DANS LES SPHÈRES DU DÉSIR : L’ŒUVRE DE CAROLINE DANOIS
Du 08-10 au 31-10-21, l’ESPACE ART GALLERY (Rue de Laeken 83, 1000 Bruxelles) vous convie à une exposition consacrée à l’artiste belge, Madame CAROLINE DANOIS, intitulée : KISS ME, SI JE VEUX.
L’on remarque, dès la première approche avec son œuvre, que CAROLINE DANOIS se situe entre plusieurs cultures. Plusieurs cultures est synonyme de d’un ensemble de discours esthétiques aux racines multiples. D’origine vietnamienne, élevée en Occident, ayant beaucoup voyagé, sa peinture témoigne d’influences culturelles diverses et importantes. Cela se remarque, notamment, dans l’attitude culturelle de certains de ses personnages, particulièrement en ce qui concerne le langage amoureux dont nous parlerons plus loin. Toujours est-il que ses personnages sont, d’un point de vue physique, de conception orientale. Ceci précisé, ne perdons pas de vue la thématique principale de cette exposition, à savoir le discours, à la fois, sur le désir et sur l’art d’aimer. Néanmoins, le désir est ici pris sous l’angle du désir de l’Homme pour la Femme. Le titre de l’exposition est très explicite sur la philosophie du discours de l’artiste : il s’agit d’une approche amoureuse et sensuelle du masculin vers le féminin, laquelle ne pourra, en définitive n’avoir lieu, uniquement que si le Femme le consent, permettant ainsi à la fusion spirituelle et charnelle de s’accomplir pleinement. Et cela devient l’ordre d’entrée des manifestations amoureuses : le spirituel précède le charnel lesquels devront conduire à l’étreinte épanouie. D’un point de vue chromatique, chaque scène érotique s’inscrits sur deux plans de couleur différente, toujours tendre, créant une belle harmonie : même DANS LES BRAS DE MORPHÉE (que nous évoquerons plus loin), répond à cette esthétique car le contraste saisissant entre les couleurs rouge et blanc, ne perturbe nullement le regard.
TEMARI KISS (huile sur toile-huile sur toile)
L’attitude amoureuse des personnages dérive directement de l’art érotique japonais que l’on retrouve dans les Shungas de la fin du 17ème siècle, jusqu’au milieu du 19ème siècle (bien que les Shungas soient, dans l’ensemble, plus « osées » par rapport aux œuvres de l’artiste). Cette œuvre présente, en l’occurrence, un baiser langoureux conçu dans le cérémonial de sa pose sur la bouche de l’autre ainsi que dans l’attitude physique qui prélude à l’étreinte. Dans l’art érotique japonais, les bouches de l’Homme et de la Femme s’alignent sur le même plan.
Ici, l’on constate un léger déphasage dans l’alignement des personnages, ce qui a pour résultat que le visage de l’Homme étant plus décalé par rapport à celui de la Femme, sa bouche s’imprime en superposition sur la sienne. La tête de la femme ainsi que les épaules, les mains et le pied (à peine esquissé) contrastent avec le vert de la robe et le pantalon gris à fleurs noires et rouges. Cela est dû au fait (devenu une constante dans l’œuvre de l’artiste) que les corps sont d’une blancheur immaculée. Ce qui a pour effet de les envisager dans une sorte d’évanescence charnelle.
La tête, les mains et le pied de l’homme contrastent harmonieusement avec le vert de la chemise ainsi qu’avec le bandeau qu’il porte sur la tête. La boule de laine qu’il tient dans la main (le temari) est utilisée dans un jeu faisant partie de la tradition thaïlandaise.
Notons que c’est également le vert qui domine l’ensemble chromatique. On le retrouve, notamment, à l’avant-plan largement dominé par le bleu-foncé ainsi que dans l’arrière-plan conçu en vert-clair. Les fleurs, sur le pantalon de l’homme attirent le regard, amplifiant l’intensité de la scène.
