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Publications de Eric Descamps (73)

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Alvéoles (7)

Faustine avait mal au ventre. C'est à peine si elle avait mangé : voir son mari dans un tel état lui avait coupé l'appétit. Daniel était monté dans la salle de bains et était resté un long moment silencieux. Il avait vieilli de dix ans en moins d'une heure.

Faustine sortit de la chambre de sa fille et l'interrogea :

— Valérie n'a rien remarqué ?

— Elle ne m'a rien dit. Et de toutes façons lorsque je l'ai couchée, je ne ressentais encore rien.

— Et maintenant ?

— Ma température monte, ça, je le sens. J'ai des courbatures partout, des frissons, la totale, quoi. Pour le reste... rien de particulier.

— C'est ta tête qui m'inquiète.

— Oui, là, je t'avoue que je n'y comprends pas grand-chose. Mais bon, j'ai de l'appétit, je suis lucide. Je vais aller dormir, et...

— Tu n'appellerais pas Gérard ?

— Que veux-tu qu'il fasse ? À part constater que j'ai chopé une grippe ?

— Daniel, tu t'es vu dans le miroir, oui ou non ?

Le petit « bip » émis par le thermomètre que Faustine lui avait glissé sous le bras – presque de force – interrompit la conversation. Daniel lut les chiffres et écarquilla les yeux.

— Alors ? s'impatienta sa femme.

— D'accord. Attrape le téléphone.

Jusqu'ici le thermomètre n'avait servi qu'à Valérie. Comme bien des parents, ils avaient déjà passé bien des nuits à veiller leur fille, et à lui faire absorber de quoi faire redescendre sa température. Trente-neuf, trente-huit... Toutes ces nuits grises, rythmées par les mains passées sur son front, les épisodes de mauvais sommeil, pour découvrir quelques heures plus tard, non sans soulagement, leur coquine en bien meilleure forme.

La migraine prenait lentement possession de la tête de Daniel, tout comme les raideurs enchaînaient progressivement sa nuque. Il avait aussi fort mal aux yeux. Il faillit interrompre sa tentative d'appel lorsqu'il entendit la voix de leur ami. Il prit un air dépité :

— C'est le répondeur.

— Laisse un message.

— Chérie, il n'est peut-être même pas de garde !

Faustine lui prit le combiné des mains, avec une douceur qui contrastait avec la dureté de son regard. Il en profita pour s'allonger dans le canapé. Les maux de tête redoublèrent, mais au moins les courbatures se firent plus discrètes.

— Gérard, pourrais-tu me rappeler dès que possible, s'il te plaît ? Pour une fois, ce n'est pas pour Valérie que je t'appelle : c'est pour Daniel. Je suis inquiète. Il n'est pas bien du tout, et... si je dois croire ce que je vois... il a quarante et un de fièvre.

Elle déposa le combiné et posa à nouveau un regard dépité sur son homme qui frissonnait.

— Je monte voir si Valérie n'a pas trop chaud et je te ramène une couverture. Tu veux quelque chose ? Tu as soif ?

— Non, merci. J'ai juste froid.

Faustine gravit les escaliers et fit un détour par la salle de bains pour se laver les mains. Elle ne savait pas à quel point ce qu'avait attrapé Daniel pouvait être contagieux, mais elle ne voulait courir aucun risque.

Comme à son habitude, Valérie s'était débarrassée de ses couvertures et dormait profondément, sur le dos, jambes et bras aux quatre points cardinaux. Leur fille avait toujours eu un sommeil profond, serein, presque dominateur. Sa maman approcha la main de son front, et poussa un soupir de soulagement lorsqu'elle sentit la peau tiède de son enfant. Elle la recouvrit et se dirigea rapidement vers leur chambre pour aller chercher la couverture.

En repassant devant la porte ouverte, Faustine entendit sa fille bouger pour se débarrasser à nouveau de sa couette. C'était bon signe : Valérie ne supportait d'être couverte pour dormir que lorsqu'elle couvait quelque chose. Le reste du temps , il ne lui fallait pas plus d'une minute pour se débarrasser de tout ce qui pouvait la gêner ; draps, couvertures, peluches.

En descendant les escaliers elle lança :

— Notre fille a fait comme d'habitude : son lit est un véritable chantier. Et toi, tu te sens comment ?

Elle n'entendit aucune réponse. Elle accéléra sa descente.

— Chéri ? Tu dors ?

Il dormait en effet, en position fœtale, dans le canapé. Elle le couvrit et lui caressa les cheveux. Daniel s'était mis à transpirer. Il remua :

— Excuse-moi, je me suis assoupi. Quelle heure est-il ?

— Eh bien, vingt-trois heures. Je suis montée il y a deux minutes à peine.

— Houlà. J'ai cru que je m'étais endormi pour de bon.

Daniel ouvrit les yeux, jeta un regard vide en direction de sa femme et lui dit :

— Tu as éteint la lumière ?

 

*

 

Sabrina et Milos s'étaient envoyés en l'air deux fois de suite, avec force, presque avec bestialité, et malgré cela dans un silence quasi religieux. Milos avait particulièrement apprécié les fougueuses attentions de sa partenaire, qui avait tout fait pour répondre avec ferveur à son empressement. Après le second assaut, sa partenaire l'avait tenu en elle aussi longtemps que possible, tout en posant une main au creux de ses reins, et l'autre dans le haut du dos. Elle avait souri lorsqu'il avait fermé les yeux avant de s'endormir presque aussitôt.

Sabrina sortit de la douche. Milos ronflait. La partie la moins agréable de la nuit allait commencer : elle aurait tant voulu dormir seule... il lui faudrait supporter le matelas trop mou de son pirate. Sans compter qu'au réveil elle remettrait cela : baisers bouche pâteuse, barbe naissante et menton dans le cou, poids sur vessie pleine... Sabrina n'aimait vraiment pas faire cela avant midi, mais avec Milos, cela avait quelque chose de différent. Il y avait de la reconnaissance dans ses yeux, même au petit matin, et la jeune femme trouvait cela mignon.

Elle s'assit à côté du jeune homme endormi et alluma une cigarette. Son regard parcourut le corps du hacker. Pour une fois qu'elle avait l'occasion de séduire un type dans son genre, elle n'avait pas trop à se plaindre. Dans l'immense majorité des cas, ils étaient bien plus âgés. Ce que ces hommes gagnaient en fierté – Sabrina se savait très attirante, et ils aimaient s'exhiber en sa compagnie – ils le perdaient malheureusement en imagination. À croire que les hommes d'une certaine génération avaient été initiés au sexe par un seul et unique bataillon de soubrettes inhibées.

Tout bien compté, elle vivait de bons moments avec Milos. Il réussissait même souvent à la faire jouir. La première fois, presque par hasard, et sans en avoir le moindre soupçon. En revanche, elle lui avait fait croire sans difficulté aucune qu'elle avait atteint l'orgasme bien plus souvent.

Elle souffla la fumée de sa cigarette dans la direction de Milos. Aucune réaction. Pas même un soupçon de changement dans la mélodie régulière de ronflements. Il était dans une phase de sommeil profond. Elle se mit au travail.

Il aurait été bien imprudent de tenter d'ouvrir le précieux portable de Milos : un bon consultant en sécurité – surtout s'il s'agissait d'un pirate récemment converti – était suffisamment paranoïaque pour truffer son outil de travail de multiples pièges. En revanche, brancher un simple câble sur le port IEEE1394 n'éveillerait probablement pas son attention.

Elle fouilla son sac à main et en sortit une petite caméra vidéo équipée d'un disque dur. Le modèle en lui-même n'était ni récent ni haut de gamme, mais son contenu était pour le moins inédit et exclusif. Sabrina se saisit du portable de Milos sans quitter son propriétaire des yeux. Elle effectua le branchement, puis alluma la petite caméra. Le portable se réveilla en silence, et, sous les ordres du petit logiciel qui venait d'en prendre le contrôle, il entreprit docilement de déverser l'intégralité de son disque dur vers celui de la caméra.

Sabrina jeta un œil sur son pirate endormi. Quelques minutes suffiraient.

 

*

 

Sous les étoiles, le cylindre métallique se mit à vibrer.

Dix-huit heures après que Daniel eut procédé à son armement, la plaque métallique qui constituait sa base tomba sur le sol, juste entre les trois pieds. Durant quelques secondes, la vibration s'intensifia, et les parois brossées de l'engin se mirent à résonner.

La vibration se fit plus désordonnée, plus sèche aussi, au fur et à mesure qu'elle semblait prendre du volume. L'air au niveau du col se mit à vibrer. Quelques ombres noires et bruissantes, issues comme par bouffées au ras du sol, se mirent à tourner en rond à environ un mètre de hauteur, élargissant le cercle à chaque révolution.

S'il y avait eu un témoin à la scène, il aurait pu voir se former un nuage sombre et bruyant, tournoyant dans les airs, déployant progressivement des ailes courbées plus denses, comme la spirale d'une galaxie noire. Il aurait aussi pu voir se former trois branches plus denses, qui elles-mêmes se seraient mises à tournoyer sur elles-mêmes, tantôt plus haut, tantôt plus bas. Il aurait observé les tourbillons noirs s'éloigner et se rapprocher, comme sous l'effet d'une lente respiration.

Un bruit métallique se fit entendre au fond du cylindre, un peu comme un couvercle que l'on pose sur une casserole. Comme s'il s'agissait d'un signal, les trois tourbillons quittèrent la zone du col, se dirigeant chacun dans une direction différente.

C'est à ce moment que le témoin hypothétique aurait enfin pu comprendre ce qui se passait. Mais s'il avait été là à ce moment, il aurait très certainement été attaqué, et serait mort en à peine quelques secondes.

 

*

 

Denis Auger reçut le vingtième message sur son téléphone portable vers minuit trente.

Il rédigea un rapport succinct avant de s'endormir :

100% de réussite pour les couveuses de cette salve (34ème sur 35). J'attends les résultats du ramassage. Je me consacrerai aux deux dernières dans le 84 dès demain. L'échange peut avoir lieu à l'heure prévue.

Je vous rappelle qu'il est indispensable de disposer d'une procédure qui puisse confirmer que chaque porteur a été mis hors d'état de témoigner.

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Alvéoles (6)

— Alors, Mimmo ?

— Attends, mon amour, ce n'est pas si facile.

Dominique cherchait ses mots depuis quelques minutes. Elle allait s'impatienter lorsqu'il dit :

— C'était... Comment dire ? C'était « infini ». Je ne peux pas mieux dire. Enfin, si : à la fois infini, et à la fois... jamais je n'ai éprouvé quelque chose d'aussi intime.

Judith était allongée sur son mari, les yeux fermés. Elle écoutait, et se disait qu'elle avait eu raison de se marier avec cet homme. Elle ressentait avec une étrange profondeur tout ce qu'il disait, chaque mot dans sa bouche, chaque nuance dans le ton de sa voix. Elle entendait tout cela avec tout son corps, au plus profond de son ventre, là où elle s'était toujours senti exister, à chaque instant de sa vie, là où les joies comme les douleurs prenaient vie.

Tout était parti d'un jeu. La seconde requête de Judith au maître d'hôtel était restée secrète jusqu'à ce qu'ils soient arrivés. Lorsque Dominique lui avait dit qu'ils pouvaient s'offrir le luxe d'une étape s'ils le souhaitaient, l'idée impertinente avait germé dans son esprit.

Arrivés à la petite maison, Dominique s'était tourné vers sa femme :

— Je peux assouvir un fantasme ?

— À mon avis, les circonstances s'y prêtent, mon amour. Dis-moi...

— J'aimerais non seulement porter ma femme dans mes bras jusqu'à notre lit, mais aussi j'aimerais que ma femme ait les pieds nus.

— C'est tout ?

— C'est mon fantasme.

— Respect, mon mari.

Et elle avait enlevé ses chaussures.

Une fois dans ses bras, elle avait dit à son oreille :

— Moi aussi j'ai un fantasme.

— Quoi donc ?

— Je voudrais te faire l'amour...

— ...Mmmh, jusqu'ici cela me plaît beaucoup.

— ...et au moment où tu jouiras...

— Oui ?

— ...je veux que tu avales...

— Je commence à moins aimer.

— ...une bonne gorgée de velours jaune.

Il s'était arrêté net.

— Tu en as ?

— Absolument !

Au restaurant, Judith avait repéré sur la carte le péché mignon de son mari : un Limoncello élaboré par Giaccomo Polli, son fabricant préféré. Le maître d'hôtel avait offert avec discrétion la précieuse bouteille à la jeune mariée. Ils devaient passer une semaine à proximité de Vaison-la-Romaine : ce serait leur boisson de jeunes mariés durant leur séjour.

Elle lui sourit :

— C'était ça, ma « seconde requête », au resto.

Dominique se tourna vers elle, d'un air faussement désabusé :

— Tu es tordue, tu sais ça ?

— Je suis surtout curieuse de voir ta tête à ce moment précis. « Le mâle dominant et le Sicilien réunis », ça promet d'être grandiose.

— C'est bien ce que je dis : tu es tordue.

— Bien entendu ! Ose me dire que tu l'apprends aujourd'hui.

— Aucun risque ! Que le velours jaune soit avec nous !

Ils avaient rapidement pris possession de la petite maison. Judith avait installé son mari confortablement au milieu du lit, puis l'avait adossé à tous les oreillers et coussins qu'elle avait trouvé dans la petite maison. La bouteille de Limoncello, toute froide contre son genou droit, s'était mise à tanguer doucement, au rythme des sensations partagées par les amants.

Était-ce leur mariage qui, subtilement, avait modifié leur perception des choses ? Était-ce le jeu proposé par Judith ? L'image virginale de sa femme désirée, les pieds nus, et son homme en elle, avec tant de lenteurs qu'ils en dégustaient chaque seconde ?

Lentement mais sûrement, la lueur des bougies avait enveloppé leurs corps, chauffé leur peau. Leurs voix s'étaient mêlées, les mots s'étaient fondus, de plus en plus flous et de plus en plus affirmatifs. La bouteille du précieux liquide fantasmagorique s'était éloignée du couple au moment où ils avaient entamé leur course finale au plaisir.

C'est alors que Dominique s'était souvenu du fantasme de sa femme, et qu'une idée lui avait traversé l'esprit : J'ai probablement une drôle de tête quand je jouis, alors avec un Limoncello dans le gosier... Une bouffée d'auto-dérision l'avait submergé. À la limite fou-rire, il s'était agrippé aux reins de sa femme, qui s'étaient affolés aussitôt. Tour à tour, chacun des amants avait répliqué, nourrissant leur plaisir à la source commune de leurs corps avec une avidité jamais égalée.

Parvenant peu à peu au sommet de cette spirale ascensionnelle, leur esprit avait fini par fusionner, et quelque chose d'unique était venu s'imposer à eux : quelque chose qui touchait au divin, de très puissant, aussi fugitif que lumineux.

Ce n'est que bien plus tard qu'ils avaient pu reprendre contact avec la réalité.

— Je me demande... murmura Dominique.

— Oui mon amour ?

— Je me demande si nous revivrons cela.

— Pourquoi dis-tu cela ?

— Je ne sais pas, c'était renversant, tellement... unique.

— C'était nous, Mimmo. Nous deux, ou... nous deux en un seul, je ne sais pas comment le dire, mais c'était plus fort que nous deux réunis. Et j'étais...

— Oui ?

— J'étais en toi. Je sais que pour une femme, cela peut paraître étrange de dire cela, mais c'est pourtant vrai : j'étais en toi.

 

*

 

Le cuisinier du restaurant était le seul à dormir en altitude ce soir-là : il fut le seul à bondir de son lit, réveillé vers trois heures du matin par un bruit sourd et continu.

Dans un demi-sommeil, il crût d'abord que le groupe électrogène du bâtiment, situé non loin de sa chambre, s'était mis en marche, mais à peine eut-il posé les pieds par terre qu'un chaos d'idées contradictoires envahit son cerveau.

Le sol vibrait.

Il se précipita en-dehors de sa chambre, se rua dans les escaliers, et traversa la salle à manger déserte pour débouler sur la terrasse. Un tremblement de terre. Cela ne pouvait être autre chose. La tête envahie d'images d'apocalypse, il poursuivit sa course vers le parking. Ce n'est qu'une fois arrivé à cet endroit qu'il se retourna.

Dans un instant, il verrait le barrage s'écrouler. Le fracas serait épouvantable, les conséquences sans précédent.

 

*

 

Bien loin de là, Milos jubilait. Même si l'image était quelque peu brouillée par les vibrations, la panique de l'homme était palpable : il avait détalé comme un lapin en direction d'une grande aire noire, en légère pente, qui devait probablement accueillir les véhicules des touristes durant la journée. Après un long moment d'hésitation, il avait décidé de revenir sur ses pas.

— Tu commences à comprendre que ce n'est pas un tremblement de terre ? Voilà... La peur est passée, maintenant la curiosité reprend le dessus, n'est-ce pas ?

D'un clic de souris il coupa l'image.

— Moi aussi, je suis curieux, mais pas de cela.

Il attendit quelques secondes encore. Les nouvelles ne tarderaient pas à arriver.

 

*

 

Le cuisinier s'approcha à nouveau du restaurant. Le sol ne tremblait plus, mais le ronronnement avait gardé toute son ampleur dans l'air frais. Il s'approcha prudemment de la terrasse, y posa un pied, et recula immédiatement.

Il contourna le bâtiment par le nord et s'arrêta au bord de la route, puis recula à nouveau.

Ce n'était pas le sol qui vibrait : c'était le barrage tout entier.

 

Milos vit quelques lignes défiler sur une des fenêtres de son écran : six minutes avaient été nécessaires pour repérer son intrusion.

— Alors maintenant, voyons en combien de temps vous allez réussir à me déloger...

Il laissa ses mains en suspens au-dessus de son clavier, comme en signe de protection. Environ vingt secondes plus tard, deux autres fenêtres disparurent de son écran. Les autres allaient suivre rapidement.

— Pas mal ! Vous ne savez probablement pas encore ce que vous avez déclenché, mais c'est un joli score.

Milos referma son ordinateur portable, le déposa sur le siège du passager, et démarra aussitôt.

Il était temps pour lui de se reposer. Il accueillerait le repos comme un quatorzième mois : il se coucherait après avoir pris une longue douche, et dormirait jusqu'à plus soif. Lorsque, quelques minutes plus tard, il arriva devant chez lui, il changea d'avis en moins d'une microseconde : juste le temps de voir la silhouette de Sabrina surgir dans la lumière de ses phares.

 

*

 

Les vibrations s'étaient arrêtées d'un seul coup, laissant toute la place à un silence compact. Le cuisinier avait patienté quelques minutes avant de prendre pied sur le barrage, puis s'approcher du bord. Plus rien.

Il se dirigea vers le restaurant et se saisit du téléphone, mais celui-ci refusa de fonctionner. La tension remonta d'un cran : s'il ne pouvait pas entrer en contact avec la police maintenant, il se remettrait sûrement à paniquer. Arrivé dans sa chambre, il s'empara de son téléphone portable, composa le 112 et patienta tant bien que mal. On n'entendait plus le moindre bruit venant de l'extérieur. Comme pour compenser ce vide sensoriel, il se mit à observer les environs.

Lorsqu'enfin un opérateur lui répondit, il ne put prononcer un seul mot. Une masse grise et mouvante recouvrait une partie de la vallée.

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Alvéoles (5)

Situé entre le massif du Mont-Blanc et le Valais, le barrage d'Émosson s'était délesté de ses visiteurs depuis quelques heures. En cette saison, ils étaient nombreux à venir admirer le panorama sur les aiguilles de Chamonix – et l'édifice lui-même, bien entendu – avant d'opter pour l'une ou l'autre balade longeant le lac.

