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Histoire de femmes JGobert

Désenchantée, je reste là à la regarder vivre. Si je devais raconter sa vie, je dirai : elle a eu de la chance, elle a vécu dans un certain confort, ses parents étaient présents, elle avait une famille. Ses études se sont bien passées, elle a pu s’épanouir, s’investir, se complaire dans ce qui paraissait important. Son travail a été une réussite, gage qu’il lui était bien adapté et qu’elle l’appréciait. Son mariage continue toujours depuis ce temps lointain où elle était encore une très jeune femme. Elle a une belle maison, et part en vacances chaque année. Ses enfants sont grands, ils ont de bons diplômes, de bons boulots et vivent en couple avec des enfants.

Après ce résumé rapide, je dis encore comme pour l’excuser d’avoir eu tant de chance. Tout n’a pas été facile pour elle. Elle a dû se battre à chaque étape de sa vie. Quand elle plonge dans ses souvenirs, c’est souvent le cœur serré qu’elle se rappelle sa jeunesse.

Cette chance d’avoir une famille unie, d’être entourée, protégée, elle l’a vécu étouffée, angoissée par les règles de vie outrepassées. Une autorité incontournable, des idées familiales castratrices et un couple de parents constamment au bord de la rupture. La maladie de sa mère et le déclin de celle-ci vers un perpétuel abîme. Son angoisse de la voir partir vers cet inconnu sans pouvoir l’aider, lui parler. Vivre dans le silence, les non-dits.

Au moment de ses études, elle avait l’âme artiste, peinture, littérature, tout ce que la jeunesse invente pour se faire aimer. Les arts l’attiraient et la rendaient heureuses. Le choix fut tout autre, des études sectaires, tristes, monotones et un boulot qui la clouait sur un bureau des heures entières.

Le pensionnat lui prit ses meilleures années mais lui apprit néanmoins à acquérir une certaine indépendance, si pas de corps mais d’esprit. C’est là qu’elle rencontre le rêve, les étoiles, la poésie, les poètes. Ses lectures sont nombreuses, le temps à sa disposition.

Vite elle se marie pour commencer à vivre. Partir et s’installer dans cette belle maison, avoir des enfants. La déception, la monotonie s’installe rapidement. Et ses rêves d’amour aussi. Elle vit avec un manque qu’elle ne sait expliquer, un besoin non nommé qui au fil du temps se transforme en langueur et antidépresseur.

Ses enfants sont partis dans des crises d’adolescence, l’existence pour eux était difficile, l’accusant même d’être une mauvaise mère et la laissant blessée, encore plus seule. Ses enfants font leur vie, ils ont déjà quitté le père et la mère de leurs enfants. Ils vivent en famille recomposée et c’est à peine si elle voit ses petits bouts.

Sa mère mourut un dimanche d’été. Elle était arrivée au bout de sa vie. Une canicule épouvantable installée depuis des semaines ne lui permettait plus de respirer correctement. Ce manque d’air l’oppressa longtemps. Après de nombreuses larmes, elle regretta sans fin ce manque de dialogue entre sa mère et elle. Elle aurait aimé lui écrire une lettre avec des mots compliqués, précieux à lire et à relire. Une page de nostalgie importante à ses yeux pour se rappeler leur vie ensemble, les moments heureux qu’elles avaient vécus.

L’existence n’a pas été facile pour ces femmes mais elle l’aurait été pour elle avec sa mère. Ce doux soleil qui les accompagnait à vélo, sur les routes de campagne et qui la faisait se sentir grande avec sa mère. Les jolies robes que sa mère achetait et qui devaient lui aller si bien quand elle serait grande mais … Hélas, le temps du bonheur n’a pas duré longtemps. Et les autres souvenirs sont sombres, cruels, démesurés pour elle.

Tout ce que sa mère subissait la torturait et se gravait dans son cœur sans que l’oubli jamais ne s’installe. Que dire des larmes qu’elle versait en silence contre la maladie, l’incompréhension, la révolte d’une vie cassée qui se perdait chaque jour comme l’eau qui coule encore entre ses doigts et qu’elle ne peut retenir.

Toujours silencieuse, sans plainte excessive, réservée et acceptant tant de misère sans la montrer, la souffrance aurait été plus légère si sa mère l’avait partagée avec elle. Chacun faisait comme si tout allait bien et cela a fait d’elle un être tourmenté, torturé de douleur et sans aucun repos jusqu’au jour du départ où sa mère a repris le visage humain de sa beauté.

J’ai pu alors pleurer de te savoir paisible et en paix mais sans moi.

