Le réseau des Arts et des Lettres en Belgique et dans la diaspora francophone
ENTRE LES SPHERES DE L’INFINI : L’ŒUVRE D’OPHIRA GROSFELD
Du 01 au 25-06-17, l’ESPACE ART GALLERY (Rue Lesbroussart, 35, 1050 Bruxelles) a consacré une exposition, intitulée PINCEAU RYTHMIQUE, dédiée à l’œuvre de l’artiste belge, Madame OPHIRA GROSFELD.
PINCEAU RYTHMIQUE annonce, par l’exactitude de son intitulé, la démarche engagée par l’artiste pour atteindre la finalité du geste aboutissant à la forme, étalée dans l’espace. La portée même de l’intitulé exige du visiteur de s’impliquer dans l’exploration de l’univers du peintre pour trouver les clés donnant accès à cette finalité.
Cette exposition, pleine de poésie, en dit long sur la portée du jeu technique de l’artiste. Car c’est précisément la haute palette de son jeu technique qui devient le véhicule conduisant le peintre à exprimer le trait sous toutes ses coutures. Négliger cet aspect des choses aboutit à ne rien comprendre de l’esthétique de cette artiste. La technique devient la servante obéissante de l’émotion, en ce sens qu’elle s’avère à la fois consubstantielle et finalité de son discours pictural. Abandonner les possibilités explorées dans la technique au bénéfice, par exemple du symbole ou de l’émotion, équivaut à tuer le discours dans son déploiement créateur.
OPHIRA GROSFELD est une artiste pour qui le premier coup de pinceau détermine les prémisses d’un parcours menant, de rythme en rythme, vers la finalité (même provisoire – si tant est qu’une œuvre soit « définitivement » terminée) d’une création en tant que prise de conscience. Un trait elle, n’est jamais quelque chose de gratuit, en ce sens qu’il amène un autre trait, soit en continu, soit en parallèle. L’harmonie se conçoit dans une suite de traits, révélant un pinceau affiné, « rythmique », soutenu par des couleurs variées, jamais criardes, dont dénominateur commun est un arrière-plan au chromatisme souvent uniforme dans les teintes. Son œuvre est abstraite. Il s’agit, ici, d’une abstraction « lyrique » parfois calme et ordonnée. Parfois regorgeant d’une passion lumineuse, traduite dans un chromatisme de circonstance. Une abstraction où tout répond à tout. il s’agit d’une œuvre faite de musique souvent syncopée comme le jazz, où le « staccato » règne en maître. Une musique obéissant à une mathématique cachée dont on ne perçoit que l’aspect visible émergeant au regard.
Si cette œuvre est non figurative, force est de constater que, de temps à autre, des signes aussi « connus » que la sphère ou le « paysage » (décliné de mille façons), apparaissent comme pour redimensionner, en quelque sorte, la nature « non figurative » de son œuvre. Car le « non figuratif » ne se rapporte pas uniquement à la figure humaine.
L’aquarelle et l’encre de Chine…quel beau mariage ! L’aquarelle donne le ton à l’ensemble. L’encre de Chine, lui, le renforce dans l’élaboration du trait entourant les formes ou déployées librement sur la surface, dynamisant l’ensemble de la composition par des éclairs d’un noir luisant : ALLEGRETTO (69 x 64 cm).
Ces traits, qu’ils soient appuyés ou extrêmement fins, voire à peine prononcés, assurent précisément le « staccato » jazzistique évoqué plus haut. Emergeant de derrière la décharge électrique dont ils sont à l’origine, la couleur point comme d’une myriade de lucarnes pour se révéler à la lumière.
Encre de Chine et aquarelle engendrent un univers à la fois calme et féerique. Les couleurs, même les plus vives (comme le rouge ou le bleu) sont, de par leur traitement, rendues calmes. Cela est dû à cette science que possède l’artiste de « pastelliser » le chromatisme, donnant ainsi le sentiment du pastel. Il ne s’agit pas, ici, d’ « aquarelle » pure car l’huile est, somme toute, présente mais bien d’une conception personnelle de l’aquarelle.
Concernant l’ensemble de sa palette, intéressante est aussi l’utilisation du jaune que l’artiste applique sur des zones aménagées à cet effet, « enflammant » pour ainsi dire l’espace pictural par rapport aux couleurs plus fortes, soigneusement conçues pour engendrer un contraste aussi saisissant.