Le soir venu, même en été, l'air frais et le calme reprenaient leurs droits : seuls deux points lumineux demeuraient visibles, comme deux chandelles sous les étoiles. L'un d'eux était un refuge situé en bordure du barrage supérieur, à plus de deux mille trois cent mètres d'altitude. Il accueillait quelques randonneurs curieux de découvrir la montagne de Barberine au lever du jour. L'autre était l'hôtel-restaurant situé juste à côté du barrage inférieur : peu de gens s'y attardaient le soir, sauf quelques fêtards convaincus de ne pas reprendre le volant.

Quand au barrage lui-même, il ne disposait pas à proprement parler d'un poste de contrôle sur place : l'ensemble des installations était piloté depuis la vallée, à proximité de Martigny.

Milos n'avait jamais visité le site, et il se faisait une idée très vague de la topographie des lieux, malgré les informations qu'il avait trouvées sur le Web. Depuis une demi-heure, il observait un à un les écrans de surveillance du barrage, dont il avait trouvé l'accès sans difficulté aucune. Il avait même pu constater que bien d'autres pirates l'avaient précédé, en laissant des traces plus ou moins grossières selon les cas. D'autres, plus impertinents, s'étaient amusés à modifier l'orientation de certaines caméras. Milos avait repéré les fichiers qui récoltent la trace des transmissions d'images aux différents terminaux de surveillance, et en avait gardé une copie avant de se mette au travail. Une fois son opération terminée, il replacerait cette copie à l'endroit initial : toute trace de son intrusion dans le réseau des caméras serait indétectable.

Mais ce n'était pas pour une simple prise de vue qu'il avait pénétré ce réseau. Ce qu'il s'apprêtait à faire s'avérait bien plus ambitieux.

L'heure approchait. En bien d'autres circonstances il se serait senti nerveux, mais l'essentiel de son travail était maintenant terminé : il ne lui restait plus qu'à lancer l'opération : quelques séquences sur son clavier suffiraient.

La plupart des caméras montraient des dédales de couloirs bétonnés, des murs incroyablement hauts, des câbles courant le long des parois, accompagnés d'une guirlande de lumières pâles. Il trouva une seule image de l'extérieur, où l'on devinait le bord incurvé du barrage sous la lumière grise de la pleine lune. Il décida de maintenir le contact avec cette caméra durant toute l'opération, du moins jusqu'à la chute du premier élément, qui couperait toute communication.

Pour que sa mission porte pleinement ses fruits, Milos devrait lancer lui-même l'exécution de son script. Il aurait préféré laisser ce soin à son commanditaire et rentrer chez lui, dormir vingt heures, et ensuite seulement, lire la presse. Son succès se mesurerait à la grosseur des titres.

Il était fatigué. Depuis qu'il avait expliqué les principes de la « chute des dominos » aux huiles qui l'employaient – il avait entendu voler les mouches durant son exposé – il ne s'était passé que trois semaines. Mais ces trois semaines avaient changé sa vie. Non seulement le cyberpirate suspecté de nombre de méfaits plus ou moins répréhensibles était en passe de devenir comme par miracle un consultant en sécurité informatique respecté (avec à la clé un coup de torchon sur ses méfaits passés), mais à cette occasion il s'était attiré la sympathie d'une des plus jolies recrues de son nouveau commanditaire.

L'architecte de réseaux informatiques se prénommait Sabrina : sa peau ambrée et son corps de danseuse ravissaient Milos. Ils ne s'étaient pas vus souvent depuis leur rencontre, car elle virevoltait de mission en mission, aux quatre coins du monde. Ils se retrouvaient chaque jour sur un « chat » nommé « al mandaloun », que Milos avait réservé à leur usage exclusif. Lorsqu'elle était de passage et qu'elle acceptait de passer la nuit chez lui, il fallait bien admettre que Sabrina profitait au mieux de ses appétits, dopés à la fois par le manque, et les films pornographiques qu'il avait téléchargés, puis regardés à s'en user les yeux.

 

*

 

— Un dragon fort et fier se promenait sur ses terres. Quand soudain, ploc ! Il tombe par terre !

Valérie battait des mains. Cela faisait trois fois que son papa lui lisait la même comptine, mais elle en redemandait. Il poursuivit :

— Qui a fait ça ? demande le dragon. C'est moi, le mille-pattes des Carpates ! Et maintenant tu as le nez comme une pa-ta-te !

— Encore !

— Non, ma puce, je t'ai promis de te raconter l'histoire une dernière fois, mais c'était vraiment la dernière fois. Il est temps de dormir.

— Bisous alors !

— Bisous et câlin, ma choupinette ! Mouah ! Dors bien.

Après trois bisous, quatre câlins et deux répétitions du tout, Daniel s'éloigna de sa fille, lui envoya un « baiser qui vole » avant de refermer la porte. Il tendit l'oreille pour percevoir la petite voix évoquer le « dradon » et le « mipatte », mais cela faisait bien longtemps que sa fille s'endormait en silence. Dans quelques minutes elle dormirait à poings fermés.

Faustine n'allait pas tarder à rentrer, fatiguée, comme chaque soir. Depuis qu'il avait perdu son emploi, Daniel se sentait coupable : sa femme avait dû reprendre un horaire plein pour compenser la perte de revenus de son homme. Certes, il finirait bien par retrouver du travail, même s'il devait aller le chercher plus loin que prévu. Faustine ne s'était jamais plainte, mais cela n'y changeait rien : Daniel était mal à l'aise.

Le sentiment d'avoir gagné un peu d'argent « comme ça » ne l'amusait guère : même s'il avait été bien payé pour ce petit travail, le montant en lui-même était dérisoire une fois comparé aux revenus nécessaires à sa famille. Et puis ce type de travail n'offrirait aucune récurrence. La preuve : l'annonce à laquelle il avait répondu sur un site Internet local avait été supprimée.

Daniel décida de compter sur son optimisme jusqu'alors intact, et de préparer un bon repas pour sa femme. Il frissonna en ouvrant le frigo. Lui, qui d'habitude n'avait jamais froid, accueillit avec une petite grimace la caresse de l'air sur ses pieds. Il sortit deux filets de poisson du congélateur et se saisit de quelques légumes. Huile d'olive, épices, cela ferait l'affaire.

Il fit sauter les légumes dans une poêle avant de les couvrir : ils seraient croquants comme elle aime. En ouvrant le four pour y faire rôtir le poisson sous un lit de basilic, une vague de chaleur vint envelopper ses bras. Un frisson prit ses coudes d'assaut, grimpa vers ses épaules avant de s'écouler lentement dans son dos.

Ce n'était vraiment pas le moment de se laisser abattre par les microbes.

Daniel n'avait pas été malade depuis la naissance de Valérie. « Notre fille ne m'en laisse pas le temps », plaisantait-il lorsque Faustine évoquait sa robustesse. C'était une boutade, certes, mais elle avait un fond de vérité : Valérie emplissait le cœur de Daniel depuis le premier jour. Il parlait souvent de « sa vie pleine » en évoquant ses deux femmes – peut-être un peu trop souvent d'ailleurs, car à force de réflexions, il en était arrivé à craindre que Faustine ne lui reproche de ne pas désirer un deuxième enfant.

Daniel était encore perdu dans ses pensées lorsqu'il entendit la voiture de sa femme approcher. Le poisson était délicieusement parfumé : il dressa les assiettes et vint à la rencontre de sa femme dans la salle à manger, où elle venait de débarquer.

— Bonsoir, ma courageuse femme qui sonde les âmes... Assieds-toi, je te sers à l'instant.

Il servit la table d'un geste, en se disant qu'il ne la ferait pas longue ce soir : les courbatures qui commençaient à l'envahir ne lui disaient rien qui vaille. Il leva la tête et vit immédiatement au visage de Faustine que quelque chose n'allait pas. Son regard exprimait quelque chose comme une mauvaise surprise, teintée de dégoût.

Elle porta sa main gauche à la bouche et dit à mi-voix :

— Mon Dieu, Daniel, qu'est-ce qui t'arrive ?

 

 

 

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Alvéoles (4)

— Combien, tu as dit ?

— Deux cents.

— Ça fait cent euros de l'heure. Tu devrais en faire une activité permanente.

— C'est ça, moque-toi.

— Je ne me moque jamais d'un ami qui m'offre un petit blanc, Daniel.

— En tout cas j'ai été payé cash, et avec le sourire.

— Et tu as fait progresser la recherche.

— Oui il paraît. Enfin, sur le coup... ne me demande pas trop de détails, hein... tout ce que je sais c'est qu'il s'agit d'observer des phénomènes dans la basse atmosphère.

— Ouais, c'est bien gentil tout ça, mais pourquoi ne font-ils pas le boulot eux-mêmes ?

— Ces gars n'ont aucune connaissance de la région, c'est aussi simple que ça. Tu aurais dû voir celui qui a pris contact avec moi... Super sympa, mais aussi sec qu'une trique ! Il aurait laissé ses poumons à mi-chemin du col.

— Hé, Daniel, joue pas aux héros, c'est quand même pas la mort de monter là-haut.

— Non, mais le truc que j'avais sur le dos, eh bien, il ne l'aurait pas emmené sur le sien, je te le dis franchement.

— Et c'est quoi au juste ?

— Une petite station météo en miniature, m'a dit le gars. Difficile de vérifier : c'est un truc d'un seul bloc, sans aspérités. On dirait qu'il y un petit moteur dedans : j'ai senti des vibrations.

— Et c'est tout ? Tu l'as laissé là ?

— Quelqu'un d'autre viendra le chercher quand leur expérience sera terminée. Ils doivent venir sur place avec un ordinateur, et tout et tout... On me préviendra si on a besoin de moi.

— Hé bien, je ne sais pas ce qu'ils vont nous trouver dans la basse atmosphère, mais moi... j'ai intérêt à filer doux. La patronne n'aime pas me voir arriver en retard le samedi midi.

— Ni aucun autre midi ! plaisanta Daniel.

— Ouais. Mais là, maintenant, on est samedi. Et si je me fais pas engueuler, ce sera déjà ça de gagné. Tu passes demain avec tes pitchounes ?

— Avec plaisir. À l'heure où ta Syrah est au frais par exemple ?

— J'allais le dire.

Daniel adressa un clin d'œil à son ami et le regarda s'éloigner. L'idée de s'envoyer un ballon de rosé en sa compagnie le lendemain lui mit l'eau à la bouche. Il avait bu trois cafés pour se remettre de sa randonnée, avant de commencer à « vraiment » se désaltérer. L'arrivée de son ami lui avait fait boire un ou deux verres de plus qu'il escomptait, certes, mais il aimait sa compagnie débonnaire et ne se privait jamais d'accepter ses invitations.

Son « vieux chercheur » était venu le rejoindre ici même, environ une heure plus tôt. Il lui avait immédiatement tendu une enveloppe pliée en deux, contenant quatre billets de cinquante euros, l'avait remercié après avoir accepté un thé au lait. À l'exception de la moiteur de ses mains, Daniel avait trouvé l'homme extrêmement sympathique. Souriant, manifestant un sens de l'humour subtil, il contrastait avec l'image qu'il se faisait d'un chercheur.

L'homme avait montré un visage amusé :

— Vous savez, mes collègues et moi sommes tout le temps sur le terrain. Nous sommes en contact répété avec nombre de personnes qui nous aident. Même si c'est la première fois que nous collaborons, vous et moi, je suis tout le contraire d'un rat de laboratoire, croyez-moi. Je ne les apprécie pas beaucoup moi-même.

Après s'être assuré du fait que les consignes aient été scrupuleusement respectées, l'homme avait pris congé :

— Je suis désolé de ne pas pouvoir rester plus longtemps, mais j'ai encore de la route à faire avant mes prochaines réunions. Si vous souhaitez me joindre, voici mes coordonnées. Laissez-moi un message au cas où je ne pourrais vous répondre. Je vous rappellerai ou vous enverrai un email.

Il s'étaient salués, et même si l'homme lui avait adressé à nouveau un sourire amical tout en le remerciant vivement, Daniel avait une fois encore ressenti un léger frisson au contact de ses mains chaudes et moites.

 

***

 

L'alfa noire filait à allure régulière vers le sud.

— Tu sais quoi ? demanda Judith.

— Quoi ?

— Je t'aime.

— Ah ? Mais c'est bien, ça ! Donc on a eu raison de se marier alors ?

— Pff, ne joue pas les désinvoltes, ça te va très mal.

— C'est ça, c'est ça... Dis-moi, quand on s'est rencontrés, tu me prenais pour David Caruso dans « Les experts, Miami », n'est-ce pas ? Eh bien, j'en prends les attitudes.

— Moi ? Je n'ai jamais dit ça.

— N'importe quoi ! Je peux même te dire le jour et l'heure !

— Quelle importance, puisque moi, je ne m'en souviens pas ?

— Si je te donne le jour et l'heure, cela pourra t'aider à te souvenir.

Judith mima une position de défense – façon manga japonais – en mettant ses avant-bras en croix :

— N'y compte pas, ma mauvaise foi est invincible. Quand tu seras vieux, tu deviendras sourd pour ne plus m'entendre. Alors moi, je fais dans l'amnésie maintenant, à titre préventif !

— Toi ? À ton âge ? Zut alors... Tu aurais dû me le dire avant ton « oui » de tout à l'heure.

— Je n'ai pas dit « oui ». Toi non plus d'ailleurs. Pff, les hommes, il n'y en a pas un pour rattraper l'autre !

— Tu as bien raison ! D'ailleurs ma maman disait la même chose des femmes.

— C'est vrai ?

— Oui. Enfin... elle a commencé à le dire au début de mon adolescence.

— Tiens donc, la Mamma protège son Mimmo chéri. C'est un truc à rester puceau jusqu'à trente ans, ça !

— Mais je le suis précisément resté jusqu'à trente ans !

— C'est du joli ! Voilà bien le genre de choses que l'on n'apprend jamais avant de se marier !

Judith glissa son épaule sous la ceinture de sécurité et se rapprocha de son mari. Elle lui glissa à l'oreille :

— Tu t'es bien rattrapé par la suite, mon homme. Tu me fais merveilleusement bien l'amour. Et j'en viens à me dire que passer notre nuit de noces dans ta voiture n'était pas une si bonne idée que cela.

Elle embrassa Dominique en prenant soin de ne pas brouiller son champ de vision. Il se laissa faire avec délectation, puis ajouta :

— Sois rassurée, nous n'allons pas rester dans ma voiture bien longtemps.

L'alfa ralentit, et sortit de l'autoroute. Judith se rassit en silence.

— Dans dix minutes nous serons arrivés. Nous reprendrons la route demain matin. Je me suis dit que nous serions mieux dans un grand lit... Même si l'idée de voyager cette nuit était très originale.

Judith ferma les yeux et baissa la tête. Son mari s'inquiéta :

— Mon amour ? Ça ne va pas ?

Elle sourit et le regarda d'un air mi étonné mi amusé :

— Si... C'est parfois troublant comme tu peux lire dans mes pensées. Je suis crevée.

— Pour tout te dire, moi aussi je suis crevé.

— Alors emmène-moi au château, mon prince... Laissons les chevaux se reposer.

— My pleasure, Milady.

(Alvéoles est disponible en texte intégral ici...)

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Alvéoles (3)

Milos regardait défiler les lignes sur son écran. Il avait paramétré son script pour afficher la trace de ses activités toutes les demi-secondes. Dans trois minutes, il serait fixé.

L'adrénaline le maintenait éveillé depuis plus de trente heures. Pour une fois qu'il travaillait pour le compte d'un tiers (et dans la légalité), l'objet de ses travaux l'obligeait paradoxalement à pénétrer au sein des systèmes informatiques prétendument les mieux protégés de la planète. Ce n'était pas tant le fait de jouer les intrus qui s'avérait difficile : d'habitude, quelques heures de travail suffisaient à trouver n'importe quelle brèche dans les murs électroniques qui lui étaient opposés. Nombreux étaient les cerbères de l'internet qui pouvaient être trompés ou endormis, ne fût-ce que durant quelques microsecondes, ce qui pour un hacker de sa trempe était largement suffisant.

Non, le problème n'était pas d'entrer, de voler ou de corrompre les données. Toute la difficulté était de ne pas se faire voir. Et Milos était sur le point de réussir.

Son commanditaire n'était pas n'importe qui. Dix ans plus tôt – c'est-à-dire au moment où Milos jouait encore aux billes – son pays d'origine faisait encore la fierté du « bloc de l'est ». Aucun responsable des forces de l'OTAN n'aurait envisagé un instant qu'une telle mission lui fût confiée. Et pourtant.

Il était sûr de son coup. Avec une désinvolture telle qu'il en eût volontiers souri en d'autres circonstances, Milos afficha son rapport à l'écran et en vérifia le contenu avant envoi.

La « chute des dominos » est opérationnelle depuis ce jour à 01:06, heure de Berlin. Vous trouverez en annexe la trace de la disparition des 10 blocs. Sauf contre ordre de votre part, les vannes seront ouvertes au moment convenu.

Milos jeta un œil distrait sur la fenêtre où une interminable suite de lignes apparemment identiques achevait de s'afficher. C'était la seule et unique trace de ses manipulations du jour : le reste serait à jamais effacé. Satisfait, il fit glisser grâce à son touchpad les éléments à joindre au courriel, puis l'expédia.

Il ferma son ordinateur portable, qui aussitôt se mit en veille. La voiture à moteur électrique s'éloigna en silence. Moins de trois minutes plus tard, le routeur ADSL que Milos avait piraté – il y en avait plus de trente par rue dans cette partie de la ville – redémarrerait à zéro, totalement amnésique. Son propriétaire ne remarquerait rien.

À quelques kilomètres de là, un homme de garde prit connaissance du rapport de Milos, et, selon la procédure prévue, décrocha immédiatement son téléphone.

— Monsieur ? Je suis désolé de vous réveiller, mais Milos confirme.

— Bien. Je serai là lorsqu'on jettera les filets. Tout est prêt ?

— Oui, monsieur. Tous les renifleurs sont déjà actifs.

— Parfait. À tout à l'heure.

— À tout à l'heure, monsieur.

(Alvéoles est disponible en texte intégral ici...)

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Alvéoles (2)

Judith pouffait de rire.

Le couple était attablé depuis bientôt trois heures. De l'apéritif au dessert, ils avaient ri, bu, mangé, encore ri. Ils sirotaient leur verre de château Dassault 1982.

En arrivant au restaurant, le maître d'hôtel n'avait pas réussi à cacher sa surprise : Judith portait une robe de mariée. Dominique avait annoncé :

— Nous avons réservé. Mastrocristino. Nous sommes mariés depuis... attendez... cinq heures, trois minutes, et vingt-sept secondes.

Le maître d'hôtel leur avait fait penser à un douanier soupçonneux : il avait regardé le couple, consulté son carnet de réservations, puis avait recommencé..

Contre l'avis de son mari, qui semblait se délecter de la perplexité de leur hôte, Judith avait ajouté :

— Ne cherchez pas d'autres convives. Ce soir, nous fêtons notre mariage en tête-à-tête.

Ayant en effet trouvé une réservation au nom cité, le maître d'hôtel avait adressé à Judith un sourire protocolaire :

— Certainement. Au nom de la Villa Lorraine, je vous adresse tous mes vœux de bonheur. Madame, monsieur, si vous voulez bien me suivre ?

Il les avait ensuite guidés dans une grande salle d'un autre âge : plafonds hauts et murs tendus de tissu vert pâle, meubles Charles X, reproductions des célèbres toiles de René Magritte, tapis plain entre gris et taupe.

— Souhaitez-vous prendre l'apéritif au salon ?

