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Julie avait posé trois tasses sur la table et préparé du café. La sonnette retentit deux fois.

- C’est le signal de Liliane. Reste, je vais ouvrir.

Il y eut un bruit de voix dans le vestibule, puis Liliane apparut suivie d’un homme âgé d’une trentaine d’années et vêtu d’un blouson de cuir et de jeans délavés. Un bel homme qui inspirait une sympathie immédiate. Il les regardait en souriant.

- Marc-Antoine. Je viens de le recueillir à la station service. Il faisait du stop.  

Julie était entrée. Liliane semblait jouir de leur surprise.                               

Plus tard, Pierre avait appris de Marc-Antoine qu’il ne faisait pas du stop, qu’il marchait le sac sur le dos comme un routard et que Liliane, à proximité de la station d’essence, avait arrêté sa voiture pour l’interpeller.

- Où allez-vous ? Si c’est sur ma route, je peux vous y conduire.

- Je ne sais pas. N’importe où.

- Elle a ouvert la portière. Elle s’est penchée. Montez donc, a-t-elle dit, et je suis monté. Elle voulait se faire un mec, je suppose. Cela m’était égal où j’allais.  

J’ai rendez vous dans deux semaines dans les bureaux du Club Med. D’ici là… Ici ou ailleurs.

Julie ajouta une quatrième tasse. Liliane s’était assise sur le divan adossé au mur. En contemplant Pierre et Julie, elle semblait demander :

- Comment nous trouvez-vous ?

Liliane était quelconque.  En ville, on disait qu’elle n’était pas mal mais qu’elle avait le feu au cul.

- J’ai trouvé une chambre pour Marc-Antoine. Il aurait pu dormir chez moi, j’ai suffisamment de place mais on aurait jasé, tu connais les gens.

Elle portait une robe qui finissait au-dessus des genoux, et son corsage découvrait le début de sa poitrine. Elle attirait l’attention sur l’une et l’autre partie de son corps en tirant sur sa robe par le bas ou par le haut.

- Vous êtes mariés ?

- Non, pourquoi ?

Marc-Antoine avait posé la question sans y porter réellement de l’intérêt. Il aurait pu demander s’ils aimaient la confiture. Néanmoins, le non immédiat de Julie avait heurté Pierre.

- C’est tout comme. Peut-être plus.

Liliane s’était levée, elle avait entouré le cou de Pierre, elle avait regardé Julie. Elle avait ajouté :

-N’est-ce pas ?

- Je disais simplement que nous n’étions pas mariés.

Elle avait la tête baissée en servant le café.

Pendant un moment, Pierre avait eu peur que Julie ne les retienne à dîner. Mais à voir la manière dont Liliane regardait Marc-Antoine, ça se voyait, elle n’aurait pas accepté. Elle lui ébouriffât les cheveux.

- On en mangerait. On peut le dire, non ?

Tant mieux si Marc-Antoine lui plaisait. La réponse de Julie: nous ne sommes pas mariés, avait irrité Pierre.

Depuis c’est au Réjane près de la gare, un café proche du domicile de Marc-Antoine, que Pierre et Marc-Antoine se rencontraient souvent. Le matin alors que Julie était au bureau. Pierre était au Réjane. Alfred, le barman, connaissait ses amis et lui depuis leurs années d’étude. C’est au Réjane qu’ils passaient les heures de cours qu’ils avaient envie de manquer. C’est au Réjane qu’ils emmenaient leurs conquêtes auxquelles royalement, ils offraient une boisson. Alfred ne s’étonnait jamais de les voir différentes, selon la saison probablement. 

Ils n’étaient pas devenus des amis à proprement parler mais Marc-Antoine était un garçon agréable avec qui on pouvait bavarder de tout et de rien. Il semblait ne rien prendre au sérieux. Il avait toujours sur les lèvres un sourire mi-ironique, mi-sceptique. Pierre lui était sympathique, avait-il dit.

