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Ce poème de Lucrèce (Titus Lucretius Carus, 98-55 av. JC., dates indirectement confirmées par Suétone), écrit dans l'intention d'exposer les fondements de la physique et de la morale d' Epicure, est le chef-d'oeuvre de la poésie scientifique. Ne serait-ce que par son titre, il s'insère dans la tradition de la poésie philosophique grecque, de Parménide à Empédocle.

L'oeuvre parut après la mort de l'auteur et, selon une tradition remontant à saint Jérôme, Cicéron en aurait assuré la publication. On a même longtemps prétendu que le célèbre orateur aurait "émondé" l'oeuvre avant de la livrer au public: c'est là une affirmation nullement prouvée. En fait, il semble bien que les six chants composants le poème soient demeurés dans l'ordre et dans la forme où l'auteur les a laissés.

Loin de vouloir faire une oeuvre à proprement parler didactique, Lucrèce entendit donner une interprétation poétique de l' Univers, compte tenu du fait que l'individu en est une des parties essentielles, certes destinée à périr, mais non cependant à disparaître dans tous ses éléments. Tel est le caractère dominant de la poésie de Lucrèce, toute imprégnée qu'elle est d'une émotion fervente devant la profondeur des mystères que le savoir d' Epicure, la maître vénéré entre tous, dévoile aux yeux stupéfaits des mortels: les murailles de thénèbres qui entouraient le monde s'écroulent et le regard du poète atteint ces lieux paisibles où règnent les dieux, car l'espace s'est entr'ouvert devant celui qui a surmonté les mystères également redoutables de la vie et de la mort, et désormais le voici baignant dans une atmosphère sans nuage et sans ombre, faite de larges espaces et de lumère diffuse.

La matière du poème se répartit comme suit: après une invocation à Vénus, principe de toute vie et de toute fécondité, Lucrèce consacre les deux premiers livres de son oeuvre à exposer les grandes lois concernant l' univers: rien ne se crée, rien ne se perd; à l' origine de toutes choses existent certains éléments indivisibles et indestructibles: les atomes, dont l'agencement a formé le monde. Et ces atomes se meuvent éternellement dans le vide (I, 430). Le tableau que Lucrèce nous donne ici du cosmos, va aussi bien à l'encontre des théories des philosophes ioniens (Héraclite, Anaxagore) que de celle d' Empédocle sur les quatre éléments. Le livre II commence par décrire quel est le processus de formation et de dissolution des corps: grâce à la pesanteur et à une certaine "inclinaison" (clinamen") de la verticale, les atomes sont amenés à se grouper; leurs ombinaisons sont nombreuses et les similitudes infinies. Voici les atomes lisses, qui sont comme une caresse pour les sens; les atomes rugueux, qui leur sont comme une offense et qui composent les matières dures (II, 422). Tout ce qui est nécessaire pour conserver la diversité des choses et des apparences telles que nous les connaissons, dépend d'eux seuls et plus précisément de leur agencement. La variété de leurs formes introduit de nouvelles différenciations et Lucrèce de nous montrer la naissance des êtres animés à partir des êtres inanimés. A cette fin, le poète apporte un faisceau de preuves dont il n'y a pas si longtemps encore on faisait argument dans la difficile querelle de la "génération spontanée": apparitions de vers, lorsqu'un corps animé quelconque se putréfie; transmutation de certaines matières, etc. Ce chant, qui se termine par une allusion à la pluralité infinie des mondes et à leur perpétuelle formation, fait alterner les spéculations métaphysiques et les plus charmants tableaux de la nature. Les livres III et IV traitent de l'homme, corps et âme, cependant que sa place dans le monde et ses rapports avec l'univers feront l'objet des livres V et VI. Puisque tout est matière, l'homme lui-même n'est donc qu'un agrégat d'atomes; et son esprit ("animus") comme son âme ("anima") ne sont que le fruit d'une combinaison plus subtile d'atomes. Mais ce qui est matière est périssable, et toute combinaison d'atomes finit par se résoudre en ses éléments. L' âme est donc mortelle et point n'est besoin de craindre la mort, qui n'est que le retour au néant. Le livre IV se rapporte à l'homme physique: sensations, réflexions, sentiments et désirs y sont analysés dans leur essence et leur mécanisme. L'auteur y traite des phénomènes de la vue et de l'Ouïe, du goût et de l' odorat, des songes et du sommeil, de la vie sexuelle enfin, consacrant aux illusions de l'amour, ainsi qu'aux joies et aux tourments qu'il engendre, quelques-uns des plus beaux vers qu'il ait jamais écrits (IV, 1145-1162). Ce chant, le plus célèbre de tous, fit l'admiration de Voltaire, qui se proposa à plusieurs reprises de le traduire. Le livre V décrit les premiers âges de la terre, l'enfantement des arbres et des fleurs, l'apparition des animaux; puis l'auteur nous donne un tableau grandiose de la civilisation humaine et des différentes étapes que l'homme doit parcourir, depuis la création d'un langage commun et la naissance de l'industrie, jusqu'à ce moment où, accédant à la vie morale, il se propose la sagesse comme but suprême de son existence. Les dieux ne sont donc point à l'origine du monde, telle est la conclusion que l'on peut tirer de ce livre. Le dernier chant est une étude des phénomènes naturels: pluie, vents, arc-en-ciel, volcans et tremblements de terre. Aucun de ces phénomènes qui épouvantent le plus souvent les hommes, qui n'ait une cause naturelle. L'oeuvre se termine brusquement, sur la description de la peste d' Athènes (VI, 1088-1284). Chaque livre comporte un poême, louant Epicure, le maître incomparable et vénéré de cette admirable philosophie dont le poète nous a transmis les préceptes d'or.