Arrêtons-nous un instant sur ENTRE DEUX MONDES (53 x 43 cm)
et REVERIE (53 x 43 cm).
La note jaune appliquée à ces deux œuvres donne à cette couleur l’expressivité du sentiment de plénitude. Ici, cette expressivité demeure « feutrée » car il ne s’agit, bien sûr, pas d’un jaune à la Turner mais bien d’une couleur-symbole se rapportant au soleil, c'est-à-dire à la chaleur douce de la vie.
ENTRE DEUX MONDES prouve, comme nous l’avons souligné, que l’artiste ne se cantonne pas dans l’abstrait.
Elle explore une étendue figurative où l’abstraction transcende le monde physique pour atteindre les profondeurs cosmiques. L’œuvre est structurée en différents espaces : quatre à partir de l’avant-plan ouvrent le champ à un cinquième espace annonçant un ciel irradié de soleil éclatant dans une large diffusion de jaune. Il y a, dans l’ensemble, plus de chromatisme à l’avant-plan (vert, bleu, blanc, rouge en dégradés) que dans l’infini ouvert du ciel. Une dichotomie s’installe entre un monde matériel, symbolisé dans les oppositions chromatiques de l’avant-plan et la pureté de l’infini, exprimé dans un chromatisme épuré. La ligne de démarcation entre ces deux mondes se matérialise par un trait d’une finesse à peine perceptible ouvrant sur la possibilité d’un ailleurs cosmique.
REVERIE (53 x 43 cm) nous offre, de façon plus confuse et moins structurée dans les plans, le même discours concrétisé dans l’opposition entre matérialité (forme traitée au mauve, à l’avant-plan) et spiritualité évoquée par une trouée irradiée de jaune vif, donnant également sur un ailleurs qui dévoile le for intérieur de l’artiste. Son âme à vif !
On ne passe pas (impunément!) devant l’œuvre d’OPHIRA GROSFELD sans s’y arrêter. Le visiteur a besoin de prendre un temps d’arrêt nourri d’une réflexion (dans le sens intime du terme : celui d’une démarche réflexive) pour s’imprégner de la psyché de l’artiste que des forces les plus secrètes, les plus improbables animent. Les titres qui accompagnent ses œuvres sont en parfaite adéquation avec l’esprit des toiles.
Titres, symbolique et technique conduisent vers un même but. Néanmoins, l’on sent qu’elle ne vit que pour la technique. Celle-ci devient l’outil lui permettant d’accéder vers la cosmicité d’un monde intime, lequel, par l’intervention du geste, devient supérieur.
INFINIS POSSIBLES (57 x 43 cm)
est suite de sphères, l’une imbriquée dans l’autre. Nous avons évoqué, plus haut, la présence de la forme sphérique ainsi que la présence dramaturgique de la note jaune. En vérité, ces deux éléments se rejoignent dans leur symbolique, car dans bien des cultures, la sphère est le symbole de l’infini. En l’associant au jaune vif, synonyme de chaleur et de joie de vivre, l’artiste explore et exprime la dimension transcendante de l’Etre.
Dès lors, en enchevêtrant les sphères, elle accorde à l’espace la possibilité de se perpétuer, dans la volonté de transcender l’infini. Sa peinture est essentiellement lisse. Le pinceau glisse rythmiquement sur la toile. La matière dans sa rusticité est abolie, en ce sens qu’elle utilise un papier spécial à grain fin, ce qui procure un sentiment d’élasticité dans la spatialité.
La démarche d’OPHIRA GROSFELD se divise principalement en deux étapes :
1) elle laisse son esprit divaguer au fil de la toile, comme dans l’extase d’un état second ou prise dans une méditation
2) une fois le travail terminé, elle le laisse « mûrir » pour le reprendre par la suite et lui imposer une étape de réflexion, axée sur l’équilibre des formes ainsi que sur les problèmes harmoniques pouvant déséquilibrer la construction de l’œuvre.
