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Adrien Candiard, Quand tu étais sous le figuier...
Adrien Candiard, Quand tu étais sous le figuier...

Adrien Candiard, Quand tu étais sous le figuier... Propos intempestifs sur la vie chrétienne, Les Editions du Cerf, 2017

Dominicain vivant au couvent du Caire, Adrien Candiard est l'auteur notamment de En finir avec la tolérance ? Différences religieuses et rêve andalou, Paris, PUF, 2014, Veilleur où en est la nuit ?, Paris, éditions du cerf, 2016, Comprendre l'islam, ou plutôt : pourquoi on n'y comprend rien, Paris, Flammarion, 2016

Quatrième de couverture :

"Qui est cette personne assise, dans l'Evangile, sous un figuier ? C'est vous, c'est moi, c'est chacune, chacun d'entre nous rêvant enfin notre vie en plénitude.

Mais à quelle existence Dieu appelle-t-il Nathanaël ? En quoi l'accomplira-t-il en suivant Jésus ? Qu'est-ce qu'une vocation ?

Nos vies sociale, intellectuelle, amoureuse ne sont jamais que la recherche et la poursuite de la vie véritable. Jusqu'à la lumineuse évidence que la vie que nous désirons et la vie que Dieu veut pour nous ne sont qu'une.

Explorant comme jamais le fil anodin de la quotidienneté anonyme, Adrien Candiard en délivre ici le miroitement secret au regard de l'éternité.

Une grande leçon, sans leçon, de spiritualité simple et haute. Un livre pour se jeter sur la voie, après l'avoir lu et dévoré."

Extrait du chapitre I :

"Le lendemain, Jésus résolut de partir pour la Galilée, et il trouve Philippe. Jésus lui dit : "Suis-moi !" Philippe était de Bethsaïde, le ville d'André et de Pierre.

Philippe trouve Nathanaël et lui dit : "Celui dont Moïse a écrit dans la Loi, ainsi que les prophètes, nous l'avons trouvé ! C'est Jésus, le fils de Joseph, de Nazareth." Nathanaël lui dit : "De Nazareth, peut-il sortir quelque chose de bon ?" Philippe lui dit : "Viens et vois." Jésus vit venir Nathanaël vers lui et il dit de lui : "Voici un véritable fils d'Israël, en qui il n'y a pas de ruse." Nathanaël lui dit : "D'où me connais-tu ?" Jésus lui répondit : "Avant que Philippe ne t'appelle, quand tu étais sous le figuier, je t'ai vu." Nathanaël reprit : "Rabbi, tu es le Fils de Dieu, tu es le roi d'Israël." Jésus lui répondit : "Parce que je t'ai dit : "Je t'ai vu sous le figuier", tu crois ! Tu verras des choses bien plus grandes." Et il lui dit : "En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l'homme" (Jean 1, 43-51)

C'est ce récit mystérieux qui servira de fil conducteur aux réflexions qui vont suivre, que je destine aussi bien au chrétien convaincu engagé à la suite du Christ qu'à celui qui hésite à prendre cette voie, aussi bien à la jeunesse qui s'interroge sur sa vocation qu'à l'âge mûr qui n'a jamais fini de chercher... C'est que je crois ce récit suffisamment riche pour parler à tous de notre vocation, c'est-à-dire du sens de la vie chrétienne. Peut-être parce qu'elle est fascinante, cette vocation, avec, planté en son centre, ce figuier mystérieux qui nous couvre de son ombre protectrice et nous chatouille de son parfum sucré. Ce figuier incompréhensible, cette vocation si incompréhensible, car vue de l'extérieur, une vocation authentique est toujours incompréhensible. C'est presque un critère de discernement..."

Mon avis :

"Avant que Philippe ne t'appelle, quand tu étais sous le figuier, je t'ai vu". J'étais là quand tu as senti l'appel de l'infini, j'étais là quand Dieu a cessé d'être une chose abstraite et vague, une suite de concepts cohérents mais sans vie, et qu'il a commencé à habiter en toi sous la forme d'un désir ardent." (p.114)

Je ne remercierai jamais assez Jean-Claude Martin d'avoir choisi ce livre comme prochain sujet de notre émission "Prétextes" sur RCF en Berry, ainsi que Guy Colrat, responsable de la librairie La Procure, à Bourges, de me l'avoir "procuré".