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Commentaires

  • C'est très gentil de votre part. Je me ferai un plaisir de continuer à écrire de cette façon et beaucoup d'autres sujets que j'ai déjà en tête.

    je vous souhaite une excellente journée

    Amicalement Josette

  • Votre propos rejoint tout à fait mon commentaire, il y a bien plus pour moi dans des textes ou des récits courts de son vécu ou du vécu d’autres personnes que dans de longues biographies où l’on essaie d’expliquer sa vie ou la vie d’une autre personne qu’elle soit illustre ou pas. Je ne crois pas à l’unité d’une vie comme ceci ou comme cela, je considère toute vie comme un patchwork, et conséquemment vous donne raison de vos textes courts que j’ai tous lus avec intérêt même si je n’ai pas encore eu le temps de les commenter…     

  • Bonjour Gil,

    Un grand merci pour votre commentaire. Il n’est pas facile de raconter sa vie, c’est exact mais ici, ce texte parle de deux femmes, la mère et la fille. Je me permets de leur faire vivre une vie romancée, inventée.   L’univers d’une personne peut se percevoir de différentes façons selon les moments, les circonstances. Les sentiments pourraient être tout différent si ce texte avait été écrit un autre jour. Je joue beaucoup sur les ressentis sans pour cela parler de moi.

    Toute personne a une apparence qui reflète sa vie. Ensuite il y a ce qu’elle ressent et ce qu’elle vit  réellement et c’est là l’intérêt d’écrire ce qui est caché, inventé...

     Je ne fais pas le compte d’histoires que je pourrais raconter sur  des êtres qui passent dans ma vie et que j’observe, parfois que j’apprivoise, parfois qui m’échappent.

    Mais ce que j’apprécie, ce sont mes petits textes sans prétention qui rendent une forme de vérité, parfois une certaine véracité de la vie passée ou actuelle et c’est mon plaisir.

    Amicalement

    Josette

  • Bonjour Josette

    Raconter une vie, c’est pour moi un exploit dont je me sens incapable. Raconter sa propre vie, ça me paraît plus difficile encore. La seule chose que je me permets, c’est de donner oralement ou un peu par écrit des petits bouts de mon vécu, du vécu de gens que j’ai connus, des petites histoires, des anecdotes qui peuvent faire comprendre qui j’aime, qui j’apprécie, qui je suis aussi, partagé entre humilité et volonté, détermination de faire de belles et bonnes choses en mon temps. Entre le verdict d’une vie ratée, désenchantée et celui d’une vie bien remplie, réussie, je me dis dans une inconstance qui perdurera je pense.

    Toute personne est pour moi un univers d’une grande complexité, et en mouvance, un univers objectif dont on peut envisager l’histoire, les faits et traits marquants, ce qui a pu l’influencer, le bouleverser, le transformer, le faire exister et un univers subjectif selon qui l’analyse, le raconte, selon les choix qui sont faits dans ce qu’on en dit ou n’en dit pas.

    Ceci étant dit, votre texte est pour moi révélateur de l’écart considérable qu’il y a souvent l’être social et l’être intime, entre l’univers des apparences, des images que l’on donne aux autres, de façon consciente ou pas, et l’univers des profondeurs de l’être qui doit faire avec nombre de choses traumatisantes ou frustrantes. Vous faites bien d’évoquer cela. Pour ma part, je considère que les générations d’avant, du peuple de l’anonymat, les femmes tout particulièrement, ont été astreints longtemps, très longtemps au silence à propos de leurs difficultés de vivre, d’exister, de leurs désirs, de leurs sentiments, de leurs appréhensions sur leurs propres vies, et n’ont pas forcément compris qu’on puisse changer cela, et bousculer aussi des codes anciens de vie réussie et heureuse. Il n’est pas certain d’ailleurs que tout le monde soit persuadé qu’il y ait des changements sérieux à opérer dans ce domaine, vu le nombre de gens qui nous disent que tout était beaucoup mieux avant, dans une belle amnésie des agressions, des violences multiples subies par les femmes et les enfants notamment.  

    La fin de votre texte est infiniment touchante évidemment, surtout la dernière phrase. Au-delà, il y aurait beaucoup de choses à dire à propos de votre texte tant vous y avez posé des choses essentielles qui mériteraient bien des développements.   

     

    Bonne journée. Amitiés. Gil

  • Merci Marie-Josèphe.  Une histoire de femmes comme il y en a tant à raconter et qui touche toujours.

    Excellente journée

    Amitiés

    Josette

  • Bonjour Gilbert,

    Mais oui, la vie est belle, elle nous fait naître, grandir, vivre, vieillir. On peut la décrire, la raconter, l’aimer ou la détester.. On peut la rêver, la méditer, la fantasmer. On peut l’embellir, la rendre joyeuse, heureuse. On peut s’en faire une amie,  On peut passer à côté, l’oublier, la délaisser. On peut la perdre. Mais malgré tout cela elle est pas belle la vie.

    Toutes mes amitiés

    Josette

     

  • Merci Rolande pour ton beau commentaire. Les femmes sont un sujet inépuisable et la vie quotidienne aussi. Quand on veut bien regarder autour de soi, la vie fournit beaucoup d'élèments pour faire de belles ou moins belles histoires.

    Excellente journée Rolande

    Amitiés

    Josette

  • Merci Krystin pour ton passage et de ta lecture d'histoire de femmes.

    Amicalement

    Josette

  • Comme Rolande je suis très touchée par ce texte très bien amené comme tu sais si bien le faire - oui, tu as un vrai talent de narratrice - bravo Josette

  • Bonsoir Josette,
    Parfois, comme une mode de dire que tout va bien, on peut entendre ; "Elle est pas belle la vie ! " Mais de qui parle-t-on?
    Toutes mes amitiés
    gilbert

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