Si Lucrèce avoue lui-même sans détours qu'en écrivant son poème, il a visé à acquérir la gloire, il l'a composé, avant tout, pour rendre service à l'humanité. Il entend l'affranchir des vaines superstitions et croyances qui l'effrayent. La crainte du surnaturel attente à la simple beauté de la vie et corrompt les âtres: la doctrine d' Epicure, qui fournit des choses une explication exclusivement naturelle, en délivrera les hommes et rétablira le calme dans leur âme. Si Lucrèce ne prétend qu'à un exposé poétique de la doctrine de son maître, son oeuvre est cependant fort originale. En fait, il renouvelle la pensés d'Epicure et lui donne un pouvoir d'évocation qu'elle n'avait pas. De plus, il transforme l'esprit même de ses théories; alors qu'Epicure visait à la parfaite sérénité du sage, Lucrèce, plus sensible au caractère d'inébranlable fixité des lois de la nature, éprouve pour l'homme en général une profonde et douloureuse pitié. C'est elle, et le souci d'éclairer son semblable, qui le conduit à un prosélytisme assez éloigné de l'esprit même de la secte pythagoricienne.

Mais surtout Lucrèce est un très grand artiste. Doué d'un sens poétique incomparable et d'un enthousiasme profond, il sait animer les passages les plus abstraits de son oeuvre, leur conférant une grandeur dont on reste encore aujourd'hui confondu. Peu goûtée de ses contemporains, très lue et très imitée dès le siècle d' Auguste et jusqu'au IVe siècle de notre ère, l'oeuvre de Lucrèce subit une longue éclipse. La Renaissance, qui l'apprécia, ne put cependant lui conquérir une vaste audience; ce n'est qu'au début du XVIIe siècle, avec Gassendi qui se proclame son disciple, Molière qui traduit son poème (voir "Le misanthrope") et La Fontaine qui le loue comme le maître de la poésie philosophique, que Lucrèce connut un regain de popularité. Le XVIIIe siècle applaudit à son matérialisme et André Chénier tenta de rivaliser avec lui dans son "Hermès". On est unanime, de nos jours, à rendre justice à son puissant génie scientifique et à sa poésie majestueuse et passionnée.

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Commentaires

  • Merci Monsieur Paul pour ce billet fort intéressant et très instructif !

    Bon dimanche.

    Bien cordialement.

    Adyne

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