RENCONTRE : JOSÉ DUCHANT (Texte publié dans Bruxelles Culture / novembre 2025)
Il faut le voir subtiliser des montres et des portefeuilles, défaire des cravates et des bretelles ou vider des poches avec une incroyable dextérité, à l’insu de leur propriétaire, pour y croire. Avec des acclamations un peu partout dans le monde et plus de six cents passages dans des émissions de télévision, le Ucclois José Duchant reste un phénomène dans l’univers du show-business.
Vous êtes réputé pour avoir les mains baladeuses. Concrètement, de quoi s’agit-il ?
On me surnomme le roi des pickpockets. Tout un art qui consiste à délester autrui du contenu de ses poches. J’en ai fait une discipline scénique.
Qu’est-ce qu’un pickpocket professionnel ?
Tout simplement quelqu’un qui vit de cette technique. Depuis l’âge de la pierre, certains ont développé de la dextérité pour acquérir le bien d’un tiers sans violence, avec psychologie, par rapidité et par habileté digitale. Au Moyen-âge, on les appelait les trousse-gousset. Le mot allemand taschendieb exprime parfaitement de quoi il s’agit. En l’occurrence : le voleur de poche ! Devenir un bon pickpocket exige un long apprentissage. Généralement, il fractionne son mode opératoire. La première étape consiste à repérer une victime potentielle. Cela implique un temps d’observation. Ensuite, il faut la tester en la bousculant sans violence ou en lui portant un coup léger, question de voir ses réactions. Si le sujet demeure amorphe ou presque, il devient parfait pour la phase de substitution. Souvent, les pickpockets travaillent avec un ou plusieurs comparses. L’objet dérobé passe alors de main en main, de manière à ce que le chapardeur ne se trouve jamais en possession de celui-ci. Naturellement, lorsqu’on n’opère pas seul, il faut partager le butin.
Quelle est votre formation ?
Je suis un pur autodidacte. Il n’existe pas d’école pour devenir pickpocket. Néanmoins, les techniques s’apprennent au sein de groupes mafieux dans le but de former des individus au vol. On peut voir des gamins à l’œuvre dans le film Oliver Twist. Il est assurément question de fiction, mais la reconstitution est assez réaliste. Il faut savoir que le pickpocket des pays de l’Est n’est pas celui du Maghreb. Pour ma part, je me suis formé sur le tas. Lorsque j’étais tout jeune, j’ai été humilié par des camarades de classe qui trichaient honteusement aux billes. Comme ils étaient beaucoup plus costauds que moi, l’affrontement physique aurait été suicidaire. Je me suis donc entraîné pour récupérer ce qui m’avait été injustement confisqué. Peu à peu, j’ai acquis de la vélocité et j’ai repris ce qui m’appartenait. Pas toujours avec succès, mais en m’améliorant chaque jour. Voilà comment naît, non pas une vocation, mais un certain savoir-faire !
A quoi doit-on s’attendre lorsqu’on vient vous voir en spectacle ?
Sans surprise, le ton est donné dès le départ. Le public sait à quoi s’en tenir lorsqu’il achète un ticket pour venir voir un pickpocket. Je fais toujours monter des gens sur scène et ils pensent que je ne les aurai pas. Ils gardent parfois une main sur le portefeuille ou la montre, bien décidés à se montrer plus malins que moi. En fin de compte, j’arrive toujours à leur subtiliser quelque chose en un clin d’œil. Généralement, l’improvisation est totale, car tout dépend de la personne. On ne dérobe pas un objet chez un chatouilleux comme chez un sanguin.
Combien êtes-vous dans la profession ?
Une poignée. Il ne s’agit pas d’une discipline très courue dans le monde du show-business et rares sont ceux qui s’y engagent. Soit, ils ne possèdent pas les capacités requises. Soit, ils n’y songent pas. Je suis même persuadé que la majorité de vos lecteurs ignore que des artistes sont payés pour faire ce boulot et amuser la galerie !
Pourquoi êtes-vous passé professionnel ?
Fort jeune, la magie me passionnait et je me suis mis à aller voir les artistes du cirque et ceux qui se produisaient sur la foire du Midi. Du haut de mes huit ans, je cherchais à deviner le truc qui permettait de créer l’illusion. J’ai progressivement monté des petits numéros et je me produisais devant des amis ou lors de fêtes scolaires. Au moment de devoir gagner ma vie, j’ai couru les cabarets et les salles diverses avec mon matériel de prestidigitateur. Un soir, Georges Mony, directeur du Vaudeville, m’a attrapé dans les coulisses et m’a intimé d’imaginer des interventions comme pickpocket. Il avait entendu parler de moi par d’autres artistes à qui je chipais plusieurs objets pour rire entre deux tableaux. C’était changer de numéro ou être viré. Je me suis donc appliqué à concocter vingt minutes de prestation pour répondre à cette injonction Le succès a été rapide. Voilà comment tout a débuté !