— Avec plaisir, avaient-ils dit tous deux en riant.

C'était précisément ce qui avait irrité quelque peu l'officier d'état civil : lors de la cérémonie, ils ne s'étaient pas dit « oui », mais « avec plaisir ». L'homme n'avait pas insisté car l'assemblée avait immédiatement applaudi à faire trembler les murs.

Le repas avait été merveilleux. Le couple était rapidement devenu un objet de curiosité pour l'ensemble du personnel : ce mariage était le plus confidentiel que l'établissement ait connu depuis sa fondation.

À chacune des sept créations proposées par le chef s'étaient associés autant de vins. Parfums de fruits, arômes épicés, marins, doux ou chocolatés, chaque dégustation était venue s'ajouter aux autres comme les instruments sur un thème musical, épousant le crescendo des multiples conversations du couple.

Et Dieu sait si Judith et Dominique – Domenico, Mimmo pour sa maman, et pour sa maman seule – avaient des choses à se dire.

Depuis des mois, ils se parlaient sans cesse : à peu de choses près depuis qu'ils s'étaient rencontrés. Ils n'arrêtaient pas : parfois leurs joutes verbales débordaient sur leurs ébats les plus intimes.

À la fin du repas, le chef de rang finit par prendre le parti de les interrompre.

— Madame, monsieur, prendrez-vous un café, un thé, une infusion ?

Face à la gravité de la question, Judith prit les devants :

— Houlà, attention... En ce qui concerne mon homme, je tiens à vous prévenir, mon mari est exigeant à un point tel que votre café risque fort...

— ...d'être qualifié d' « eau sale », fit Dominique.

— Mon tout nouveau mari est Sicilien.

— Oui, mais ton mari va parcourir 900 kilomètres cette nuit en ta compagnie, donc... un petit café serré sera le bienvenu.

— Certainement. Et madame souhaitera ?

— Un café aussi. Merci.

Le chef de rang se tourna pour prendre congé, puis se ravisa :

— Puis-je me permettre de vous poser une question ?

Judith et Dominique acquiescèrent.

— Célébrer un mariage en tête-à-tête est pour le moins inhabituel, et...

— Nous rejoignons demain quelques amis dans le Vaucluse, dit Judith, nous fêterons cela avec eux.

— …surtout ne vous méprenez pas, Madame. Je voulais juste vous demander s'il vous plairait de laisser quelques mots sur notre livre d'or.

— Avec plaisir, dit Judith. Mais auparavant j'ai une requête à vous soumettre.

Le chef de rang se tourna instinctivement vers Dominique.

— Ne me regardez pas ainsi, cher monsieur, Judith est ma femme, mais tout Sicilien que je suis, je n'ai pas à répondre de ses caprices.

— En fait, non, deux requêtes, renchérit la jeune mariée.

Le chef de rang jeta un regard circulaire à la salle : ils étaient les derniers.

— En un jour pareil je ne vois pas ce que nous pourrions vous refuser, Madame. Je vous écoute.

— Avez-vous de la Chartreuse ?

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Alvéoles (1)

L'homme achevait lentement son ascension. Il avait surestimé le poids de son fardeau : finalement il s'acquitterait de sa mission bien avant le lever du soleil.

Sa lampe frontale hasardait un halo gris entre broussailles et cailloux. À partir de cet endroit, le chemin se raidissait pour aboutir quelques dizaines de mètres plus haut, juste au col.

C'est là qu'il se débarrasserait de son chargement. Il le sortirait de son sac à dos, le déposerait sur le sol, ajusterait avec patience les trois pieds pour stabiliser l'appareil en position horizontale. Un niveau d'eau intégré au toit plat de la forme – un cylindre obèse qui lui rappelait vaguement un aspirateur – l'aiderait pour cette opération, puis il rebrousserait chemin.

Il devrait s'éloigner assez vite après avoir amorcé le système. Sa présence pouvait perturber l'établissement de la communication avec le satellite – surtout, lui avait dit son commanditaire, s'il disposait d'un téléphone portable.

À l'approche du col, les reflets rosés de l'aube baignaient déjà une bonne partie du ciel. Quelques caresses de vent frais accueillirent le grimpeur. Lorsqu'il entamerait sa descente, l'air serait déjà étouffant. Une fois de retour au village, ce serait une vraie fournaise. Vivement un bon orage.

Les instructions étaient simples : poser, amorcer, s'en aller. Le reste était automatique. Interdiction formelle de revenir sur les lieux avant la fin de l'expérience. Quelqu'un d'autre reviendrait rechercher l'engin.

De temps à autres au cours de sa marche, le randonneur avait eu l'impression de percevoir comme une vibration dans son dos. Peut-être y avait-il quelques pièces en mouvement dans son étrange matériel.

Il posa son sac et l'ouvrit. La petite bulle d'air entourée de cercles concentriques constituant le niveau d'eau lui firent fugitivement penser à un viseur. Il se souvenait en avoir vu un jour, fixé sur une mitrailleuse, au musée de l'armée.

En deux temps trois mouvements, l'appareil fut installé. Le métal de sa paroi bombée était brossé comme celui de certains appareils électroménagers. Il ajusta rapidement les pieds, vérifia la stabilité de l'ensemble, jeta un dernier coup d'œil : tout était prêt.

Il était temps de partir. Il appuya sur le bouton dissimulé au bord inférieur de l'appareil. Un « bip » discret se fit entendre. Sans plus attendre, il ramassa son sac à dos et descendit en contrebas du col.

En marchant d'un bon pas, il serait de retour au village juste pour l'ouverture du bar-tabac. Il pourrait attendre son commanditaire – et l'argent promis – en savourant un café serré.

Une sympathique balade nocturne, somme toute bien rémunérée.

Ce que l'homme ignorait, c'est qu'en cette fin de nuit, dix-neuf autres personnes avaient déjà répété les mêmes gestes dans un rayon de quelques dizaines de kilomètres.

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Pascal Kneuss à propos d'Alvéoles

Bonjour à toutes et à tous,

Je me permets de relayer ici l'excellent billet de Pascal Kneuss, spécialiste suisse du polar et du thriller, qui s'est exprimé à propos d'Alvéoles.

Vous pouvez lire le billet dans son contexte en suivant ce lien, ou le découvrir ci-dessous:

"Alvéoles", d'Eric Descamps

Atine Nenaud, 2011 (auto édité par l'auteur)

Je tiens à remercier Eric Descamps pour m'avoir remis son premier roman. Merci pour cette histoire à grande vitesse!

Vous vous souvenez de la série 24 heures chrono avec l'agent spécial Jack Bauer? Au terme de l'épisode, aviez-vous aussi ce besoin méchamment viscéral de connaître la suite à tout prix? C'est précisément cette sensation que j'ai eue en évoluant dans ce roman d'Eric Descamps. L'auteur, tel un chimiste particulièrement habile, a trouvé le dosage parfait pour activer nos molécules déclenchant cette sensation de dépendance!

L'utilisation de courts chapitres - ce fameux cliffhanger que vous apercevez dans certaines séries - permet de maintenir un rythme soutenu et persistant, une tension quasi permanente. A la fin de chaque partie, l'auteur place ses personnages dans des situations peu agréables - (cliffhanger = suspendu à une falaise, c'est assez explicite) - et je dois reconnaître qu'il a réussi à utiliser ce procédé avec beaucoup d'adresse. La multitude de situations se produisant simultanément dans cette histoire permet de passer d'un plan à un autre, respectivement d'un groupe de personnages à un autre - avec une tension allant crescendo. L'intrigue progresse, les divers plans se regroupent, pour ensuite se chevaucher et finalement se fondre entre eux. Une culture du suspense assez prodigieuse je dois dire!

Je ne sais pas trop comment classer ce roman. Peut-être dans le genre thriller de conspiration, d'espionnage? Il y a la tension, j'en ai parlé avant. Également une sorte de crainte, d'angoisse relatives aux personnages qui sont continuellement pourchassés et talonnés de près! Ou alors encore mieux; je le définirais comme un techno-thriller! Et oui car vous allez être servi en technologie de pointe et piratage informatique. Eric Descamps doit certainement posséder un sacré bagage dans ce domaine. Ou alors il s'est extrêmement bien documenté pour écrire son livre, mais je ne le crois pas. Lors de la lecture, nous percevons clairement une puissante maîtrise en la matière. Mais je vous rassure, même si vous êtes un vrai manche au niveau informatique, vous allez largement vous en sortir. L'auteur utilise toutes les opportunités, toutes les occasions favorables pour nous rendre la lecture limpide.

L'auteur, par ce techno-thriller, nous rend attentif sur la problématique des réseaux informatiques, leurs limites, leurs dangers mais surtout leurs possibilités qui semblent presque illimitées. Il place également dans son intrigue une autre sorte de réseau bien structuré, composé d'éléments extrêmement bien reliés les uns aux autres, celui des abeilles et des frelons d'Asie, qui prendront une importance capitale dans cette intrigue, durant laquelle souffle un vent chargé de menaces. Un bruit sourd émis en continu va déranger le lecteur du début à la fin, un bourdonnement qui représente certainement une haute tension qui se déplace dans les veines, ou alors tout simplement le grondement régulier des hyménoptères qui tournent autour de vous telles des vautours.

En quelques mots, je vais vous présenter les divers plans qui forment cette intrigue qui démarre, je dois dire, relativement fort. Je ne vais pas m'engouffrer dans les détails, cela ne servirait à rien. Je ne veux justement pas aller trop loin afin que ce livre conserve l'entier de son suspense et de son rythme, ce qui est à mon sens son point fort.

Daniel, père de famille à la recherche de travail, est mandaté par un service de Météo France pour un petit boulot. Sa mission consiste à aller placer au sommet d'une colline un appareil permettant de prendre quelques mesures. Mais voilà, au terme de cette tâche, Daniel tombe malade, direction les urgences. Le diagnostique est sans appel, notre homme est atteint du virus de la grippe H1N1 et la transmet par la même occasion à sa petite fille Valérie. Nous apprendrons par la suite que de nombreuses autres personnes ont également été embauchés aux quatre coins de la France pour cette même mission, et ainsi déposer ces fameuses stations météorologiques dans des lieux bien précis. Enfin... stations météorologiques, pas vraiment ça!

Dominique et Judith, jeune mariés, partent en voyage de noce dans le Vaucluse, afin de prendre un peu de bon temps et profiter pleinement dans leur nouveau statut conjugal dans une petite maison isolée. La belle vie! Alors qu'elle se trouve dans la chambre en attendant son mari qui fait quelques longueurs dans la piscine, Judith est attaquée par un essaim d'abeilles particulièrement agressives. Allergique au venin, Judith termine à l'hôpital dans un profond coma.

Milos, pirate informatique particulièrement doué, vient de créer un virus, ou plutôt une technique nommée "la chute des dominos", qui permettrait de s'infiltrer dans les réseaux les mieux protégés, en prendre le contrôle et disparaître sans laisser de trace. Évidemment, cette brillante méthode suscite bien des convoitises, peut-être même dans des secteurs proches de l'OTAN, comme le Centre Interallié de Lutte contre le Terrorisme Informatique (CILTI). Notre hacker est très surveillé - vous vous en doutez bien - et le développement de son virus est pour lui le point de départ d'une aventure qui va s'avérer plutôt agitée. Sa méthode hautement performante placée entre des mains mal intentionnées peut s'avérer catastrophique.

Et finalement, que vient faire une puissante entreprise agro-alimentaire ayant pignon sur rue dans cette histoire? Cette organisation, MeyerLintz, dirigée par les trois frères Kettenmeyer, va s'avérer être très proche de ce que je viens de vous expliquer. A présent, à vous d'essayer de faire le lien entre tout ces tableaux qui vont finir par fondre les uns dans les autres, petit à petit. Terrorisme? Manipulation génétique? Drame écologique? Peut-on maîtriser et contrôler des prédateurs naturels afin de les utiliser pour un acte de terrorisme, pour créer le chaos, l'angoisse et la confusion totale en Europe.

Eric Descamps met tout cela en place avec beaucoup de dextérité et de précision. Il met en scène des personnages tout à fait ordinaires, pas de super héros. Des gens qui se retrouvent dans une situation menaçante et qui vont devenir, à force d'être persécutés et pris pour cibles, méchamment perspicace et déterminés! A l'image de Dominique, ex-flic, qui sent son épouse partir toujours plus loin dans son coma et qui va mettre tout en oeuvre pour comprendre ce qui l'a mise dans un tel état - et surtout qui!

L'auteur nous réserve également un moment assez fort - quelque peu surnaturel - entre une petite fille et une femme dans le coma. Un clin d'œil très humain, très profond, qui prend une place intéressante dans cette intrigue, et surtout dans son dénouement.

Filatures, surveillances, courses-poursuite mémorables entre la Suisse, la France et la Belgique! Le rythme sera constant et soutenu jusqu'à la dernière page. Les personnages, que l'auteur maltraite sans ménagement, vont devenir de plus en plus attachants et le lecteur aura envie de prendre sur lui quelques unes de leurs douleurs afin de rendre leur souffrance un peu plus supportable. De méchants tueurs de deux mètres de haut se déplaçant en Audi A3, des gentils, des dirigeants qui veulent s'accaparer du monde entier et peut-être même de ses alentours, de méchants virus informatiques...; c'est clair, ce sont des clichés, des idées toutes faites, mais par la plume d'Eric Descamps, ça passe plutôt bien et franchement ça déménage! En plus, cela se passe près de chez nous... ;-)

A présent, si vous voulez savoir jusqu'où sont prêts à aller certaines personnes pour se profiler, pour tenter de prendre le pouvoir au dépend de ses concitoyens en souhaitant créer le chaos total, montez dans le TGV manoeuvré par Eric Descamps, car c'est vraiment à vive allure qu'il va vous emmener jusqu'au dénouement.

Bonne lecture.

"Alvéoles", d'Eric Descamps
Atine Nenaud, 2011 (auto édité par l'auteur)

Je tiens à remercier Eric Descamps pour m'avoir remis son premier roman. Merci pour cette histoire à grande vitesse!

Vous vous souvenez de la série 24 heures chrono avec l'agent spécial Jack  Bauer? Au terme de l'épisode, aviez-vous aussi ce besoin méchamment viscéral de connaître la suite à tout prix? C'est précisément cette sensation que j'ai eue en évoluant dans ce roman  d'Eric  Descamps. L'auteur, tel un chimiste particulièrement habile, a trouvé le dosage parfait pour activer nos molécules déclenchant cette sensation de dépendance!

L'utilisation de courts chapitres - ce fameux cliffhanger que vous apercevez dans certaines séries - permet de maintenir un rythme soutenu et persistant, une tension quasi permanente. A la fin de chaque partie, l'auteur place ses personnages dans des situations peu agréables - (cliffhanger = suspendu à une falaise, c'est assez explicite) - et je dois reconnaître qu'il a réussi à utiliser ce procédé avec beaucoup d'adresse. La multitude de situations se produisant simultanément dans cette histoire permet de passer d'un plan à un autre,  respectivement d'un groupe de personnages à un autre - avec une tension allant crescendo. L'intrigue progresse, les divers plans se regroupent, pour ensuite se chevaucher et finalement se fondre entre eux. Une culture du suspense assez prodigieuse je dois dire!

Je ne sais pas trop comment classer ce roman. Peut-être dans le genre thriller de conspiration, d'espionnage? Il y a la tension, j'en ai parlé avant. Également une sorte de crainte, d'angoisse relatives aux personnages qui sont continuellement pourchassés et talonnés de près! Ou alors encore mieux; je le définirais comme un  techno-thriller! Et oui car vous allez être servi en technologie de pointe et piratage informatique. Eric Descamps doit certainement posséder un sacré bagage dans ce domaine. Ou alors il s'est extrêmement bien documenté pour écrire son livre, mais je ne le crois pas. Lors de la lecture, nous percevons clairement une puissante maîtrise en la matière. Mais je vous rassure, même si vous êtes un vrai manche au niveau informatique, vous allez largement vous en sortir. L'auteur utilise toutes les opportunités, toutes les occasions favorables pour nous rendre la lecture limpide.

L'auteur, par ce techno-thriller, nous rend attentif sur la problématique des réseaux informatiques, leurs limites, leurs dangers mais surtout leurs possibilités qui semblent presque illimitées. Il place également dans son intrigue une autre sorte de réseau bien structuré, composé d'éléments extrêmement bien reliés les uns aux autres, celui des abeilles et des frelons d'Asie, qui prendront une importance capitale dans cette intrigue, durant laquelle souffle un vent chargé de menaces. Un bruit sourd émis en continu va déranger le lecteur du début à la fin, un bourdonnement qui représente certainement une haute tension qui se déplace dans les veines, ou alors tout simplement le grondement régulier des hyménoptères qui tournent autour de vous telles des vautours.     

En quelques mots, je vais vous présenter les divers plans qui forment cette intrigue qui démarre, je dois dire, relativement fort. Je ne vais pas m'engouffrer dans les détails, cela ne servirait à rien. Je ne veux justement pas aller trop loin afin que ce livre conserve l'entier de son suspense et de son rythme, ce qui est à mon sens son point fort.

Daniel, père de famille à la recherche de travail, est mandaté par un service de Météo France pour un petit boulot. Sa mission consiste à aller placer au sommet d'une colline un appareil permettant de prendre quelques mesures. Mais voilà, au terme de cette tâche, Daniel tombe malade, direction les urgences. Le diagnostique est sans appel, notre homme est atteint du virus de la grippe H1N1 et la transmet par la même occasion à sa petite fille Valérie. Nous apprendrons par la suite que de nombreuses autres personnes ont également été embauchés aux quatre coins de la France pour cette même mission, et ainsi déposer ces fameuses stations météorologiques dans des lieux bien précis. Enfin... stations météorologiques, pas vraiment ça!

Dominique et Judith, jeune mariés, partent en voyage de noce dans le Vaucluse, afin de prendre un peu de bon temps et profiter pleinement dans leur nouveau statut conjugal dans une petite maison isolée. La belle vie! Alors qu'elle se trouve dans la chambre en attendant son mari qui fait quelques longueurs dans la piscine, Judith est attaquée par un essaim d'abeilles particulièrement agressives. Allergique au venin, Judith termine à l'hôpital dans un profond coma.

Milos, pirate informatique particulièrement doué, vient de créer un virus, ou plutôt une technique nommée "la chute des dominos", qui permettrait de s'infiltrer dans les réseaux les mieux protégés, en prendre le contrôle et disparaître sans laisser de trace. Évidemment, cette brillante méthode suscite bien des convoitises, peut-être même dans des secteurs proches de l'OTAN, comme le Centre Interallié de Lutte contre le Terrorisme Informatique (CILTI). Notre hacker est très surveillé - vous vous en doutez bien - et le développement de son virus est pour lui le point de départ d'une aventure qui va s'avérer plutôt agitée. Sa méthode hautement performante placée entre des mains mal intentionnées peut s'avérer catastrophique. 

Et finalement, que vient faire une puissante entreprise agro-alimentaire ayant pignon sur rue dans cette histoire? Cette organisation, MeyerLintz, dirigée par les trois frères Kettenmeyer, va s'avérer être très proche de ce que je viens de vous expliquer. A présent, à vous d'essayer de faire le lien entre tout ces tableaux qui vont finir par fondre les uns dans les autres, petit à petit. Terrorisme? Manipulation génétique? Drame écologique? Peut-on maîtriser et contrôler des prédateurs naturels afin de les utiliser pour un acte de terrorisme, pour créer le chaos, l'angoisse et la confusion totale en Europe. 

