Du 02-05 au 20-05-12 se tient à l’ESPACE ART GALLERY (Rue Lesbroussart, 35, 1050, Bruxelles), une exposition à la fois fort intéressante et intrigante, laquelle a pour dénominateur commun (bien que différemment exprimé) la beauté et le mystère de l’entrelacs et de la courbe comme véhicule d’un voyage vers la pensée aboutie.
Deux artistes méritent particulièrement notre attention, deux personnalités à la recherche obstinée d’elles-mêmes. Cette recherche passe par les arcanes de ce fil conducteur qui se fraye un chemin parmi les mille et une possibilités qui se dessinent sur la toile de la vie dont le tableau n’est que le modeste compte-rendu.
Invisible est le fil d’Ariane qui sous-tend l’œuvre plastique de Madame
MARIEVA SOL. Ce fil a pour particularité d’être le catalyseur d’un tracé qui ne s’achève que pour en créer un autre. La main qui le trace ignore tout de son futur. Du néant originel, elle lui assure une continuité. De segment en segment, elle porte la ligne directrice à son terme dans la réalisation d’une histoire. Que ce soit en termes plastiques ou littéraires (Marièva Sol est également auteure et poétesse), l’artiste se laisse guider par sa plume-pinceau dans l’instantané propre à l’écriture automatique.
Les dessins exposés à l’ESPACE ART GALLERY illustrent un recueil intitulé
DANSEZ MAINTENANT TOUT L’ÉTÉ DANS LA BISE – édité dans la Collection du Cercle des poètes du 18ème
Paris, 2012. La poétesse Marièva Sol l’a spécialement conçu pour cette exposition. Quant aux dessins, ils se divisent en deux séries : une polychrome, l’autre monochrome.
Le dénominateur commun à ces deux univers est le trait évoqué plus haut, lequel, au fil des entrelacs assure courbes et volutes aux personnages qu’il anime et que l’on croirait sortis tout droit d’un cirque imaginaire. Courbes et couleurs se marient pour créer la silhouette dans sa chair. Le couple est le thème central de l’œuvre de Marièva Sol. Néanmoins, aux dires de l’artiste, une stylisation volontaire entraînant une certaine raideur est apportée à la figure masculine. Tandis que les personnages féminins sont essentiellement régis par la courbe, accentuant à la fois leur sensualité (conçue comme condition sine qua non à la viabilité de l’Art par l’artiste) ainsi que leur féminité : maternité et plaisir de la forme, tout est guidé par l’entrelacs, englobant nature et figure humaine dans une ivresse de couleurs chatoyantes.
Au contact de l’œuvre de Marièva Sol, le visiteur peut se demander si, en dernière analyse, il ne se trouve pas confronté à deux écritures. D’un côté, une œuvre polychrome portée par l’exubérance (43 x 53 cm pour toute la série), ensuite des pièces monochromes de dimension réduite par rapport à la première (24 x 32 cm) où le personnage, réalisé en bleu se détache sur un fond blanc. Si nous parlons de différence d’ « écriture », c’est parce que nous nous trouvons face à un langage du rythme différent dans son expression plastique.
Dans son œuvre polychrome, l’artiste confère à ses personnages une musique rythmique essentiellement assurée par la conjonction entre la couleur et le trait. Tandis que dans ses compositions monochromes, le trait se révèle dans l’acrobatie restituée résultant de la posture. La danse en est le thème principal et des titres tels que
TWIST,
FRENCH CANCAN,
CLAQUETTES,
HIP HOP ou
SLOW, sont parfaitement évocateurs de l’idée de la torsion corporelle, essentielle pour mettre le volume en exergue. Mais il s’agit ici d’un volume traduit par la sensualité fine des courbes enlacées comme pour
SLOW, lequel est un chef -d’œuvre de rythme issu de la posture. L’homme et la femme « empiètent », si l’on peut dire, sur la forme de l’autre tout en étant enlacés. Observez le mouvement du genou de la danseuse « enveloppant » celui du danseur, ainsi que la conception du visage de l’homme qui « occulte » celui de la femme. C’est de cet enlacement que naît le rythme de la danse, l’érotisme de la danse. Le texte qui l’accompagne intitulé
DANSER AU-DELA DE LA VIE, tiré de son recueil cité plus haut, est un hymne à l’érotisme païen exprimé dans sa forme biblique : (extrait)
Soubrette
Ou vestale
Je danserai pour toi Seigneur
Comète
Vespérale
Je t’offrirai enfin mon cœur
Archange
Ou démon
(…)
Te séduirai dernier amant
Valseuse
Sur nuage
Dans tes bras divins réfugiée
Le texte demeure païen mais son objet pourrait se retrouver dans l’esprit du Cantique des Cantiques lorsque l’auteure associe charnellement l’amant à la figure de Dieu.
