Alger, le 5 mai 2020.
A l’attention de Monsieur Robert Paul
Faisant suite à votre demande au sujet de la traduction de la chanson « Avava Inouva », j’ai le plaisir de vous convier à la lecture du conte d’où est tirée la dite chanson ainsi que sa traduction de la langue de tamazight (variante Kabyle) vers la langue française. Bonne lecture à vous et à nos ami(e)s. Agréable journée. Louhal Nourreddine.
Conte de chez-nous
Il était une fois « Avava Inouva »
Ce conte date de l'époque où les animaux étaient doté du don de la parole et faisaient la causette aux hommes. En ce temps-là, l’étrange et le mystère cohabitaient dans une « taddart » (village) situé au piedmont du Djurdjura[1] où vivaient aussi cinq garçons qui faisaient la fierté de leur papa qui n’avait d’yeux que pour sa fille adorée prénommé Rova.
Doté d’une force herculéenne, chacun des mâles inspirait aux villageois de l’estime mais aussi de la crainte mêlée de respect. Et pour cause, l’un comme l’autre de la fratrie pouvait fendre la terre d’un seul coup de massue ou de terrasser d'un seul coup de poing le plus fort des bœufs de labours. Si tant que nul « étalon » ou « coq » du village n’osait conter fleurette à la belle Rova, car il lui en cuira par un de ses frères.
Cajolée et aux petits soins par les siens, Rova avait tout pour être heureuse dans l’intérieur douillet de la chaumière parentale.
Et comme l’exige la tradition, les villageois se rencontraient tous les soirs que Dieu fait à l’agora de la place du village où se briefe l’actualité du village mais aussi le vote à main levée lorsqu’il s’agît d’arrêter d’importantes décisions qui engagent l’avenir des villageois. A ce propos, la « tadjmâat » est l’équivalent de l’hémicycle d’un parlement où les litiges nés des contentieux entre les villageois y trouvaient la solution au cas par cas.
En ce sens, les décisions de la « tadjmâat » recueillaient l’adhésion des villageois eu égard à l’intégrité et à l’impartialité de ses membres. C’est dire que la « Tadjmâat » fait depuis la nuit des temps et jusqu’à nos jours, force de loi.
C’est dire que la vie au village se déroulait tel un fleuve tranquille et qu’aucun nuage ne vient assombrir le ciel des villageois.
Alors, et pour qu’il y’ait de l’ordre, la justice divine était prompt à sévir bien avant celle des hommes. Si tant qu’il ne faut pas faillir sous peine de provoquer l’ire céleste sur le champ. Alors, craignant d’être châtié, les villageois avaient intérêt à filer droit. Et c’est dans l’ambiance chaude bouillante de la prise de parole et du débat à bâtons-rompus que le père de l’exquise Rova a commis l’inconvenant acte de flatuosité aux relents nauséabonds.
Honteux ! Et désireux de se soustraire vite aux regards de ses pairs, le papa s’est assis à même le sol où il s’est collé aussitôt pour l’éternité. Du reste, ni la force unie de ses enfants ni l’union de la force des villageois n’a pu l’arracher au sol. D’où la décision des villageois de bâtir autour du malheureux péteur un « axxam » (lire : Akham qui signifie maison en kabyle) afin qu’il soit à l’abri du froid et hors de portés des animaux errants, dont de féroces prédateurs. Notamment l’ogre « Ouaghzen » qui guette sa proie à l’instant même où dame-nuit étend son manteau noir sur le village. Seule dilemme, on cala la porte de la hutte pour empêcher d’éventuelle intrusion.
Séparé ainsi de ses enfants, c’est la douce Rova à qui incombe désormais la tâche de subvenir aux besoins alimentaires de son papa à midi et le soir pour le dîner. Rusé, le papa a eu cependant l’idée de dérouter les prédateurs. Pour se faire, il convient d’un mot de passe avec sa fille qui consiste à dire : « Txilek elli yi n taburt a Vava Inouva » (Papa Inouva, ouvre-moi la porte, c'est moi ta fille Rova !) Au tour donc du père de lui répondre : «Čenčen tizebgatin-im a yelli ɣriba ah !» (Fais tinter tes bracelets, Rova, ma fille !) S’en est ainsi jusqu’au jour où un ogre a eu vent de l’astuce.
