Statistiques google analytics du réseau arts et lettres: 8 403 746 pages vues depuis Le 10 octobre 2009

Des amis de toujours

 

La ville a la forme d’une olive. Presque tout autour de la ville les boulevards y sont arborés. A l’exception de celui qui longe le quartier populaire derrière le chemin de fer où il n’y avait pas d’arbre du tout, les façades y sont grises,  et de celui qui aboutit à la chaussée de Bruxelles.

A l’époque, là, du côté gauche du boulevard et jusqu’aux quais, c’était de la verdure et des arbres feuillus de différentes espèces. Une sorte de parc mal dessiné,  apprécié par les jeunes gens parce que les sentiers y étaient étroits, sinueux, et les bancs nombreux. Des lieux de rendez- vous qui allaient de soi. Je ne sais pas si c’est encore le cas aujourd’hui.

L’Escaut la traverse par le milieu, depuis le pont de l’Yser jusqu’au pont des Trous, une tour en ruines qui rappelait que la ville avait été une cité médiévale, deux maisons près de l’église Saint Jacques dataient de 1585, et dont on disait que Childéric y avait prononcé le jour de ses noces avec une chrétienne :

- Dieu de Clotilde, si tu me donnes la victoire je croirai en toi.

Il avait épousé Clotilde, c’est vrai, mais je ne me souviens plus de quelle victoire il s’agissait. Peut-être ne l’ai-je jamais su, je n’étais pas un très bon élève.

Tournai est une ville dont, assez souvent, durant la nuit, je faisais le tour à pieds, 16 kilomètres environ, en quelques heures.

La plupart du temps, nous étions deux, Pierre Orloff  et moi à discuter de poésie, des problèmes du monde et, parfois, des filles. Pierre était mon meilleur ami. Un ami d’enfance. Celui dont on souvient longtemps encore après s’être perdu de vue.

A cette époque, nous étions âgés de dix-huit ans. Nés le même jour, nous fêtions notre anniversaire en même temps.

Pierre était d’origine slave, polonaise ou russe. Il ne savait pas, se plaisait-il à dire, parce que la ville dont son père était issu avait été conquise par les russes, reconquise par les polonais, et reprise par les russes. C’eût pu être les allemands. La Pologne avait toujours été une sorte de promenoir pour des armées étrangères.

La prononciation de Pierre s’efforçait d’ailleurs de laisser entendre qu’il avait une ascendance identique à celle de ces héros littéraires, ils étaient russes pour la plupart, qui se battaient jusqu’à ce que mort s’ensuive, ou qui se plaçaient le pistolet sur la tempe pour un oui ou pour un non. L’âme russe ! Maître d’hôtel, faites venir les balalaïkas.

C’est lui qui épousa Isabelle. Elle m’avait dit que je n’étais pas un garçon sérieux, que je ne pensais qu’à la baiser, un soir qu’après avoir dansés, ventre contre ventre, je lui avais proposé de prendre l’air à l’extérieur de la boite.

Le père de Pierre était ingénieur, celui d’Isabelle était gendarme, ils n’étaient fortunés ni l’un ni l’autre. La cérémonie du mariage fut sobre, un repas pour une douzaine de personnes dans un restaurant de la Grand Place. A la fin du repas, Isabelle, un peu ivre, embrassa tous les convives, l’un après l’autre. Quand ce fut mon tour, elle s’assit sur mes genoux pour m’embrasser. J’avais laissé pendre les bras pour que personne ne puisse penser qu’elle ou moi, nous nous étions livrés à des attouchements de nature sexuelle.

Peut-être qu’elle avait voulu me transmettre un message.

- Tu as eu tort, Richard.

Le voyage de noces avait été offert par le père de Pierre : 8 jours à Djerba au Club. Pierre et sa femme en revinrent transformés. Je me suis demandé si Isabelle n’avait pas eu raison, et si moi je n’avais pas eu tort de ne pas lui avoir pas fait une cour plus sérieuse. C’est la vie, comme on dit. 

Au bout de la chaussée de Renaix, il y avait une usine de fabrications métalliques. Monsieur Orloff en était le directeur de production. Il engagea Pierre dont ce fut le premier travail. Ingénieur comme son père, avec l’accord de monsieur Meurant, le patron de l’entreprise, il entra dans le bureau qu’il avait baptisé du nom de « styling office ». On y créait les modèles des nouveaux produits.

Une jolie femme, et une carrière pleine d’avenir, que pouvait-on souhaiter de plus: une vie heureuse s’ouvrait largement devant eux. Si nous ne nous promenions plus durant la nuit, Pierre et moi étions restés amis. Le samedi soir, je dînais chez eux.

Des années plus tard, j’y pensais encore. Pourquoi dans mes souvenirs apparaissait-elle comme une période que j’évoquais avec plaisir ? Je ne sais pas. Les méandres de la mémoire m’ont toujours surpris.

 Je ne me suis pas marié. Je me sentais bien dans ma peau. Libre de mes faits et gestes. Rien qu’un sac à remplir lorsqu’il me prenait l’envie de voyager. Je me souviens que je ne tenais pas en place. Ce n’est pas tant la distance qui me poussait vers tel ou tel autre endroit mais le mode de vie de ses habitants ou un détail qui lui donnait sa couleur. Barcelone et Florence, en quelques heures d’avion, hors des saisons dédiées au soleil et aux touristes, étaient devenues les villes que je considérais comme les miennes. 

A Barcelone, je descendais à l’hôtel Colon, presque en face de la cathédrale, un endroit préservé de la vieille ville. A droite, un entrelacs de rues étroites qui aboutissaient aux Ramblas. A gauche, un large boulevard rejoignait le port industriel. Je n’étais jamais rassasié de la construction inachevée de Gaudi. L’œuvre d’un fou ? On pourrait en dire autant de nombreux personnages de théâtre. Qui est fou ? Qui ne l’est pas ?

A Florence aussi, ce sont les ruelles qui m’attiraient. A croire que ce que j’aimais dans les villes était ce qu’elles avaient été.

Lorsque je revenais, Isabelle et Pierre m’invitaient chez eux avec autant de chaleur que si je revenais d’un voyage lointain après une longue absence.

- Tu as fait bon voyage ?

Elle m’embrassait sur les joues. Je retrouvais son odeur.

Un jour, Isabelle est devenue ma maîtresse. Elle l’est restée jusqu’à la mort accidentelle de Pierre. Nous nous sommes mariés quelques mois plus tard.

Je pense que nous avons fait un bon couple. Pierre en eût été heureux.

Envoyez-moi un e-mail lorsque des commentaires sont laissés –

Vous devez être membre de Arts et Lettres pour ajouter des commentaires !

Join Arts et Lettres

Commentaires

  • Les mêmes personnages pour une nouvelle remaniée. Avec des connotations modernes (les city-trip).

    Et toujours Tournai en toile de fond. Pas d'enfants également.

    La bataille avec le fameux "Clotilde ....."n'était-elle pas celle de Soissons et le Roi en question Clovis?

    On nous la assez serinée pour ne pas l'oublier.

    Childéric, c'est pour la suite. Merci pour ce petit tour historique.

This reply was deleted.

Sujets de blog par étiquettes

  • de (143)

Archives mensuelles