Pour une Étoile lyrique à l’étoffe flamboyante
I)
Impressions personnelles
En dehors de cette douloureuse épreuve dont souffrent les proches d’Éva Ganizate, et qui n’est certes pas des moindres, car comment ne pas compatir à l’affliction de ceux qui l’aiment tendrement et qui vont se sentir ad vitam aeternam, orphelins de sa présence charnelle, permettez-moi de déplorer sur un plan purement artistique, l’extinction d’une étoile montante, hélas, filante, que nous avons à subir en cette aube de l’an nouveau, Voix humaine enchanteresse promise, étions-nous encore persuadés hier, à enluminer nos scènes européennes !!!
Je me souviens nombre d’années plus tard, avec précision et non sans trouble (« Soyons reconnaissants aux personnes qui nous donnent du bonheur, elles sont les charmants jardiniers par qui nos âmes sont fleuries », préconisait Marcel Proust) d'une certaine église de Noizay en Touraine, où lors du récital de clôture de l’Académie Francis Poulenc, cru 2009, résonnèrent les modulations langoureuses subjuguantes d'une belle parée d’un timbre solaire, douée d’une sensualité exquise, appelée étant le donné le potentiel pressenti, à un avenir artistique radieux, qui nous laissa captifs par l'interprétation de la mélodie de Camille Saint-Saëns « La Madonna col Bambino », sans omettre celle enjôleuse, signée Francis Poulenc intitulée « Violon », texte écrit par sa chère complice Loulette alias Louise de Vilmorin ...
Et que dire du cycle du Bestiaire, Cortège d’Orphée du même compositeur dû cette fois à la plume de Guillaume Apollinaire, interprété en compagnonnage avec l’Ensemble instrumental de Touraine, sinon que, déjà remarquée durant les masterclasses par ses multi facettes, son charisme, la toute jeune femme finit de conquérir l’assistance, du moins, la majorité des membres qui participaient aux cours magistraux matinaux délivrés par la fine équipe pédagogique, placée sous la houlette du baryton François le Roux !
Or, oserai-je l’avouer, depuis la soprane Ingrid Perruche qui, elle aussi, au commencement de cette « Invitation au voyage » de l’univers mélodique, m’avait profondément marquée, si ce n’est transportée, parce que dotée d’une nature« vibrant de toutes ses cordes », « brûlant de toute sa flamme », et ce, bien en amont de sa reconnaissance par la profession, sans oublier de mentionner quelques rares figures féminines venant s’adjoindre à mes admirations, Éva Ganizate représente à mes yeux, l’une des sources d’émotion les plus prégnantes, s’inscrivant dans ma mémoire sélective d’auditrice, plus éprise, il est vrai, de retenir le sensitif palpitant que la raseuse et « stricte technicité » du langage musical servi par le porte-parole du créateur, nommé communément artiste.
Et pourtant dieu sait combien elle est fréquemment galvaudée cette appellation d’artiste décernée vainement, à tous crins, attribuée, insisterai-je, sans en respecter véritablement le sens originel, les lettres de noblesse !
Nul doute, cependant, que ce titre ne saurait être ici remis en cause, tant il était loin d’être usurpé par celle qui en était une incarnation, avec une grâce innée !
Pas plus qu’il est n’est besoin d’ailleurs, pour appuyer ces dires, de se référencer à l’opinion de l’un des critiques musicaux parisiens réputés, redouté pour son exigence, voire son esprit « vachard », afin d’attribuer cette qualité à celle dont il nous plait aujourd’hui de saluer la souvenance.
Alors, pourquoi, Fatum, triste sire, as-tu décidé de nous ravir si tôt, sans autre forme de procès, l'un de nos plus précieux fleurons du chant lyrique français, tempérament singulier riche de sensibilité, d’expressivité, qui par l’intensité de son engagement vocal et théâtral, contribuait à faire rayonner cet art, et sur lequel nous nous réjouissions de pouvoir compter au cours des saisons à venir, afin de porter haut son flambeau ?
Assurément, en similitude de force interrogations que le simple commun des mortels se pose au sujet de l’existence, il est illusoire de chercher à comprendre la signifiance d’un tel enlèvement ourdi par la fatalité, excepté le fait que ce drame nous conforte une fois de plus dans notre certitude de la précarité, de l’absurdité et surtout de l’iniquité de certaines destinées, blessure et angoisse d’un départ qui devraient nous inciter à n’en goûter que davantage au Carpe diem, nanti de gratitude, savourant à chaque aube renouvelée ce privilège que constitue de pouvoir« cueillir le jour » fugace, nous efforçant de ne pas oublier semblable philosophie en corrélation de cette sentence poétique, qui consiste à déclarer que « Rien n’est jamais acquis à l’homme Ni sa force/Ni sa faiblesse ni son cœur. [1][…]
« Profitons bien de la jeunesse »nous invite la voluptueuse Manon de Massenet au cours de sa Gavotte entonnée dans l’allégresse préfigurant un dénouement tragique, obéissant en cela, aux exhortations pertinentes, intemporelles, des bardes de la poésie.