FIN DE JOURNÉE (100 x 50 cm-huile sur toile)
Même si, dans l’œuvre précédente, l’homme est en léger décalage face à la femme, force est de constater, après lecture de l’image, qu’elle occupe une position légèrement dominante sur l’Homme, en ce sens qu’elle le dépasse en hauteur de quelques centimètres. FIN DE JOURNÉE nous donne une image, non pas de domination mais presque de « protection » vis-à-vis de l’Homme. Par sa façon d’être penchée sur lui, la femme donne le sentiment de le « couver » amoureusement. Néanmoins, elle se trouve physiquement sur lui. Ce qui, dans l’art érotique japonais duquel ces œuvres dérivent, est parfaitement impensable. L’Homme a toujours le « dessus » sur la Femme. Inutile d’insister sur le fait que cette chorégraphie sexuelle a été usitée par l’artiste précisément pour « contrebalancer » cet état de choses.
KISS ME, SI JE VEUX (100 x 70 cm-huile sur toile)
Cette œuvre reprend le titre-même de l’exposition, laquelle est centrée sur la tempérance entre les désirs des deux sexes. Nous sommes ici dans un moment d’incertitude. Va-t-elle se donner à ces hommes? Va-t-elle se refuser à eux? Son corps, immaculé, semble vouloir se donner par l’image de ce soutien-gorge en forme de papillon rouge (couleur à la symbolique érotique de surcroît), lequel ne tient qu’à un fil. Les baiser n’existe, à la fois, que dans l’attente de sa matérialisation ainsi que dans le contact charnel entre la bouche du personnage masculin (en bas à droite) qui embrasse goulument les doigts de la femme. Le cadrage de cette œuvre a été longuement pensé. Il se décline en trois étapes : deux étapes régies par le noir. Un premier carré -noir - sur le périmètre de la toile (extérieur). Ensuite, en partant du bas, un deuxième carré également noir, enserrant le buste ainsi que les jambes du couple, jusqu’au personnage (conçu à moitié corps), embrassant les doigts de la Femme. Le deuxième carré (également noir) s’élance jusqu’aux épaules de la Femme – à l’intérieur. Et ce n’est qu’à partir des épaules de celle-ci que se conçoit la troisième étape dans un troisième carré - couleur or – encadrant les personnages masculin et féminin, dans la partie supérieure de la toile. Il s’agit d’un cadrage intérieur « ouvert », en ce sens qu’il permet simultanément à la main du personnage féminin ainsi qu’au coude du personnage masculin du bas, à droite de la toile, de sortir su cadre. Ce qui permet à l’œuvre de s’amplifier dans un élan d’élasticité. Comme pour l’ensemble de l’œuvre de l’artiste, le jeu des mains constitue un véritable dialogue gestuel : il souligne l’abandon dans les bras baissés de la femme offrant sa main à la bouche du personnage du bas, à droite qui l’embrasse. Mais il indique également la possession dans le geste de l’homme serrant passionnément la taille de la femme. De même que pour TEMARI KISS (mentionné plus haut), un léger déphasage s’opère dans la position des visages de l’homme et de la femme, en ce sens que celui de l’homme est en retrait par rapport à celui de la femme.
FIN DE JOURNÉE (cité plus haut)
L’œuvre reprend la même thématique amoureuse. Comme nous l’évoquions précédemment, le jeu des mains (et des pieds dans ce cas-ci) est capital. Mais ici, nous assistons à une sorte de danse « statique », tellement le jeu des membres est agité, à l’intérieur d’une lenteur rituelle. Les mains s’inscrivent dans un fabuleux enchevêtrement des formes. A’ tel point qu’il permet toutes les audaces : remarquez la torsion extrêmement allongée du bras gauche du personnage masculin entourant la femme et ressortant de la gauche de celle-ci. Cette audace, nous retrouverons dans l’œuvre suivante. L’Art permet de transcender la réalité dans l’audace d’une licence artistique. Car dans la réalité, cette extension du bras est physiquement impossible.
Le dialogue des corps se forme dans une danse lente au cours de laquelle le corps de la femme se « glisse » littéralement entre les jambes de l’homme.