Eric Descamps met tout cela en place avec beaucoup de dextérité et de précision. Il met en scène des personnages tout à fait ordinaires, pas de super héros. Des gens qui se retrouvent dans une situation menaçante et qui vont devenir, à force d'être persécutés et pris pour cibles, méchamment perspicace et déterminés! A l'image de Dominique, ex-flic, qui sent son épouse partir toujours plus loin dans son coma et qui va mettre tout en oeuvre pour comprendre ce qui l'a mise dans un tel état - et surtout qui!

L'auteur nous réserve également un moment assez fort - quelque peu surnaturel - entre une petite fille et une femme dans le coma. Un clin d'œil très humain, très profond, qui prend une place intéressante dans cette intrigue, et surtout dans son dénouement.

Filatures, surveillances, courses-poursuite mémorables entre la Suisse, la France et la Belgique! Le rythme sera constant et soutenu jusqu'à la dernière page. Les personnages, que l'auteur maltraite sans ménagement, vont devenir de plus en plus attachants et le lecteur aura envie de prendre sur lui quelques unes de leurs douleurs afin de rendre leur souffrance un peu plus supportable. De méchants tueurs de deux mètres de haut se déplaçant en Audi A3, des gentils, des dirigeants qui veulent s'accaparer du monde entier et peut-être même de ses alentours, de méchants virus informatiques...; c'est clair, ce sont des clichés, des idées toutes faites, mais par la plume d'Eric Descamps, ça passe plutôt bien et franchement ça déménage! En plus, cela se passe près de chez nous... ;-)     

A présent, si vous voulez savoir jusqu'où sont prêts à aller certaines personnes pour se profiler, pour tenter de prendre le pouvoir au dépend de ses concitoyens en souhaitant créer le chaos total, montez dans le TGV manoeuvré par Eric Descamps, car c'est vraiment à vive allure qu'il va vous emmener jusqu'au dénouement. Bonne lecture.

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Le tsunami des immatériels

Bonjour à toutes et à tous,

 

Je fais suite à au précédent billet « Passage au numérique », dans lequel je vous annonçais la prochaine disponibilité de « Alvéoles » et d’autres ouvrages au format numérique.

C’est aujourd’hui chose faite : les ouvrages sont désormais disponibles sur les plates-formes Amazonet iTunes Store.

Au-delà du caractère purement « publicitaire » de ce billet, je souhaite en profiter pour prolonger quelques propos tenus avec quelques-uns des membres de ce si sympathique réseau.

En effet, au moment où l’éditeur qui sommeille en moi (et se réveille parfois compulsivement) s’est décidé à faire le pas du numérique, j’étais loin de m’imaginer que j’allais débarquer en pleine guerre.

Quelle guerre, me direz-vous ? Celle que se livrent les toutes-puissantes librairies en ligne face à une coalition plus ou moins cohérente d’éditeurs dits « classiques ». Les premières ont décidé d’éliminer les second pour lutter, disent-ils, contre les prix artificiellement élevés imposés par les seconds, lesquels entendent défendre la qualité face à aux cohortes d’auteurs autoproclamés (qui souvent s’illusionnent sur leur talent).

Amoureux de « l‘objet-livre », je resterai en tant que lecteur et auteur un fervent partisan de ce compagnon tout-terrain, bien moins fragile qu’une liseuse électronique. Mais je reconnais avoir été surpris (que dis-je ? « bluffé ! ») lorsque j’ai pu constater que cinq de mes ouvrages avaient été mis à disposition du public en à peine… deux heures. Ainsi donc, face à un processus éditorial où les grandes maisons peaufinent leurs « produits » à lire des mois durant, les plateformes les plus modernes attirent tant et tant d’auteurs qui, au terme de dizaines de candidatures éconduites, se laissent tenter par tel ou tel programme numérique alléchant.

Y ai-je cédé ?

Assurément. Mais pas au détriment du papier.

Je dirais même plus : pour en maximiser la visibilité. Depuis quelques semaines maintenant, les ventes de mes ouvrages sous forme de « vrais » livres (« Alvéoles », principalement, mais aussi « Des vertes et des pas mûres ») ont été favorisées par la simple consultation des extraits disponibles sur ces plateformes de vente.

Comme quoi les internautes patentés ne sont pas que des « no life », ils visitent aussi leur libraires avec plaisir.

Bien cordialement,

Eric Descamps

PS : j’en profite pour vous annoncer la sortie d’un récit court en format numérique exclusivement sur Amazon. Il s’agit d’un récit érotique intitulé « Performance capture » : pour ceux qui ont aimé les billets postés sur ce réseau (par exemple : « Quand Eros s'amuse de deux amants »), le voyage risque d’être plaisant.

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Passage au numérique…

Bonjour à toutes et à tous,


De nos jours, micro-éditeurs doivent tirer sur toutes les ficelles pour rendre les écrits de leurs auteurs accessibles au plus grand nombre. Parmi ces moyens… l’édition numérique est une bien jolie tentatrice. Il est vrai que de nos jours, publier sur le Net est devenu d’une telle simplicité que l’offre de récits explose littéralement, et en même temps la qualité se dilue dans des proportions effrayantes.

J’ai longuement hésité à me lancer dans cette démarche.

Tout d’abord parce que le lecteur en moi aime profondément le rapport charnel au livre. Ce petit objet nous accompagne jusque dans notre intimité : quoi que nous fassions de nos nuits, il patiente sur la table de chevet, laisse ses pages d’intrigue pénétrer notre esprit aux moments les plus inattendus. Un livre, on l’ouvre, on le ferme, on le pétrit, on le sent, on l’aime, on l’annote, on le déchire, on en saute les paragraphes, on en plie les pages, on le délaisse parfois, on le déteste, aussi, mais il est là, il existe, pour nous et pour d’autres.

Ensuite parce que le « jeune » auteur que je suis ne peut oublier la fierté qu’il a éprouvé lorsque fois ses mains ont accueilli le premier exemplaire de son premier ouvrage. L’édition numérique, seule, nous ôte le plaisir du contact avec le lecteur, celui du partage, du petit don de la dédicace, de l’émotion engendrée par la rencontre. Et puis, il faut bien le dire, la crainte d’être copié trotte, qu’on le veuille ou non, dans la tête de nombre d’artistes, même les plus débutants…

Après quelques mois de réflexion, durant lesquels le modeste démarrage de Atine Nenaud (deux ouvrages publiés à ce jour) m’a contraint à examiner de plus près les possibilités offertes par l’édition numérique, je suis arrivé à proposer un « compromis à la belge » aux petits diables lecteur-éditeur-auteur qui dissertaient dans ma tête sur le sujet.

Certes, une tablette ou autre liseuse n’offrira jamais (mais faut-il dire « jamais » ?) la sensualité qu’offre un « vrai » livre, mais qu’offre-t-elle de plus, alors ?

Je laisse les accros louer les gadgets technologiques dont ces appareils sont truffés.

Ce qui m’intéresse, c’est ce en quoi le numérique peut rapprocher le lecteur d’un ouvrage qu’il aurait peut-être ignoré sous une forme « classique ».

C’est ainsi qu’il est aisé désormais de découvrir un auteur en feuilletant via l’internet les premières pages de son roman comme on le ferait dans une librairie, ou d’acquérir pour une somme modeste (voire gratuitement) un récit court (une nouvelle, des poèmes) afin de « sentir » un style, une patte, des débuts prometteurs.

Et si ces préliminaires électroniques encouragent le lecteur à s’offrir un « vrai » livre du même auteur, le numérique aura contribué à nouer un contact qui autrement n’aurait pas existé.

D’autre part, et malgré la politique des prix hauts défendue par les grands éditeurs (jetez un œil sur le prix de quelques best-sellers français de 2011 en format numérique… ils présentent à peine 25% de réduction), la diffusion des ouvrages sous ce format permet de pratiquer des prix bas par rapport à tous les formats « papier », en ce compris les formats de poche.

C’est ce pari que j’ai souhaité prendre.

Après quelques mois de test, Atine Nenaud fournit désormais en format numérique (ePub) :

  • Le recueil de (dix) nouvelles « Des vertes et des pas mûres ». Ce recueil est disponible sur l’iBookStore à moins de 10€ (soit moins de la moitié du prix de l’ouvrage de 332 pages au format royal)
  • Quatre des nouvelles extraites de ce recueil sont disponibles aussi dans le même format pour moins de 5€, juste pour le plaisir de découvrir…

Si vous souhaitez en faire la découverte, n’hésitez pas à suivre le lien vers mon site.

Quant à mon premier roman, « Alvéoles », qui jusqu’à présent ne se décline qu’en format classique, sa  disponibilité en numérique sera prochainement annoncée.


Nombre d’extraits des deux ouvrages sont aussi disponibles sous la forme de billets de blogue sur ce réseau, juste pour le plaisir de la découverte. Je vous invite, si vous ne vous êtes pas encore attardés sur ces textes, à butiner quelques extraits au hasard, et à réagir si le cœur vous en dit.

Et quel que soit votre outil de prédilection… Faites de bonnes lectures !

Bien cordialement,

Pour Atine nenaud,
Eric Descamps

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Comme Le lapin...

...dans "Alice au pays des merveilles", je suis en retard en retard en retard, mais le cœur y est: j'espère que votre Noël s'est déroulé comme vous le souhaitiez.Que 2012 soit pour vous une année de jolies réalisations et créations, que cette année vous soit douce, forte et pleine de santé!Bien cordialement,Éric
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Maman redevient Femme

Je n'ai plus sommeil, mais je suis si bien aux portes de l'éveil...

Je suis bien au chaud, j'ai dormi comme un bébé; tiens à propos comment va mon bébé à moi? Il est trop tôt pour qu'il soit réveillé, mais j'irais volontiers voir comme il dort bien.

D'ailleurs j'y vais.

Je reviens aussitôt car j'ai pris froid.

Il dort, et moi je m'assoupis avec plaisir.

J'étais bien, je suis encore mieux, j'ai le plus beau bébé du monde et il fait un beau dodo. Est-ce possible? Je sens les mains de mon homme qui me caressent le dos. J'ai dû le réveiller en allant voir notre fils.

J'aime bien ses mains. Peut-être un peu plus qu'avant, d'ailleurs. En tout cas cela fait quelque temps que je n'avais pas senti ses mains comme je les sens ce matin. Elles sont chaudes, elles viennent doucement sur mes reins, au début de mes fesses, s'attardent et remontent. Lentement.

Que fait mon homme à présent? J'ai un peu perdu le fil, ses caresses m'ont laissée comme endormie, mais j'ai pensé en même temps. C'est gai d'être à l'aube. Tant de gens dorment encore, et nous sommes juste assez conscients pour jouir de la quiétude de l'instant. C'est d'ailleurs au petit matin que nous nous sommes donnés l'un à l'autre quelque neuf mois avant l'arrivée de notre fils. Quelle histoire! Où donc est mon homme? Mais oui, ce sont ses lèvres qui butinent mes reins maintenant.

Et dire qu'il y a quatre ans que nous nous sommes offerts pour la première fois.

Mais c'est qu'il s'applique, mon coquin... Entreprenant mais ni trop ni trop peu juste comme il faut. Cela me rappelle notre petit appartement. La première fois qu'il m'a réveillée ainsi, je venais de lui donner la clé. Je dormais, il s'est glissé dans mon petit dodo, je l'ai découvert à mon réveil, moi la belle Petite Sirène échouée sur les draps.

Nous étions amants depuis peu. C'est à la fois si lointain, si proche. Je t'avais dans la peau mon homme et toi aussi tu m'avais dans la peau et même plus que cela. Nous nous retrouvions comme si tu venais de sortir de prison. Tiens? la belle métaphore... Et si je remonte dans le temps encore, j'ai encore la sensation de tes mains la première fois qu'elles se sont posées sur mon dos, au sauna.

Entre-temps nous avons partagé des moments bien intimes avant notre première fois mais le sommeil et tes caresses m'égarent et je ne sais plus où j'en suis.

C'est juste là où elles sont maintenant. Merci ma peau merci mon dos je me souviens de tout et tes caresses sont toujours aussi douces. Je me délecte et je me laisse faire. Tu veux quoi mon homme? Moi en tout cas je suis bien.

Où es-tu passé? Je me suis endormie encore ou j'ai rêvé je ne sais pas mais te revoici. Tu me murmures quelque chose à l'oreille. Je fais oui de la tête tout doucement, mais je n'ai pas tout compris, tant pis je suis trop bien je suis à toi ne me déçois pas.

Ne la déçois pas. C'est ce qu'un homme que j'admirais t'a dit un jour en parlant de moi, et tu le lui as promis.

Et mon bébé qui dort paisiblement.

Que de chemin parcouru depuis le début de notre histoire mon homme qui m'a faite maman je suis petite maman la plus jolie du monde me dis-tu. Qui se fait délicatement parfumer car je sens tes mains qui laissent sur ma peau un délicieux parfum de noix de coco cette huile que tu es allé chercher au même endroit en cette veille de premier mai deux mille un nous payions encore en francs belges à ce moment mais je pense que je m'égare encore dans des pensées ensommeillées mon homme tu me couvres de ton corps et je me sens protégée tu m'enveloppes de douceur et je sens ta chaleur.

Et notre bébé grandit tout doucement dans son lit comme dans notre vie que je l'aime mon beau bébé ma revanche celui qui recevra tout l'amour qui me manque.

Quant à toi mon homme tu l'as bien deviné depuis le temps mon grand homme qui m'apporte assistance et protection je te veux mari et père et tu me donneras tout l'amour que je veux il y a quatre ans tu ne soupçonnais pas à quel point tu pourrais encore aimer, n'est-ce-pas?

Non et pourtant tu en es capable comme tu es capable de bien d'autres choses encore, grand homme qui partage mes jours et mes nuits, ah, enfin je te sens à nouveau, je me réveille un peu, tu es toujours là à me couvrir de baisers, sais-tu au moins qu'il te faudra sept vies pour que je sois rassasiée de ton amour et de ta tendresse?

Pour l'heure tu me donnes tous les doux frissons que je veux, il semble même que tu t'amuses à deviner où et quand me faire plaisir. C'est bon d'être comprise. Tu insistes doucement et je m'offre, tu verras un jour je t'offrirai aussi ces moments et tu n'imagines pas encore à quel point c'est généreux et c'est bon. J'ai envie de toi très fort et à la fois si doucement. Je ne sais pas encore te le dire, mais me faire comprendre, ça oui je sais le faire. Mon homme je t'aime très fort mais si tu continues ainsi tout mon corps va se consumer une maman réduite en cendres c'est pas une vraie maman s'il te plaît aime moi maintenant libère-moi du désir que tu as patiemment fait grandir comme le tien.

Et notre petit bébé qui va bientôt se réveiller.

Attends encore un peu mon petit garçon, maman doit monter à papa de quel bois se chauffe une Petite Sirène.

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Alerte!

Je m'appelle Dominique.

 

Mimmo pour mes amis.

 

C'est une histoire à dormir debout qui m'amène à prendre contact.

 

Il y a deux jours, un essaim d'abeilles s'est attaqué à ma femme. Nous étions au début de notre voyage de noces. Tout s'est passé en quelques minutes. 

 

Elle est aujourd'hui entre la vie et la mort.

 

Pourtant, ce n'est pas pour vous parler d'elle que je vous transmets ce message. Je veux vous avertir d'une menace. 

 

Tout à commencé lorsque les médecins m'ont parlé. Ce qui est arrivé à ma femme est loin d'être un phénomène isolé. C'est même tout le contraire: on assiste à une véritable explosion de ces agressions, partout en Europe.

 

Je me suis renseigné. Les abeilles sont agressives parce qu'elles sont désorganisées, désorientées, et surtout menacées. Et pour cause: elles sont elles-mêmes victimes d'un nouvel agresseur: Vespa Velutina, que l'on appelle aussi le "Frelon Asiatique". Ce frelon relativement discret vis-à-vis de l'homme extermine des ruches entières, et les pousse à déserter leur foyer, rendant l'essaim fou furieux. 

 

C'est un essaim en perdition qui s'est jeté sur ma femme.

 

Mais il y a plus grave. Depuis des années, on parle ici et là de la progression de Vespa Velutina en Europe: apparemment quelques nids seraient arrivés dans le sous-ouest de la France en 2004, transportés dans le fret de bateaux. La vérité est bien plus effrayante: les frelons sont élevés, puis disséminés de manière systématique partout en Europe. 

 

Je sais depuis deux heures à peine qui est derrière cette opération. Même si j'ignore encore quelles sont ses motivations ultimes, il est évident que c'est la survie de nos abeilles qui est visée, et donc l'équilibre de notre chaîne alimentaire. Sans abeilles, c'est tout le monde végétal qui bascule, puis le monde animal. Je vous laisse imaginer les conséquences. Face à cela, la crise des dettes souveraines de nos états européens passe pour une petite fièvre.

Ce que je sais constitue désormais une menace pour ma femme, pour moi, et les quelques personnes qui me côtoient depuis le début de cette affaire. Ce matin même, on a tenté de me réduire au silence. 

 

Je refuse de me cacher. Je refuse de fuir. Je refuse de laisser ces gens menacer ma famille, de les laisser pousser notre monde au bord de la famine.

 

Le temps presse. Je me rends  ce soir à la rencontre de ceux qui tentent de programmer notre faim, ou notre fin, j'ignore quelle orthographe convient le mieux. J'ai en ma possession assez de preuves matérielles pour confondre l'organisateur de cet holocauste. 

 

Ce que j'attends de vous est très simple. J'ai illustré sur une page web la description des objets qui sont utilisés pour disséminer les frelons prédateurs d'abeilles. J'ai décrit leurs méthodes, noté ce que j'ai appris sur leur organisation. Je vous invite à visiter cette page, et à prendre connaissance de son contenu. Le lien est à votre disposition à la fin de ce texte.

 

C'est votre prise de connaissance qui constitue mon assurance-vie: plus nombreux sont les internautes qui liront ce message et mes notes, plus fortes sont mes chances de tenir ces terroristes écologiques en échec. Lisez, et transmettez ce message à vos connaissances. 

 

Si je réussis, la presse en fera sa une.

 

Si j'échoue, il restera votre mémoire. J'ai confiance en votre réaction. 

 

Ceux qui dirigent cette opération croient que je ne peux rien contre eux. À leur place, je serais du même avis: ils disposent de moyens considérables. Ils ont des yeux partout, des pièges prêts à se refermer sur toute personne qui leur opposera sa résistance. Tôt ou tard, leurs hommes me trouveront.

 

Avec votre aide, la peur peut changer de camp. 

 

Et même si vous ne pouvez rien pour moi, si vous n'avez jamais entendu parler de frelons tueurs d'abeilles, ou si leur sort vous est indifférent, pensez à ma femme. Elle s'appelle Judith. Priez la Madone pour elle. Je suis sûr qu'elle vous entendra.

 

A bientôt j'espère,

 

Mimmo

 

 

Oui, vous l'aurez compris ceci n'est qu'une fiction. Je souhaitais simplement vous faire partager la modeste tentative de "buzz" lancée sur quelques réseaux sociaux à propos de mon premier roman.

 

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Quand Eros s'amuse de deux amants

Voici un texte qui figurait dans le recueil "La part des anges", où les ébats amoureux tournent à la chorégraphie intime et sans fin...

 

La longue valse

À déguster sans modération...

Au son du piano, à la lueur des bougies, je cueille sur toi quelques frissons… mes lèvres passent sans bruit là d’où je viens de faire glisser tes sous-vêtements. Bref haussement d’épaules… tu as un peu froid. Je t’allonge doucement sur notre lit, te couvre de mon corps et de la couette… Les yeux mi-clos, tu fais mine de t’endormir, mais je te sais attentive: le souffle se fait soupir, puis murmure, et moi je te susurre à l’oreille tout ce que je voudrais faire de toi, de ton corps de Sirène que je voudrais transfiguré de plaisir, de ton âme que je voudrais en ce merveilleux moment fusionner avec la mienne.

