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Depuis toujours les artistes ont aimé partager leur savoir

Depuis toujours les artistes ont aimé partager leur savoir, échanger leurs idées, en voici encore un exemple concret en provenance des plus grands.

Je déplore que dans les écoles d'art ( j'en ai eu l'expérience) on n'explique plus les bases du "métier". Il est aberrant de penser qu'en 4 ans d'études aux Beaux-Arts de Bruxelles en section gravure: je n'ai jamais, par exemple, eu un burin en main, et que je n'ai pas eu accès à la pratique de la méthode Hayter. Le cours d'histoire de l'art dont je reconnais par ailleurs l'utilité n'a jamais fait l'objet d'un chapitre sur l'histoire de la gravure et des graveurs: j'ai tout appris par moi-même de l'histoire et des techniques et je remercie le net pour cela: il m'a permis l'accès à ces savoirs avec d'infinies facilités de moyen tant financier, que d'accessibilité.

Je déplore également qu' aujourd'hui les artistes ont de plus en plus le culte du secret.

J'en ai eu souvent la preuve lors des réactions face à mon blog Histoires d'encres et de papiers: certains artistes m'ont écrit pour me signifier comme une mauvaise chose le fait de dévoiler les "secrets de fabrication" d'une oeuvre. Je ne suis pas de leur avis: connaitre une technique et les petits trucs qui en découle ne fera jamais de celui qui les applique un futur "copieur", l'artiste véritable y  trouvera matière à s'enrichir personnellement, il ne copiera pas, il s'améliorera au mieux.

Degas à Pissaro: Lettre à propos de gravure

Lettre de DEGAS à PISSARO 1880

Mon cher PISSARO,

 

Je vous félicite de votre ardeur; j'ai couru chez Mademoiselle CASSATT avec votre paquet.

Elle vous fait les mêmes compliments que moi à ce sujet.

Voici les épreuves: la teinte générale noirâtre, grisâtre plutôt, vient du zinc, qui est gras par lui-même et retient du noir de l'imprimeur; la plaque n'est pas assez planée.

 

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Crépuscule avec meules de foin

 

Pissarro combine plusieurs procédés pour créer de l’atmosphère, dont les grains de l’aquatinte ainsi que pour obtenir un divers tons et textures. L’eau-forte et la pointe sèche servent à définir les caractéristiques du paysage. Imprimée, par Degas, c'est une série en couleurs. Degas qui imprima ces épreuves, trouvait que la planéité de la planche étant imparfaite, l'atmosphère "brumeuse" en était la cause.

 

Il est difficile de savoir si les différentes couleurs devaient suggérer des changements de lumière ou, tout simplement, élargir l’éventail des possibilités décoratives. Personnellement à la lecture des lettres je pencherais plutôt pour la seconde hypothèse.

 

Je me doute bien qu'à Pontoise, vous n'avez pas autant de facilité pour ce point-là que rue de la Huchette( chez le planeur GODARD) Il faudrait tout de même avoir quelque chose de plus lisse.

Vous pouvez voir tout de même combien le procédé a de ressources.

Il faudrait aussi que vous vous exerciez à poser des grains, pour avoir par exemple un ciel d'un gris uni, égal et fin.

C'est très difficile, si on en croit Maître BRACQUEMOND. En ne voulant faire que des gravures d'art original, c'est peut-être assez facile.

 

Voici le moyen: prenez une plaque bien lisse (c'est essentiel, vous comprenez).Dégraissez-la absolument, au blanc d'espagne. Préalablement vous avez faire dissoudre dans de l'alcool ttrès concentré de la résine. Ce liquide versé à la façon des photographes lorsqu'ils verseent le collodion sur leur glace, (ayez soin, comme ils le font, de bien égoutter la plaque en la penchant), ce liquide donc s'évapore et laise la plaque couverte d'une couche plus ou moins épaisse de résine en petits grains. En faisant mordre vous avez un semis plus ou moins foncé suivant que vous aurez laisser mordre plus ou moins. Pour avoir des teintes égales c'est nécessaire; pour avoir des effets moins réguliers, vous pouvez les obtenir avec l'estompe ou le doigt ou toute autre pression sur le papier qui couvre le vernis mou.

Votre vernis me semble un peu trop gras. Vous avez mis un peu trop de graisse ou de suif.

Avec quoi avez-vous noirci votre vernis, pour avoir ce ton bistré du derrière du dessin?

C'est très joli.

Essayez quelque chose de plus grand avec une meilleure planche.

Pour la couleur, je vous ferez tirer avec une encre de couleur votre prochain envoi.

J'ai aussi d'autres idées pour les planches en couleurs.

Essayez donc quelque chose de plus fini. Ca serait ravissant de voir des contours de choux très suivis( PISSARO avait gravé un vernis représentant un champ de choux.)

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Pensez qu'il faut débuter par une ou deux très belles planches de vous.

Je vais m'y mettre ces jours-ci, à mon tour.

