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Maria Van Rysselberghe (1866-1959)

Je poursuis mon exploration de l'anthologie - parue chez Folio Gallimard - qui reprend maints passages des Cahiers dits "de la Petite Dame".

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Etrange comme j'aime Maria Van Rysselberghe. Elle est belle. Talentueuse. Intelligente.  J'essaie d'imaginer, d'entrevoir les contours de cette personnalité multiple dont je me sens si proche (par certains côtés, restons modeste...). Epouse du peintre gantois, Théo Van Rysselberghe, (1862-1929), modèle du peintre Fernand Khnopff - qui a laissé à la postérité le portrait de la jeune et ravissante Maria Monnom... Elle est la fille d'un éditeur bruxellois ayant édité entre autres la revue "l'Art moderne".

Art moderne, Groupe des XX, Libre Esthétique... Une évolution dans l'art belge du XIXème déclinée en trois termes...

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L'original du tableau est au musée d'Orsay, il vient parfois à Bruxelles pour l'une ou l'autre rétrospective.

J'aimais d'abord ce portrait. Longuement regardé à une expo sur Khnopff aux musées des Beaux-Arts. C'est par d'autres recherches, d'autres lectures, que je suis revenue vers Maria Van Rysselberghe. Je me documentais sur l'amitié entre Gide, Dorothy et Simon Bussy (elle, née Dorothy Strachey, écrivain et traductrice de Gide vers l'anglais, lui, artiste peintre ami de Matisse - habitant La Souco, à Roquebrune-Cap-Martin), et puis, il y avait aussi les liens entre Gide et les Vanden Eeckhout, Le peintre Jean Vanden Eeckhout, dit "Vanden", réfugié en France pendant la guerre 14-18.Leur fille, artiste peintre et pastelliste, connue sous le nom de Zoum Walter, a publié ses mémoires dans un volume intitulé "Pour Sylvie" - sa fille, morte aux alentours de la vingtième année.

Et puis, finalement, il y a entre toutes ces personnes cet homme célèbre qui fait le lien: André Gide. On se trouve devant un vrai puzzle dont il est la pièce-pivot. Gide dont j'ai lu, dévoré "Les faux-monnayeurs", quand j'avais dix-huit ans et qui pourtant est une histoire très dure.

12272781678?profile=original"La lecture" (ou Verhaeren lisant) par Van Rysselberghe (1903)

avec, de gauche à droite:

Félix Le Dantec, le poète Francis Viélé-Griffin, le critique Félix Fénéon, l’écrivain Henri Ghéon, André Gide et Maurice Maeterlinck, et – vu de dos – Emile Verhaeren et le peintre Henri-Edmond Cross

(Se trouve-t-il au musée des Beaux-Arts de Gand ou dans le cabinet de Verhaeren reconstitué à la Bibliothèque Royale, à Bruxelles? C'est ce que j'essaie de vérifier...)

***

Le plus curieux est quand on découvre l'union libre et momentanée entre Gide et la fille du couple Van Rysselberghe, et la venue d'un enfant, Catherine, née en 1923, que Gide a reconnue et adoptée après la mort de son épouse. Au-delà de l'anecdote, cela montre à quel point Maria Van Rysselberghe et sa fille vivaient affranchies du carcan social et moral de cette époque. Tout en observant une grande discrétion. Jamais Maria Van Rysselberghe n'émet de jugement. Elle n'a jamais un mot de blâme. Et son amitié avec André Gide est profonde au point qu'ils habitent tous deux un appartement sur le même palier de la même maison, à Paris, rue Vaneau 1bis, au Vaneau, comme on disait. Et vers 1918, elle entreprend la rédaction des cahiers qui seront un compte-rendu fidèle de la vie de Gide: dans ses rapports avec l'entourage et les amis, sur le plan littéraire et artistique, sur le plan politique aussi (il y a le compte-rendu de ses voyages en URSS), sur leur vie culturelle (ils assistent au renouveau du théâtre Yiddish - malgré un certain anti-sémitisme de Gide, un anti-sémitisme d'époque, hélas, qui s'arrête évidemment en 40-45, devant l'horreur des camps de concentration - enfin, d'extermination)... Et ainsi de suite jusqu'à la mort de Gide, en 51.

Et puis, il y a aussi cet amour qu'elle a nourri pour Verhaeren. Quand j'étais élève en première année de peinture, j'avais un professeur de peinture extrêmement calé en histoire de l'art. Aller au musée avec lui, ou dans une expo (comme Van Rysselberghe à Bruxelles ou Bonnard à Paris), c'était une vraie fête. Nous avions discuté de cette relation entre le poète et la femme du peintre et il m'avait conseillé de lire le récit "Il y a quarante ans". C'est très beau. Cela décrit un été à la mer, en Belgique, dans une fermette flamande, et une communion spirituelle et passionnée entre Verhaeren et Maria Van Rysselberghe d'où toute équivoque est très vite balayée. Là aussi, elle a attendu la mort de Marthe Verhaeren (son mari lui, est mort en 1929) pour publier ce petit récit et quelques annexes critiques.

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Voilà une femme - dans un monde exclusivement d'hommes, dominé, fait par et pour les hommes, le monde littéraire et artistique à cette époque -et en Belgique- ne fait certes pas la part belle aux femmes... Mais voilà qu'en dépit des obstacles, elle oeuvre dans l'ombre, et fait oeuvre de critique et de mémorialiste infiniment précieuse. Elle est encouragée - dans une certaine mesure- par Gide, plus qu'il n'a encouragé Dorothy Bussy, laissant ainsi passer la chance (pour les éditions Gallimard) d'éditer son unique roman, "Olivia. Par Olivia". Pour cet écrivain, c'est la Hogarth Press (en Angleterre) et Stock, à Paris, pour la version en français, qui "emporteront le morceau".

C'est toute une époque qui nous est ainsi restituée, et des célébrités - dans toute leur épaisseur vivante, loin des pages d'anthologie scolaire - qui nous deviennent étonnamment familières, et par là, plus humaines...

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Maria et Elisabeth Van Rysselberghe, par Théo Van Rysselberghe.

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Commentaires

  • Merci à vous - d'avoir lu cet article qui m'a demandé du temps, autant de temps d'écriture que de maturation... Et pour cet éloge. Et je voudrais tellement développer quelques points: l'habitude de lire des textes à voix haute, dans ce cénacle - ce que Yourcenar en dit, a contrario, mais ce que Dorothy Bussy en dit dans son roman, où elle décrit une lecture à voix haute d'Andromaque...

    Et certains passages de "Pour Sylvie", sur le microcosme artistique de la rue de l'Abbaye (où se trouve toujours le musée Constantin-Meunier) et sur ce qui l'a attirée en premier lieu -autant que les peintures- dans la peinture et les ateliers: le parfum d'huile de lin, de toile et de céruse...

  • Passionnant ! Merci de faire vivre toute cette culture et d'éclaire cette époque.

  • Je le savais bien que vous étiez faite pour faire de tels billets. Nous apprendrons toujours avec vous. C'est un peu la raison pour laquelle je vous ai  relancée. Vos billets "pivoine blanche" portaient la même empreinte d'une femme qui a été nourrie au suc profond de notre culture, qui l'a vécue intensément et qui nous livre notre propre mémoire  avec la plus plaisante aisance.  

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