Note de lecture
Jacques ANCET L’identité obscure (2010 Lettres vives )
Prix Apollinaire 2009
note de l’éditeur « L’Identité obscure » est un poème, un chant intérieur où souffle et intensité, lenteur et accélération, concentration et expansion, méditation et vision, se heurtent, se croisent et se confondent.
C’est un recueil très construit. Composé de treize chants de 76 ( 7+6=13) ou 85 (8+5=13) vers de treize syllabes , une contrainte stylistique pour parler de l’égarement de l’être, du débordement, ces impressions que soi est autre sans qu’on n’arrive pourtant à l’exprimer... De plus, on ne remarque aucun point dans les treize chants qui composent le recueil, comme un souffle qui divague. C’est un roman philosophique profond.
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La poésie de Jacques Ancet est la matérialisation d’une présence son leit-motiv :
«c’est là».
On ne le sent pas seul, il est en compagnie du « Je » l’ autre de Rimbaud ; un autre qui ne lui est pas étranger et qui nous fait ressentir un souffle pas étranger à nous non plus
Lire sa poésie nous met en présence de notre propre « je » qui accompagne notre
« moi »
C’est vivre une intimité, une tiédeur, une voix secrète c’est entrer dans un pays de résonances.
Le recueil vers lequel je retourne le plus souvent est « Dialogue de l’arbre et des saisons » la vie d’un arbre en compagnie d’un poète dans sa cuisine où on l’imagine très bien ; comme si on était proche d’un rideau entrouvert.
Il a, il me semble, des secrets à révéler. Je ne regrette pas d’avoir fait l'effort de le découvrir. Il m’a ouvert les portes de la poésie espagnole et en même temps bien entendu celles de l'âme de ce peuple riche et passionné. Il habite près d'Annecy où il a enseigné l'espagnol dans les classes préparatoires aux grandes écoles.au Lycée Berthollet Il a introduit en France l'œuvre de plusieurs poètes comme Luis Cernuda, Vicente Aleixandre, José Angel Valente, Xavier Villarutia., entre autres.
Son écriture surprend peut être un peu au début en ce sens qu'elle se présente comme une poésie faite pour conduire le lecteur aux limites de l'être. On peut la première fois, dans les livres de prose, être déconcerté par ces longs paragraphes, privés des repères habituels ( noms et liens de parenté des personnes) qui accompagnent dans le récit des histoires humaines. La ponctuation n'étant marquée que par des virgules sans rien qui puisse signifier le début et la fin d'une histoire. Cependant je ressens maintenant la ressemblance de ce fleuve de paroles avec mon propre fleuve intérieur et je commence à y retrouver un chemin familier.
Cette poésie invite à un voyage déconcertant, parfois, surprenant toujours.
La première œuvre que j'ai eue entre les mains a été « La tendresse » . J'ai été surprise et émerveillée de découvrir comment un homme pouvait ressentir avec autant de profondeur les émotions vécues par une mère en attente et en découverte de son enfant.
En voici un passage
"Tu n'as pas de visage et sans doute est-ce pourquoi mes mots s'en vont vers toi cherchant à cerner l'ombre que tu es, un chien aboie, des voix parlent, le silence est toujours si fragile, cette solitude où pour la première fois tu viens au monde, où peut être tu pourras aussi, je ne te connais pas, tu n'es rien que l'obscur de ma phrase, cet appel soudain, au volant, conduisant sur une route en pente, le soleil à gauche éclairait les collines et j'ai su que de quelque façon tu devais exister, ombres, visage négatif, tu était là sans corps, sans nom en moi ce présent [...] Je regarde la femme que j'aime [...] mais c'est toi qui parle maintenant, le sang, la bouche d'ombre, intermittent tu clignotes entre les mots [...]
Ce recueil est le quatrième volet d'un cycle comprenant: L'incessant, La mémoire des visages et Le silence des chiens J’imagine un être qui poserait face à lui pour mieux les regarder, les émotions, l'amour, comme des objets fascinants et après une observation précise, profonde, aurait été capable de se les approprier. Est ce l'émerveillement de cette sorte de dédoublement qui a lui rendu l'écriture nécessaire ? Ce fardeau merveilleux a-t-il fait déborder son âme jusque sur le papier? Quand Malherbet ajoute que l'expression de Jacques Ancet est celle d'un être désirant, qui le sait, et qui ne veut pas perdre l'objet de son désir, la nécessité de son écriture me devient évidente.
On lit dans Silence corps chemin : " Écrire c'est être traversé " Et je suis là à me demander si à force de s'approprier les poètes espagnols qu'il aime il n'aurait pas acquis ce don d'emporter en lui tout objet d'amour qu'il soit attendu, présent ou mort.
Qui est ce poète qui dit " La poésie c'est le bruit que fait le monde quand je parle" et encore: " soudain la littérature ce n'est plus parler (écrire) avec la distance que supposent narration, description ou expression, mais c'est être. On n'est plus en face ou à côté : on est à l'intérieur, dans la peau de l'autre. Et on découvre que c'est la sienne"
De son activité de traducteur, Jacques Ancet dit qu'elle est au service du poète et de la poésie; qu'il n'a pas traduit les poètes espagnols seulement pour les faire connaître mais surtout pour se les approprier en les faisant revivre dans sa langue: " je ne traduis pas d'abord parce que je suis hispanisant mais parce que je suis un écrivain français et que je crois ma langue capable de tout "
J'ai rencontré Jacques Ancet plusieurs fois. C'est un être silencieux, très discret. Un être à découvrir. Une feuille qui frémit au moindre souffle de vie Il me semble que dans sa discrétion il vit plus intensément que nous tous.
Hélène SORIS
Pour en savoir davantage : http://www.blogg.org/blog-55642.html