Goethe a dit que la vérité est éternelle, mais qu'elle se révèle dans le temps à chaque homme, selon ses capacités et son degré d'avancement. Je ne me sens ni très avancé, ni très "capable", mais ce livre est arrivé pour moi à point nommé et m'a aidé, non pas à maîtriser complètement le sens de ces textes inépuisables (qui le pourrait ?), mais à croquer dans la Parole pour en mieux goûter la saveur de datte, de pomme sucrée, de figue fraîche, de cédrat confit et de grenade juteuse.

L'auteur, le père dominicain Adrien Candiard applique la méthode herméneutique des Pères de l'Eglise, des yeschivas et du "tawil" à un épisode mystérieux de l'Evangile de Jean (Jean 1, 43-51) : la rencontre entre Nathanaël et Jésus, avec l'idée chère aux Pères de l'Eglise que l'Ancien testament (la Torah) et le nouveau (L'Evangile) ne font qu'un, le nouveau se référant constamment à l'ancien et l'ancien annonçant le nouveau. Comme le dit le pèlerin d'Emmaüs dans Luc, 24,32 : "Notre cœur n'était-il pas tout brûlant à l'intérieur lorsqu'il nous expliquait les Ecritures".

"Quand tu étais sous le figuier" est un fragment du dialogue entre de Jésus et Nathanaël : "Nathanaël lui dit : "D'où me connais-tu ?" Jésus lui répondit : "Avant que Philippe ne t'appelle, quand tu étais sous le figuier, je t'ai vu."

Il se trouve que j'ai toujours été fasciné par ce passage, ainsi que par un autre, tiré de la Torah : la lutte de Jacob avec l'ange au gué de Yabboq.

Ces deux récits, selon l'auteur, doivent être mis en perspective, ainsi que l'épisode des noces à Cana qui suit immédiatement celui de la rencontre entre Nathanaël et Jésus.

De même qu'il convient, selon lui, de faire le lien entre cette rencontre et le songe de Jacob (la révélation), la lutte de Jacob avec l'ange (la prière), la rivalité avec son frère Esaü (le péché) et la réconciliation entre Jacob et Esaü (le pardon).

Le fil conducteur du livre est l'affirmation que l'Evangile est une promesse de bonheur, non pas dans l'au-delà, mais dès ici-bas, un bonheur au parfum aussi "mystérieux et insaisissable" que celui du figuier.

"Le bonheur est notre vocation", nous sommes appelés au bonheur, "la vie chrétienne, c'est d'avoir le courage de ne pas renoncer à la joie" (p.14), une vocation "personnelle et unique" , "concrète et singulière" qui relève de l'aventure.

La vocation de Nathanaël est "sinueuse, traversée de soupçons, de questions, d'échanges incompréhensibles et d'enthousiasme sans retenue" (p.19), elle est précédée par la vocation de Philippe car "nous ne sommes pas devenus chrétiens sans que d'autres chrétiens nous précèdent" (p.21), elle est un face à face avec Dieu qui a vu chacun d'entre nous "sous le figuier".

La vocation suppose un isolement temporaire, une prise de distance et une insatisfaction ; elle est toujours "dérangeante" car elle nous conduit à l'amour véritable qui n'est pas un long fleuve tranquille.

Les deux questions, "qui est Dieu ?" et "qui suis-je ?" ne sont pas concurrentes, mais complémentaires car seul Dieu peut nous révéler à nous-mêmes.

Selon Jésus, Nathanaël est "un vrai Juif, un juif authentique, un observateur de la Loi comme Dieu les aime", mais il faut aller chercher plus loin. Il faut aller chercher du côté de Jacob, dont Nathanaël est le fils, comme tous les juifs et dont nous sommes aussi les fils par adoption.

"Jacob... ce petit-fils d'Abraham n'est pas le plus célèbre des patriarches, ni probablement le plus saint, mais c'est incontestablement le plus rusé." (p.41). L'auteur fait allusion à l'échange du droit d'aînesse d'Esaü contre un plat de lentilles et au vol de la bénédiction d'Esaü dans le Livre de la Genèse.

Au cours du mystérieux épisode du gué de Yabboq, Jacob va recevoir un nouveau nom que porteront tous ses descendants : "Israël" qui signifie "fort contre Dieu".

Selon l'auteur le rapprochement entre Jacob de Nathanaël s'impose car la rencontre entre Nathanaël et Jésus ressemble aussi à un combat, un combat à l'issue duquel Nathanaël est conquis.