 

Et à mon appel, je te sens venir à moi. Tes mains parcourent mes cheveux, mes épaules, mon cou. Je veux te submerger de sensations. Faire le bien, donner la jouissance qui transcende, transporte, qui éblouit. Je te le dis à l’oreille et tu acceptes. Tu te laisses faire. Ma bouche te parcourt, explore, s’attarde. Elle monte, descend, et entreprend d’embrasser le territoire de Vénus.

 

Déjà.

 

Et tu m'acceptes pourtant.

 

Mes mains partent à l’assaut de tes reins alors que je colle mes lèvres à celles de ton bas-ventre en une si belle étreinte que ton dos ondule avec lenteur. Je veux encore et encore t’aimer comme cela, soumis corps et âme à la juste loi du plaisir à donner sans retenue aucune, et j’étouffe de bonheur à la sensation de ton abandon, Petite Sirène qui m’offre son intimité, dont les mains s’accrochent à mes épaules, et qui vibre doucement de mes caresses.

Tes mains attirent ma tête entre tes seins. Ton buste dénudé, abandonné par la couette durant mes caresses, tout tiède, accueille ma tête toute chaude. A tâtons, tu me saisis doucement. Sous la chaleur de tes doigts, mon désir s’épanouit doucement. « Partageons », murmures-tu en me faisant glisser en toi comme par magie.

 

Éternelle émotion retrouvée des recommencements : me reviennent toutes les merveilleuses sensations qui m’avaient envahi lors de notre première fois. Nous étions vierges l’un de l’autre, et nous sommes laissés dériver vers un tourbillon de bonheur. Nos bouches s’épousent lentement, s’attirent et se soudent alors que plus bas, nos reins semblent danser doucement. Merveilleux rythme qui nous conduit lentement mais sûrement vers la lumière.

 

Nous nous prenons sans ménagement, maintenant. Nous luttons l’un contre l’autre, travaillant à tour de rôle, avec fougue mais sans violence, laissant la force de nos corps se rassasier l’un de l’autre. Comme deux athlètes qui s’affrontent en un pugilat tantôt rapide, tantôt profond, nos voix se croisent sous l’effort. La tienne me dit « viens », la mienne ne peut articuler. Elle monte cependant. Je voudrais me calmer, mais je sens ton corps qui veut le mien, et j’explose en un feu d’artifice de frissons, foudroyé par notre désir et notre amour en répandant au fond de ton ventre toute la jouissance de l’univers.

 

Sous tes yeux clos, comme en un religieux recueillement, ta bouche semble figée en un sourire comblé.

 

Mais je ne quitte pas ma petite protégée. Sous moi, à l’abri, je ramène doucement tes jambes l’une contre l’autre. Tu m’enserres d’autant plus fort ainsi, et je reste prisonnier au fond de ton ventre comme jamais prisonnier ne sera aussi heureux. Mes bras te tiennent la taille, mes jambes autour des tiennes, je bascule sur le dos et je t’entraîne sur moi.

 

Là, mes mains et ma bouche entreprennent de te rechercher. Sur ton dos, tes fesses, mes doigts écrivent un roman. Ta bouche explore la mienne. Je suis toujours au fond de ton ventre, où je grandis à nouveau. Notre position nous ranime tous deux : toi couchée sur moi, les jambes jointes, jolie missionnaire sur son amant couché sur le dos, jambes écartées. Qui est qui ? A qui le tour de faire l’amour à son amant ? Les yeux plantés dans les miens, tu me sens si grand à nouveau, si ferme qu’en nous laissant aller nous nous violerions sans retenue.

 

Mais tu as d’autres idées. Tu m’assieds au bord du lit, et t’imposes à moi, à califourchon sur mon désir dressé. Tu sais combien cette position a le don de me rendre fou, et, l’air coquin, me saisis les poignets, et guide mes mains vers tes reins. Doucement, c’est tout ton corps qui remonte dans un soupir, puis redescend pour m’envelopper, dressé dans ton ventre et...

Et… progressivement, tu te prends à ton propre jeu. En voulant m’exciter, tu te laisses doucement aller et ravive la flamme dans ton ventre.

 

Et moi, ravi, j'entreprends de t'attendre.

 

Je sens tout autour de moi une vague de douceur vibrer encore et encore, lorsque tout à coup tes reins s’emballent ils battent la mesure et vont et viennent alors que ta tête se jette en arrière et que tes mouvements s’accélèrent encore et toujours tes seins s’agitant au même rythme bondissant devant mes yeux émerveillés et toujours ton ventre vibre dans un concert d’encore un goût de trop peu et de cris qui me disent que cela ne finira jamais et notre amour nous transporte au ciel au paradis où nous nous faisons encore et toujours un amour éternel qui se déchire en une explosion chaude et fertile.

 

Foudroyés, nous retombons au hasard du lit
Comme pour dormir
Mais nous ne dormons pas

 

Je suis dans ton dos, immobile. Mes bras autour de toi, mes mains qui se rejoignent sur ton ventre chaud, qui semble ronronner comme on dirait d’un chat. Nos corps au repos s’épousent et demeurent un instant sages.

 

Mais le répit est de courte durée
Nous sommes gourmands et épuisés

 

Couchés de côté, tu m’attires une fois encore, doucement, avec une infinie délicatesse qui me ravit à m'en donner le vertige. Nous faisons un amour comme on marche sur la lune, avec cette lenteur des praticiens de Taï-Chi, et poussons à la quintessence du désir nos mouvements de ballet. Le monde se résume à nous deux, à nous seuls, à l’union sacrée et spirituelle de nos âmes et de notre chair qui résonne de mille jouissances.

 

Nous retombons enfin, à demi morts et pleinement vivants, et sans attendre un sommeil mauve nous enveloppe. L’un contre l’autre, recueillis en nous-mêmes, nous nous enfonçons ensemble vers le Grand Repos qui nous ouvre les bras.

 

Et ce n’est qu’un début.

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Il y a des nuits comme ça (11... et fin)

On tourne la page

À peine avait-elle tourné la clé de contact que Delphine sentit les larmes lui brouiller la vue.

Marc était rentré, elle en était sûre.

Il dort. Je le vois dormir. Il est à sa place et je ne suis pas à la mienne. Je n'y suis pas depuis des mois, je suis à côté de la plaque depuis longtemps.

Était-ce pour cela qu'elle pleurait ? S'il n'est pas là, c'est un « enfoiré ». Jamais Delphine n'avait entendu Henri parler ainsi. Il y avait de la colère dans ses propos.

J'aurais été si bien dans les bras de cet homme rassurant et prévenant. Il m'aurait fait l'amour avec douceur, presque comme on berce un enfant. Et je me serais laissée faire, attentive à toutes ces choses que j'aurais désirées et qu'il m'aurait prodiguées pour mon plus grand plaisir. Plus tard nous aurions été manger dans un restaurant que je ne connais pas mais où il a ses habitudes, et je lui aurais raconté ma vie.

Et sans cesse les larmes coulaient.

Le soir venu il m'aurait ramenée chez lui, et nous aurions discuté jusqu'à l'épuisement, tous les deux face à face dans un grand canapé, mes pieds nus sur les siens comme un viaduc s'alliant à nos regards croisés. La nuit aurait été apaisante.

Mais on ne pleure pas sur des rêves inassouvis. Alors, pourquoi les larmes ?

Elle tournait vers le boulevard qui l'amènerait chez elle lorsque la lumière se fit. L'espace d'un instant, à travers ses larmes, elle vit une autoroute. L'image était déformée et fugitive, mais cela lui suffit amplement pour comprendre : Marc avait pleuré, lui aussi, alors qu'il faisait route vers leur appartement. Leur prison de silence avait muselé l'expression de leur douleur.

Nous en sommes arrivés à un point où nous ne pouvons plus nous apporter le moindre réconfort. Mon Dieu, quel gâchis...

Pour une fois ce constat la révolta. Bien des fois auparavant elle avait mis un terme à la relation qu'elle entretenait en poussant son partenaire à la quitter.

Les larmes refluaient maintenant, au fur et à mesure qu'elle s'approchait de sa destination, tandis qu'en elle croissait la conviction que cette fois-ci, rien ne pourrait l'empêcher de prendre son destin en main.

Marc, mon Marc, j'anticipe ton regard étonné lorsque je te réveillerai, mais je dois le faire, et j'ose espérer que tu me comprendras. Tant et tant de temps a coulé en pure perte sur ce qui restait de notre amour. Je te sens profondément endormi, achevé par la route que tu as couverte cette nuit, et aussi j'imagine ton cerveau en cacophonie. Pardonne-moi. Ni toi ni moi ne pouvons encore vivre comme cela.

Jamais le visage de Delphine ne fût aussi dur et fermé que ce matin-là, au moment où elle abandonna sa voiture pour rejoindre son appartement.

Elle emprunta l'escalier. Tout au long de son ascension, elle continua d'écouter la petite voix qui lui parlait.

J'ai failli ne pas venir, Marc. Tu vois où j'en suis ? Crois-tu que je puisse encore supporter cette vie ? Non, bien entendu... Et je sais que tu me comprends. Il y a longtemps que j'aurais du faire ce que je vais faire maintenant, et je te demande pardon pour tout ce temps perdu.

La clé tourna et la porte en s'écartant laissa entrer un peu de lumière dans le hall, suffisamment pour que Delphine puisse distinguer le sac de voyage de Marc.

Tu dors, Marc, mais plus pour longtemps, car je suis impatiente maintenant.

Marc dormait comme s'il était prisonnier sous la couette. Elle le regarda longtemps.

Tu ne t'es pas rasé depuis deux jours, mon pauvre amour. Pardonne-moi si je suis maladroite.

Le moment est venu.

Delphine se déshabilla.

L'instant d'après, Marc se réveillait.

***

Oh Marc, comment ai-je pu te laisser si longtemps me donner tant et tant de choses sans vraiment te laisser d'autre plaisir que de me laisser faire ?

Et Delphine pour la première fois de sa vie faisait l'amour à son homme.

Je te donne si peu ici et maintenant, et malgré cela je sens ta surprise et ton étonnement. Laisse-moi t'aimer, et si tu pleures parce que j'entrevois enfin quelque chose que j'aurais dû prendre pour une évidence bien plus tôt, ô mon Amour, je t'en prie, viens pleurer en moi.

***

Bien plus tard, tous les deux couchés sur le côté, leurs yeux et leurs mains pour unique et double lien.

Marc demanda :

— Pourquoi ?

Delphine prit le temps de réfléchir, puis lâcha :

— Parce que je n'ai pas encore compris ce que tu attendais de moi.

Au-dehors, le soleil brillait timidement. Delphine se dit que c'était un bon début.





 

 

Bruxelles, le 3 juin 2009.









Merci à Mon Isabelle pour m'avoir conseillé dans la conception (quel joli mot) de cette histoire. Louée soit sa patience pour avoir vérifié la vraisemblance des mésaventures auxquelles je soumets mademoiselle Delphine avec une constance qui parfois – je l'avoue – touche à l'acharnement.

Pour être tout à fait honnête, je suis le seul responsable du scénario : rien n'a été emprunté à la vie réelle des infirmières que j'ai rencontrées lors de la rédaction de cette histoire. Si toutefois une des scènes a un petit air de « déjà vu » pour l'une ou l'autre d'entre elles j'en serai très fier, car je ne suis vraiment pas « du métier »...

Merci aussi à Samia, ma fidèle conseillère technique et linguistique, et sa sœur Malika, pour avoir donné les justes résonances arabes à la petite prière de Sahar.

Il m'a fallu trois mois pour me résoudre à l'idée d'embarquer Noémie vers le pays des anges : sans cela, Delphine serait aujourd'hui probablement très seule, et incapable de savoir si elle est heureuse ou non. Suite à son « U-turn » salvateur, je l'imagine volontiers maman de deux enfants, et qui sait, rayonnante de bonheur.

Dans dix ans, elle proposera à Marc de l'épouser, pour célébrer le bon choix qu'elle a fait au petit matin, il y a à peine quelques lignes.

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Il y a des nuits comme ça (10)

Caféine

Delphine était assise sur une chaise à roulettes, au beau milieu du camp de base. Bertrand la sermonnait.

Il l'avait retrouvée près du distributeur de boissons fraîches, près des blocs opératoires du sous-sol. Elle avait collé son dos à la machine, comme pour en capter la fraicheur.

La voix de Bertrand était lointaine, mais elle captait l'essentiel de ses propos. Henri n'intervenait pas, mais à en juger par son expression, il n'en pensait pas moins.

De toute façon tu m'as déjà engueulée suffisamment pour cette nuit.

Bertrand continuait. Delphine en déduisit qu'elle avait enfin arrêté de penser tout haut.

Elle se leva.

— Je monte.

Bertrand répliqua illico.

— Tu ne vas nulle part.

— Je monte prêter main forte à Cécile.

Henri monta au filet :

— C'est hors de question, Delphine, surtout après ce que tu as dit face aux parents de bébé trente.

— Henri, on a bien laissé la maman de Noémie toute seule, non ?

— Cela n'a aucun rapport.

— Ben voyons. Elle a perdu son bébé. Moi j'ai seulement dit ce que je pensais. Qui de Sahar ou de moi est vraiment à surveiller ?

Silence. Delphine écarquilla les yeux :

— Tu ne crois quand même pas que je pourrais faire une connerie volontairement ?

Silence, à nouveau.

— Henri, réponds-moi. Tu le crois ?

— Non. Mais en revanche je ne te crois pas capable de poser le moindre acte. Rentre chez toi.

— File, ajouta Bertrand. Ces gens sont des emmerdeurs. Même Maya le comprendrait tout de suite. Il ne s'est rien passé. Je te couvre.

— Non.

— Tu n'as pas bien compris, Delphine. Je te couvre si tu disparais à l'instant.

L'infirmière sentit une fois encore la vague de froid l'envahir. Elle réfléchit, puis lâcha :

— Si je rentre maintenant, vous ne me verrez plus. Le temps se sera arrêté à la mort de Noémie. Je ne voudrai pas revenir. Vous ne pouvez pas m'imposer ça.

Henri acquiesça discrètement.

— Laisse-moi m'occuper de Noémie et de sa maman, Bertrand. Juste elles deux.

Bertrand hésita.

— Juste elles deux. S'il te plait.

***

Delphine perdait ses yeux noirs au fond de sa tasse de café.

Elle s'était rendue en néonatologie et avait habillé Noémie. Ensuite, durant le reste de la nuit, elle s'était occupée de Sahar. Elles avaient peu parlé, mais s'étaient longtemps tenu la main. Les antibios étaient à l'œuvre.

Henri avait tenté de calmer les parents de bébé trente. Il n'avait pas réussi. Mais en revanche ils ne s'étaient pas décidés à quitter l'hôpital.

C'était le moment du café avant de retourner à la maison. Le chirurgien et l'infirmière se faisaient face.

La fatigue et la tristesse avaient transformé Delphine en un bloc de sable mouillé. Elle se sentait sale, lourde, raide, et surtout d'une laideur sans nom. Le froid l'avait quittée au petit matin.

Henri tendit la main, et lui souleva le menton comme si elle avait sept ans. Le regard de Delphine mit du temps à se fixer sur lui.

— Il y a des nuits comme ça, Delphine.

— Ce n'est pas ma nuit.

— Elle est terminée. Tu l'oublieras.

Lorsqu'il avait lâché le menton de Delphine, Henri avait déposé ses mains sur celles de la jeune femme. Une pensée traversa fugitivement son cerveau : les mains de cet homme étaient la dernière source de chaleur de son petit monde en déclin. Déjà elle ne pensait plus à rien.

— Delphine ?

Les yeux tristes de Delphine restaient secs. Ils étaient plantés dans les yeux d'Henri.

— Delphine ? Allô ? Tu es avec moi ? Tu te sens mal ?

Elle articula avec difficulté :

— J'ai peur.

Enfin elle détacha son regard du médecin. Elle but une gorgée de café.

— Je ne sais plus ce que je dis.

— Tu as peur de quoi ?

— De rester seule.

— Tu veux dire... de rentrer seule ?

— Non. J'ai peur de rester seule le reste de mes jours. Cela n'a rien à voir avec cette nuit. Je rate toujours tout avec les hommes.

Henri serra doucement les mains de Delphine dans les siennes.

— Au moins tu ne penses plus à cette nuit. C'est déjà ça. Tu ne crois pas que tu devrais réfléchir à cela après huit heures de sommeil ? Ce n'est pas parce que tu es en froid avec Marc que tu rates tout avec les hommes.

Huit heures de sommeil. Dormir. En solo ? Avec Marc ? Avec Henri ?

— Peut-être, s'entendit-elle répondre.

— Et tu vas faire comme nous le faisons tous : laisser ici tout ce que nous avons vécu cette nuit.

— Je sais.

Mis à part la main de Sahar sur le bras de sa fille.

— Tu es seul pour l'instant ?

— Tu veux dire : célibataire ? La réponse est oui.

Henri avait répondu sans attendre. Delphine se dit qu'il s'attendait à sa question. Mais depuis combien de temps ?

— Je peux dormir avec toi ?

— Si tu veux.

À nouveau : aucune hésitation dans sa voix.

Il se leva. Elle termina son café en vitesse. Il lui tendit la main et la garda dans la sienne lorsqu'ils sortirent de l'hôpital.

Au-dehors, le vent s'était levé. Le ciel était gris foncé, mais il n'y avait aucune pluie. Les cheveux de Delphine s'agitaient devant son visage.

Le sable dont je suis faite sèche à vue d'œil. La première bourrasque va me disperser.

Henri garda le silence jusqu'à sa voiture.

— Je te suis ? demanda Delphine.

Il se tourna vers elle et l'embrassa. Elle se serra contre lui. Ses lèvres étaient d'une infinie douceur. Delphine sentit enfin la pesanteur l'abandonner quelque peu.

— Je peux te poser une question, Delphine ?

— Tu veux savoir si je ronfle ? De quel côté du lit je dors ?

— Est-ce que je peux te poser une question ?

Delphine prit le temps de le regarder, tenta d'anticiper sa question. Rien de grave dans son regard. Elle crut même deviner un vague sourire au coin de ses lèvres.

— Oui, tu peux.

— Tu te souviens de votre première fois, avec Marc ?

Delphine s'entendit répondre avant même d'avoir vraiment compris.

— Oui, comme si c'était hier...

— Tu pourrais m'en citer la date ? Le lieu ?

— … Oui... où veux-tu en venir ?

Le sourire d'Henri s'élargit quelque peu.

— Dis-moi sincèrement, Delphine, y a-t-il une seule chance que tu te souviennes de notre première fois ?

Elle fronça les sourcils. Henri ne lui laissa pas le temps de répondre :

— Comprends-moi bien. Je ne reviendrai pas sur ce que je t'ai promis. Si tu m'accompagnes, je veux que tu le fasses en pleine connaissance de cause.

Les yeux noirs de Delphine se durcirent :

— Tu n'es pas amusant du tout. Pourquoi m'as-tu embrassée ?

— Parce que j'en avais envie. Parce que tu es une très jolie femme, et que, comme toi, j'ai envie de prendre une revanche sur cette nuit de merde.

Delphine ne savait plus que dire.

— Je t'aide un peu ? demanda-t-il.

— ...Pardon ?

— Je t'aide à prendre une décision ? Je te dis ce que j'en pense ?

Sur le visage de Delphine vint se peindre un petit « oui » discret.

— Je pense que s'il y a la moindre chance que Marc soit là à ton retour, tu ne devrais pas la manquer.