Mais l’artiste a été aussi de tout temps fascinée par la magie de la Bande Dessinée. Et cela se perçoit dans son graphisme. L’humour et souvent la caricature, typiques de la BD, sont aussi de la fête comme il est loisible de le constater dans
FRENCH CANCAN où le corps filiforme de la danseuse est, en quelque sorte, avalé par la jupe toute en guirlandes. Parmi les auteurs de bandes dessinées préférés de Marièva Sol figurent Franquin. Le personnage de
GASTON LA
GAFFE représente, selon ses dires, le summum de l’ « intelligence de la situation ».
Les dessins de Marièva Sol sont l’expression d’une paix retrouvée. Une paix qu’elle avait perdue très jeune suite au décès de sa grand-mère envers qui elle était fort attachée. Cet évènement la plongera dans une grande solitude qui se transformera en souffrance et fera émerger en elle l’éclosion d’un mysticisme qui ne la quittera plus et dont son œuvre tant plastique que littéraire en est l’expression. Adolescente, elle se « disputera » avec Dieu lui reprochant de l’avoir abandonnée, tout en le priant. Ce qui contribuera à former en elle les prémices d’un déisme qui la rendra « chrétienne », avant même toute lecture didactique de la Bible. Tiraillée entre l’envie de devenir comédienne (elle a suivi les cours de René Simon) et celle d’être institutrice, elle optera pour le deuxième choix. Son expérience de l’univers de la pédagogie lui offrira l’opportunité de développer ses dons artistiques au bénéfice des enfants avec qui elle conservera un excellent contact, en leur redonnant confiance tout en les laissant s’exprimer dans une totale liberté. Ce contact optimal engendrera en elle le besoin de distiller le bonheur « au Monde », comme elle le dit.
Parmi les critiques exprimées par les personnes entrées en contact avec son œuvre, il en est une qui va très loin, à savoir que la gaité émanant de ses compositions témoigne d’un lourd passé de souffrance. Et comme l’artiste le dit elle-même, d’un vivre tragique est née une œuvre gaie où le festif et l’humour occupent la première place. Marièva Sol qualifie sa façon de créer comme l’expression d’ « une petite musique avec une idée à l’intérieur ». Si, d’aventure, une rupture de rythme devait se produire, cela ne serait pas si grave car elle se sent libre de s’exprimer comme elle l’entend. Le bonheur n’a nul besoin de règles pour s’épanouir.
Il y a quelque chose d’intriguant dans le pseudonyme qu’a pris l’artiste : Marièva Sol.
Le prénom, en tant que contraction biblique entre Marie, la mère de Jésus et Eva, la tentatrice…et puis Sol : le soleil ! Hélios ! Mélange terrible ou cocasse ? Peut-être les deux ensemble ! Car Marièva Sol révèle dans la beauté de son œuvre le souvenir de tensions passées.
Marièva Sol qui travaille à l’encre n’a jamais fréquenté les Beaux-Arts, néanmoins, elle a fréquenté la Faculté des Arts Plastiques à Paris où elle a passé deux ans de Maîtrise sans présenter de Mémoire. L’artiste fait partie de plusieurs cercles de poésie.
Marièva Sol: Personnages de légendes (Vidéo proposée et réalisée par Robert Paul)
Cette volonté de s’abandonner à l’aventure de la main qui explore le terrain créateur se retrouve, différemment exprimée, chez Madame
PATRICIA PROUST-LABEYRIE.
Les œuvres présentées à l’ESPACE ART GALLERY résultent d’un projet intitulé « Arts et Sciences », lequel rassemble un groupe de plasticiens, de philosophes et de musiciens, à l’écoute des moindres variations dans le passage des émotions.
Les œuvres présentées furent toutes réalisées l’été dernier. Elles résultent du résultat d’un mois d’enfermement chez elle où, se tenant à l’écart de la société, l’artiste s’est sentie extrêmement proche du Monde. Et par « Monde » il faut entendre « son monde personnel », l’empire de ses émotions lui ouvrant la voie à l’interprétation des évènements, en total décalage avec le réel.
Sa peinture pose une interrogation : qu’est-ce que le réel ? Nous sommes tous dans l’impossibilité d’y répondre rationnellement. L’image, elle, s’en charge car en se déployant à notre regard, elle offre une myriade d’interprétations possibles.
Parmi ses toiles exposées, un tableau faisant partie d’un triptyque (82 x 64 cm), interpelle nos sens.
Par ses
COURBES SPECULAIRES, Patricia Proust-Labeyrie nous offre un graphisme aux reflets démultipliés qui renvoient de manière inversée à la peinture de base. Cette perception phénoménologique du créé s’opère dans l’éventail émotionnel du visiteur comme un réel miroir incarné par ce dernier, en ce sens qu’il devient, en quelque sorte, le miroir de l’œuvre de l’artiste. Ce qui résulte de cette œuvre à forte connotation intellectuelle est semblable à un message sur le buvard de l’âme apparaissant sous l’effet de l’encre sympathique. Leonardo da Vinci s’était lui-même essayé à cette technique. Et il y a fort à parier que ses résultats devaient s’approcher plus du mystère kabbalistique que de l’ « introspectif » à proprement parler. Que ce soit en matière littéraire ou picturale, force est de constater qu’il y a un « avant » et un « après » Freud. Jérome Bosch avait beau extérioriser ses délires sur la toile, il n’en demeurait pas moins un produit de son siècle, s’inscrivant sur un substrat culturel gothique, définit par des canons bibliques. Lorsque Salvador Dali atteignit le pinacle de sa production surréaliste il avait parfaitement maîtrisé les principales théories psychanalytiques en vogue à son époque.
