeaux préfabriqués encombrants de l’artifice en lieu et place de l’authentique, de la « substantifique moelle » chère à François Rabelais, s’efforçant d’adopter ce conseil éminent :

 « il ne faut jamais faire de littérature, il faut écrire et ce n'est pas pareil [...][3] »

 

Écrire, c’est consentir à un certain abandon, c’est être animé du trouble obsessionnel, compulsif que suppose sa genèse, en adéquation de toute œuvre créée avec ferveur et loyauté. Et ce n’est certes pas Jean Grenier, intime d’Albert Camus, qui me démentirait, lui, le géniteur de ce pertinent aphorisme : 

« Écrire, c’est mettre en ordre ses obsessions. »

Et c’est, faisant montre de semblable profession de foi, avouer sa vulnérabilité, son hyperesthésie, c’est s’autoriser à se laisser submerger par la griserie engendrée par cette action lorsqu’elle se révèle féconde et à l’opposé, c’est également admettre la tourmente délétère, les heures fades et creuses qui nous semblent stériles mais dont « les racines avides travaillent les déserts »[4]

 

Écrire, c’est répondre à un désir irrépressible de pérégrination, d’échappatoire de l’entendement, en adéquation de la devise colettienne suivante : « Le voyage n'est nécessaire qu'aux imaginations courtes » ; c’est méditer dans sa cellule de recueillement, loin de l’agitation factice, violente et vaine, à laquelle se prête notre multitude humaine ; c’est d’abord s’attacher à penser isolément, à fleur de chair, puis à fleur d’encre confidentielle, limpide ou chaotique[5], comme si les aiguilles de l’horloge étaient frappées d’arrêt, dégagé, dans l’idéal, du « commerce  de la séduction » que présume l’offrande à un hypothétique liseur, vœu un brin chimérique, concédons-le, assumant autant que faire se peut, notre propension aux musardises de l’esprit, riches d’enseignements, de vertus nutritives à nulle autre pareille, à l’instar d’une certaine « vagabonde[6] »

 

« Écrire ! Pouvoir écrire ! cela signifie la longue rêverie devant la feuille blanche, le griffonnage inconscient ; les jeux de la plume qui tourne en rond autour d’une tache d’encre, qui mordille le mot imparfait, le griffe, le hérisse de fléchettes, l’orne d’antennes, de pattes, jusqu'à ce qu’il perde sa figure lisible de mot, mué en insecte fantastique, envolé de papillon-fée […].

Écrire... C’est le regard accroché, hypnotisé par le reflet de la fenêtre dans l’encrier d’argent, la fièvre divine qui monte aux joues, au front, tandis qu’une bienheureuse mort glace sur le papier la main qui écrit. Cela veut dire aussi l’oubli de l’heure, la paresse aux creux du divan, la débauche d’invention d’où l’on sort courbatu, abêti, mais déjà récompensé, et porteur de trésors qu’on décharge lentement sur la feuille vierge, dans le petit cirque de lumière qui s’abrite sous la lampe...

Écrire ! Verser avec rage toute la sincérité de soi sur le papier tentateur, si vite, si vite que parfois la main lutte et renâcle, surmenée par le dieu impatient qui la guide... et retrouver, le lendemain, à la place du rameau d’or, miraculeusement éclos en une heure flamboyante, une ronce sèche, une fleur avortée... »

 

Écrire, c’est faire « l’éloge du rien [7]» autant que de l’essentiel ; c’est encore s’épancher en confidences, revêtant, il est vrai, une forme d’impudeur, tant la subjectivité, l’engagement sous-jacent de l’auteur, y affleurent, le tout sans préméditation destinée à servir nos intérêts, sans songer en amont, qu’un lecteur pourrait un jour pénétrer le raisonnement énoncé, au risque de le déflorer par une interprétation erronée, et donc de trahir notre perception :

 

 

« Mais tu sais je suis pauvre, et mes rêves sont mes seuls biens

Sous tes pas, j'ai déroulé mes rêves

Marche doucement car tu marches sur mes rêves. »

 

nous adjure William Butler Yeats[8]

12272988683?profile=originalRéflexion d'Odilon Redon



[1] : Aphorisme tiré d’ « Ainsi parlait Zarathoustra » 

[2] : Axiome signé Erik Orsenna

 

[3] : Conseil reçu de la plume de Christian Bobin provenant de « La plus que vive », coll. L'un et l'autre chez Gallimard

 

[4] : Libre adaptation de vers issus de « Palme » de Paul Valéry (recueil « Charmes », 1922) dont l’origine est : Ces jours qui te semblent vides/Et perdus pour l'univers/Ont des racines avides/Qui travaillent les déserts. Pour se reporter au texte entier : http://www.lesarbres.fr/index.php?page=texte-valery2.php

 

 

[5] : En référence à ce si évocateur adage de Christian Bobin : « Ecrire, c'est se découvrir hémophile, saigner de l'encre à la première écorchure, perdre ce qu'on est au profit de ce qu'on voit. »

[6] : Allusion au titre de l’ouvrage de Colette dont est issu l’extrait mentionné, roman datant de 1910, publié chez P. Ollendorff.

[7] : Allusion à un titre d’œuvre de Christian Bobin

[8] : Vers traduits du recueil « He Wishes For The Cloths Of Heaven ».

 

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Commentaires

  • L'écriture comme un pont au dessus du néant, un chemin à parcourir vers moi ...

  • Commentaire de Fabienne Vereecken Il y a 44 minutes

    Ecrire pour permettre aux mots de vivre!

  • Commentaire de Suzanne Walther-Siksou Il y a 4 heures

     « Je paierais pour écrire » Jean Giono

     « Un désir cuisant de transformer par l'art tou ce qui est de moi, tout ce que j'ai senti.»

    Flaubert (Correspondance)

    « Est littéraire toute oeuvre qui n'est pas un outil mais une fin en soi.»

    Robert Escarpit ( Sociologie de la Littérature)

     

  • Commentaire de Gilbert Jacqueline Il y a 8 heures

    Ecrire c'est comme déchirer le voile

    que la pudeur met sur les sentiments...

    c'est allez chercher au plus profond la moelle

    pour à nouveau pouvoir se sentir vivant!

    J.Gilbert

    (Feuillets d'automne)

  • Commentaire de Alain FAURE Il y a 8 heures

    Excellent !

     

  • Comme à l'accoutumée, j'ai été dans l'obligation de modifier ce texte scindé pour les besoins de la publication en trois parties, annulant ainsi les commentaires de nos chers membres d'Arts et lettres ; je leur présente toutes mes vives excuses pour cette manipulation nécessaire...

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