Gageons que cette fille d’Apollon, aura su entendre ce conseil prééminent, fondamental avant de rejoindre les Champs-Élyséens[2], ces « Champs bienheureux » où « tout nous sera rendu [3]», pour peu que l’on consente à cette croyance du faune habillé de bure, le « Poète rustique »d’Orthez…
Tel était le sort inexorable que réservait la Roue de la Fortune à ce joyau : le briser en plein essor, en ayant recours à l’inflexible et immuable Atropos qui, mieux que quiconque, est passée maitresse en dextérité dans l’art de trancher le fil de la vie, joyau, qui en plus de faire la joie de son cercle de familiers, aura imprégné une kyrielle de cœurs, car en adéquation de la vocation des arts, celle de la divine Euterpe ne doit-elle pas avant tout éveiller un ressenti chez l’élu qui reçoit l’offrande, en adéquation de la devise d'Emmanuel Kant qui énonce ce truisme :
« La musique est la langue des émotions » ? ...
Ainsi, au lendemain de votre partance digne d’un argument dramatique d’un librettiste
de Puccini, au lendemain de la cérémonie destinée à vous honorer, je pense à vous jeune météore
qui menaçait de votre ascension, la voûte céleste de l’Opéra, montant toujours plus haut à
chaque représentation ou prise de rôle d’héroïne du répertoire, dans « l’enivrement de la
mêlée »[4]; je pense particulièrement à ceux qui vous chérissent et doivent déjà regretter d’être privés de votre aura.
« Pleurez mes yeux, pleurez toutes vos larmes! Pleurez mes yeux ! […]
Mais qui donc a voulu l'éternité des pleurs?
O chers ensevelis,
trouvez-vous tant de charmes
à léguer aux vivants d'implacables douleurs? »
implore la Chimène du Cid de Massenet dans son aria de l’Acte III…
Mais les pleurs sont une bien piètre consolation en regard de la perte infligée aux vôtres ! Famille de sang, famille de cœur de « saltimbanques » guère épargnées par votre cruelle éclipse et qui ont néanmoins trouvé la force de s’unir dans le dessein de vous concocter une cérémonie, reflet de leurs sentiments, dont vous pouvez vous enorgueillir.
Que grâces leur soient rendues !
Ceci en gage de témoignage d'une simple auditrice qui conservera en elle le doux souvenir de ce frais bourgeon gorgé de sève, vie ardente parvenue au printemps de son efflorescence mais non point à sa pleine quintessence, puisqu’elle venait seulement de célébrer ses vingt huit ans ...
Le 8 Janvier 2014,
en ce jour de vibrant hommage d’Éva Ganizate,
disparue le 4 Janvier 2014,
date anniversaire de ses 28 ans…
Valériane d’Alizée
[1] : Illustre formule provenant d’une œuvre de Louis Aragon « Il n’y a pas d’amour heureux » in « La Diane Française », Seghers, 1946)
[2] : Lieu mythique de l’Antiquité : Dans la mythologie grecque, les Champs Élysées représentent l’endroit propice où les héros et les gens vertueux goûtent le repos après leur trépas. .Sous Hésiode, Pindare en fait l’île des Bienheureux, tandis que Virgile (Chant VI de l’Énéide) en donne une description positive, liée aux « mystères orphiques » destinés aux initiés. Là sévit un éternel printemps éclairé de son propre soleil et ses propres étoiles…Quelques plumes de l’Occident chrétien sont loin d’avoir dédaigné ce mythe fondateur au sein de leur ouvrage, tels Dante Alighieri, et chose plus singulière, notre « Faune habillé de bure », Francis Jammes.
[3] : Citation issue de l’Élégie seizième de Francis Jammes, in « le Deuil des Primevères» ; pour lire le poème intégral :
http://www.paradis-des-albatros.fr/?poeme=jammes/elegie-seizieme--les-roses-du-chateau-de-x
[4] :Formule empruntée au poème « La Vie ardente » d’Émile Verhaeren, in recueil les « Flammes hautes » :
http://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/poemes/mile_verhaeren/la_vie_ardente.html
Commentaires
Un mois déjà...
