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Les essais les plus marquants de l'écrivain allemand Thomas Mann (né en 1875) furent réunis un volume sous le titre "Souffrance et grandeur des maîtres" ["Leiden un grösse der meister"], publié à Berlin en 1935. D'autres, moins importants, firent l'objet de diverses publications à titre d'articles de revues, discours et préfaces. Les meilleurs d'entre eux ont été réunis en un volume: "Noblesse de l'esprit" ["Adel des geistes] et publiés par l'éditeur Bermann-Fischer de Stockholm.

Dans le premier volume, se distinguent par leur qualité et leur importance les essais consacrés à Goethe et Richard Wagner, dont l'oeuvre même de Tomas Mann est nourrie. "Goethe, représentant de l'époque bourgeoise", tel est le titre du premier essai, discours prononcé le 18 mars à l'Académie prussienne des Arts de Berlin, à l'occasion du centenaire de la mort de Goethe. Ce dernier est donc étudié en tant que représentant d'une époque qui va de l'apogée des villes hanséatiques et du commerce à la fin du moyen âge jusqu'au déclin qui a marqué le XIXe siècle. Il est caractéristique que Thomas Mann ait précisément choisi comme objet de son étude cet aspect du grand poète, en qui il n'hésite pas à voir la plus haute expression du génie; fils d'une Allemagne encore bourgeoise, il ne pouvait qu'apporter à cette analyse une compétence et une perspicacité particulières. Goethe, nous dit-il, grand aristocrate de l'esprit, était cependant imprégné de la sève populaire allemande, à la fois frère spirituel d' Erasme et de Luther. Et tandis que dans "Les années d'apprentissage de Wilhelm Meister", il annonce sous une forme pédagogique le développement économique et social du siècle suivant, avec "Les affinités électives" il échappe au rationalisme du XVIIIe et nous ouvre un monde de sentiments et de pensées entièrement nouveau, dont alors on n'a pas sondé les mystérieuses profondeurs. Citoyen de la ville hanséatique de Lubeck, Mann ne peut s'empêcher de manifester sa gratitude au poète d' "Hermann et Dorothée" pour son appartenance à la classe moyenne; et ce n'est pas sans plaisir qu'il s'attarde aux souvenirs bourgeois rapportés dans "Poésie et vérité", se laissant aller à nous conter des anecdotes sur Goethe, père de famille, hôte et gourmet, qui ne sont pas sans surprendre. Il aime également chez le vieux poète la passion de l' ordre, où il voit une manifestation de ses idéaux démocratiques. Mais il décèle aussi, dès "Les années d'apprentissage", une lente évolution qui doit conduire à un nouveau monde où le dépassement de l' individualisme humanitaire, grâce à l'esprit représenté par Nietzsche, conduira à compléter la notion d' individu par la fonction de ce dernier dans la communauté sociale. Un autre essai a pour titre "La carrière littéraire de Goethe écrivain"; Mann voit, dans l'oeuvre, la substance essentielle de l'écrivain, la réalisation même de sa propre personnalité; et c'est pour avoir pleinement mesuré la valeur de sa personnalité que Goethe put admirer le génie sans l'envier, partout où il se manifestait; et Thomas Mann de souligner que, chez Goethe, cette faculté d'admiration venait en quelque sorte renforcer la puissance créatrice.

