Anna Akhmatova (en russe : Анна Ахматова ; 23 juin 1889 - 5 mars 1966) est le nom de plume d'Anna Andreïevna Gorenko (en russe : Анна Андреевна Горенко), une des plus importantes poétesse russes du XXme siècle .
Egérie des acméistes, surnommée la « reine de la Neva » ou « l'Âme de l'Âge d'Argent », Anna Akhmatova demeure aujourd'hui encore l'une des plus grandes figures féminines de la littérature russe.
L'œuvre d'Akhmatova se compose aussi bien de petits poèmes lyriques, genre qu'elle contribue à renouveler, que de grandes compositions poétiques, comme Requiem, son sombre chef-d'œuvre sur la terreur stalinienne. Les thèmes récurrents de son œuvre sont le temps qui passe, les souvenirs, le destin de la femme créatrice et les difficultés pour vivre et pour écrire dans l'ombre du stalinisme.
L'or se couvre de rouille, l'acier tombe en poussière,
Et le marbre s'effrite. Tout est prêt pour la mort
Ce qui résiste le mieux sur terre, c'est la tristesse,
Et ce qui restera, c'est la Parole souveraine
Anna Akhmatova
Paisible coule de Don
La lune entre les maisons
La lune entre sans façons,
Elle voit une ombre dans la maison.
Cette femme est malade.
Cette femme est solitaire.
Le mari mort, le fils est en prison.
Priez à mon intention !
Depuis dix-huit mois je hurle : reviens !
Reviens à la maison !
Je rampe aux pieds des assassins,
Mon effroi, mon garçon !
Et j'ai appris l'affaissement des visages,
la crainte qui sous les paupières danse,
les signes cunéiformes des pages
que dans les joues burine la souffrance ;
les boucles brunes, les boucles dorées
soudain devenir boucles d'argent grises,
faner le sourire aux lèvres soumises,
et dans le rire sec la peur trembler.
Et ma prière n'est pas pour moi seule,
Mais pour tous ceux qui attendaient comme moi
dans la nuit froide et dans la chaleur
sous le mur rouge, sous le mur d'effroi.
1940 (Requiem, Epilogue)
"Elle s'était drapée dans les mots de la poésie, dont elle fit son maquis, sa terre de résistance. Elle reste la recluse, la beauté irradiante mise en cage par les bourreaux staliniens. Interdite de publication, traquée par la police et par les déportations ou la mise à mort de ses proches, elle semble par la force tranquille de ses poèmes s'opposer seule à la tyrannie du monde. Sa poésie, à peine redécouverte, nous saisit par ce qui semble irradier d'elle : une pureté d'eau.
En ces temps toujours incertains, l'image et les mots de cette statue de la résistance au mal, à l'extermination folle, sont toujours dressés et actuels :
Mon Dieu nous régnerons avec sagesse
bâtissant des églises au bord de la mer
et aussi des phares élevés
Nous sauvegarderons l'eau et la terre
et nous ne ferons du mal à personne
(Juste au bord de la mer)
Nous n'avons sans doute pas besoin de Dieu pour réaliser cette prophétie mais sûrement d'Anna Akhmatova." (Gilles Pressnitzer)
(In memoriam A.A.) :
Demain la Russie sera belle !
Un train à vapeur chemine interminablement
Dans l’océan de la plaine.
Le Palais d’Hiver est tombé,
Mais ce n’est pas le printemps.
Les nouvelles vont plus vite que le bonheur.
Mais pour les cœurs que réjouit la pie perchée sur la barrière
Non, ce n’est pas le même hiver.
Demain, la Russie sera belle !...
Demain ?
"Aux terribles années de la Iéjovchtina*, j'ai passé dix-sept mois à faire la queue devant les prisons de Leningrad. Un jour, quelqu'un crut me reconnaître. Alors, derrière moi, une femme aux lèvres bleuies et qui, bien sûr n'avait jamais entendu mon nom, sembla s'éveiller de la torpeur où nous étions toutes plongées et me chuchota à l'oreille (là bas, nous ne parlions toujours qu'à voix basse) :
- Et ceci, vous pourriez le décrire ?
Et j'ai répondu :
- Oui.
Alors, quelque chose comme un sourire glissa sur ce qui, un jour, avait été son visage."
"léjovchtina" * : Période de Lejov, Nikolaï Ivanovitch Lejov (en russe : Николай Иванович Ежов), policier et homme politique soviétique né le 19 avril (1er mai) 1895 à Saint-Petersbourg en Russie et mort fusillé sur ordre de Staline et de Lavrenti Beria le 3 février 1940 à Moscou.
Chef suprême du NKVD de septembre 1936 à novembre 1938, il est le principal artisan de la mise en œuvre des Grandes Purges staliniennes. En 1936, il remplace Guenrich Lagoda au poste de commissaire du peuple à l'intérieur où il poursuit et accentue les purges entreprises par son prédécesseur, d'où le nom Iejovtchina qu'on donne à cette Grande Terreur, qui gagne démesurément en intensité jusqu'à aboutir à l'assassinat d'une balle dans la tête d'au moins 750 000 personnes, souvent choisies au hasard pour atteindre les quotas fixés par villes ou régions (soit environ un citoyen soviétique sur 200).
Commentaires