Patricia Proust-Labeyrie, à la manière de Anselm Kieffer qu’elle révère, estime que le discours intellectualiste permet d’analyser sur le même plan l’Art avec les mutations sociopolitiques.
Son travail s’efforce d’investiguer la pensée dans tous ses méandres. Un masque cache un autre masque et sa peinture déclenche l’ultime questionnement : que ce passe-t-il, à un moment déterminé dans la rencontre entre le créateur et son œuvre, en tenant compte du fait que le moment n’est nullement statique et qu’il est le résultat d’une suite d’autres moments, entraînant d’autres émotions ?
La peinture de Patricia Proust-Labeyrie (à l’huile et à l’acrylique) participe d’un impressionnisme mental résultant d’une adaptation aux mouvements du lieu en phase avec les mutations du réel dont nous, miroirs sensibles, habitant au cœur de la peinture, incarnons les métamorphoses.
L’artiste qui nourrit également une grande admiration pour Joseph Beuys et Malevitch, enseigne dans divers ateliers, de même qu’elle organise des séances « Bien être » d’Histoire de la peinture destinées aux patients du service psychiatrique de l’Hôpital Charles Perrens à Bordeaux.
L’arrêt sur image de la part du visiteur face à une œuvre de Patricia Proust-Labeyrie lui intime l’obligation de laisser promener son regard sur la surface entière du tableau, conçue comme un champ onirique où tout se dédouble et démultiplie pour retourner à la matrice.
Entrelacs et courbes spéculaires tracées par des mains qui se cherchent au fil de l’acte créateur. Un acte vers l’inconnu. Le poser signifie s’aventurer à travers les méandres d’une Terra Incognita. Mais quel que soit la conclusion de ce voyage, il ne peut que faire tomber le dernier masque : celui de notre inconditionnelle nécessité d’exister par la mémoire célébrée de cet acte.
Vidéo proposée et réalisée par Robert Paul sur des oeuvres de Patricia Proust-Labeyrie
François L. Speranza.
Commentaires
Merci Monsieur Spéranza de ce très bel article que vous m’avez consacré sur Arts et Lettres. Mes amis m’y ont parfaitement reconnue. Moi je me sens toute intimidée par tant de belles et savantes paroles. Tout cela m’est très précieux.
Par Monsieur Robert Paul et la belle vidéo qu’il m’a offerte, par votre magnifique article si détaillé et si juste, par la gentillesse de Monsieur Jerry Delfosse qui m’a fait confiance, par les touchantes appréciations des visiteurs, en galerie ou sur le site, la Belgique m’accueille et j’en suis très heureuse. J’admirais déjà le talent des artistes belges (Franquin, Brel, Annie Cordy, Magritte… et beaucoup d’autres). À présent je découvre l’humanité de ses habitants. Ce sont autant de joies pour moi.
Bien cordialement.
Entrechats et entrelacs, scansions sur un air de scat, aplats et oscillations suivant de vivants mouvements... Tout les oppose, tout les unit.
....les deux artistes semblent se compléter...
très beau travail....félicitations
belles expressions émotions libérées........
J'apprécie leur partage et beautés exprimées
et si DIEU était un "enfant" ???? Qu'en nos silences et introspections nous puissions exhorter ces grâces.
Love
Mamyblue
Merci pour cette large analyse des profondeurs et les précisions biographiques que vous nous avez livrées.
Personnellement je crois qu'il est "normal" que la main peigne, écrive avec la volonté, le connu, l'inconscient de l'artiste.
Marièva Sol m'enchante. Avec elle si les petits coeurs et les larmes entourent les bouquets de fleurs, le sourire persiste. Par ses courbes , entrelacs et la fraîcheur de ses couleurs elle entraîne l'imaginaire du spectateur sur les chemins de Grimm et de Perrault et nous redonne envie de danser!
Beaux exposés très fouillés, qui enrichissent notre prope réflexion.
Merci et félicitations
Adyne
Toujours des découvertes de l'introspection des artistes. Bravo et merci pour ces moments de réflexion
Profond, Précis, approfondi, recherché, stimulant, enrichissant, passionnant !!!! Quel détail de pensée sur une étude de couleurs et de formes..Bravo..on ne se lasse vraiment pas de vous lire !
Amitiés,
Olivier
J'apprécie toute la symbolique et la Beauté de votre Oeuvre présentée sur Arts et Lettres.
Je vous découvre avec un profond intérêt et une vraie reconnaissance de sentiment artistique .
Elisabeth Saussard