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Histoire de l'Art.

 

Je m’étais promis de ne plus jamais assister à des funérailles. Celles-ci étaient celles du plus ancien de mes amis encore vivant il y à trois jours à peine.

Comme la plupart des gens de mon âge, j’achète le quotidien du jour pour y lire essentiellement les annonces nécrologiques et les mots croisés.

 Les nouvelles, informations ou autres, ne m’intéressent plus. J’ai parfois le sentiment qu’elles ne reproduisent que des évènements qui se sont déjà produits.

Lorsque j’ai lu que Jean serait enterré au Cimetière du Sud, je me suis promis d’être à ses côtés. Qui le connaissait le mieux ? Ces quelques proches qui s’affairaient, chapeau bas, selon les instructions du représentant de la société des Pompes funèbres. Ou moi ?

Je suis parti avant que la cérémonie ne s’achève afin qu’aucun d’entre eux ne vienne m’interroger quant aux liens qui existaient entre leur Jean et moi.

Je faisais le compte à rebours. Quatre-vingt moins quinze, Jean et moi nous nous  connaissions depuis soixante cinq ans. Depuis les premières années de nos études secondaires.

Et nous nous connûmes mieux encore quelques années plus tard grâce à Cécile qui fut son épouse. Et ma première maîtresse. Elle était belle, Cécile. J’ignorais de quoi le corps était capable, c’est elle qui fut mon initiatrice.

Un jour que j’étais chez eux, je voulais leur emprunter une valise, j’ai accompagné Cécile au grenier. Beaucoup de cartons s’y trouvaient en désordre parmi quelques vieux meubles. Les valises étaient au fond  sous la lucarne. Curieuse atmosphère que celle des greniers. C’est leur odeur souvent qui  me surprend, une odeur devenue le mélange des odeurs qui furent celles des lieux et des époques où  et quand les objets avaient vécu.

Cécile s’était avancée avec précaution. Elle a glissé. J’ai voulu  la retenir mais nous sommes tombés l’un sur l’autre. Je me suis appuyé sur ses fesses et elle a dit :

- Pierre !

Elle s’est retournée. Elle avait le regard éperdu. C’est elle qui m’a serré contre sa poitrine, le ventre contre le mien. Nous ne nous sommes pas dit un mot. Seuls quelques geignements lui sortaient de la bouche.

Elle s’est relevée la première. Elle a saisi une valise et c’est sans me regarder qu’elle est sortie du grenier.

Puis nos vies se sont séparées.

C’est durant que j’étais aux Etats-Unis que j’ai appris que Cécile était morte. J’avais envoyé une lettre de condoléances mais je ne me souviens plus de ce que Jean m’avait répondu. Nous avions échangé des banalités sans doute.

Malgré mon âge, mes compétences en matière d’art me donnaient  beaucoup d’autorité auprès des collectionneurs. Si bien que je recevais du courrier d’un peu partout dans ce monde qui avait été si longtemps le mien. Ce monde dont désormais j’étais incapable de dire lequel de nous s’était détaché de l’autre.

Je me souviens qu’un jour à Milan le conservateur d’une galerie m’avait fait porter un siège après qu’un de ses employés lui avait montré une ancienne revue qui avait mis mon portrait en couverture. C’est ce jour-là que j’ai décidé de me retirer. Place aux jeunes, avais-je dis.

J’ai fait une carrière en histoire de l’Art. Je collaborais à des revues et mes articles faisaient l’objet de digressions universitaires. J’étais invité à faire des conférences à l’étranger. 

Je ne m’étais pas marié, peut être n’en ais-je jamais eu le temps. Cela n’empêchait en rien les aventures sexuelles même si  nous parlions davantage de peinture que de sexe. Un certain intellectualisme peut mener au lit mais il ne suffit pas pour souhaiter y rester sinon pour y dormir. 

Bref, je croyais qu’une vie aussi remplie que la mienne était un réservoir inépuisable de souvenirs. Je croyais que de relire les revues qui avaient imprimé mes articles et les jugements que je portais sur l’un ou l’autre me suffiraient pour remplir des journées qui désormais me paraissaient longues alors que me paraissait court le nombre des années à venir.

Hélas, aucune image n’émergeait de ce qui  n’était plus un réservoir de souvenirs bien rangés mais un fatras de sensations.

Mes voyages, les conférences dont j’étais la vedette, les peintres que je faisais revivre, ceux que je projetais dans l’avenir, rien de cela ne me revenait en mémoire de façon précise.

 En revanche, une scène de ma vie me revient souvent avec une acuité extraordinaire. Je me souviens au point que j’en ai le ventre noué de cette après-midi de septembre lorsque j’étais monté dans le grenier de leur maison, à Cécile et à Jean, pour y chercher une valise.

Lorsque Cécile s’était retrouvée face à moi, étendue sur des cartons. C’est avec précision que je me souviens de chacun de ses gestes.

 

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