Lorsqu’il avait confié qu’il s’était engagé au club, Ils avaient un peu trop bu ce soir-là, il avait dit:

- C’est plein de filles qui cherchent quelqu’un pour quelques heures ou quelques jours. Elles ne se compliquent pas la vie.

Il avait ajouté :

- Toi, ça se voit, tu es un garçon compliqué. Tu es jaloux de moi ?

- Moi ? Pourquoi ? A cause de Liliane ?

- A cause de Julie.

Pierre l’aurait frappé.

- Aucune femme ne vaut la peine. C’est ta tête qui fait tout. Ne fais jamais confiance à une femme.

Ils avaient continué de boire. Pierre l’avait ramené à sa chambre, et il était rentré.

Il avait pensé à Marc-Antoine, cet homme seul que des femmes étaient prêtes à recueillir sans le connaître. Cet homme qui n’aimait pas les femmes parce que, il l’avait appris plus tard, sa femme l’avait trahi.

La femme de Marc-Antoine n’avait pas plus de trente ans. Elle était atteinte d’un cancer au sein décelé trop tard. Les métastases s’étaient répandues comme une mauvaise semence. Plutôt que de perdre les seins, elle pensait que les hommes, même ceux qui ne s’en servaient que rarement, n’aimaient pas les femmes qui portent des cicatrices à la poitrine, elle avait pris le revolver de son mari. Elle s’était suicidée d’une balle dans la poitrine.

Marc-Antoine n’avait appris la vérité que le soir de sa mort en revenant du tribunal où il avait plaidé avec l’ardeur d’un jeune avocat talentueux. Il s’était senti trahi. Elle l’avait abandonné alors qu’il avait encore tout à apprendre d’elle. Il l’aimait. Telle qu’elle était. Telle qu’elle deviendrait. Voilà donc l’image qu’elle avait de lui ? La mort lui était plus sûre que Marc-Antoine. Il avait disparu dès le lendemain sans se préoccuper de rien d’autre ni de personne.

- On se suicide comme on peut.

Liliane ne se souciait pas de ses états d’âme. Elle attendait autre chose d’un homme que ce qu’elle appelait des vaticinations métaphysiques. Depuis que son mari était mort, elle jaugeait les hommes au lit.

En revanche, cela crevait les yeux, il n’était pas indifférent à Julie qui avait de la compassion pour cet homme qui venait de nulle part. Et qui était bel homme.

Lorsque Liliane se rendait chez Julie, Marc-Antoine l’accompagnait. Liliane aimait à exposer sa proie. Dès que Marc-Antoine parlait, Julie l’écoutait avec attention. Elle le disait probablement par politesse.

- Enfin Pierre ! Tu l’empêches de parler.

Liliane éclatait de rire.

- Enfin, Pierre !

Quand un homme émeut une femme, d’autres femmes sont prêtes à lui ouvrir les bras.

Pierre se serait levé et serait sorti tant la jalousie lui étreignait la poitrine. Mais il ne voulait pas les laisser ensemble. Il est des signes qui éclairent alors même que le comportement ne change pas. Ils sont imperceptibles aux yeux de ceux qui n’ont jamais aimé. Où qui n’ont jamais aimés qu’eux-mêmes. Jusqu’à ce jour il ne s’était agi que d’amour comme en connaissent la plupart des amoureux. Cette nuit-là, il s’était demandé si c’est à lui qu’elle pensait pendant qu’il la caressait.

- Je dois me rendre au Club, il y a des choses qui traînent.

Marc-Antoine l’avait annoncé un mercredi matin pendant qu’ils prenaient un verre au Réjane.

-Je vais t’y conduire, si tu veux. Je dois me rendre à Bruxelles.

- Cela ne t’ennuie pas ?

- Mais non.

En voiture, pensait Pierre, il le ferait parler. Il avait son idée quant à l’affection réelle que Marc-Antoine portait tant à Liliane qu’à Julie. Des femmes à prendre et à jeter, devait-il penser.