Par conséquent, son travail se structure à la fois par une impulsion créatrice suivi d’un stade de réflexion critique. Technique assez difficile à réaliser, l’aquarelle lui impose ses propres lois physiques qu’elle appréhende par le biais de son imaginaire, obligeant ainsi la couleur à adopter un langage expressif. Rythme et technique sont complémentaires. Le pinceau n’est que l’outil lui permettant de créer le mouvement. L’apaisement de l’esprit face à la toile la convainc que l’œuvre est aboutie dans la phase définie de son état d’Etre. De formation académique, elle ne se réclame d’aucune influence directe mais certaines de ses toiles font, parfois indirectement, référence à Jackson Pollock, notamment dans la technique du « dripping » (le fait de faire couler plusieurs gouttes de couleur sur la toile – posée sur le sol - pour avoir une idée de la trajectoire à donner à l’œuvre) comme tremplin pour se lancer dans l’inconnu créateur, en attendant le stade critique rectificateur de la réflexion. Le nom d’Hassan Massoudy, peintre et calligraphe irakien, n’est pas non plus étranger à son art. Nous pouvons en retrouver des traces dans sa conception du trait (à la fois lettre et signe), fourni ou lisse, il enserre la couleur à l’intérieur d’un giron chromatique.
OPHIRA GROSFELD est une artiste pour qui la technique est la servante de l’émotion avec laquelle elle compose un dialogue où le pinceau se perd en se retrouvant dans la mesure cosmique du rythme.
Lettres
N.-B.: Ce billet est publié à l'initiative exclusive de Robert Paul, fondateur et administrateur général d'Arts et Lettres. Il ne peut être reproduit qu'avec son expresse autorisation, toujours accordée gratuitement. Mentionner le lien d'origine de l'article est expressément requis.
Robert Paul, éditeur responsable
A voir:
Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza
Frannçois Speranza et Ophira Grosfeld: interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles
(Juin 2017) photo Jerry Delfosse)
Signature Ophira Grosfeld
N.D.L.R: pour mémoire
Deux autres écritures d'Ophira Grosfeld:
-Ophira Groosfeld - L'âme des cieux
(Une vidéo de Robert Paul)
-Ophira Grosfeld:: L'opéra dans les cieux
(Une vidéo de Robert Paul)
Commenter
Une abstraction épurée et lyrique .....
L’artiste belge Ophira Grosfeld a exposé ses œuvres dans la galerie en 2017. Et son billet d’art du critique d’art François Speranza à été publié dans le « Recueil n° 6 de 2017 » par « Les Éditions d’art EAG » dans la Collection « États d’âmes d’artistes » en 2018.
Lien vers la vidéo lors du vernissage de son exposition dans la galerie :
Félicitations Ophira et bonne continuation !
Allongeaille-paperolle de Robert Paul. : N.D.L.R.
A parti de mai 2018, l'Espace Art Gallery s'agrandit et s'installe dans le centre de Bruxelles.
Voir:
Bonne continuation Ophira.
Merci à François Speranza pour cette belle critique
malgré que c'est pas mon style préféré j'aime car c'est bien fait gili .
cette oeuvre est une mélodie ininterrompue d'une intense vie intérieure
Remarquable Merci
Bienvenue dans
Arts et Lettres
L'inscription sur le réseau arts et lettres est gratuite
Arts et Lettres, l'autre réseau social, créé par Robert Paul.
Appel à mécénat pour aider l'éditeur de théâtre belge
"Faisons vivre le théâtre"
Les Amis mots de compagnie ASBL
IBAN : BE26 0689 3785 4429
BIC : GKCCBEBB
Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Musée belge de la franc- maçonnerie mitoyen de l'Espace Art Gallery
Billets culturels de qualité
BLOGUE DE DEASHELLE
Attention!: lire nuit gravement à l'ignorance.
Nouveau: Partenariats multilingues:
7 partenariats à plusieurs mains
-87 billets
-16 billets
Voies et chemins antiques de la Grèce
-19 billets
-39 billets
-38 billets
-5 billets
Ancien Testament
En préparation
I. 1830-1880 : Le romantisme embourgeoisé
II. 1880-1914 : Un bref âge d’or.
III. 1914-1940 : Avant-gardes et inquiétude
IV. 1940-1960 : Une littérature sans histoire
V. 1960-1985 : Entre hier et demain
Max Elskamp, dit "L'admirable", poète à qui est dédié le Réseau Arts et Lettres
-27 billets
Menneken-Pis. Tenue de soldat volontaire de Louis-Philippe. Le cuivre de la statuette provient de douilles de balles de la révolution belge de 1830.
(Collection Robert Paul).
© 2023 Créé par Robert Paul.
Sponsorisé par
Vous devez être membre de Arts et Lettres pour ajouter des commentaires !
Rejoindre Arts et Lettres