La "Vie de saint Louis" est un récit en prose de Jean, sire de Joinville (vers 1224-1317), composé entre 1305 et 1306 (ou 1309), et transmis par trois manuscrits.
Cet ouvrage, entrepris à la demande de la reine de France, Jeanne de Navarre, est dédié à son fils aîné, Louis, le futur Louis X. Il se donne pour essentiellement biographique -Joinville déclarant qu'il «fai[t] escrire la vie nostre saint roy Looÿs» - et fonde sa véracité sur le témoignage de l'auteur, privilégiant ce qu'il a vu et entendu durant les années où il partagea la vie du souverain.
Joinville dédie son livre à Louis de Navarre, justifie son entreprise et annonce son plan. Il traitera d'abord des «saintes paroles» du roi, puis de ses hauts faits, et, pour finir, de sa mort.
«Saintes paroles et [...] bons enseignements» du roi: son amour pour son peuple, son respect des pauvres, ses idées sur les vêtements, les comportements sociaux, la fermeté de sa foi, sa loyauté.
Naissance et couronnement de Saint Louis. Principaux événements du début de son règne. Grave maladie du roi qui dès sa guérison se croise. Joinville prend également la croix. Départ pour la septième croisade. Séjour à Chypre. Débarquement en Égypte. Prise de Damiette par les croisés. Bataille de Mansourah. Revers des croisés. Saint Louis est fait prisonnier, Joinville également. Traité du roi avec les émirs. Départ du roi et des croisés pour la Terre sainte. Séjour à Acre, où le roi reçoit une délégation envoyée par le chef des Assassins. Séjour à Césarée, où le roi reçoit des messagers tartares. Séjour à Jaffa, à Sayette. Retour en France. Sainte vie du roi à son retour d'«Outremer». Manifestations de sa sagesse, de sa justice, de sa générosité.
Saint Louis, très affaibli, repart en croisade. A Tunis, gravement malade, il dispense ses ultimes enseignements à son fils aîné. Mort du roi. Sa canonisation. Rêve de Joinville qui fait élever un autel dédié au roi dans sa chapelle.
Joinville rappelle les sources de son livre et garantit la véracité des faits dont il a été le témoin.
Centrée sur un personnage royal, qui est également un saint, l'oeuvre de Joinville relève en partie du genre hagiographique, auquel elle emprunte la présentation exemplaire de faits et dits de Louis IX (il en subsiste jusqu'à aujourd'hui toute une imagerie autour du saint roi, rendant la justice sous un chêne ou lavant, le jeudi saint, les pieds des pauvres). Le livre s'apparente également à la chronique par le récit détaillé et circonstancié qu'il propose de la septième croisade (1248-1254), qui constitue plus des deux tiers de l'ouvrage. La grande originalité de ce témoignage, quand on le compare à ceux de Villehardouin ou Robert de Clari sur la quatrième croisade (voir la Conquête de Constantinople), réside dans l'emploi systématique du récit à la première personne. Bien loin d'affecter le détachement et la distance qu'impliquait chez ses prédécesseurs le recours au «il» pour parler d'eux-mêmes, Joinville fait de sa participation et présence affichées la garantie primordiale de la véracité des faits rapportés.
Mais surtout, avec ce récit, l'auteur nous livre la première autobiographie en langue française. Et cette histoire du moi est d'abord l'histoire d'une amitié, celle qui se développa entre le jeune noble champenois et le roi de France, son aîné d'une dizaine d'années, au cours des épreuves partagées de la septième croisade. L'attachement de Joinville se manifeste déjà dans sa sollicitude, lors de la bataille de Mansourah, quand il fait ôter au roi son heaume et lui donne son «chapel de fer», afin qu'il puisse respirer plus librement; il est aussi sensible quand le sénéchal de Champagne malade recherche la présence du roi; il culmine dans la scène où le roi et le sénéchal sont réunis pour la dernière fois: l'état de faiblesse de Saint Louis est tel qu'il accepte que Joinville le porte entre ses bras de l'hôtel du comte d'Auxerre jusqu'au couvent des Cordeliers. Mais le récit ne donne pas de cette affection une vision unilatérale: à Acre le roi demande à Joinville de prendre ses repas avec lui, le fait appeler pour lui confier son désarroi quand il apprend la mort de sa mère, Blanche de Castille, et sait aussi, par un geste (en le prenant par les épaules), lui exprimer son soutien, quand Joinville, seul contre tous, lui conseille de rester en Terre sainte.
Un autre attrait de la Vie de Saint Louis réside dans l'intérêt que prend l'auteur à rappeler sa rencontre avec des hommes et des civilisations autres. En première ligne, bien sûr, les Sarrasins, ennemis implacables, mais aussi capables d'égards pour leurs prisonniers; plus épisodiquement apparaissent les Bédouins, les Tartares, les Assassins. Joinville s'attarde sur leurs moeurs, leur religion, éventuellement leur Histoire, témoignant d'une curiosité et d'une ouverture d'esprit méritoires.
Grand seigneur et guerrier avant tout, Joinville se révèle aussi un excellent conteur. Il sait faire revivre les souffrances et angoisses des croisés prisonniers en Égypte, jouer de l'exotisme du monde musulman par des détails bien choisis («nacaires» [tambours] de l'armée sarrasine, «touailles» [turbans] des Sarrasins, leurs étranges serments, etc.). Il sait aussi suggérer le courage des croisés par l'humour dont ils ne se départent jamais, même dans les situations les plus difficiles: tandis que les flèches ennemies et les feux grégeois pleuvent sur eux, le comte de Soissons dit à Joinville qu'ils reparleront de cette journée dans les «chambres des dames», et Saint Louis, quand il raconte sa capture, compare le zèle de Geoffroy de Sergines qui le défendait à celui d'un valet éloignant les mouches de la coupe de son seigneur. Surtout il sait, en usant de la prétérition, communiquer avec force une émotion présente ou passée, ou encore dire, par la médiation du rêve, l'indicible _ son remords de n'avoir pas suivi le roi dans sa dernière croisade, sa peur d'une irrémédiable cassure entre eux.
Hagiographe, chroniqueur, à ses heures ethnologue, Joinville est surtout un grand mémorialiste, à qui son attachement pour son roi a permis de le faire revivre, non pas dans une sainteté stéréotypée et figée, mais comme un être de passion et de joie.
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