Caillebotte fait de ses fenêtres des refuges du Boulevard Haussmann m'a-t-on dit.

Pourriez-vous trouver à Pontoise quelqu'un qui puisse découper dans du cuivre très léger des choses décalquées par vous. On pourrait appliquer ces sortes de patrons, sur une épreuve au trait et un peu à l'effet, à l'eau-forte ou au vernis mou et imprimer alors avec du bois poreux chargé de couleur à l'eau les parties mises à découvert. Il y aurait là à faire de jolis essais d'impressions originales et curieuses en couleur. Travaillez un peu çà, si vous pouvez.-Je vous enverrai bientôt, des essais de moi en ce genre- Ce serait économique et nouveau.

(Apparemment DEGAS n'a jamais réalisé ces essais. Le procédé d'impression de bois avec de la couleur à l'eau, a été pratiqué par GAUGUIN sur des bois directement gravé par lui)

Et ça nous irait, je crois, suffisamment pour commencer.

 

pas besoin de vous complimenter sur la qualité d'art de vos potagers.

Seulement dès que vous vous sentirez un peu habitué, essayez en plus grand et des choses plus faites.

Bon courage.

DEGAS

 12272846275?profile=original

 

NOTE: Toutes ces gravures sont visible sur le site de Gallica à l'adresse suivante: http://gallica.bnf.fr/Search?ArianeWireIndex=index&f_...

 

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Commentaires

  • en suivant le lien Gallica: mon dieu, que celle-ci est émouvante

    Paysanne donnant à manger à un enfant : [estampe] (2ème état, n°2) / impr. par C.P. [Camille Pissarro]

    Paysanne donnant à manger à un enfant : [estampe] (2ème état, n°2) / impr. par C.P. [Camille Pissarro] - 1

  • Je vous rejoins dans ce ressenti. Pour moi, un "maître" qui ne prend jamais le pinceau, la gradine ou la pointe en main afin de montrer et transmattre son savoir-faire constitue un abîme d'inutilité. Fort heureusement le maître en peinture que j'ai eu à mes 16 ans mettait la main à lapâte. Hélas! jen'ai pas trouvé la même façon d'en agir avec l'élève dansdiverses académies fréquentées que ce soit en peinture, sculpture, dessin d'après modèle... L'exception étant untrès bon cours de ... gravure que,faute de matériel, j'ai peu pratiqué.Quant aux cours de peinture que je donne en mon atelier, iln'est pas rare que je mette la main à lapâte "pour montrer", la récompense consiste dans les progrès réalisés par mes élèves.

  • Merci Liliane pour votre commentaire. Malheureusement je pense que les artistes sont des humains avant tout, et la peur que l'autre leur fasse de l'ombre est vieille comme le Monde.

    Au début de mon "apprentissage" la gravure demandant une certaine gymnastique de l'esprit et du doigté,( en effet  celle-ci se dessine à l'envers comme dans un miroir et les tons clairs de la plaque se révèlent être foncés à l'impression), j' ai donc commencé par des sujets dit "traditionnels" tel que des représentations d' animaux, des paysages, etc...le temps de maîtriser la technique. Et bien je fus très surprise de voir lors des examens de fin d'année, mon professeur principal, chercher à excuser auprès des examinateurs le fait que mes sujets étaient par trop figuratifs et donc par conséquent "ringard"(Pourtant beaucoup de jeunes aspiraient à des sujets "classique"). J'ai du attendre la seconde année, lorsque j'ai fait oeuvre de fantaisie plus grande pour avoir droit à un regard plus bienveillant. Beaucoup de gens pensent que les académies artistiques sont synonyme de largesse d'esprit: ils se trompent, c'est l'air du temps qui fait sa loi, pas l'acceptation des diverses sensibilités des jeunes artistes. J'en ai connu des profs qui ne voulaient voir dans leurs élèves qu'un prolongement de ce qu'ils étaient.

  • La gravure enfant pauvre aux riches heures. Rivalité, jalousie, pré carré... du partage, de la transmission, on ne connait souvent que les morsures d'acide (et je parle en connaissance de cause, dans le domaine de l'édition). Merci pour ce blog. Amitiés (et on se console heureusement avec A&L)

  • administrateur partenariats

    Très beau blog, en effet.

    Je pense sincèrement avoir vécu ce genre de choses lors de mes études artistiques. J'ai même connu pire: la jalousie du maître pourtant vénéré et vénérable, découvrant stupéfait le travail de l'élève devenu à son tour professeur, et réduisant d'un propos ironique le travail à un niveau bien misérable.

    Boudant 30 ans plus tard l'invitation à l'exposition de son élève.

    Pourquoi les anciens ont-ils peur de la jeunesse ?

    Que craignent-ils ?

     

  • Intéressant, Merci pour ce partage.

    Adyne

  • Cher Monsieur, votre blog est un trésor. Et oui, certains professeurs cultivent le secret vis-à-vis de leurs élèves pour conserver leurs pouvoirs. Ce n'est certainement pas la meilleure manière d'encourager l'émulation.

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