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Dernier ouvrage d'une période de grande fertilité narrative avant un long silence dont Genet ne sortira qu'en 1955, contemporain de la pétition lancée par Sartre et Cocteau pour une grâce définitive de l'écrivain-voleur, le roman « Journal du voleur », publié en 1949, constitue un adieu en forme de bilan, ramassant, dans une codification plus réfléchie que jamais, la revendication du Mal dont les romans précédents tiraient parti.

Arpentant «une contrée de [m]oi-même [...] nommée l'Espagne» dans un va-et-vient de souvenirs romancés et de réflexions, le texte met en scène de façon décousue l'errance du jeune Genet en Europe durant l'année 1936-1937, après sa désertion de l'armée où il était engagé volontaire. Barcelone, Anvers, Trieste servent de cadre à une descente aux enfers (vol, mendicité, prostitution) qui proclame la gloire de l'infamie. Le minable Salvador, le manchot Stilitano, tous deux amants du narrateur, Armand et Robert, les mendiants, souteneurs et «tantes» figurent les personnages sacrés de cette liturgie biographique, magnifiant l'abjection pour une «victoire verbale» qui pervertit le genre du journal, et transforme la masse décousue des souvenirs en une messe poétique.

«Mais comprend-on? Il ne s'agit pas d'appliquer une philosophie du malheur, au contraire. Le bagne [...] m'offre plus de joies que vos honneurs et vos fêtes. Cependant ce sont ceux-ci que je rechercherai. J'aspire à votre reconnaissance, à votre sacre»: derrière la sainteté renversée qu'analyse la minutieuse description de la dégradation de l'âme comme du corps («J'énumère les plaies secrètes»), le Journal du voleur effectue un véritable travail de sape des habituelles catégories; la brutalité des amants est une délicatesse plus subtile, la dégradation est un sacre, et la splendeur d'une langue qui monte en bijou l'exploration du sordide vise d'abord la ruine de toute lecture réaliste ou naturaliste d'une expérience pourtant vécue. L'abandon du masque romanesque ne produit donc en rien une parole personnelle: l'écriture est un contrat avant d'être un aveu, et les faits y sont, à chaque fois, pervertis en des rites: «S'il parle des mendiants du barrio Chino, c'est pour agiter somptueusement des questions de préséance et d'étiquette: il est le Saint-Simon de cette cour des Miracles», écrira Sartre, à qui le livre est dédié. L'aventure du jeune Genet forme alors une odyssée existentialiste (voir Notre-Dame-des-Fleurs) préoccupée de la revendication de soi-même, et, surtout, d'un bouleversement des hiérarchies de l'être et du paraître. L'exclu s'y affirme contre l'ordre du monde en sanctifiant dans la langue ce qui d'ordinaire échapperait à la beauté. Conscience et liberté dépendent d'un acte, et c'est en quoi le caractère arbitraire de toute valeur permet de parler d'une vertu: il ne s'agit que de choisir, et de se choisir, loin de toute fondation des valeurs humaines. Mise en scène, assurément moins consciente dans l'écriture qu'elle ne le paraîtra après l'étude de Sartre, cette dimension philosophique affleure dans le texte par une théâtralité généralisée qui annonce la future transformation du romancier en dramaturge.

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