— Donc tu ne veux pas de ma compagnie.

— Si, mais tu l'as dit toi-même, Delphine : ce n'est pas ta nuit.

— Et alors ?

— Alors tu peux m'appeler après ton explication avec Marc, si tu te retrouves toute seule.

— Et si Marc n'est pas là quand je rentre ?

— S'il n'est pas là, c'est un enfoiré.

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Il y a des nuits comme ça (9)

Cauchemar

Delphine avait gratifié les parents de bébé trente d'un « je suis à vous dans un instant » poli mais sans appel, puis une fois arrivée au camp de base s'était elle emparée du téléphone.

— Cécile ? Maman Noémie a une pneumonie.

— Cécile est auprès d'elle.

C'était la voix de Bertrand.

— Que fais-tu là ?

— Je l'aide. Noémie est en arrêt cardiaque. Rapplique.

Non ! Merde, pas cette nuit !

Derrière elle, les parents de bébé trente s'encadraient dans la porte d'entrée du camp de base.

***

Delphine expliqua rapidement aux parents de bébé trente que le service de néonatologie ne pourrait pas les accueillir tout de suite. Une urgence. Un autre enfant. Pas le leur. Elle viendrait les chercher.

Elle se mit à courir dans le couloir, ignorant les propos scandalisés du couple.

Je vais me les faire avant la fin de la nuit, ces deux-là.

La chambre de maman Noémie était ouverte.

— Henri ?

— Je suis là.

— Tu peux venir un instant ?

Elle l'entendit murmurer un « je reviens » rassurant, puis le vit se présenter à l'entrée de la chambre. Sa tête changea lorsqu'il posa le regard sur elle. Elle mit deux doigts en forme de « V » sur son cœur. Il l'interrogea tout bas :

(– Arrêt ?)

Elle fit oui de la tête.

(– On monte. File devant.)

Elle courut vers les escaliers.

***

Delphine se demandait pourquoi Henri était si pressé de retourner en néonatologie. Après tout, seule Cécile avait autorité pour laisser maman Noémie voir sa fille. Elle pouvait renvoyer Henri et sa patiente indéfiniment.

C'est simple. Il a écouté les poumons de sa patiente de plus près, et s'est dit : si Noémie souffre de la même pathologie, elle est fichue. Et comme elle est en arrêt cardiaque... Merde, ressaisis-toi et vire-moi ces pensées à la con ! Elle ne peut pas mourir. Je ne veux pas !

Le fait qu'elle soit en arrêt cardiaque n'avait peut-être aucun rapport avec l'empressement d'Henri, mais Delphine n'y croyait pas. Elle savait très bien que les moyens de réanimation pour les prématurés sont infiniment limités si on les compare à ce que l'on peut faire pour ramener les adultes à la vie.

En arrivant à l'étage, une pensée la cloua sur place.

Je cours pour rien.

Elle faillit s'étaler tant cette idée la révolta. Elle courut encore plus vite vers la grande vitre de la néonat.

Si tu es capable de penser cela, ma fille, change de métier.

Elle ouvrit la porte.

Elle comprit au regard de Cécile qu'il était trop tard.

***

Delphine était assise. Elle avait senti les bras de Bertrand la saisir fermement quand ses jambes avaient cessé de la porter.

Tout cela s'était passé bien trop vite. Bien sûr, elle avait couru comme une folle. Bien sûr, elle venait d'entrevoir la petite Noémie au fond de sa couveuse. Et, bien sûr, elle avait compris que Noémie n'avait attendu personne.

Mais ce n'était pas cela qui avait provoqué son éblouissement.

Elle avait senti une présence dans son dos, et s'était retournée. Les parents de bébé trente l'avaient suivie. Ils avaient pris l'ascenseur. Ils étaient immobiles derrière la vitre. Ils ne cherchaient pas leur enfant : c'était Delphine qu'ils observaient d'un regard réprobateur.

Je leur ai dit que je viendrais les chercher, et ils s'en contrefichent. Et ils ne cherchent même pas leur bébé. C'est à moi qu'ils en ont. Ils vont vouloir se plaindre. Passer leurs nerfs d'emmerdeurs sur la petite infirmière débordée.

Delphine interrogea Bertrand du regard. C'est fini, n'est-ce pas ? Cécile gardait le dos tourné. Oui, c'est fini. L'expression de Bertrand ne laissait aucun doute. À ce moment, maman Noémie montait probablement, en compagnie d'Henri. Il faudrait lui dire. Il faudrait dire que sur deux bébés prématurés nés cette nuit, un seul verrait ses parents.

Des parents qui se sont bien reposés, et à qui maintenant il faut tout accorder, tout de suite. Des parents qui ne s'inquiètent pour leur petite fille que quand leur agenda le leur permet. Mais qui ne sont pas fichus de lui donner un prénom, parce qu'ils ne croient pas vraiment qu'elle va vivre.

Les jambes de Delphine perdaient peu à peu de leur consistance. Le papa de bébé trente s'apprêtait à frapper à la porte.

— Bertrand, il y a les parents de bébé trente qui se croient chez l'épicier. Je leur ai dit de ne pas venir, mais...

La pensée qui vint ensuite balaya Delphine comme un fétu de paille.

Noémie, elle, a un nom. Mais elle s'est envolée.

Et je m'envole aussi. Je flotte. Non, je coule. La colère et l'injustice m'emportent.

Alors Marc lui parla.

***

Delphine, tu vas te faire mal.

Un soir où ils avaient fait l'amour, il y a très longtemps, elle s'était endormie du côté gauche du lit, où Marc dormait habituellement.

Dans un demi-sommeil, elle avait entendu son homme lui dire la même chose, alors que son corps glissait lentement en-dehors de la couette chaude.

Tu es en train de tomber, mon amour, tu vas te faire mal.

***

Bertrand la saisit par-dessous les épaules. Delphine se ressaisit juste assez pour tituber avec lui jusqu'à une chaise.

— Hé-là, tu ne vas pas nous abandonner, toi ?

— C'est bon, dit l'infirmière d'une voix agacée. Laisse-moi juste une minute, ça va aller.

Cécile demanda d'un ton absent :

— Bertrand, tu peux faire comprendre aux parents...

— J'y vais. Paramètres stables pour bébé trente ?

Cécile ne répondit pas. Bertrand reprit :

— Oui. Bon. On va dire que tout va bien.

Il sortit.

***

Delphine entendait Bertrand s'expliquer. Les parents lui parlaient sur un ton où se mêlaient condescendance et nervosité.

C'est peut-être ça qui m'empêche de tourner de l'œil.

— Que dis-tu ? demanda Cécile.

— J'ai pensé tout haut ?

— On dirait bien, oui.

— Je disais que c'est ça qui me maintient. Qui m'empêche de tourner de l'œil.

— Quoi donc ?

— L'envie de leur voler dans les plumes.

— Tu as d'autres choses à penser.

C'est vrai. Maman Noémie sera là dans un instant. C'est à moi de la prendre en charge.

Bien entendu, Cécile serait là pour expliquer. Mais c'était à Delphine de rester auprès de maman Noémie jusqu'à la fin de son service. Henri resterait peut-être, mais il n'y était aucunement contraint.

Elle se reprenait. Son corps se refroidissait, mais elle n'avait pas froid. Elle avait déjà eu cette sensation.

C'est le froid de quand maman est morte.

Delphine n'avait pas pleuré un mois durant. Puis ses yeux gelés avaient fini par relâcher des larmes silencieuses, à donner des frissons. Au fil des nuits, elles s'étaient réchauffées, jusqu'à ce qu'un soir, elle s'entende enfin être triste. Elle avait fait autant de bruit que la première fois où, avec Marc, elle avait fait l'amour à en perdre la tête. Ensuite tout s'était calmé.

Et voici que ce soir, alors que Cécile achevait de détacher les capteurs placés sur le petit corps de Noémie, Delphine sombrait à nouveau dans l'âge de glace.

Ce n'est pas plus mal.

Elle se leva. Le ton montait entre Bertrand et les parents de bébé trente : ils étaient à deux doigts d'entrer en force.

— Ne les tue pas, dit Cécile.

— Pas tout de suite.

Elle sortit.

***

Comme elle l'avait prévu, maman Noémie arrivait, poussée par Henri. Delphine n'entendait presque rien de l'altercation entre les parents de bébé trente et Bertrand. Le papa prenait conscience que l'infirmier les empêcherait d'entrer quoi qu'il arrive, alors il passait à la vitesse supérieure. Les menaces. Parler en haut lieu, droit des parents, scandaleux, blablabla, tout y passait. Elle ne voyait que maman Noémie et son visage d'une incroyable beauté, ses yeux vides qui cherchaient sa fille. Elle entendait sa respiration de maman, contrariée par la douleur. Les battements de son cœur qui couvrait les paroles véhémentes des autres, là, loin, aux prises avec Bertrand.

— Noémie ne vous a pas attendue, madame, je suis désolée.

Le plus dur est fait, normalement. Alors pourquoi ne suis-je pas soulagée ?

Maman Noémie encaissa la nouvelle comme une évidence. Après un long silence, elle dit :

— J'ai besoin de la toucher. Je peux ?

Henri restait muet. L'infirmière ne put déterminer s'il y avait de la colère ou de la tristesse sur son visage fermé.

— Oui, madame. Elle a encore besoin de vous, si je puis dire cela.

— Je comprends.

Quelle noblesse.

Les parents de bébé trente s'étaient tus : ils avaient compris, ou Bertrand leur avait dit. C'était sans importance.

***

Ils entrèrent. Cécile se présenta. Henri dit tout bas :

— Le pédiatre et moi-même sommes là pour répondre à toutes vos questions.

Elle répondit :

— Je n'en aurai pas, je crois. Je vais dire au revoir.

***

Après avoir vérifié qu'aucun autre nourrisson n'aurait besoin de soins durant quelque temps, Henri, Delphine et Cécile se retirèrent près de la porte d'entrée. De l'autre côté de la vitre, Bertrand et les parents de bébé trente avaient disparu.

En passant derrière elle, l'infirmière entendit la maman murmurer :

— Châl tsenitek a benti o daba mchiti, radi n'bqaw dima mejmoïn1.

Le poing serré et l'avant-bras de la petite fille disparaissaient intégralement sous la main de sa maman. Delphine sût tout de suite que jamais elle n'oublierait cette image.

***

Delphine entendait Cécile et Henri échanger quelques paroles à voix basse. Il était question de traitement urgent de maman Noémie. L'infirmière regardait la petite fille. Ses jambes allaient à nouveau l'abandonner.

— Vous voulez bien me raccompagner ?

C'était la maman de Noémie. Delphine sursauta.

— Pardon ?

— Je retourne dans ma chambre. Je voudrais être seule, maintenant.

— Oui bien entendu. Je vous ramène à votre chambre.

Si j'y arrive.

Henri intervint.

— Je vous accompagne aussi. Nous devons vous soigner.

***

Le chirurgien et l'infirmière se dirigeaient en silence vers l'ascenseur. Delphine savait qu'elle avait peu de temps pour parler à la maman de Noémie. Elle avait eu le courage de faire ses adieux à sa fille, le moment était venu de couper court à tout sentiment de culpabilité. C'était une obligation pour Delphine, mais elle avait du mal à briser le silence.

Elle prit la parole alors que l'ascenseur s'ouvrait :

— Madame ?

— Je m'appelle Sahar.

Ils pénétrèrent dans l'espace confiné.

— Sahar, vous n' y êtes pour rien. Votre maladie n'a pas été...

— Je sais cela, je le sais. Comment vous appelez-vous ?

— Delphine.

L'ascenseur refermait ses portes.

Il a rétréci. On s'y presse. On y respire mal. Pourvu qu'il ne soit pas plus lent que tout à l'heure.

Sahar prit la main de Delphine dans la sienne.

Elle a de la température.

— Delphine ?

Oh Mon Dieu faites que les portes s'ouvrent !

— Delphine, vous n'y êtes pour rien, vous non plus.

Elle avait prononcé ces mots d'une voix si douce que Delphine crut un instant qu'elle allait tomber endormie, là, comme hypnotisée en un éclair par ses paroles.

Mais ce fut tout le contraire. L'infirmière inspira profondément, et sans faillir, répondit.

— Choukran2. Pardonnez-moi c'est le seul mot que je connaisse dans votre langue.

— Vous connaissez le principal.

La porte de l'ascenseur s'ouvrit. Au bout du couloir les parents de bébé trente poireautaient devant leur chambre. Ils ne souhaitaient visiblement plus y entrer. Derrière eux, elle vit Bertrand lui faire signe.

***

La perfusion était placée, Sahar fermait les yeux.

— Vous pouvez me laissez seule, s'il vous plait ?

— Vous êtes sûre ? demanda Delphine.

— Oui, je suis sûre.

Henri hésita :

— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée.

La voix de Sahar se fit plus ferme.

— Je vais pleurer. Juste pleurer. Pas me suicider. Je vous appellerai plus tard, Delphine.

Le monde tourne à l'envers cette nuit. Je n'ai jamais vu une maman réagir d'une telle manière.

Delphine interrogea le chirurgien du regard. Dehors, dans le couloir, les parents de bébé trente attendaient. L'infirmière pouvait sentir leur contrariété et leur colère rougeoyer comme un feu qui couve.

Henri conclut :

— Nous restons à votre disposition jusqu'à ce que l'équipe de jour prenne le relais.

***

Lorsqu'ils sortirent de la chambre, Henri s'adressa rapidement à Delphine :

— Ne dis rien aux parents de bébé trente. Je m'en occupe avec Bertrand.

— Compris.

Ils se dirigèrent d'un bon pas en direction du couple. Toujours derrière eux, à l'entrée du camp de base, Bertrand attendait.

Comme le papa venait à leur rencontre, ce fut Henri qui prit la parole.

— Monsieur, votre femme ne peut pas rester trop longtemps dans une chaise roulante. Il faut immédiatement la ramener dans sa chambre.

Bertrand s'était rapproché :

— Delphine, il faut que je te parle tout de suite.

Merveilleux. Deux hommes à mon secours. L'un occupe les parents et l'autre me donne un prétexte pour traverser le mur de feu.

Mais c'était compter sans la véhémence du père de bébé trente.

— Mademoiselle, vous n'allez pas vous enfuir une fois de plus. Nous passons notre temps à courir derrière vous. Nous voulons voir notre fille !

Delphine ne dit mot en passant devant eux. Elle se sentait encore plus froide que jamais.

Ne me touche pas, pauvre idiot. Ta main serait gelée. Tes doigts tomberaient.

Bertrand intervint :

— Je vous ai déjà expliqué deux fois pourquoi cela n'était pas possible maintenant. Ma collègue a respecté les consignes que je lui avais données.

Delphine atteignait la porte du camp de base. Elle pensa fugitivement à consulter sa messagerie vocale.

Elle aurait donné cher pour que les paroles du papa de bébé trente s'étouffent, comme avant, lorsqu'elle s'était portée à la rencontre de Sahar. Mais malheureusement, cette nuit-là n'était pas vraiment sa nuit. Elle entendit distinctement :

— Je demande à ce que l'on m'amène ma fille. Nous allons quitter cet hôpital et faire suivre notre enfant ailleurs. Ici, je ne suis pas sûr qu'on fasse tout ce qu'il faut.

Delphine s'arrêta net.

Bertrand lança un « non » dans sa direction mais il était déjà trop tard. Delphine s'était transformée en une figurine d'azote liquide.

Mon Dieu qu'ai-je pu faire pour avoir affaire à de tels égoïstes ?

D'après la tête de Bertrand – et celle des parents – une fois de plus Delphine pensait tout haut. Elle imaginait sa voix, très basse, mais ne l'entendait pas vraiment. Eux, si.

Vous vous croyez au marché ? Vous avez commandé un bébé ? Il n'a pas encore de nom, mais vous voulez l'emmener ? Mais comment donc... Bien entendu ! Et surtout excusez-nous pour ce petit délai de livraison.

Henri prononça son prénom pour la faire taire, mais elle ne pouvait s'arrêter en si bon chemin.

Oui évidemment il y a parfois quelques anomalies – elles sont inévitables, pensez-vous – mais en ce qui concerne votre petite prématurée de trente semaines, tout va bien. Il va pouvoir grandir et devenir suffisant comme son papa.

Elle vit Bertrand se placer devant elle.

Oui Bertrand ton regard veut dire « demi-tour » mais tu n'es pas plus grand que moi et Monsieur de la Méprisante m'entend très distinctement alors laisse-moi lui dire ce que je pense. Je pense que c'est injuste que Noémie soit morte alors que sa maman l'a tant espérée, tout comme il est injuste qu'un prématuré de trente semaines n'ait pas de prénom et hérite de parents aussi peu à la hauteur.

Cette fois-ci Bertrand la força à reculer. Elle se cogna au chambranle de la porte du camp de base.

Je pense aussi que vos menaces ne servent à rien.

C'est vrai que le papa de bébé trente venait à nouveau de dire qu'ils ne perdaient rien pour attendre. Henri en profita pour conduire la maman dans sa chambre.

La nuit touche à sa fin, mon cher Monsieur-qui-ira-se-plaindre, mais vous resterez ici, et moi, je m'en irai. Parce que si vous croyez que votre petit bébé va pouvoir quitter l'hôpital demain, je vous conseille de mettre un cierge à Sainte Couveuse.

Bertrand parlait de limites. Enfin, de quelque chose comme ça.

C'est bon, je laisse tomber. Qu'ils aillent au Diable.

Elle regarda Bertrand.

— La tempête est passée.

La voix du papa de bébé trente perdait de la consistance au fur et à mesure que Delphine s'éloignait.

 


1Je t'ai tant espérée et te voilà partie, nous serons unies à jamais.

2Merci

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Il y a des nuits comme ça (8)

Chaos

Delphine poussait la chaise roulante de maman Noémie vers l'ascenseur. Elle pensait à son lit à elle.

Cela s'était mal passé. Évidemment, pensait-elle.

Pourtant Delphine avait déjà géré de telles situations. Maya avait déjà eu l'occasion de la féliciter pour son tact.

Et ce soir, rien. Et ce n'est même pas à cause de la réflexion que Henri m'a balancée avant d'entrer dans la chambre.

Delphine était entrée la première – Henri lui avait ouvert la porte mais pas vraiment par galanterie – et s'était immédiatement empêtrée dans ses explications. En un mot comme en cent : Noémie avait un grave problème d'origine inconnue qu'on essayait de contrer en la bourrant de médicaments sans savoir vraiment où on allait.

Le visage de maman Noémie s'était tourné vers Henri. Il avait remis de l'ordre dans les explications de Delphine pendant qu'elle s'installait dans la chaise roulante : il n'en savait pas plus, mais de toute évidence, lui, elle l'écoutait.

Delphine ne se reconnaissait pas. Jamais elle ne s'était pris les pieds dans le tapis en pareille circonstance. Que Henri ait redressé la situation ne l'avait pas gênée. Après tout, les patients ont souvent tendance à faire confiance en priorité à leur médecin.

Et voici qu'il accompagnait les deux femmes en néonatologie.

Qu'est-ce qui le retient ici ? Il en a terminé avec ses opérations, rien ne l'oblige à rester. Je suis prête à parier que sa soi-disant inquiétude pour moi est un prétexte.

Maman Noémie fermait les yeux depuis qu'elle avait quitté la chambre.

Elle prie, pensa Delphine.

Ils sortirent de l'ascenseur.

— Je n'ai pas un bon sentiment, dit maman Noémie en étouffant une petite toux sèche.

Ni le médecin ni l'infirmière ne dirent mot.

— J'ai tellement voulu ma petite fille que je l'ai fait venir trop tôt.