Le lendemain, il était passé le prendre à son hôtel. Marc-Antoine avait revêtu un blazer croisé, un jean usé et une chemisette bleu clair, la couleur de ses yeux. Il était parfaitement peigné et rasé.

- Tu vas draguer les filles du Club, Marc-Antoine ? On passe la nuit, alors ?

- Pour draguer les filles du Club, je ne sais pas. Pour passer la nuit, je ne dis pas non.

Il avait étendu les jambes, reculé son siège, et fermé les yeux. Il était le type même du séducteur fat et imbu de lui-même. Pierre avait l’intention de montrer à Julie la vraie personnalité de ce type.

- Ne prend qu’une chambre, ça m’étonnerait que je rentre de sitôt, cette nuit. Et toi, Pierre, tu n’avais pas une copine que tu aurais envie de revoir ?

Pierre l’avait déposé devant les bureaux du Club. Il avait téléphoné à Julie qui lui avait demandé si les choses s’arrangeaient pour Marc-Antoine.

- Oui, ne t’inquiète pas.

Liliane et Julie souhaitaient le contraire sans le dire à haute voix, il en était convaincu. Il était le seul à souhaiter réellement son départ.  

Il était allé saluer des gens qu’il avait connus. A la firme de matériel médical, le Directeur général avait voulu le saluer.

- Je ne vous ai pas très bien compris, Pierre. A mon sens, vous avec manqué une grande carrière.

C’était quoi, une grande carrière ? C’est vrai, il ne le regrettait pas. C’était une preuve supplémentaire quant à son amour pour Julie. Le soir, à l’heure où certaines boites se remplissent, il était passé prendre un verre à l’Archiduc. Il imaginait peut être que sous un verre haut dressé, il reconnaitrait la silhouette de Clotilde.

Il était rentré à l’hôtel, il avait poussé la porte de la chambre après avoir frappé. Marc-Antoine, à cheval sur le dos d’une fille qui haletait s’était retourné vers lui.

- Mille excuses, vieux frère, notre chambre est beaucoup plus belle que la sienne. Nous sommes venus finir la nuit ici. Si le cœur t’en dit, le lit est assez large. Et mes idées aussi.

Ils étaient repartis le lendemain. Pierre le haïssait de plus en plus.

Un jour que Liliane devait s’absenter pour la journée, Marc-Antoine avait été invité à venir l’attendre chez Julie. Julie avait dit:

- C’est la moindre des choses. C’est un ami, non ?

A cinq heures de l’après-midi, il n’était pas encore arrivé.

Julie était inquiète.

- Je suis certaine que quelque chose lui est arrivé.

- Il doit y avoir une raison. Que veux-tu qu’il lui soit arrivé ?

- Je ne sais pas mais je suis certaine qu’il est arrivé quelque chose.

Elle était nerveuse, son visage était tendu.

- Prenons la voiture, Pierre. J’ai trop peur. Liliane ne me le pardonnerait pas.

Ils avaient pris la voiture. Il l’avait conduite à l’immeuble où Marc-Antoine avait sa chambre. Elle  ne lui avait même pas demandé de monter avec elle ou de l’attendre. Elle était revenue au bout d’une bonne demi-heure, pas loin d’une heure.

- Il lisait. Il m’a dit qu’il avait oublié.

Puis, elle n’avait plus rien dit. Chez elle, ils étaient restés seuls. Ni Liliane ni Marc-Antoine n’étaient venus, Liliane avait téléphoné pour s’excuser.  

- Tant mieux. Je ne sais pas ce que j’ai, je suis très fatiguée ce soir.

Lorsque Pierre lui avait demandé si elle souhaitait qu’il aille passer la nuit chez son père pour qu’elle puisse se reposer, elle n’avait pas tenté de le retenir. Ils s’étaient embrassés comme de vieux amis. Sur les deux joues. Il se souvenait que Clotilde souhaitait qu’ils fussent de bons amis pour se réserver des soirées qui ne seraient qu’à elle. Est-ce que Julie souhaitait aussi qu’ils soient de bons amis ? Pierre bouillait de rage.