Dès lors, par rapport à l’art érotique de culture japonaise, duquel l’artiste s’inspire, les « règles » sont inversées, en ce sens que dans la tradition érotique japonaise, l’homme, de par sa position physique dans l’espace, « domine » la femme, en se plaçant sur elle. Dans cette œuvre, le désir fougueux de l’homme est atténué par la tendresse. Dès lors, cette posture de la femme, embrasse la dialectique qui anime le discours pictural de l’artiste, selon lequel c’est la femme qui a le dernier mot. Par sa posture, elle indique son consentement à la fusion physique, assurant ainsi l’harmonie charnelle.
BAISER DE MORPHÉE (100 x 100 cm-huile sur toile)
Situé entre de deux plans par rapport à un chromatisme opposé formé de blanc (vers le bas) et de rouge (vers le haut), le couple s’enlace.
Nous assistons à un splendide jeu de contrastes. Le blanc immaculé de la femme fait de sorte que de par sa blancheur, elle émerge de l’avant-plan, également blanc.
Tandis que l’homme, dans un souci de contrepoint pictural, est revêtu d’un manteau à fleurs de couleur verte. Sa décoration est constituée de quatre notes harmonieuses, à savoir le blanc, le jaune, le bleu et le noir. Une légère note bleu-pâle parsème le bras gauche de la femme et se termine dans sa main. Le jeu des mains est d’ailleurs très intéressant. L’artiste nous démontre par un tour de force qu’en Art, TOUT est possible! Observez la main de l’homme enlaçant la femme, conçue en plan : on la voit dépassant le torse de la femme. Il s’agit toujours d’une licence picturale que l’artiste se permet. Elle consiste à (dé)montrer que l’Art dépasse la réalité, en ce sens que cette extension du bras de l’homme enlaçant la femme est, dans la réalité, tout à fait irréalisable, le bras de l’homme étant trop court pour y arriver. Ce n’est que par une cassure de rythme que l’artiste nous fait croire à l’impossible : le bras, occulté par le corps de la femme, fait apparaître de derrière son dos, une main massive, comme par enchantement. La main de la femme, elle, venant par en-dessous, saisit doucement l’homme par l’épaule. Pour la première fois, concernant les œuvres présentes dans l’exposition, la femme, à l’instar de l’homme, est chauve.
L’artiste renoue, une nouvelle fois, avec la tradition bouddhiste, en ce sens que les cheveux sont considérés comme une perruque. Dès lors, leur rasage constitue une étape vers la simplicité, non dépourvue de sensualité.
La femme porte sur son front un symbole dont le dessin est inspiré de l’art traditionnel thaïlandais. L’homme est graphiquement affirmé dans le champ visuel par un trait noir, autant appuyé que discret, sur les contours de son vêtement au chromatisme prononcé, le séparant à la fois de son propre visage d’un blanc immaculé ainsi que de la femme. Par contre, aucun trait noir ne délimite le corps de celle-ci face à l’arrière-plan de couleur rouge, devenant ainsi évanescente par rapport à l’homme. Il s’agit, à l’instar de l’ensemble de l’œuvre de l’artiste, d’une vision mystique du désir. Une vision partant d’une ritualisation scénique de préliminaires érotiques conduisant à l’extase du rapport charnel. Ne perdons jamais de vue qu’il s’agit, selon l’artiste, d’un acte-pacte lequel ne peut être approuvé que par la Femme.
FÉLINE (38 x 30 cm-huile sur toile)
Cette toile est la synthèse d’une typologie de regards englobant délicatesse et désir. Mais ici, un stade supplémentaire a été franchi dans l’image de la séduction. De plus, on la retrouve sur le visage des deux personnages. Le visage de l’homme, posé sur les reins de la femme, semble l’ausculter comme l’on écoute les vibrations de la terre. Cette œuvre est un triptyque reprenant le corps de la femme exposé sur les trois parties de la toile. Celle-ci offre une série chromatique basée sur trois couleurs : le blanc (pour le corps de la femme et le visage de l’homme), le bleu clair (pour le vêtement de l’homme) et le vert de l’arrière-plan.