— Vous n'avez pas à vous culpabiliser, madame, dit Delphine d'un ton plus assuré qu'elle ne l'aurait imaginé. Nous allons d'abord prendre des nouvelles de Noémie. Ensuite vous pourrez la voir.

Lorsqu'ils arrivèrent devant la grande vitre de la néonatologie, ils virent Cécile s'affairer. Delphine accrocha le regard d'Henri, qui s'arrêta : l'infirmière avait pâli.

Cécile était de dos, et elle cachait la couveuse stérile de Noémie.

— Delphine, tu vas voir où on en est ? Je vais rester ici avec ma patiente.

Elle poussa la porte. Henri avait choisi ses mots : il donnait l'impression que tout était sous contrôle, alors que ni lui ni elle ne savait ce que Cécile faisait avec Noémie à ce moment précis.

Cécile ne se retourna pas.

— Viens m'aider. Noémie vient de régurgiter à nouveau.

— Je suis avec sa maman. Elle attend derrière la vitre...

— Ce n'est pas le moment.

— ...avec Henri.

— Avec Henri ? Pourquoi ?

La guerre des territoires. Obstétricien contre pédiatre. Il ne manquait plus que ça.

— Il voulait connaître les antécédents de maman Noémie. Il est allé la voir dans sa chambre, et m'a accompagnée ici.

— Et ?

— Rien.

— Merde. Nous en sommes réduits à une guerre aveugle. Je n'aime pas ça.

— Que puis-je faire ?

— Tu peux terminer de la nettoyer. Je la nourris par perfusion ombilicale. On ne doit pas s'attendre à ce qu'elle puisse digérer quoi que ce soit avant un bout de temps. Je vais parler à la maman.

— D'accord. J'espère que tu pourras te faire une idée.

— Je ne me fais pas d'illusions.

— Tu crois qu'elle pourrait te cacher quelque chose ?

— Je n'en sais rien. Mais pour sa fille la pente devient glissante, et je dois le lui dire. Si elle a quelque chose à balancer, c'est maintenant ou jamais.

Cécile avait prononcé ces mots au moment même où Delphine posait ses mains sur la petite poitrine de Noémie. La petite fille était bouillante. L'infirmière détesta les images qui lui traversèrent l'esprit à cet instant.

Je suis ici pour la vie, merde ! Pour la vie, et pour rien d'autre !

Cécile murmura :

— Et en plus sa maman est belle.

Delphine se retourna : cela ne l'avait pas marquée jusqu'alors, mais la maman de Noémie était en effet d'une grande beauté. Même dans l'inquiétude – ou la douleur auparavant – son visage était harmonieux, ses traits réguliers et doux.

Maman pète la classe, et sa fille est chaude comme un petit pain. Ça y est je mélange tout à nouveau. Termine la toilette de mademoiselle Noémie et ne pense à rien d'autre.

La petite fille avait perdu le peu de tonus musculaire qu'elle avait encore quelques heures plus tôt. Si la température ne pouvait être diminuée, elle aurait raison du nourrisson. Delphine se dit que c'était justement cela que la pédiatre était en train d'expliquer à sa maman. Elle entendait la voix d'Henri. Tantôt ses intonations étaient interrogatives, tantôt elles étaient apaisantes, selon qu'il s'adressait au médecin ou à la patiente. La femme, elle, demeurait muette.

La porte s'ouvrit.

— Alors ?

— Rien.

Cécile était contrariée. Elle enchaîna :

— Merde. Regarde.

Delphine jeta un regard sur l'indicateur de température. Elle avait diminué.

— Attends, dit Delphine.

Le capteur s'était détaché de la peau du bébé durant les soins. Elle le replaça. Les chiffres revinrent à la même valeur.

— C'était trop beau, dit Cécile.

Delphine demanda :

— À ton avis, combien de temps faut-il pour que sa température commence à diminuer ?

— Cela devrait déjà diminuer.

L'infirmière ne put s'empêcher de regarder maman Noémie à travers la vitre. Elle vit aussi Henri, qui lui renvoya un regard courroucé, qui signifiait : ne regarde pas ma patiente ainsi, idiote, tu veux la faire paniquer ou quoi ?

— Tu dois la ramener dans sa chambre.

— On lui a dit le contraire il y a à peine une demi-heure, Cécile.

— Je sais. C'était avant que Noémie ne régurgite le lait de sa maman.

D'accord, se dit Delphine. On vient de passer en alerte rouge.

Elle sortit de la salle sans mot dire.

***

— Les nouvelles ne sont pas bonnes, n'est-ce pas ?

Les yeux noirs de maman Noémie étaient brillants, mais ils semblaient prêts à encaisser les mauvaises nouvelles.

Henri ouvrit la bouche pour prendre la parole, mais Delphine fut plus rapide. Elle expliqua les choses posément. Maman Noémie écouta sans rien dire.

C'est vrai qu'elle est belle. Merveilleusement belle.

Delphine se reprenait. Ses mots étaient apaisants là où ceux d'Henri avaient été rassurants, ses explications claires et objectives.

Cette maîtrise retrouvée ne compensait en aucune manière l'angoisse qu'elle voyait peu à peu s'installer sur le visage de maman Noémie, mais il fallait bien s'accrocher à quelque chose.

Henri, lui, ne disait rien. Il semblait en colère.

— … et c'est pour cela que nous ne pouvons pas vous laisser voir Noémie pour l'instant. Tant que nous n'en savons pas plus, le calme et les médicaments sont les meilleurs alliés de votre petite fille.

Maman Noémie regardait dans le vide.

— Je vous fais confiance, soupira-t-elle.

Elle eut un frisson, ou un sursaut. Puis :

— Et si cela s'aggrave ?

Henri prit la parole.

— Nous aviserons.

Delphine lui lança un regard noir.

— Je reviendrai vous chercher, dit-elle d'un ton destiné à couvrir les propos du médecin.

***

Delphine et Henri quittèrent la chambre de maman Noémie en silence. Une fois la porte fermée leurs yeux se croisèrent et ce fut le début des hostilités, à mi-voix.

— C'est quoi ce « nous aviserons », Henri ? Tu veux la faire mourir d'inquiétude ou quoi ?

— Je te trouve très mal placée pour critiquer ma communication, Delphine. Tu t'es emmêlé les pinceaux comme ce n'est pas permis en venant la chercher, et cela n'a été guère mieux depuis.

— Tu t'es amusé à me déstabiliser juste au moment d'entrer dans sa chambre et tu le sais très bien.

— Cela n'excuse rien. Tu aurais dû voir ta tête juste avant de sortir de néonat. On ne t'a jamais appris à maîtriser ton expression non-verbale, Delphine ?

— Laisse tomber. Ce n'est pas parce que nous avons travaillé en salle d'op ensemble que tu peux me faire la leçon ici et maintenant. Je suis infirmière en post-partum maintenant, alors tes leçons, tu les donnes à mes ex-collègues. Pas à moi.

— Non mais tu t'entends, Delphine ? Tu pars en vrille toute seule comme une grande, et tout ce que tu trouves à faire, c'est m'envoyer paître ? Cela suffit. Si je suis encore ici cette nuit, c'est parce que je ne te fais pas confiance. Je dois développer ?

Delphine s'était arrêtée net. Ses yeux semblaient chercher quelque chose. Henri aurait pu croire qu'il avait poussé le bouchon verbal un peu loin, mais ce n'était pas cela.

Elle donna l'impression à Henri de regarder à travers lui.

Marc revint une fois encore à la surface de ses pensées, mais ce n'était pas le Marc qu'elle imaginait au volant de sa voiture, quelque part entre l'Allemagne et son lit.

C'était Marc lors d'une cérémonie.

Un mariage, un an plus tôt. Marc devait tousser, mais il se retenait pour ne pas troubler l'assemblée. Cela faisait comme un petit hoquet.

Henri s'impatientait.

— Allô ? Il y a quelqu'un ?

— Henri...

— Quoi ?

— Maman Noémie. Elle réprime des quintes de toux depuis sa sortie de salle d'op.

Henri fronça les sourcils.

— Je vais écouter. Tu restes ici.

Delphine espérait ne pas s'être trompée. Maman Noémie avait toussoté une ou deux fois, et il avait semblé à Delphine qu'à plusieurs reprises un petit sursaut avait soulevé les épaules de la patiente.

Henri entra dans la chambre. Il en sortit trente secondes plus tard.

— Tu peux avertir Cécile.

— Je lui dis quoi ?

— Que maman Noémie a une pneumonie.

Delphine se dirigea vers le camp de base. Henri n'avait détecté aucune pathologie plus tôt, mais avait-il écouté la respiration de sa patiente à ce moment ? L'infirmière savait que certains cas de pneumonie pouvaient être asymptomatiques. Le patient n'avait aucune température, ne ressentait aucune douleur, mais en écoutant attentivement ses poumons, on entendait le feu couver ; l'enfer se répandait après, subitement.

La chambre des parents de bébé trente s'ouvrit. Ils étaient tous deux réveillés : lui debout, elle assise dans une chaise roulante. Le papa désigna Delphine du doigt :

— Nous voulons voir notre fille, mademoiselle.

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Il y a des nuits comme ça (7)

 

Surprises

— Attends, Delphine, jetermine... Voilà. Bébé trente avait réussi à sedébarrasser de ses électrodes. Pour une préma de cet âge-là,elle est d'une vivacité surprenante.

Delphine poussa un long soupir,mais elle s'interrompit lorsqu'elle vit le visage fermé de lapédiatre.

— Je t'appelais pourNoémie. Elle a régurgité le lait de sa maman. Ce ne serait pasgrave si elle était plus âgée, mais là... nous avons à faireface à un autre problème.

Cécile désigna l'emplacementoù Noémie dormait. Delphine était passée devant sans y prêterattention, croyant que c'était bébé trente l'objet de sespréoccupations. Elle se tourna et sentit sa gorge se serrer. Noémieavait été placée en couveuse stérile.

— Elle estimmunodéficiente.

D'instinct, Delphine jeta unœil sur la température de Noémie.

— Merde !

— Tu peux le dire.J'attends les résultats de la prise de sang. Ça va être une coursecontre la montre.

L'infirmière comprit tout desuite qu'elle passerait le reste de la nuit à monter et descendreles étages.

— Je dois réveiller lamaman ? On a besoin de nourrir Noémie.

— Non, j'ai desréserves. Tu vas les lui donner.

— Mais...

— J'ai besoin de toiici, Delphine. Maintenant.

— D'accord.

Delphine récupéra dans letiroir isotherme le colostrum de maman Noémie. Il en restaitlargement assez. Elle plaça à nouveau la sonde et entreprit denourrir Noémie avec délicatesse.

Sa maman était arrivée denulle part : aucun dossier n'était ouvert pour elle àl'hôpital, la majeure partie de sa grossesse s'était déroulée àl'étranger. C'est d'ailleurs pour cette raison que personne n'avaitappelé son bébé par son nom. Bien entendu l'hôpital avait fait lenécessaire lors de son arrivée pour connaître d'elle ce qui étaitutile à l'accouchement. Mais ces informations ne remplaçaient pasle dossier établi au sujet de l'enfant tout au long de la grossesse.Et de ce côté-là, visiblement, les informations étaientlacunaires.

Avec pour résultat que latempérature de Noémie frisait les 39 degrés, et que seule la prisede sang pouvait peut-être en donner l'explication.

Si Noémie acceptait de senourrir du colostrum de sa maman, elle bénéficierait de sesanticorps, qui constituaient sa meilleure arme du moment.

— Elle doit absolumentse nourrir, soupira Delphine.

— Ce ne sera passuffisant. Dès que j'aurai les résultats j'espère pouvoir attaqueraux antibios.

Delphine ne releva pas. Ellesavait bien que les antibiotiques ne pouvaient aider Noémie que dansun nombre limité de cas. Mais le personnel soignant s'interdisaitd'exprimer la moindre pensée pessimiste, surtout en néonatologie.

***

Delphine n'aimait pas du tout la pensée qui venait de lui traverser la tête : au moins Noémie tientMarc à distance.

Comment osait-elle s'autoriser de tels arrangements avec sa conscience ?

Ça ne tourne vraiment pas rond.

Elle releva la tête.

— Nous y sommes. Elle atout avalé.

— Bon, dit la pédiatre.Tu réveilles sa maman si elle monte à quarante, ou si ellerégurgite. Je file au labo.

L'infirmière s'étonna :

— Ils ne peuvent pas tetéléphoner pour ça ? Ou t'apporter les résultats ?

Le médecin répondit d'un tonexaspéré :

— Tu vois les résultatsquelque part ? Tu as entendu le téléphone sonner ?

Delphine ne dit rien. Ellesavait que dans la majorité des cas, le laboratoire faisait vite,mais à tout moment le service des urgences pouvait le solliciter,retardant inévitablement les informations que Cécile attendait.

Et le cas de Noémie étaitvraiment préoccupant.

En vérifiant la couche de lapetite fille – rien à signaler, dommage – Delphine pensa à lamaman de Noémie. Dormait-elle, ou bien n'osait-elle pas fermerl'œil ? Peut-être savait-elle quelque chose ? Un incidentdurant sa grossesse avait-il permis de découvrir un souciparticulier pour son enfant ?

Cécile était un excellentmédecin, mais comme pour nombre d'entre eux, la science avaittoujours la priorité pour aider son combat. Ici, peut-être quemaman Noémie détenait une information qui pourrait écartersa fille du danger qui la menaçait.

Elle saisit le combinétéléphonique et appela le camp de base. C'est Bertrand quirépondit.

— Cécile t'akidnappée ? Elle te garde en néonat toute la nuit ?

— Pas vraiment, non.Elle est partie au labo pour mettre la pression. On a un problèmeavec Noémie, elle a un gros défaut d'immunité, Cécile l'a placéeen couveuse stérile. Il faut réveiller sa maman et lui demander sielle a une quelconque idée...

— Attends, tu veux qu'onréveille la maman pour quoi exactement ? On a son dossier,Cécile peut le consulter depuis la néonat, je ne vois paspourquoi...

— On n'a pu établir quele strict minimum, tu le sais bien.

Elle entendit une voix derrièrecelle de Bertrand.

— Delphine, si tapatiente a quelque chose à dire, on le lui demandera après que laprise de sang ait livré ses infos. Entretemps tu laisses Cécilegérer ça. Et si tu peux rappliquer, ce sera encore mieux.

— Je suis seule ennéonat, Bertrand. Je ne peux quitter ni Noémie ni les autres bébésavant le retour de Cécile.

— Mouais... si tu resteslà-haut, au moins ça t'évitera d'écouter tes messages vocaux surnotre ordi.

Delphine sursauta. Elle avaitoublié de fermer son accès à la messagerie vocale.

— À propos, tu n'asaucun nouveau message. Mais ce n'est pas pour rafraîchir ta page quetu dois rappliquer...

— J'arrive...

— ...c'est parce qu'il ya du boulot ici.

— ...dès que Cécileest là.

— À la bonne heure.

Elle raccrocha. Le téléphonesonna immédiatement.

Le labo.

— Delphine ?Cécile. J'ai les résultats. Je te donne la liste de ce qu'il fautadministrer à Noémie et j'arrive. Démarre, on va devoir segrouiller.

— Je note.

De mauvais frissons vinrentparcourir les bras de Delphine au fur et à mesure qu'elle écrivait.

A la fin de la dictée, elle neput s'empêcher de laisser planer un regard incrédule en directionde la petite couveuse où Noémie tentait de digérer le colostrum desa maman.

Mon Dieu. Cécile veut qu'on tire sur tout ce qui bouge.

***

Cécile apparaissait derrièrela vitre au moment même où Delphine achevait de « charger »la perfusion de Noémie.

— Quelle est satempérature ?

— Stationnaire,s'entendit dire l'infirmière.

Cécile attendit quelquessecondes avant de dire :

— Tu es sûre ?

L'infirmière leva le nez. Latempérature était montée à quarante degrés.

— Merde...

— Delphine, depuiscombien de temps n'as-tu pas regardé l'écran ?

— Depuis le moment oùtu m'as appelée.

— Alors tu vas réveillersa maman. Tout de suite.

Delphine ne voulut même passavoir s'il y avait un quelconque reproche dans le ton utilisé parla pédiatre. Elle sortit immédiatement du service et se rua dans lecouloir.

Elle était sûre d'avoirregardé la température de Noémie juste au moment de luiadministrer les premiers antibiotiques. Cinq minutes s'étaientécoulées, tout au plus.

Elle est passée de 39°4 à 40° en très peu de temps. Pourvu que lesantibios agissent vite.

Elle s'engouffra dansl'ascenseur, et regretta immédiatement son choix : la moindreimmobilité faisait revenir Marc au-devant de la scène.

Pourquoi reviens-tu continuellement ? Tu ne peux pas me laissertranquille ? S'il te plait... j'ai une maman à réveiller, etelle sera « grave inquiète », alors, zut, finis taroute, où qu'elle te mène, mais ne reviens plus.

Elle fit basculer ses penséesvers la maman de Noémie. Il fallait la réveiller, l'informer del'état de sa fille, la rassurer, sans véritable espoir. Elle pritson élan lorsque la porte de l'ascenseur s'ouvrit, et entra encollision avec Henri.

— Où vas-tu ?dit-il.

— Chez maman Noémie.Sa fille...

— Inutile. Je sors de sachambre.

— ...a quarante defièvre, et... tu as dit quoi ?

— J'ai dit que j'ensortais. J'étais près de Bertrand quand tu l'as appelé. Je suisallé trouver ma patiente, qui ne dormait pas, et j'en ai profitépour lui poser quelques questions tout en l'examinant.

Bravo. Et elle ne s'est inquiétée de rien. Et maintenant, à peine troisminutes plus tard, je vais devoir la prévenir de toute façon. Je megarde le mauvais rôle. Super.

— Et ?

— Et rien. Noémie estle produit d'une FIV1pratiquée au Brésil avec un donneur anonyme. Elle a fait un bébétoute seule, entourée de médecins. Rien à signaler tout au long dela grossesse. Elle voyage beaucoup. Elle a eu ses premièrescontractions dans l'avion, on l'a prise en charge dèsl'atterrissage.

— Elle venait duBrésil ?

— Du Maroc. Elle a de lafamille à Rabat.

— Et elle va bien ?

— Pas de température,pas de fatigue excessive, rien qui témoigne d'une quelconqueinfection.

Delphine réfléchit à toutevitesse. Une grossesse sans histoire. Il ne restait que deuxexplications. Soit la déficience de Noémie était d'originegénétique – mais a priori les hôpitaux brésiliens avaient bonneréputation : elle aurait été mise au courant durant sagrossesse – soit Noémie se battait contre un agresseur que samaman avait repoussé sans même s'en rendre compte, depuis quelquesheures seulement.

— Je dois lui parlermaintenant, dit Delphine. Que me conseilles-tu ?

— À toi de voir. Elleest en état de rejoindre sa fille, à condition qu'elle ne quittepas son fauteuil.

— Ce n'était pas maquestion, Henri.

Elle savait pertinemment queles médecins n'avaient pas pour habitude d'interférer avec letravail des infirmières. Il n'allait pas l'aider à « annoncerla chose » à maman Noémie.

— Si tu veux savoir ceque je lui dirais...

Delphine se vexa :

— Laisse, je vais lefaire.

— ...c'est bon, j'y vaisavec toi.

Il tourna les talons et sedirigea vers la chambre. Elle écarquilla les yeux.

Un revers lifté. J'en avais bien besoin. Merci.

— Henri ?

— Oui ?

— Pourquoi fais-tucela ? Tu n'as pas à te préoccuper de Noémie, ni de lamanière dont je dois mettre sa maman au parfum.

— Cela ne t'empêche pasde me demander mon avis.

Touchée.

