0800 99 340
Ces mots résonnent tel un murmure subsistant dans l’air. Des bonbons ou des coups de bâton, joyeux Noël, bonne année, ma sœur, mon frère.
Après le va-et-vient de cette magie inexplicable qui habite encore mon aire de repos, devenus sombres.
Guettant le moindre mouvement de pas, de faisceaux de lumière lunaire, à l’écoute d’un petit mot, à l’ombre.
J’espère bouger d’un millimètre, et retrouver ces bonnes humeurs passagères.
Une lumière grisâtre zèbre différents endroits de la rue, donnant l’impression d’une discothèque fermée avec quelques spots allumés.
Omit d’avoir été éteints par un membre du personnel trop fatigué après une nuit bien arrosée.
Ici au fond de mon puits, la nuit commence pour moi, le gardien des lieux. Le souffle expulsé à l’instant de ma bouche provoque un nuage blanc de glace, me rappelant ainsi que la nuit sera longue et froide, bon dieu.
Chacune de mes cellules entre déjà en hibernation. Je bouge à peine un cil et constate que mes muscles se mettent en action. Mes os fragiles comme de fins cristaux me crispent de douleur, sans concession.
Chaque spasme incessant m’alerte que la température de mon corps diminue petit à petit et qu’un nouveau combat commence, sans issue, c’est dit.
Je ne sais pas combien de temps je tiendrai, indépendamment de ma volonté, je ne sais si l’aube levée, c'est-à-dire à l’issue des heures lancinantes qui se seront écoulées tout au long de la nuit, la dernière peut-être, je serai disposé à ciller. Je me retrouve une fois de plus dans mon coin à minus vingt degrés.
Tout à l’heure, c’est Halloween, il est une heure du matin et j’envisage d’aller me coucher. Je repousse cet instant toujours un peu plus tard.
L’air pinçant les moindres parcelles de ma chair me menace de congélation si je reste dix minutes sans bouger. Ce qui rend forcément tout sommeil impossible, un vrai cauchemar.
Pourtant, je suis fatigué, j’ai tellement envie de dormir. Qu'est-ce qui me pousse à rester ici sous carton sans chauffage, ni confort ?
J’en ai oublié la raison. J’y suis, c’est tout. Qu’est-ce que je raconte. C’est ma raison qui gèle. Bien sûr que je m’en souviens, une partie je crois. Une longue histoire dont les détails s’affinent au fil du temps qui traine. Va savoir à raison ou à tort.
Je peux toujours ranger l’un ou l’autre journal, histoire de boucher les interstices qui laissent entrer le froid dans mon fourbi, c’est surtout pour passer le temps et me réchauffer les phalanges que le flux sanguins retrouvent son débit.
Non, c’est un mauvais plan, je verrai après. Car là tout de suite dans la seconde, si je m’extirpais de mes draps d’un coup de jambe, il est sûr que je devrais recommencer mon travail de concentration, d’accommodation, ma soumission à maître Celsius. Sans façon. Pourquoi prendre le risque de détruire ce que j’ai pris valeureusement le temps de construire. Je dirais même plus, ce que j’ai froidement pris le temps d’apprivoiser… le thermomètre, mon très cher Dominus.
En tout cas, je suis chanceux. Je ne sens pas de coup de vent ou de gel exécuteur. Cette nuit, la bise assassine ne viendra pas me chatouiller les pieds, n’apportera pas de giclée de neige sur ma couette de fortune. Allez haut les cœurs !
Ma richesse. Nous venons d’installer une tôle au dessus de ma voute, un espace en retrait dans une ruelle du centre. Mon Taj Mahal, c’est un endroit parfait. Un carré aménagé par mes soins, mon œuvre, mon chez-moi. Ma chouchoute.
On m’a promis une chaufferette. Si je tiens cette nuit, je l’aurai certainement demain. Que puis-je espérer de plus ? Tapons dans les mains.
En attendant, je dois absolument occuper mon esprit à autre chose que dormir et penser froid, frigo, gel, tremblement ou magnum au caramel.
C’est bizarre, quand il fait froid on pense souvent à ce genre de choses et à leurs opposés. Par exemple, je me prendrais bien un seau de chocolat chaud et plus jamais de thé glacé.
Ou encore, comment certaines personnes peuvent-elles avoir envie d’investir dans des longs caleçons, une combinaison de ski, des moufles et se taper les Alpes autrichiennes pour pratiquer la glisse ?
Avec un tel budget vacances, j’investirais plutôt dans des draps de bain, un maillot, de la crème solaire, un ticket pour Hawaï et que le soleil me rôtisse.
Il paraît que quand on est face à la mort, on voit sa vie défiler. Je confirme, je me rappelle de tout chaque nuit. Je suis impressionné ! J’ose dire que je me connais par cœur, j’ai fait le tour de mon auto psychanalyse in fine.
L’ironie du sort c’est que chaque nuit je meurs à petit feu, de froid, pour renaître chaque matin. Je ne laisserai pas la nature me laisser fondre, provoquer la condensation de mon esprit, de ma volonté de vivre, c’est certains…
Demain matin, c'est-à-dire dans une bonne heure, je serai là. Nina Simone me rappellera à l’ordre.
Birds flying high you know how I feel. (Les oiseaux volent haut, tu sais comment je vais)
Sun in the sky, you know how I feel. (Le soleil dans le ciel, tu sais comment je vais)
Breeze driftin' on by, you know how I feel. (La brise dérive, tu sais comment je vais)
La chaleur reprendra sa place dans ma chaire pour quelques heures à nouveau, en fonction de ce que la météo m’accordera. Je ne suis pas fine bouche, ces quelques degrés me suffiront. Le temps pour moi de recharger mes idées, mon corps. Que demain soit bon et généreux avec moi et tous mes potes dehors.
Voilà ma dernière volonté si cette nuit le gel devait figer mon corps et endormir mon âme à jamais. J’écrirais sur le verso de mon carton qui contenait 12 boîtes de lait :
Le 0800 99 340 pour mes copains. Moi je m’en fous. Parce que :
It's a new dawn (c’est une nouvelle aube)
It's a new day (c’est un nouveau jour)
It's a new life (c’est une nouvelle vie)
For me (pour moi)
And I'm feeling good (et je vais bien)
…