LE DIALOGUE DES VISAGES ET DES MAINS
Les visages, issus comme nous l’avons précisé, de la tradition picturale japonaise, dérivant de l’art érotique, parcourent l’œuvre de l’artiste. Ils ont pour fonction d’instaurer un dialogue amoureux et s’ils se font face, c’est pour délimiter le champ de leur désir. Car tout, dans leur nature, est une question d’impulsion directionnelle. Les visages, d’un blanc immaculé à l’instar des corps, souvent penchés et plongés dans la plus sainte douceur, conduisent vers le corps de l’autre par l’intermédiaire du regard qui semble être « à l’écoute ». Les mains, elles, assurent une continuité dans les liens entre les personnages. Elles vivent, comme dans les danses thaïlandaises, en scandant le rythme.
LE DIALOGUE DES VÊTEMENTS
Les vêtements des personnages sont, en réalité, des costumes de scène. Car nous sommes ici dans un vaste théâtre, celui du désir. Notre désir. Car ce sont les costumes qui habillent et dénudent simultanément les personnages, en ce sens qu’aucun d’entre eux n’emprisonne les corps mais le libère en laissant transparaître la blancheur essentielle à son Etre. De plus, ils sont, dans une large mesure, amples, permettant aux membres de s’étirer à souhait.
Ce qui accentue le sentiment de liberté qui anime l’œuvre de l’artiste. Ils sont animés par le contraste, à la fois, pictural et symbolique, qu’ils entretiennent autant entre eux ainsi qu’avec la blancheur des chairs. Il y a, en plus d’une mise en scène de l’esthétique, un érotisme du costume dans sa dimension symbolique. Cette dimension symbolique se retrouve, notamment, dans la façon dont l’artiste « enveloppe » l’homme, blotti entre les bras de la femme, dans MORPHÉE. Porte-t-il un vêtement ou est-il enroulé dans une couverture le maintenant bien au chaud, au sein d’une chaleur à la saveur presque maternelle? Les costumes sont également l’instrument instaurant le lien affectif avec les différentes cultures dans lesquelles l’artiste a évolué : l’Orient et l’Occident se retrouvent, faisant partie d’un TOUT. Ils habillent geishas et notables mais aussi Vierges de tradition européenne. Ils évoluent au rythme des courbes enrobant les personnages dans le chemin de cette mystique sensuelle.
LES TROIS « MADONNES »
C’est par cette appellation que l’artiste les nomme après que nous lui ayons fait remarquer la ressemblance stylistique de l’une d’entre elles avec le thème de la « Vierge à l’Enfant » dans la peinture de la Renaissance italienne.
ADOPTED (70 x 60 cm-huile sur toile)
Tout comme les deux autres, cette œuvre témoigne d’une influence européenne. Comment séparer le symbolisme d’une telle scène d’avec une Vierge à l’Enfant de la Renaissance italienne? L’enfant, placé à la gauche de la mère, est entouré d’une aura rappelant l’auréole chrétienne. La position du visage de la femme, elle-même entourée d’une aura dorée, regarde au loin. Celui de l’enfant regarde vers sa mère. Elle porte une coiffe sortie de l’imagination de l’artiste, néanmoins fort proche de certaines coiffes féminines de la Renaissance italienne.
L’arrière-plan est divisé en une zone dorée incluant une deuxième zone bleue, elle-même incluant la coiffe de la femme. A’ l’instar de KISS ME, SI JE VEUX (mentionné plus haut), le cadre est « ouvert », permettant au bras droit de la femme de s’exposer brièvement vers un extérieur fictif. Le jeu des mains entre la mère et l’enfant témoigne d’une infinie douceur. Insistons, néanmoins, sur le fait que pour l’artiste, aucune inspiration strictement « religieuse » n’est à rechercher dans ce tableau. Il s’agit d’une œuvre de plénitude totale. Œuvre « autobiographique » ? En un certain sens si l’on tient compte que l’artiste, d’origine vietnamienne, a été elle-même adoptée. Cette œuvre est, en fait, une réminiscence d’un épisode majeur de sa vie.
