La mémoire, grenier de nos jours,
Empoussiéré des trésors défunts,
Contient les pleurs, la joie du soleil,
Des vacances en gouttes d’échec.
Réveil du passé, du maïs vert,
Dans les champs d’alors, près du château,
Aux douves noires, dans les songes,
D’une enfant d’hier, apparition.
L’air frais elle tourbillonne, libérée par le vent, qui chuchote des mots secrets aux oreilles des fleurs d’un printemps à venir. La brise souffle des perles dans le regard de l’enfant accoutré de pauvreté mais dont les yeux sont riches d’amour.
La maison de ses rêves sent bon le bonheur d’y vivre, la haine a renoncé à sa vengeance des siècles passés. Les poutres ont résisté à l’attaque des tempêtes des ans révolus et accueillent les jambons fumés et brins de lavande. Un poêle en fonte rougit des braises de son enfer, pour réchauffer les lieux des pièges du cauchemar. Les roses s’effeuillent sous la caresse d’un soleil ardent et d’une brise si légère qu’on la devine au passage. La mousseline de son écharpe entoure son visage maigrelet d’un voile diaphane comme sa peau trop vieille de ne pas avoir existé.
Non loin de là, dans un hamac tressé se balance un jeune écervelé qui attend son avenir qu’il laisse peu à peu, dans sa paresse, derrière lui. Sa gorge est sèche des poussières du vent : il tousse, se racle la gorge. Surgie de nulle part, une voix de mégère hurle « c’est pas bientôt fini bouc nannan ! «
Cette voix lui fait peur, vite il faut fuir, mais sa mémoire est là qui lui tient la main.
BOUC NANNAN.
Dans le champ du voisin vit un vieux bouc puant,
Qui béguète et se plains de sa lourde chaîne,
Pendue à sa gorge comme un collier carcan,
Pour le tenir captif au pied du grand chêne.
Fâché de sa prison il émet du gosier,
Un raclement nerveux qui tente à se gloser*,
Du pet, parle aux passants, mêle propos gazier,
Aux relents d’urine dont il aime à s’arroser.
Petite de six ans, fillette aux grands yeux bleus,
Elle tourbillonne dans les secrets du vent,
Aime ses colères, jure ses pâquebleu*,
Batifole avec lui, joue au moulin-à-vent.
Vive de tant subir l’aigreur parentale,
L’enfant contient ses nerfs depuis longtemps déjà,
Guette la pluie lourde de la main brutale,
Qui s’abat sur elle sans mettre de holà.
Sa gorge racle aussi ses larmes discrètes,
Comme le bouc puant de la ferme à Nannan,
Que l’on entend au loin héler ses biquettes,
Vacant au gré des fleurs et des buissons ardents.
Lors d’une balade, enfant et cabrettes,
Nez à nez tombèrent dans le pré du voisin,
Les unes béguetaient, l’autre guillerette,
La gorge se raclait en écho au bouc zain*.
Depuis lors le surnom de « Bouc nannan » la suit,
Mère trop ignare de sa méchanceté,
Et Jusqu’à l’école, ce sobriquet poursuit,
La jeunette morose aux grands yeux contristés.
C’est pas bientôt fini, hurle encore la voix. La main s’accroche, le lit se rebelle, la vieille se meurt mais crie toujours après ses draps qu’elle chiffonne….. et puis le silence.
Un silence épais comme une mort froide de carnaval. Les masques des trouilles de nouilles l’entourent, grimacent les peurs ancestrales des hivers qui se racontent au coin de l’âtre.
Dans le bois tout proche, les loups hurlent…… comme des apertintailles qui sonnent pour éloigner les mauvais esprits.
Fini de projeter des films de l’imagination. La lumière brille, il faut ouvrir les yeux. Les gilles s’approchent, farcis d’huîtres et de champagne. Allons, debout ! Roulements de tambours ! Comedia dell Arte ! « Nos f’ront les gilles à barette Ginette la la la » et tutti quanti….
Avec eux, doucement, fermons le livre de la mémoire et lourdement, sur la pointe des sabots de futurs souvenirs,
dansons le renouveau !.
Grenier de nos jours, empoussiéré,
Des trésors défunts, contient les pleurs,
La joie du soleil des vacances,
En gouttes d’échec, souvenances.
Résurgence, réveil du passé,
Du maïs vert dans les champs d’alors,
Près du château aux douves noires,
Dans les songes d’une enfant d’hier,
Rondeau final, le livre est fermé.
Claudine QUERTINMONT D’ANDERLUES.
*Carême-prenant : période de trois jours gras précédant l'austérité du carême (vieilli)
*Gloser (Vieilli) Expliquer par une glose.
Apporter une explication, un éclaircissement à un texte par une glose : commentaire qui permet d'apporter une explication
*Pâquebleu (Familier) Juron familier marquant l’admiration, la colère ou l’étonnement.
*Zain Animal dont la robe ou le poil, simple et uniforme, n’a aucune marque de blanc.
Un cheval zain, une chienne zaine……