Delphine trottait derrièreHenri, qui avançait à grands pas. Elle insista :

— Pourquoi, Henri ?

— Parce que je suisinquiet.

— On le serait à moins.Tu devrais voir quel cocktail je lui ai mis dans sa perfusion.

Elle baissa le ton : ilsétaient arrivés.

— Non, Delphine. C'estpour toi que je suis inquiet.

Et il ouvrit la porte de lachambre.

 

 

 

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1Fécondation In Vitro

 

Surprises

— Attends, Delphine, jetermine... Voilà. Bébé trente avait réussi à sedébarrasser de ses électrodes. Pour une préma de cet âge-là,elle est d'une vivacité surprenante.

Delphine poussa un long soupir,mais elle s'interrompit lorsqu'elle vit le visage fermé de lapédiatre.

— Je t'appelais pourNoémie. Elle a régurgité le lait de sa maman. Ce ne serait pasgrave si elle était plus âgée, mais là... nous avons à faireface à un autre problème.

Cécile désigna l'emplacementoù Noémie dormait. Delphine était passée devant sans y prêterattention, croyant que c'était bébé trente l'objet de sespréoccupations. Elle se tourna et sentit sa gorge se serrer. Noémieavait été placée en couveuse stérile.

— Elle estimmunodéficiente.

D'instinct, Delphine jeta unœil sur la température de Noémie.

— Merde !

— Tu peux le dire.J'attends les résultats de la prise de sang. Ça va être une coursecontre la montre.

L'infirmière comprit tout desuite qu'elle passerait le reste de la nuit à monter et descendreles étages.

— Je dois réveiller lamaman ? On a besoin de nourrir Noémie.

— Non, j'ai desréserves. Tu vas les lui donner.

— Mais...

— J'ai besoin de toiici, Delphine. Maintenant.

— D'accord.

Delphine récupéra dans letiroir isotherme le colostrum de maman Noémie. Il en restaitlargement assez. Elle plaça à nouveau la sonde et entreprit denourrir Noémie avec délicatesse.

Sa maman était arrivée denulle part : aucun dossier n'était ouvert pour elle àl'hôpital, la majeure partie de sa grossesse s'était déroulée àl'étranger. C'est d'ailleurs pour cette raison que personne n'avaitappelé son bébé par son nom. Bien entendu l'hôpital avait fait lenécessaire lors de son arrivée pour connaître d'elle ce qui étaitutile à l'accouchement. Mais ces informations ne remplaçaient pasle dossier établi au sujet de l'enfant tout au long de la grossesse.Et de ce côté-là, visiblement, les informations étaientlacunaires.

Avec pour résultat que latempérature de Noémie frisait les 39 degrés, et que seule la prisede sang pouvait peut-être en donner l'explication.

Si Noémie acceptait de senourrir du colostrum de sa maman, elle bénéficierait de sesanticorps, qui constituaient sa meilleure arme du moment.

— Elle doit absolumentse nourrir, soupira Delphine.

— Ce ne sera passuffisant. Dès que j'aurai les résultats j'espère pouvoir attaqueraux antibios.

Delphine ne releva pas. Ellesavait bien que les antibiotiques ne pouvaient aider Noémie que dansun nombre limité de cas. Mais le personnel soignant s'interdisaitd'exprimer la moindre pensée pessimiste, surtout en néonatologie.

***

Delphine n'aimait pas du tout la pensée qui venait de lui traverser la tête : au moins Noémie tientMarc à distance.

Comment osait-elle s'autoriser de tels arrangements avec sa conscience ?

Ça ne tourne vraiment pas rond.

Elle releva la tête.

— Nous y sommes. Elle atout avalé.

— Bon, dit la pédiatre.Tu réveilles sa maman si elle monte à quarante, ou si ellerégurgite. Je file au labo.

L'infirmière s'étonna :

— Ils ne peuvent pas tetéléphoner pour ça ? Ou t'apporter les résultats ?

Le médecin répondit d'un tonexaspéré :

— Tu vois les résultatsquelque part ? Tu as entendu le téléphone sonner ?

Delphine ne dit rien. Ellesavait que dans la majorité des cas, le laboratoire faisait vite,mais à tout moment le service des urgences pouvait le solliciter,retardant inévitablement les informations que Cécile attendait.

Et le cas de Noémie étaitvraiment préoccupant.

En vérifiant la couche de lapetite fille – rien à signaler, dommage – Delphine pensa à lamaman de Noémie. Dormait-elle, ou bien n'osait-elle pas fermerl'œil ? Peut-être savait-elle quelque chose ? Un incidentdurant sa grossesse avait-il permis de découvrir un souciparticulier pour son enfant ?

Cécile était un excellentmédecin, mais comme pour nombre d'entre eux, la science avaittoujours la priorité pour aider son combat. Ici, peut-être quemaman Noémie détenait une information qui pourrait écartersa fille du danger qui la menaçait.

Elle saisit le combinétéléphonique et appela le camp de base. C'est Bertrand quirépondit.

— Cécile t'akidnappée ? Elle te garde en néonat toute la nuit ?

— Pas vraiment, non.Elle est partie au labo pour mettre la pression. On a un problèmeavec Noémie, elle a un gros défaut d'immunité, Cécile l'a placéeen couveuse stérile. Il faut réveiller sa maman et lui demander sielle a une quelconque idée...

— Attends, tu veux qu'onréveille la maman pour quoi exactement ? On a son dossier,Cécile peut le consulter depuis la néonat, je ne vois paspourquoi...

— On n'a pu établir quele strict minimum, tu le sais bien.

Elle entendit une voix derrièrecelle de Bertrand.

— Delphine, si tapatiente a quelque chose à dire, on le lui demandera après que laprise de sang ait livré ses infos. Entretemps tu laisses Cécilegérer ça. Et si tu peux rappliquer, ce sera encore mieux.

— Je suis seule ennéonat, Bertrand. Je ne peux quitter ni Noémie ni les autres bébésavant le retour de Cécile.

— Mouais... si tu resteslà-haut, au moins ça t'évitera d'écouter tes messages vocaux surnotre ordi.

Delphine sursauta. Elle avaitoublié de fermer son accès à la messagerie vocale.

— À propos, tu n'asaucun nouveau message. Mais ce n'est pas pour rafraîchir ta page quetu dois rappliquer...

— J'arrive...

— ...c'est parce qu'il ya du boulot ici.

— ...dès que Cécileest là.

— À la bonne heure.

Elle raccrocha. Le téléphonesonna immédiatement.

Le labo.

— Delphine ?Cécile. J'ai les résultats. Je te donne la liste de ce qu'il fautadministrer à Noémie et j'arrive. Démarre, on va devoir segrouiller.

— Je note.

De mauvais frissons vinrentparcourir les bras de Delphine au fur et à mesure qu'elle écrivait.

A la fin de la dictée, elle neput s'empêcher de laisser planer un regard incrédule en directionde la petite couveuse où Noémie tentait de digérer le colostrum desa maman.

Mon Dieu. Cécile veut qu'on tire sur tout ce qui bouge.

***

Cécile apparaissait derrièrela vitre au moment même où Delphine achevait de « charger »la perfusion de Noémie.

— Quelle est satempérature ?

— Stationnaire,s'entendit dire l'infirmière.

Cécile attendit quelquessecondes avant de dire :

— Tu es sûre ?

L'infirmière leva le nez. Latempérature était montée à quarante degrés.

— Merde...

— Delphine, depuiscombien de temps n'as-tu pas regardé l'écran ?

— Depuis le moment oùtu m'as appelée.

— Alors tu vas réveillersa maman. Tout de suite.

Delphine ne voulut même passavoir s'il y avait un quelconque reproche dans le ton utilisé parla pédiatre. Elle sortit immédiatement du service et se rua dans lecouloir.

Elle était sûre d'avoirregardé la température de Noémie juste au moment de luiadministrer les premiers antibiotiques. Cinq minutes s'étaientécoulées, tout au plus.

Elle est passée de 39°4 à 40° en très peu de temps. Pourvu que lesantibios agissent vite.

Elle s'engouffra dansl'ascenseur, et regretta immédiatement son choix : la moindreimmobilité faisait revenir Marc au-devant de la scène.

Pourquoi reviens-tu continuellement ? Tu ne peux pas me laissertranquille ? S'il te plait... j'ai une maman à réveiller, etelle sera « grave inquiète », alors, zut, finis taroute, où qu'elle te mène, mais ne reviens plus.

Elle fit basculer ses penséesvers la maman de Noémie. Il fallait la réveiller, l'informer del'état de sa fille, la rassurer, sans véritable espoir. Elle pritson élan lorsque la porte de l'ascenseur s'ouvrit, et entra encollision avec Henri.

— Où vas-tu ?dit-il.

— Chez maman Noémie.Sa fille...

— Inutile. Je sors de sachambre.

— ...a quarante defièvre, et... tu as dit quoi ?

— J'ai dit que j'ensortais. J'étais près de Bertrand quand tu l'as appelé. Je suisallé trouver ma patiente, qui ne dormait pas, et j'en ai profitépour lui poser quelques questions tout en l'examinant.

Bravo. Et elle ne s'est inquiétée de rien. Et maintenant, à peine troisminutes plus tard, je vais devoir la prévenir de toute façon. Je megarde le mauvais rôle. Super.

— Et ?

— Et rien. Noémie estle produit d'une FIV1pratiquée au Brésil avec un donneur anonyme. Elle a fait un bébétoute seule, entourée de médecins. Rien à signaler tout au long dela grossesse. Elle voyage beaucoup. Elle a eu ses premièrescontractions dans l'avion, on l'a prise en charge dèsl'atterrissage.

— Elle venait duBrésil ?

— Du Maroc. Elle a de lafamille à Rabat.

— Et elle va bien ?

— Pas de température,pas de fatigue excessive, rien qui témoigne d'une quelconqueinfection.

Delphine réfléchit à toutevitesse. Une grossesse sans histoire. Il ne restait que deuxexplications. Soit la déficience de Noémie était d'originegénétique – mais a priori les hôpitaux brésiliens avaient bonneréputation : elle aurait été mise au courant durant sagrossesse – soit Noémie se battait contre un agresseur que samaman avait repoussé sans même s'en rendre compte, depuis quelquesheures seulement.

— Je dois lui parlermaintenant, dit Delphine. Que me conseilles-tu ?

— À toi de voir. Elleest en état de rejoindre sa fille, à condition qu'elle ne quittepas son fauteuil.

— Ce n'était pas maquestion, Henri.

Elle savait pertinemment queles médecins n'avaient pas pour habitude d'interférer avec letravail des infirmières. Il n'allait pas l'aider à « annoncerla chose » à maman Noémie.

— Si tu veux savoir ceque je lui dirais...

Delphine se vexa :

— Laisse, je vais lefaire.

— ...c'est bon, j'y vaisavec toi.

Il tourna les talons et sedirigea vers la chambre. Elle écarquilla les yeux.

Un revers lifté. J'en avais bien besoin. Merci.

— Henri ?

— Oui ?

— Pourquoi fais-tucela ? Tu n'as pas à te préoccuper de Noémie, ni de lamanière dont je dois mettre sa maman au parfum.

— Cela ne t'empêche pasde me demander mon avis.

Touchée.

Delphine trottait derrièreHenri, qui avançait à grands pas. Elle insista :

— Pourquoi, Henri ?

— Parce que je suisinquiet.

— On le serait à moins.Tu devrais voir quel cocktail je lui ai mis dans sa perfusion.

Elle baissa le ton : ilsétaient arrivés.

— Non, Delphine. C'estpour toi que je suis inquiet.

Et il ouvrit la porte de lachambre.

1Fécondation In Vitro

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Il y a des nuits comme ça (6)

Erreurs

Delphine avait quitté la chambre sans rien dire et s'était dirigée vers le camp de base. Elle pestait contre ce père arrogant qui cachait sa peur derrière la protection de sa femme. Mais à sa manière de s'asseoir derrière l'ordinateur, Delphine se rendit vite à l'évidence : sa mauvaise humeur n'était pas due qu'à l'attitude de cet homme.

Elle se rua à nouveau sur la page web de consultation de ses messages vocaux.

Un message de Marc.

La souris émit un cliquetis sec et suffisamment appuyé pour que Bertrand, assis dans un coin, lève la tête.

— Il y a quelque chose qui ne va pas, Delphine ?

— Ce sont les parents de bébé trente. Le père couve la mère et ne s'inquiète même pas pour son enfant. Il a aussi décrété que seul Dieu-Le-Père était autorisé à poser le regard sur le pansement de sa femme et à prendre sa tension. A croire qu'il n'a rien à cirer de la survie de son enfant et qu'il préserve sa génitrice.

Durée du message : une seconde. Merde.

— Ce n'est pas la première fois ni la dernière, Delphine.

— Je sais.

Une seconde. Qu'est-ce que Marc a bien pu me dire en une seconde ?

— Quoi qu'il en soit, dit Bertrand, dès qu'on aura un feu vert de la néonat pour qu'ils montent la voir, tu devras les avertir.

— Et comment ! Ce sera un plaisir de priver ce gars de sommeil.

Tu ne veux pas sortir dix secondes, que j'écoute mon message en paix ? Cet appareil n'a pas d'écouteurs personnels, et je n'ai aucune envie de partager mon message avec qui que ce soit.

— Bon, j'ai des soins à donner dans deux chambres. A plus tard, Delphine.

Alleluia !

— A plus tard, Bertrand.

Une seconde.

L'image sonore du message s'était affichée à l'écran. Delphine jeta un œil autour d'elle : personne n'allait rentrer dans la pièce tout de suite. Elle cliqua sur le bouton « Écouter ».

Il n'y avait que le bruit de fond de la voiture de Marc, lancée à haute vitesse sur l'autoroute.

Salaud.

Elle fit disparaître les programmes qu'elle avait ouverts pour consulter sa messagerie, puis tenta de se concentrer sur les travaux administratifs qu'elle avait laissés en plan.

Marc sait très bien que je ne peux pas répondre au téléphone en pleine garde ! S'il a appelé cela veut dire qu'il voulait me laisser un message. Puis il a changé d'avis. Il n'a aucun courage.

Inutile de résister. Delphine, tout en rangeant ses dossiers, demanda une fois encore à l'ordinateur de rafraîchir la liste des appels entrants sur son portable.

Rien.

Ligne fixe : pas mieux.

Delphine savait qu'elle pouvait envoyer un message texte via le même site Internet. Elle composa :

Tu as quelque chose à me dire ?

Elle appuya sur le bouton « envoyer » au moment où Isabelle entra dans la pièce.

— Henri est de retour en salle d'op avec la maman de Noémie. Il te demande de l'y rejoindre.

Zut ! Les sutures !

— Laquelle ?

— La trois.

— Il doit être furieux.

— Je n'ai pas eu cette impression.

— J'y vais.

Delphine quitta le camp de base et s'engouffra dans le couloir. Alors qu'elle progressait vers la salle d'opération, sa conviction prenait forme : elle allait avoir droit à un savon discret en présence de sa patiente. C'était évident : s'il n'avait pas l'intention de la sermonner, il aurait gardé Isabelle pour l'assister.

Elle pénétra dans la salle. Henri parlait à sa patiente. À l'arrivée de Delphine il leva les yeux et s'interrompit.

— La voici, Madame.

Delphine s'approcha.

— Ma patiente voulait te remercier.

***

Delphine achevait d'installer maman Noémie dans sa chambre. Henri n'était passé en salle d'opération avec elle que pour examiner en détail ses sutures, constater que malgré les saignements elles avaient parfaitement tenu, et lui refaire un pansement « comme il voulait ». En réalité, l'infirmière s'en était bien doutée, il l'avait amenée sur « son territoire » pour donner du poids à ses propos et convaincre maman Noémie de ne plus se relancer dans ses escapades solitaires.

— Je sais que c'était idiot, dit maman Noémie dans un soupir.

— Je vous comprends, madame. Mais en effet ce n'était pas prudent. Il vaut mieux que vous appeliez pour avoir des nouvelles, ou pour rejoindre votre fille dans de meilleures conditions.

L'image de Marc s'invita brusquement dans la conversation. Delphine la chassa d'un revers de manche mental.

— Ça n'a pas l'air d'aller, mademoiselle ?

Marc, pour la dernière fois, fiche le camp. C'est le monde à l'envers à cause de toi, ici !

— Si si, tout va bien. Vous me promettez de vous reposer maintenant ?

— Oui, même si à mon avis je n'arriverai pas à dormir.

— C'est bien normal. Vous avez accumulé beaucoup d'émotions. Peu de mamans dorment durant leur première nuit à l'hôpital.

Maman Noémie ferma les yeux.

— Bon... je vais essayer de me calmer, ce sera déjà ça.

— Je vous laisse. Dès que j'ai des nouvelles de Noémie je vous avertis.

Les yeux toujours fermés, elle répondit :

— Cela ne me donne pas envie de m'endormir, ça.

Pardon ?

Delphine se sentit glisser doucement.

— Je ne comprends pas...

Si, tu comprends, mais tu as le cerveau englué dans tes petits problèmes perso. Il faut te mettre les points sur les « i » ?

— Si tout va bien pour Noémie vous allez me laisser dormir, je suppose. Si vous me réveillez cette nuit, ce sera parce que quelque chose ne tourne pas rond. Et vous voudriez que je m'assoupisse dans ces conditions ?

Petite conne ! Réagis, et vite !

— Dans quelques heures, nouvelles ou non, mes collègues ou moi devrons vous réveiller, ne fût-ce que pour vous examiner. Vous pouvez dormir.

La patiente gardait les yeux fermés. Delphine vit rapidement pourquoi : les larmes débordaient. Elle lui prit la main.

— J'ai peur pour elle.

— C'est bien normal. Essayez de vous détendre.

Mais c'est inutile, petite maman. Tu ne peux rien faire pour Noémie maintenant. Je dois y aller, aussi.

La jeune maman la libéra :

— Ça ira bien. Vous avez certainement du travail.

Elle a lu dans mes pensées ?

— À plus tard.

Delphine sortit en se maudissant de plus belle. Et tandis qu'elle pensait à se reprendre Marc revint à la charge.

Cette fois elle n'eut pas la force de le repousser.

Que me veux-tu encore ? Où es-tu ? Tu roules toujours ? Pourquoi es-tu resté muet tout à l'heure ?

L'image de Marc se superposait à celle du couloir dans lequel Delphine se déplaçait. Elle ne voyait pas vraiment son visage, mais devinait plutôt ses yeux hypnotisés par la route qui défile.

Sois prudent.

Et l'instant d'après :

Va au diable.

— Delphine ?

Elle se retourna : c'était Bertrand.

— Cécile te demande en néonat.

Elle comprit à sa tête qu'il était inutile d'ajouter « c'est urgent ». De toute façon la règle était toujours la même avec la néonatologie : les bonnes nouvelles arrivaient par téléphone, les mauvaises, on devait aller les chercher sur place.

— Qui ?

— Je ne sais pas.

— Décidément, je joue les messagers, cette nuit.

Je ressemble plutôt à une bille de flipper.

Pendant qu'elle montait les escaliers, elle pria pour qu'elle n'ait pas à retourner tout de suite dans la chambre de maman Noémie. Lorsqu'elle s'approcha de la baie vitrée, une idée la traversa.

Tu peux compter sur moi.

C'est bien ce qu'elle avait dit à Maya. Maintenant, il était trop tard pour reculer. La nuit était déjà bien avancée, et Delphine sentait qu'elle penchait du mauvais côté, lentement mais sûrement.

Elle entra. Cécile s'affairait au-dessus de bébé trente. À côté de la couveuse, les paramètres vitaux étaient à zéro.

Faites que je n'aie pas à réveiller ses parents !

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