PETITE MARIE : LA JEUNESSE DE MARIE ON N’EN PARLE PAS (70 x 60 cm-huile sur toile)
Nous sommes face à une œuvre à l’atmosphère festive et désinvolte. Remarquons que cette fois, le nom de « Marie » est prononcé. Il n’y a donc aucune ambigüité sur le propos. A’ la question : «s’agit-il d’un même et unique personnage féminin représenté deux fois, à deux moments différents de son existence? », l’artiste répond : « pourquoi pas? ». La question reste ouverte. Il s’agit surtout de représenter une fillette qui se penche, au de-là du cadre, conçu comme une fenêtre ouverte sur le Monde. Sa mère la retient doucement, en la mettant gentiment en garde d’un geste contrôlé de la main. Cette main, comprise entre celles de la fillette, forme une entité directrice car on peut y voir la volonté d’une diagonale (à peine perceptible) accompagnant, de façon rythmique, la posture penchée vers la fenêtre de la jeune fille. Remarquez la présence de la coiffe sur la tête de la mère ainsi qu’une copie de celle-ci, conçue de façon géométrique (un rien plus rude) portée par la fillette.
BB NELSON. LE GRAND AVENIR DE NELSON M. (70 x 60 cm-huile sur toile)
« Nelson M. » est, en fait, Nelson Mandela. Retenons la remarque de l’artiste à propos de cette toile : « Le comble, pour Nelson Mandela, s’il avait eu une maman « européenne »…..aurait-il entrepris la même bataille pour le respect des Noirs? » On peut se le demander. Et, tout en se le demandant, l’on peut remarquer que l’enfant n’est plus « blanc », selon les conventions occidentales de l’art sacré mais bien « noir ». Le jeu des mains de l’enfant dont l’une saisit le sein de sa mère est très émouvant. Notons, concernant ces trois tableaux, la conception du cadre, extrêmement fleuri dont le décor rappelle l’esprit « art déco » que l’on trouve sur les vêtements des personnages.
READ MY LIPS (150 x 100 cm-huile sur toile)
Nous sommes en présence d’un diptyque dont la dominante chromatique est vert. Le visage humain se limite aux narines et aux lèvres, rendues charnues par l’artiste.
L’on a le sentiment de se trouver face au totem de quelque société traditionnelle, tellement l’atmosphère qui s’en dégage traduit la pensée « primitive ».
Des motifs végétaux, dérivés de la tradition thaïlandaise, ornent les coins supérieurs ainsi que le bas du visage. Une série d’autres motifs agrémentent le haut et le bas de la composition. Ce sont principalement des bandes horizontales et verticales garnies de motifs géométriques. La bande centrale verticale du bas nous revoie à la dialectique principale de l’œuvre dans la conception de quatre visages antagonistes, l’un présentant un faciès de couleur rouge faisant face à une figure de couleur noire, de profil, sur fond vert (en haut). Ils sont prolongés, en bas, par le même schéma sur fond noir, présentant un visage de couleur verte face à un visage de couleur jaune (tous deux en silhouette). Qu’il soit positif ou négatif, le motif antagonique, symbolise en Histoire de l’art, l’émergence d’un rapport. Par conséquent d’un échange. Mais que vient faire ce bambou, posé horizontalement, entre les deux panneaux du diptyque? Nous remarquons qu’il « coupe » littéralement le visage en deux, à hauteur des lèvres, rendues pour l’occasion, extrêmement charnues. La tige de bambou « bloque » pour ainsi dire la parole, en fendant le visage. En le fendant, il exprime l’impossibilité du personnage d’exister. Le traitement chromatique du visage ne déroge pas de la façon dont l’artiste peint les chairs du corps humain : il est blanc, presque translucide.
ANALYSE DES DESSINS PRÉPARATOIRES
Celles ou ceux qui n’ont jamais vu les dessins préparatoires de Michel-Ange ne peuvent comprendre leur importance dans la réalisation picturale. Il y a les ajouts et il y a les manques. Les indications techniques qui révèlent, in fine, les allongements et les raccourcis, conduisant aux motivations psychologiques de l’artiste. L’intimité du chef-d’œuvre dévoilée.
CAROLINE DANOIS éveille par ses dessins préparatoires, le même sentiment de curiosité face à la complexité de certaines de ses œuvres.