C’est Liliane, elle était passé le prendre comme à chaque fois qu’il ne dormait pas chez elle, qui avait découvert le corps inanimé de Marc-Antoine. Il gisait sur son lit uniquement vêtu d’un t-shirt. Sur la table de nuit, il y avait un verre dont l’odeur ne révélait rien et un second verre auprès d’une bouteille de whisky à moitié vide. L’analyse du premier verre par les services spécialisés de la police judiciaire conclurent que Marc-Antoine s’était suicidé.

L’enquête dévoila ce que personne ne s’était ingénié à savoir. Le nom de famille de Marc-Antoine, son origine et son métier. Il n’était pas issu de nulle part. La mort de sa femme expliquait sa décision. Peut-être que la perspective du Club ne lui était-elle plus apparue comme une solution suffisante. Ni la sympathie que lui portaient Liliane et Julie.

Il savait dès le premier jour qu’il les quitterait et disparaîtrait  aussi simplement qu’il était apparu.  L’une et l’autre en avaient été blessées. Pierre s’était réjoui de sa mort.

Il l’avait regardé comme un être sans épaisseur réelle, une idée un peu folle qu’une femme pouvait évoquer dans les recoins obscurs de son jardin secret. Mais depuis que Julie s’était rendue chez lui, qu’elle était restée dans sa chambre pendant qu’il l’attendait, il s’était mué en rival.

Depuis la mort de Marc-Antoine, Pierre et Julie ne se  parlaient plus beaucoup. Liliane venait les voir moins souvent et à chaque fois qu’elle venait, elle se conduisait envers lui avec la curiosité attentive d’une mère. Elle disait à Julie :

- Comment fais-tu pour être aussi jolie dès le matin. Ce doit être la présence de Pierre qui te donne ces couleurs. Ou autre chose qu’on ne doit pas dire.

Elle se tournait vers lui.

- Sûrement que tu as des talents cachés.

Julie regardait Liliane de façon étrange. Toutes deux paraissaient voir d’elles-mêmes les images qu’elles présentaient et des images différentes de celles qu’elles présentaient.

C’est souvent le cas, les propos importants s’échangent durant la nuit. Julie faisait l’amour en pleine lumière mais pour parler, elle éteignait. L’obscurité donne aux mots une profondeur particulière.

- Tu ne crois pas que c’est Liliane qui a tué Marc-Antoine? Elle est pharmacienne.

- Pourquoi l’aurait-elle fait.

- Peut-être qu’elle pensait qu’il était amoureux de moi.

C’étaient les mots qu’elle souhaitait prononcer devant lui. Peut-être qu’elle souhaitait qu’il lui réponde qu’elle avait raison. Que Liliane avait tué Marc-Antoine parce que Marc-Antoine était amoureux de Julie. Elle l’aurait aimé comme aux premiers jours. Finalement, ce qu’ils se disaient n’était qu’une autre forme du silence.

Il avait voulu la toucher un soir, elle s’était excusée, elle ne se sentait pas bien.

- Je ne sais pas ce que j’ai.

Elle avait repoussé sa main. Elle s’était levée.

- Je ne veux pas t’empêcher de dormir. Je vais me coucher dans l’autre chambre.

C’était la première fois qu’elle se refusait. Elle était venue le rejoindre à la levée du jour. Lorsqu’il s’était levé pour préparer le petit déjeuner, il s’était promis de la quitter. Même s’il pensait que deux morts auraient du les rapprocher davantage.

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Commentaires

  • C'était à prévoir évidemment .... depuis le "Tu en veux...." Un peu balourd de sa part ... Non ?

    Vous avez aussi l'art de suggérer le mystère .... Ici, concernant la mort bizarre de Marc Antoine.

    Bon dimanche. J'attends la suite et fin ? avec curiosité.

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