L'auteur rappelle l'interprétation des Pères de l'Eglise selon lesquels la lutte de Jacob avec l'ange (ou avec Dieu) est une métaphore de la prière. La prière est donc un combat et d'abord un combat contre nous-mêmes : "Le premier enjeu, peut-être le seul enjeu, c'est d'être là, d'être vraiment là, de ne pas envoyer quelqu'un d'autre prier à notre place." (p.47).

"Etre un véritable fils d'Israël, c'est passer Yabboq avec lui. C'est ne pas reculer devant ce combat difficile de la prière où, même quand le combat est aride, même quand il est désespérant d'ennui, nous avons déjà gagné, car en combattant, nous sommes avec Dieu. Car la prière n'est pas autre chose que le désir de la présence de Dieu." (p.52)

"Parce que je t'ai dit : "Je t'ai vu sous le figuier", tu crois ! Tu verras des choses bien plus grandes." Et il lui dit : "En vérité, en vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l'homme." (Jean 1, 43-51).

L'auteur rapproche ce passage de l'Evangile de Jean du songe de Jacob dans la Livre de la Genèse (28, 11-19) : « Jacob quitta Beer-Sheva, et s'en alla vers Haran. Il arriva en ce lieu et y resta pour la nuit car le soleil s'était couché. Prenant une des pierres de l'endroit, il la mit sous sa tête et s'allongea pour dormir. Et il rêva qu'il y avait une échelle reposant sur la terre et dont l'autre extrémité atteignait le ciel ; et il aperçut les anges de Dieu qui la montaient et la descendaient ! Et il vit Dieu qui se trouvait en haut [ou à ses côtés] et qui lui disait : « Je suis Dieu, le Dieu d’Abraham et le Dieu d’Isaac ton père ; la terre sur laquelle tu reposes, je la donnerai à toi et à tes descendants ; et tes descendants seront comme la poussière de la terre, et ils s’établiront vers l’ouest et vers l’est, vers le nord et vers le sud ; et par toi et tes descendants, toutes les familles sur la terre seront bénies. Vois, je suis avec toi et te protégerai là où que tu ailles, et je te ramènerai à cette terre ; car je ne te laisserai pas tant que je n'aurai pas accompli tout ce dont je viens de te parler. » Jacob se réveilla alors de son sommeil et dit : « Sûrement Dieu est présent ici et je ne le sais pas. » et il était effrayé et dit : « Il n’y a rien que la maison de Dieu et ceci est la porte du ciel. »

Nathanaël s'étonne que Jésus l'ait vu sous le figuier et Jésus lui répond qu'il verra des choses bien plus grandes, aussi grandes, sinon plus que les choses qu'a vues Jacob. Selon l'auteur, nous manquons d'ambition (ou d'espérance, c'est tout comme), nous avons tendance à demander trop peu à Dieu, lui qui peut nous donner la terre promise, la paix et la Joie parfaite qu'annonce le parfum suave et sucré du figuier.

La Torah est remplie de conflits entre frères, depuis Caïn et Abel jusqu'à Joseph vendu par ses frères, en passant par Jacob et Esaü. L'auteur montre l'omniprésence de la rivalité fraternelle dans la Bible, la difficulté d'aimer son prochain et la nécessité de le faire quand même, car l'amour de Dieu, l'amour de soi-même et l'amour du prochain ne font qu'un. Jacob nous montre la voie : la fuite loin de sa patrie d'origine, la révélation de la verticalité, le combat contre l'Ange le conduisent à la connaissance de lui-même, au repentir et à la réconciliation avec Esaü.

L'auteur affirme "qu'il n'y pas de vie communautaire possible, comme il n'y a pas de vie de couple, comme il n'y a pas de vie chrétienne, sans pratique du pardon authentique", mais que le pardon "passe toujours par la vérité".

Dieu n'est pas un "philanthrope" ; il n'aime pas l'humanité en général, mais "il connaît chacun personnellement, aime chacun personnellement. Il n'aime pas l'humanité, il aime chaque homme et chaque femme, un par un." (p.71)

Nous devons nous accepter comme nous sommes, avec nos talents et nos défauts parce que c'est ainsi que Dieu nous a créés et qu'il nous aime. L'auteur attire notre attention sur la rivalité et la jalousie qui ont égaré Caïn, ainsi que les frères de Joseph.

"Être véritablement fils ou fille d'Israël peut (donc) signifier encore davantage que de supporter dignement les autres. Cela veut dire aussi qu'il faut apprendre à aimer."