PETITE MARIE
La conception spatiale ne varie pas par rapport au résultat pictural. Le jeu des mains, formant une diagonale (à peine perceptible) est néanmoins présent. Il assure l’inclinaison amorcée par la position de la jeune fille. Les deux personnages portent la même coiffe. Celle-ci structure la gestion de l’espace sur les trois-quarts de la toile. Les vêtements sont laissés vides de motifs ornementaux.
BB NELSON
Dans le résultat final, les mains de l’enfant tâtent la mère. Elles sont parfaitement positionnées sur le sein gauche de la mère (droit par rapport au visiteur). Dans le dessin, le tâtonnement est très incertain. Les mains de l’enfant semblent presque trouver leur chemin avec difficulté.
ADOPTED
Le jeu des mains semble tout aussi incertain, en ce sens que celles de l’enfant ne sont pas « traversées » par les mains de sa mère. En fait, elles se touchent. Les regards ont été modifiés. Les deux personnages se regardent. Tandis que dans le rendu pictural, celui de la mère fixe le lointain. La conception du cadre est intéressante, en ce sens que la bordure est parsemée de toutes petites fleurs. Dans la toile, il est polychromé (bleu-chromatisme dominant-brun et rouge).
READ MY LIPS
Le dessin préparatoire va droit au but! Il s’agit d’aller à l’essentiel. L’œuvre s’inscrit, non pas sur un diptyque mais bien sur une entité, malgré le bambou traversant la bouche. Le visage n’a pas encore été scindé. Deux zones bi-chromées (jaune sur la gauche, rouge sur la droite) séparent le bas du visage. Un anneau est accroché à la narine droite (gauche par rapport au visiteur) du personnage. Ce détail est absent dans le rendu pictural. Le bambou, traversant la bouche est prolongé vers les limites du cadre. La dimension « totémique » évoquée plus haut, n’est en rien envisagée dans l’esquisse. Tout s’est accompli lors de la création.
FIN DE JOURNÉE
Ce dessin est, sans doute, le seul qui « colle » le mieux au rendu pictural. Le couple occupe la zone gauche de l’espace. Le jeu des mains ne diffère nullement de celui de la toile. Il en va de même pour le jeu des pieds. La femme se glisse, à l’instar du rendu final, entre les jambes de l’homme. Comme dans la toile, le couple est laissé entre deux espaces chromatiques (non encore précisés par la couleur), fixant l’avant et l’arrière-plan.
Née à Saïgon, adoptée dès l’enfance par une famille belge, citoyenne du Monde par conviction, elle est issue de plusieurs cultures. CAROLINE DANOIS a passé son enfance à New-York et a fait ses études à l’Ecole Internationale de Bangkok.
Elle a, par la suite, entrepris ses études artistiques à l’Université des Beaux Arts de Silapakorn, en Thaïlande où elle a étudié l’art traditionnel thaïlandais ainsi que le graphisme.
Elle a d’ailleurs enseigné cette matière à la Faculté des Lettres en Côte d’Ivoire. Elle est titulaire d’un Master en Thérapie de Famille et Sexualité.
CAROLINE DANOIS peint à l’huile. Sa peinture, faite d’une matière délicatement étalée sur la toile, est lisse. Cette artiste est riche d’un enseignement traditionnel qu’elle conjugue avec une esthétique résolument contemporaine. Sa peinture peut être qualifiée de « distinguée », à la fois dans le sens premier du terme mais aussi parce que tout se distingue dans l’espace pictural qu’elle parcourt. Rien n’est surchargé. Aucune lourdeur ne vient perturber cette douce harmonie faite de rites et de couleurs. Indépendamment de son univers féerique, son œuvre est avant tout militante, nourrie d’un féminisme lumineux et progressiste. Un humanisme centré sur l’équilibre naturel entre l’Homme et la Femme, blottis à l’unisson du désir.
François L. Speranza.
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Arts Lettres
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Robert Paul, éditeur responsable
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Focus sur les précieux billets d'Art de François Speranza
L'artiste CAROLINE DANOIS et François Speranza : interview et prise de notes sur le déjà réputé carnet de notes Moleskine du critique d'art dans la tradition des avant-gardes artistiques et littéraires au cours des deux derniers siècles