Un mois que cet astre pétri d' "Amour, d'ardentes flammes" a cessé, hélas, de briller au firmament
de son art lyrique ...
"Une étoile au feu du soir
qui se lève la première.
Sous ta clarté je viens m’asseoir
Messager des émois heureux ;
Salut à toi qui charmait nos yeux,
Salut à toi tu es ma lance
en défendant l’amour et l'espérance
au sein des cieux,
Espoir, ô mon aimée,
Qui te caches au ciel tous les jours
Et qui glisse le soir sous la ramée
Un doux rayon d'amour,
Salut, salut
Astre fidèle
Parle moi d'elle.
Texte du Prince Haïdar Pacha
mis en musique par Camille Saint Saëns
Œuvre musicale évoquée dans cet hommage dicté par ma reconnaissance d'auditrice...
Le violon de Louise de Vilmorin -Francis Poulenc
https://www.youtube.com/watch?v=_AKOiPWZ15w
Enregistrée en l'église de Noizay en Touraine près de la demeure de Francis Poulenc,
le 27 Aout 2009, lors du récital de clôture de l'Académie Francis Poulenc fondée et dirigée par François Le Roux.
Prière de ne pas tenir compte de la qualité technique de la captation d'un point de vue de l'enregistrement...
La mise en ligne de cette trace sonore est un beau témoignage de l'amitié portée par J-C Born à cette étoile filante qui nous a été injustement enlevée...
https://www.youtube.com/watch?v=5DGpl-SPL8o
Enregistrée en public au Prieuré de St Côme - demeure de Pierre de Ronsard,Tours
le 24 Aout 2009, pour le concert de l'Académie Francis Poulenc consacré aux "mélodies de Saint Saëns"placée sous la houlette de François Le Roux.
Vidéo Publiée le 31 janv. 2014 par Jean-Christophe Born, confrère et ami d'Éva Ganizate et enregistrée en public au Prieuré de St Côme - Tours dans le cadre de l'Académie Francis Poulenc
dir. François Le Roux, le 24 Aout 2009, pour le concert dédié aux"mélodies de Camille Saint Saëns"
https://www.youtube.com/watch?v=3z8dRG__gGg&feature=youtu.be
Je vous remercie pour vos trois articles concernant cette belle personne. Je relève avec joie qu'il existe encore des dons anonymes pour soutenir ce qui doit l'être.
Lundi, l'annonce de la tragique disparition d'Eva Ganizate, 28 ans, fauchée par une voiture alors qu'elle circulait en vélo, a ému le monde de la musique classique et bien au-delà. Amie avec la mère de la jeune femme, Isabelle Adjani a eu la chance de rencontrer et surtout d'entendre la soprano. Aujourd'hui, elle partage le souvenir de cette voix qui l'a touchée jusqu'au plus profond de son âme.
Texte dit lors des funérailles de la jeune femme en l'église de Saint Benoit du Sault :
«Ma première rencontre avec Eva Ganizate ne s’est pas faite en sa présence, mais en présence de sa voix…
C’était il y a 10 ans, au début de mon amitié avec Sylvie, sa mère. Nous étions au téléphone, Sylvie me parlait, mais j’avais du mal à répondre, je ne parvenais pas à me concentrer sur notre conversation. C’était plus fort que moi, j’étais irrésistiblement attirée par une autre voix féminine, qui s’envolait, diamantine, fougueuse et somptueuse, dans un aria magnifique. Au bout d’un moment, la voix se faisant de plus en plus présente et envoûtante, n’y tenant plus, j’ai demandé à Sylvie quel était cet enregistrement et qui en était l’interprète, dont la voix semblait jaillir d’un ailleurs édénique. Sylvie s’est mise à rire et m’a répondu: «Mais non, ce n’est pas un enregistrement, c’est Eva qui chante. Elle répète en se promenant et en virevoltant dans l’appartement comme elle aime faire.»
Je vous jure qu’à ce moment-là, j’ai vu les fenêtres de cette pièce grandes ouvertes sur le ciel, je vous jure que le ciel était bleu et lumineux, je vous jure que je respirais un air parfait, que le bonheur existait sur terre et, surtout, que je comprenais de tout mon être le sens des mots joie et légèreté.
La voix d’Eva m’a transportée ce jour-là. Et ce que j’ai ressenti, je suis certaine que vous l’avez ressenti, que vous le ressentez… On ne peut pas entendre chanter Eva sans se joindre à elle, de quelque manière mystérieuse...