L'auteur nous met en garde contre une conception idéaliste de l'amour et contre la dichotomie entre "éros" (l'amour charnel) et "agapè" (la charité) : "aimer à la Jacob, sans doute en n'ayant pas quatre femmes ou quatre maris, mais en ne distinguant pas trop entre les formes d'amour. Car il n'y a qu'un amour." (p.81)

Le chemin de l'amour est long et douloureux ; on peut se tromper, s'égarer. Mais le pire est de ne pas se mettre en chemin : "Va, quitte ton pays, ta famille et la maison de ton père !" (Genèse, 12,1)... "Etre amoureux, tomber amoureux (les Québécois disent joliment "tomber en amour") est une expérience qui fait toujours sortir de soi." (p.85)

"Être amoureux est toujours une expérience de la faiblesse" (p.88), "Je me retrouve du jour au lendemain à la merci de quelqu'un." (ibidem). Cette impossibilité ontologique et éthique de se suffire à soi-même est symbolisé par la création d'Eve à partir de la côte (ou plus exactement du côté) d'Adam. Cependant, il y aura toujours du manque : "La vie de couple ne guérit jamais complètement la blessure au côté." (p.91)

L'auteur souligne l'importance du temps, de la maturation, du "processus", dans la vie de Jacob, dans celle de Nathanaël, dans celle de chacun d'entre nous, comme pour les grands vins (l'auteur a un faible pour le Corton-Charlemagne !). Nous cheminons vers le Royaume avec nos défauts et nos faiblesses : "Le saint prie avec son espérance et le pécheur avec son péché." (p. 102). Le repentir n'est pas l'enfermement dans la culpabilité qui "empêche de retirer le bénéfice du péché". (p.103)

Nous ne devons pas idolâtrer les grâces passées : "Dieu ne nous redonnera pas la grâce passée. Pas parce qu'il est radin, mais parce qu'il a mieux à nous proposer. Ce que Jésus rappelle à Nathanaël, c'est qu'avec Dieu, le meilleur est toujours à venir." (p.134)

L'auteur reprend à la fin du chapitre 10 une distinction de Jacques Derrida entre le futur et l'avenir : "le futur, ce sont nos projets, c'est l'avenir organisé, prévu, ordonnancé, balisé auquel nous sommes préparés. L'avenir, à l'inverse, c'est ce qui va venir, pas ce que nous avons préparé."... "On ne sait jamais ce qui va naître de la vie. Avec une pierre, au moins, on est fixé." (p.139)... "L'espérance ne peut prendre racine que dans l'avenir, car il s'agit d'accueillir le Royaume qui vient." (ibidem)

Le songe de Jacob révèle l'importance spirituelle du sommeil : "Dieu comble son bien-aimé quand il dort" (Psaume 126)... "Dieu vient se révéler dans le lieu où nous dormons." (p.145) ... La foi, c'est ce qui permet de dormir (!) (p.147)

Le dernier chapitre médite sur les noces de Cana qui fait suite, explique l'auteur, à la rencontre entre Jésus et Nathanaël (la division de la Bible en chapitres date du Moyen-Âge), c'est-à-dire au récit d'une vocation. Nous sommes appelés à la joie parfaite, à la vie surabondante, à l'ivresse des noces.

L'auteur souligne l'importance de l'humour dans la vie spirituelle : "on ne peut servir deux maîtres à la fois, prendre Dieu au sérieux et se prendre au sérieux"... Le diable est trop orgueilleux pour avoir de l'humour... Et de même qu'il n'y a pas deux formes d'amour, mais un seul amour, il n'y pas deux formes de joie et rapporte pour finir cette belle anecdote :

"Au XIIIème siècle, alors que l'ordre dominicain vient de naître, le Maître de l'ordre, Jourdain de Saxe, est en voyage avec un groupe de novices. Alors qu'ils prient, eux aussi, l'office de complies, un fou rire gagne les jeunes gens (...) ; les gestes agacés d'un autre frère, s'efforçant d'y mettre fin, n'ont d'autre résultat que de faire redoubler leur hilarité. Le Maître de l'ordre finit par intervenir pour réprimander, non les novices, mais ce frère qui veut les faire taire. Se tournant vers les novices, il leur dit au contraire : "Vous avez bien raison de rire ! Riez, parce que vous êtes à l'aise pour vous sentir chez vous dans la maison de Dieu ! Riez, parce que vous vous aimez assez pour ensemble vous amuser d'un rien ! Riez, parce que vous avez en vous cette légèreté joyeuse qui doit porter les ailes des anges au paradis ! Riez, parce que vous êtes sauvés ! Riez, parce que le Royaume de Dieu est tout proche de vous !"

 

 

 

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