L'essai: "Souffrance et grandeur de Richard Wagner", écrit à l'occasion du cinquantenaire de la mort du musicien et lu le 10 février 1933 à l' Université de Munich, se présente plutôt comme une confession de Thomas Mann lui-même en tant qu'artiste, confession qui nous révèle non seulement "comment" il envisage l'homme et l'artiste Wagner, mais aussi "pourquoi" il le voit ainsi. Wagner nous est donné comme la plus parfaite expression du XIXe siècle; à la fois gigantesque et souffrant, massif et délicat, mythique et grossier, complexe et ambigu, méconnu et glorieux, anarchiste et réactionnaire, nationaliste et européen; romantique et réaliste, chaotique et pédant, essentiellement tragique et théâtral; un génie qui, en dépit de son goût prononcé pour le macabre, à la Tristan, sut transposer musicalement la "volonté" de Schopenhauer, exprimer cette soif éternelle d'amour que le philosophe appelle la source même et le foyer de la volonté. Wagner est parvenu à concilier dans son oeuvre les deux forces contradictoires du mythe et de la psychologie. Comment, à lire cet essai, ne pas y voir une justification de la tentative, en tous points analogue, que Thomas Mann se proposa dans la grandiose tétralogie de "Joseph et ses frères"? Poursuivant son analyse, Thomas Mann dénonce chez Wagner, un certain dilettantisme envers chacun des arts dont il opère en revanche une géniale synthèse. Fidèle à son culte du monde bourgeois, Mann s'attache à nous montrer comment le Wagner révolutionnaire de 1848, dont les vicissitudes privées constituèrent un véritable défi à l'opinion publique, n'en vivait et créait pas moins dans une atmosphère bourgeoise; celle-ci se manifeste dans son pessimisme moral, dans cette notion de décadence que le XIXe siècle a unie à la notion de monumental, du fait même qu'il a tenu morale et grandeur pour synonymes (notons que Thomas Mann nous livre ici, la clé du motif fondamental de ses "Buddenbrook" et de divers autres ouvrages).

Dans "Une traversée avec Don Quichotte", essai écrit en mai 1934, tandis que Mann se rendait en Amérique, fuyant le IIe Reich, c'est un magistral commentaire de l'oeuvre de Cervantès qui nous est donné. Définissant l'ouvrage comme un livre universel, qu'il est bon d'emporter dans un voyage à travers le monde, il tient à indiquer que la traduction allemande de Tieck a su lui donner un second visage. Cependant, il demeure perplexe quant à l'élément satirique du roman et des nouvelles, tandis qu'il éprouve envers la silhouette pacifique et tragi-comique du héros idéaliste une affection fraternelle, où la pitié le dispute à la compassion et à la vénération.

Un essai est également consacré à l'écrivain allemand "Theodor Storm", à titre d'introduction pour l'édition des "Oeuvres complètes" de cet auteur publiées chez Knauer: ici, se manifeste avec évidence la tendance de Mann à souligner ce qu'il peut y avoir d'imperfections et de ridicule chez de grands artistes et en même temps de rendre sensible et attachant ce que leur personnalité peut comporter de trop humain. Cependant le grand romancier allemand aura eu le mérite d'avoir attiré l'attention sur les beautés de certains poèmes de Storm qu'il préfère à ses nouvelles (à l'exception de "L'homme au cheval blanc", qui appartient désormais à la littérature mondiale) et d'avoir souligné, à côté de l'élément chrétien généralement reconnu chez cet auteur, l'élément proprement germano-nordique et légendaire ainsi que le pessimisme du XIXe siècle, dont ses oeuvres portent la marque.

Parmi les autres essais, retenons la préface qu'il écrivit en 1911, pour une nouvelle édition des "Oeuvres" de Chamisso, qui n'est pas comprise dans le volume "Souffrance et grandeur" mais fut publiée dans "Questions et réponses". Il s'agit là d'une pénétrante analyse sur la personnalité de l'auteur de "L'histoire merveilleuse de Peter Schlemihl": Thomas Mann indique quelles affinités liaient l'auteur à son personnage, affinités que l'on peut reconnaître et identifier dans ce ton de réalisme bourgeois qui persiste à travers les aventures les plus fabuleuses.

Citons encore un "Discours à propos de Lessing", où Mann, qui avait trouvé dans l'art de Wagner et la pensée de Nietzsche une sorte de justification de sa propre esthétique, exalte l'attitude critique de ce courageux défenseur de la vérité; véritable mission nationale que Thomas Mann lui-même assumera plus tard dans le domaine proprement politique (voir "Essais politiques"). Il reconnaît en  Lessing l'homme qui s'était déjà donné pour but, dans son oeuvre poétique, avec "Minna de Barnhelm" et "Nathan le sage", d'élever son peuple à l' idéal de l'humanité.

 

 

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