BELLOR, PEINTRE SURREALISTE
Serge Miessen est aujourd’hui à la tête de la succession de l’œuvre picturale et graphique de son père René Miessen dit Bellor, peintre symboliste et surréaliste belge. A l’occasion d’une exposition dans le centre de Bruxelles, j’ai eu le plaisir de m’entretenir avec cet Ucclois. Rencontre.
Qui était votre père ?
Mon papa, de son nom officiel René Miessen, a vu le jour le 30 juillet 1911 à Arlon. Son père était gendarme et sa mère femme au foyer. Après des études à l’Institut Sainte-Marie des Frères Maristes, il s’est inscrit à l’Académie des Beaux-Arts de sa ville natale où, fort vite grâce à sa maîtrise du dessin, il a réussi à étonner ses professeurs. Ensuite, il a suivi un cursus pour devenir architecte à l’Académie de Tournai, mais il a stoppé sa formation suite à un différend familial. Crochet chez les Chasseurs Ardenais pour le temps de conscription obligatoire et le voilà ensuite à Bruxelles pour gagner sa vie. Ses qualités de dessinateur l’ont bien vite fait remarquer dans le domaine de la publicité et plusieurs grandes enseignes se sont arraché ses services. La période de la guerre a tout remis en question. Après sa démobilisation, il a accumulé une succession de petits boulots dans la sphère de la presse et de l’affichage cinématographique, tout comme dans la publicité peu active à cette époque. La victoire des alliés lui a permis de reprendre sa vie en main et il est devenu free-lance. Parallèlement, il a développé sa carrière de peintre attiré par le surréalisme et le symbolisme. Contrairement à beaucoup de créateurs de cette époque, il n’a jamais voulu s’intégrer aux cercles artistiques. Il privilégiait l’intimidité de sa famille et n’aimait pas la médiatisation. Il a peint jusqu’à son décès survenu le 13 février 2000.
Pourquoi la signature Bellor ?
Au début des années 60, lorsqu’il résidait à Paris dans une chambre de bonne au sixième étage d’une maison située rue Nicola, au bout du boulevard Montparnasse près des Jardins de l’Observatoire, son entourage massacrait son patronyme, sans doute trop difficile à prononcer pour des Parisiens. Alors, il a choisi d’opter pour une signature courte et facile dans toutes les langues. Voilà de quelle manière Bellor est né !
Quels sont les principaux thèmes abordés dans ses œuvres ?
Il n’existe pas de constante dans son travail pictural mais, à mon avis, son œuvre est plus symboliste que surréaliste. Même si certains m’objecteront le contraire ! On y trouve en permanence une présence féminine. Daisy, Féline comme il l’appelait tendrement, avait été la raison de la rupture de son couple. Idéalisée, elle est restée jusqu’à son décès sa muse et elle lui a servi de modèle pour de nombreuses toiles et dessins.
Combien d’œuvres a-t-il produit ?
Même s’il n’est pas toujours facile d’établir une nomenclature, mon père a réalisé quelques cent vingt peintures tous formats confondus et plus de deux mille dessins, gouaches, pastels et quelques gravures.
Quelles techniques et matériaux utilisait-t-il ?
Il pratiquait la technique du glacis et celle du sfumato. Le glacis est une manière de peindre qui remonte à l’Antiquité et qui continue à être utilisée par de nombreux artistes contemporains. Cette méthode consiste à superposer des couches transparentes de couleur diluées sur une surface déjà peinte, afin de créer des effets de luminosité et de profondeur. Quant au sfumato, il dote le sujet des contours imprécis au moyen d’une texture lisse et transparente. Il s’agit d’une manière de travailler extrêmement moelleuse, qui laisse une certaine incertitude au niveau de la terminaison du contour et sur les détails des formes, lorsqu’on regarde l'ouvrage de près. Toutefois, cela n'occasionne aucune indécision, quand on se place à une juste distance.
Quel a été l’impact du mouvement surréalisme sur son style et sa vision artistique ?
La seule vision artistique de mon père a été la qualité et il refusait de s’identifier à des artistes producteurs comme il le répétait souvent. Il se considérait davantage comme réaliste fantastique que comme surréaliste, sans négliger les tendances figuratives du XXème siècle. Sur la même période de vie de certains grands noms du marché de l’Art, il réalisait un tableau alors que ses confrères en faisaient dix, voire plus ! Il appartenait aux Beaux-Arts et non au Marché de l’Art, puisque sa vision était également axée sur l’Art figuratif. A ses yeux, l’abstraction, les performances et autres n’étaient que la suite des Arts Incohérents, mouvement né en 1892 et qui n’a duré qu’une courte décennie.
