Jaccottet se promène au lieu-dit l’Etang. D’ordinaire, il y fait très sec ; seuls un ou deux saules, quelques roseaux y survivent, opiniâtres, en mémoire de l’eau. Cette année-là, pourtant de longues pluies, en peu de jours, ont refait un étang. Le poète est tout surpris de découvrir là cette surface d’eau que le vend ride et sur l’autre rive, au pied d’une barrière de roseaux, une ligne blanche, l’écume en quoi se change, s’épanouit l’eau contre ...un obstacle.
Cette émotion, cet ébranlement sont le signe d’une « autre inscription fugitive sur la page de la terre » qu’il faut saisir. Jaccottet s’y essaye, nous entraîne à sa suite : il tâtonne, trébuche, accueillant les images, pour les écarter ensuite, cherchant à dépouiller le signe de tout ce qui ne serait pas rigoureusement intérieur ».
De ce beau texte qui nous ouvre l’atelier du poète, monte une question : qu’est-ce que la poésie ? A quelle opération sacrée se livre donc le poète ?
Comme l’explique Claudel, notre esprit produit par éclair et secousses, une masse disjointe d’idées, d’images, de souvenir : c’est là que gît la matière première du poème : « le vers essentiel et primordial, l’élément premier du langage, antérieur aux mots eux-mêmes : une idée séparée par du blanc. Avant le mot, une certaine intensité, qualité et proportion de tension spirituelle ». Chacun abrite en soi ce précieux gisement mais seul le poète a le secret de ce suspens du temps lorsqu’ au hasard de ses pas, surgit « la sollicitation d’une forme ».
Cette forme qui, peut-être, est de la vie spiritualisée : celle que traque un compositeur comme Webern dont Boulez rapporte qu’il vouait une véritable profession de foi envers l’ouvrage botanique de Goethe « La métamorphose des plantes ». Il estimait que rien mieux que les plantes et les arbres n’illustre cette loi : « vivre, c’est défendre une forme ». Chez Webern, cette forme se dégage en une musique dépouillée de toute image ou séduction mais riche de prolongements infinis. Une démarche qui rejoint chez Jaccottet, « ce rêve d’écrire un poème qui serait aussi cristallin et aussi vivant qu’une œuvre musicale, enchantement pur, mais non froid ». Une poésie musicale faite d’harmoniques et d’accords de timbre qui dessine toute en modulations, sa vision du monde.