Votre réputation est internationale. Quel pays vous a laissé le meilleur souvenir ?
Les Etats-Unis sont le summum de la réussite pour un artiste européen. J’ai été ébloui par les fastes de Las Vegas, une ville qui ne dort jamais. Elle est peuplée de souvenirs mythiques et du nom des stars qui y sont venues. Toutefois, je reste extrêmement attaché à la Belgique. Je suis né dans la capitale et je ne peux pas m’empêcher de vibrer pour ses quartiers populaires et sa diversité. Je suis de ceux qui tiennent à leurs racines. J’ai refusé la nationalité américaine, car je m’accroche trop à mes origines. Elles font ce que je suis. Les renier serait me renier moi-même.
Quel type d’objet ne subtilisez-vous jamais ?
Je n’ai aucune limite. Tout est bon à prendre pour que le show soit total. Comme je ne sais jamais à l’avance ce que je vais trouver dans une poche, je puise à fond. Montre, portefeuille, documents éclectiques … rien ne me résiste ! Avec le temps, j’ai appris à anticiper. Je me suis même fabriqué un crochet pour défaire les poches éventuellement cousues. Sur les planches, on n’a pas droit à l’erreur. Il faut y aller franco !
Parallèlement, vous consacrez une partie de votre temps à effectuer des conférences sur le sujet auprès des polices belges, françaises, suisses, allemandes, etc. En quoi consistent-elles ?
Il s’agit d’expliquer, démonstrations à l’appui, les techniques employées par les pickpockets. Les policiers ne sont généralement pas formés pour lutter contre ce type de criminalité. Il est essentiel de prendre le fautif sur le fait, la main dans la poche d’un tiers ou avec l’objet du délit dans la sienne. Autrement, il pourra toujours clamer qu’il n’a rien fait ou que l’objet est tombé du sac de la victime.
Vous êtes également passionné par l’univers de la parapsychologie. D’où vient cet engouement ?
Tout jeune, je pensais que la magie existait réellement. J’ai ensuite été fortement déçu lorsque j’ai été amené à constater que les artistes usaient de trucs. Puis, peu à peu, je me suis mis à penser que d’autres explications étaient plausibles et j’ai voulu les explorer pour tirer mes propres hypothèses. Je ne vous détaillerai pas le résultat de mes recherches.
Un livre raconte votre parcours …
Michel-Guy m’a fait l’honneur de rédiger un ouvrage sur ma vie. Il relate mon enfance, ma scolarité et mon entrée dans le métier du show-business. De simple magicien, j’ai gravi les échelons pour, assez vite, me produire hors de Belgique. Dans les années 50 et 60, Bruxelles n’avait pas le visage qu’il affiche aujourd’hui. Le centre de la ville possédait un nombre incalculable de cabarets. Des lieux où on venait se divertir en compagnie de chanteurs, d’imitateurs, de jongleurs, de magiciens et de danseuses. La place De Brouckère possédait son propre Moulin Rouge. Un endroit apprécié par les touristes et qui ne fermait jamais les portes avant l’aube. Evidemment, toute une frange de la population actuelle n’a jamais entendu parler de cette époque. C’était un peu celle que Jacques Brel chantait dans Bruxelles, une période où les quartiers brusselaient encore. Plus que de la nostalgie, ce livre déplie tout un pan de la capitale que seuls les aînés ont connu. Le monde de la nuit n’avait rien d’interlope. Il était plutôt bon enfant et on ne parlait pas du sentiment d’insécurité actuel qui galope dans nos rues une fois que le repas du soir a été servi. Je garde de ces années mille souvenirs, dont plusieurs sont racontés à travers onze chapitres bien documentés. Ah oui, Annie Cordy, une grande amie, m’a fait l’honneur de préfacer ce livre ! Une artiste précieuse et dont la disparition laisse un grand vide dans le monde des arts !
Aujourd’hui, de quelle manière passez-vous vos jour-nées ?
Après de nombreuses décennies à courir le monde, je profite d’une retraite bien méritée, même si je n’ai pas complètement abandonné le métier. Je me rends toujours à l’étranger pour apporter mon expérience aux forces de l’ordre confrontées à des voleurs à la tire, je monte encore de temps en temps sur une scène et je fonctionne comme consultant artistique pour une galerie d’art bien connue chez nous. Je ne regarde jamais le passé en soupirant. Tout doit se vivre au présent !
Retrouvez José Duchant sur le site www.joseduchant.be
Propos recueillis par Daniel Bastié