J’imaginais avoir toute la vie pour venir la voir se produire sur scène et découvrir sa puissance lyrique se révéler d’opéra en opéra et nous enchanter. Sa mère, Sylvie, que j’aime tant, m’appelait régulièrement pour m’inviter: «Tu veux venir avec moi pour écouter chanter Eva?». Finalement, Sylvie partait souvent seule à Londres, à Marseille, à Amsterdam, à Dortmund, à Vérone, à Aix... car de mon côté une obligation me retenait, ou parce que... la prochaine fois...
Lorsque j’ai accompagné Sylvie à l’Opéra Comique, il y a quelques mois, pour entendre chanter Eva Ganizate, je me suis dit que définitivement il ne me fallait plus manquer une seule représentation de cette héroïne. Même si j’avais tout le temps, n’est-ce pas, puisque notre Eva si rayonnante, si ravissante, si émouvante, si solaire, avait tout le temps devant elle. Peut-être ne suis-je pas la seule parmi vous à avoir cru cela... Si oui, nous nous sommes trompés, enfin, pas tout à fait je crois, car la voix d’Eva traverse et traversera le temps, vers d’autres temps. Elle est une vibration plus élevée, portant en elle la possibilité de changer quelque chose sur terre, en faisant passer la vie sur une octave encore plus élevée.
Sa voix est là. Son être reste… car il est dans sa voix.
Mais cela n’empêche pas le chagrin… Le chagrin, il est là, absolument là… Mon dieu comme il est là! »
Isabelle Adjani
Pour nos amis belges, Éva Ganizate était au moment du drame, devenue l'une des vôtres (peut-être certains d'entre-vous auront eu le privilège de l'entendre en concert...) étant une pensionnaire lauréate soutenue par un don anonyme, de la Chapelle Musicale Reine Élisabeth, se perfectionnant sous la houlette de José Van Dam, lauréate de nombreux prix, elle étudiait depuis septembre dernier à Waterloo, sous la direction de celui-ci. La chanteuse lyrique s'était produite pour la dernière fois en public lors du festival de la chapelle musicale à Flagey, en novembre dernier. ayant récemment joué, entre-autres, sous la direction d'Augustin Dumay...
Elle était à la veille de reprendre au théâtre de la Monnaie de Bruxelles, le rôle de la "Grosse dame" des Mamelles de Tirésias, opéra-bouffe d'Apollinaire-Poulenc, donné cet été au festival d'Aix en Provence...
Un terrible gâchis !
En 2012, elle avait rejoint l’académie de l’Opéra Comique. Elle y fut la pétillante Zénobie dans Ciboulette, de Hahn, en février dernier, avant de prendre, en avril, la défroque de Cendrillon, de Pauline Viardot et de doubler Nathalie Manfrino sur Mârouf, en mai . Sonné par la nouvelle, Jérôme Deschamps, le directeur des lieux, a lâché ces quelques mots: «Je crois à la vie et c’est la première en qui je croyais en tant que chanteuse. Elle était une merveille. Elle a incarné la raison de vivre de l’académie de ce théâtre, en plus d’être une magnifique personne.»
Sa voix au timbre que l’on disait «brillant, fruité, à l’aigu velouté», au contre ré agile, au delà de la performance, s’est envolée à jamais, nous privant ainsi de la voir s'épanouir de rôle en rôle.
Merci cher Louis, amoureux du beau, et donc sensible à l'art d'Euterpe, de votre commentaire.
Oui, le monde lyrique est en état de choc...
Je vous renvoie d'ailleurs, pour ceux que cela intéresserait, vers le résumé biographique de cette jeune vie d'artiste déjà bien fournie...
http://fr.wikipedia.org/wiki/Eva_Ganizate
Je vous joins également des liens vers des articles de presse émouvants, allant au-delà de la récupération des médias de ce tragique événement, en s'appropriant une personne de notoriété publique ayant côtoyé Éva Ganizate, l'entretien accordé à cette revue people qui transparait de sincérité, même si l'on le partage pas tout à fait l'affirmation du titre, car à mon sens, il aurait fallu pour que cette voix traverse le temps, que des témoignages sous forme de vidéos, d'enregistrements conséquents nous parlent d'elle ... Malheureusement, tel n'est pas le cas !!!
http://www.gala.fr/.../isabelle_adjani_la_voix_d_eva...
http://www.jimlepariser.fr/in-memoriam/
http://klasel.com/management/2012/06/29/eva-ganizate-soprano/
Un bel éloge pour une belle voix qui nous a quitté dans la fleur de l'âge, bien trop tôt.
D'accord avec vous, Valériane, pour "Carpe Diem" tout en gardant le souvenir des beautés vécues.
Louis