Et le soir venu, l’hideuse créature tambourina à la porte et énonce le sésame convenu. Confiant, le papa poussa du pied la cale et vit l’horreur hirsute. Et avant qu’il n’ait le temps de crier que déjà les crocs de l’ogre se refermèrent sur lui.
Et en trouvant la hutte ouvert, Rova a eue un mauvais pressentiment et découvre horrifié ce qui restait de son papa. Criant et pleurant à chaudes larmes, Rova tenta de fuir à son bourreau. Mais en vain, l’ogre la captura et l’emmena sur son épaule comme un butin-dessert. Seulement, c’était compter sans les frères de Rova, qui ont entendu les cris de détresse de leur sœur. Aussitôt, ses frères sonnèrent l’hallali. N’est-elle pas l’enfant mascotte de la famille la Rova ? A ce titre, la battue s’est avérée fructueuse, par la victoire des quatre frères qui ont terrassé l’ogre et délivré la belle Rova. Victorieux, ils sont portés en héros par les villageois qui n’auront plus peur de l’ogre.
Louhal Nourreddine
Le 5 mai 2020.
♣
« A Vava Inouva »,
Une chanson inspirée d'un conte Kabyle
La chanson « A Vava Inouva » est inspirée d’un conte kabyle et qui se présente tel un dialogue entre un homme et une femme. Voici la traduction du tamazight vers la langue française :
Refrain :
- Je t'en prie père Inouba ouvre-moi la porte
- O fille Ghriba fais tinter tes bracelets
- Je crains l'ogre de la forêt père Inouba
- O fille Ghriba je le crains aussi.
Le vieux enroulé dans son burnous
A l'écart se chauffe
Son fils soucieux de gagne pain
Passe en revue les jours du lendemain
La bru derrière le métier à tisser
Sans cesse remonte les tendeurs
Les enfants autour de la vieille
S'instruisent des choses d'antan
Refrain :
- Je t'en prie père Inouba ouvre-moi la porte
- O fille Ghriba fais tinter tes bracelets
- Je crains l'ogre de la forêt père Inouba
- O fille Ghriba je le crains aussi
La neige s'est entassée contre la porte
L’« ihlulen » bout dans la marmite
La tajmaât rêve déjà au printemps
La lune et les étoiles demeurent claustrées
La bûche de chêne remplace les claies
La famille rassemblée
Prête l'oreille au conte
Refrain :
- Je t'en prie père Inouba ouvre-moi la porte
- O fille Ghriba fais tinter tes bracelets
- Je crains l'ogre de la forêt père Inouba
- O fille Ghriba je le crains aussi
Source : Music-Berbère.com
Paroles de Mohamed Ben Hamadouche dit Ben Mohamed et musique de Idir né Cheriet Hamid (1949-2020).
[1] Le Djurdjura (prononcez en berbère : Ǧerǧer), est un massif montagneux du nord de l'Algérie, sur la bordure méditerranéenne, constituant la plus longue chaîne montagneuse de la Kabylie. De forme lenticulaire, ses limites naturelles vont des environs de Bouzareah, à Alger jusqu’à au mont Yemma Gouraya à Béjaïa, s'étalant donc sur une longueur de près de 250 km. Il appartient à la chaîne de l'Atlas. (Source : Wikipédia).
Commentaires
Merci pour ce conte, je le découvre avec plaisir, comme une chanson. Je le conterai à ma petite fille de 5 ans. Sur ma page le lien n'apparait toujours pas, alors je suis venue le chercher.
le tintement des bracelets d'une jeune femme est certainement le mot de passe le plus magique, poétique et séduisant qui soit