Quels sont les tableaux les plus célèbres de votre père et pourquoi sont-ils emblématiques ?
Sans hésitation, je dirais Le miroir à trois faces, avec son autoportrait dans le coin en bas à gauche, et L’analysant, toile rouge très symbolique qui représente la femme du XXème siècle avec ses atours spécifiques tels que Bellor les voyait : boucles d’oreilles, cigarette, bijoux, téléviseur et l’esprit malin du mannequin subissant la mode. A cela, le titre fait également référence au spectateur qui observe la susdite femme. J’ajouterais encore La quadrature du cercle et une œuvre hors du commun intitulée L’abandonné, un pastel de 1951.
Vivait-il de son travail artistique ?
Toute son existence, il a vécu de son dessin et de ses pinceaux. Même s’il n’était pas vendeur de son œuvre personnelle, qu’il gardait pour lui. Toutefois, les aléas de la vie, des expositions et quelques rencontres ont fait qu’il cédait de temps en temps une œuvre pour améliorer son quotidien.
Fréquentait-il les artistes du mouvement surréaliste à Bruxelles ou ailleurs ?
Il était un solitaire et, sans être misanthrope, il n’aimait pas les regards qui se focalisaient sur sa personne. Il adorait le confort de son foyer et n’en sortait que par absolue nécessité pour exposer ou, encore, croiser un acheteur potentiel. Il refusait de jouer des coudes pour s’imposer ou tricher avec lui-même. Il souhaitait avant tout garder son autonomie artistique, sans que personne ne vienne lui dire ce qu’il devait peindre ou pas. Il se fiait à ses goûts et refusait qu’on se mette à lui dicter une manière de procéder. A ma connaissance, il n’avait pas de relations amicales connues avec d’autres artistes. Aux grandes discussions autour d’une table à refaire le monde ou à digresser sur l’évolution des courants artistiques, il préférait mille fois se balader dans les musées. Généralement seul !
Comment l’œuvre de ce peintre a-t-elle été reçue par la critique et le public à son époque ? Qu’en est-il aujourd’hui ?
Bien que n’ayant pas la renommée de René Magritte, il faisait l’objet d’une grande considération lorsqu’il exposait. Le public a toujours été fasciné par la précision de sa technique et les sujets qu’il développait, en les enrobant toujours d’une aura de mystère, avec une symbolique qui amenait tout un chacun à se poser des questions, à s’interroger ou à ouvrir des portes qui renvoient au monde des vivants, tout en plongeant le public dans l’inconscient si cher à Freud. Je ne connais qu’un seul bémol venu d’un critique, sans doute jaloux de ce qui avait été rédigé par ses confrères, alors qu’il ne connaissait pas l’œuvre de mon père. Il y a une dizaine d’années, Gwennaëlle Gribaumont, critique d’art à la Libre Belgique, titrait : Bellor, le génie négligé !
Qui veille actuellement à pérenniser son œuvre ?
Je suis son héritier légal, mais c’est mon fils Vivian qui possède le copyright sur l’ensemble de la production de son grand-père. Ensemble, nous veillons à organiser des expositions et entretenons des contacts avec les instances officielles ?
Quel regard portez-vous sur le marché de l’art ?
Je crois fermement à l’idée que le tableau seul doit justifier le prix et pas le nom de l’artiste, souvent fabriqué par les marchands et les investisseurs comme cela se passe généralement. Si un artiste n’entre pas dans une catégorie, il restera en marge de la reconnaissance publique. Il faut aussi que des critiques sérieux parlent de son travail. Maintenant, il existe de nombreux galeristes qui restent des loueurs de murs, sans vrais contacts et qui acceptent trop souvent d’exposer tout et n’importe quoi en faisant croire à de la qualité. Par contre, certains artistes sont connus par le passage de leurs œuvres dans les ventes publiques, qui se sont multipliées au cours du siècle passé et le début du nôtre. L’art est devenu un produit comme tant d’autres, destiné à être vendu et acheté. Mais sur quoi se base-t-on pour affirmer qu’un artiste est bon ou non inintéressant, que ses toiles ou ses sculptures possèdent de la valeur ? Tout dépend bien sûr de gens qui font et défont les cotes. Au fond, j’adopte la position de mon père, qui consiste à ne pas fréquenter le milieu des vendeurs d’art, dont une majeure partie promet énormément pour finalement accoucher d’une souris.
Retrouvez l’œuvre de Bellor sur le site www.bellor1911.be
Propos recueillis par Daniel Bastié pour le journal Bruxelles Culture (décembre 2024)
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