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La théorie du ruissellement

Théorie du ruissellement
La théorie du ruissellement est une théorie politique sur l'économie considérée selon laquelle, sauf destruction ou accumulation de monnaie, les revenus des individus les plus riches sont in fine réinjectés dans l'économie, soit par le biais de leur consommation, soit par celui de l'investissement (notamment via l'épargne), contribuant ainsi, directement ou indirectement, à l'activité économique générale et à l'emploi dans le reste de la société. Cette théorie est notamment avancée pour défendre l'idée que les réductions d'impôt y compris pour les hauts revenus ont un effet bénéfique pour l'économie globale. L'image utilisée est celle des cours d'eau qui ne s'accumulent pas au sommet d'une montagne mais ruissellent vers la base.
En 2017, le Gouvernement Édouard Philippe s'appuie sur la théorie du ruissellement .Emmanuel Macron défend quant à lui la métaphore des « premiers de cordée »
Cet argument a été utilisé pour justifier les politiques libérales de Ronald Reagan et Margaret Thatcher dans la décennie 1980, caractérisée par une diminution radicale de l'impôt, notamment pour les revenus les plus élevés. Cette politique a entraîné une déréglementation de l'économie, assortie de déficits budgétaires abyssaux ou de démantèlement des services publics qui ont été à la source de la paupérisation croissante des couches inférieures des sociétés occidentales.

L'écrivain et journaliste Serge Halimi, directeur du Monde diplomatique, relève ironiquement dans son essai politique Le Grand Bond en arrière (2004) que « les néo-libéraux répétaient, après John Kennedy, qu'une “marée montante soulève tous les bateaux”. Mais c'est davantage aux yachts qu'aux barques de pêche qu'ils destinaient la montée des flots. »
Cette théorie agit comme un fantasme promettant une vie meilleure aux pauvres, analogue à la promesse du paradis de la Bible.

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retour à Guy Debord

La société du spectacle de GUY DEBORD

Né à Paris en 1931 dans une famille de la moyenne bourgeoisie, orphelin de père à 4 ans, Guy Debord a grandi à Nice, avant de revenir dans la capitale à la fin de l'adolescence.

On le connaît par de multiples images. Autant de fragments d'une vie et d'une légende. Un jeune homme de 22 ans, inscrivant sur un mur de la rue de Seine, le slogan « Ne travaillez jamais », graff liminaire écrit à la craie, symbole d'une révolte politique et esthétique contre l'ordre établi et le confortable conformisme de la France des Trente Glorieuses. L'image du chef de bande, un rien voyou, vaguement clandestin, presque gourou, fondant en 1957 l'Internationale situationniste et dirigeant sa petite troupe d'activistes avec l'autorité et la stratégie d'un chef de guerre. L'image du théoricien politique radical, fuyant les médias, méditant sa lecture de Marx pour écrire et publier, quelques mois avant Mai 68, un essai dont le titre a connu une rare et équivoque fortune : La Société du spectacle (1967). L'image d'un cinéaste héroïque, livrant une poignée de films qu'il revendiquait sans « aucune concession pour le public ». Celle, enfin, de l'ermite de Haute-Loire, l'autobiographe de Panégyrique (1989), symbole d'un diable paranoïaque pour les uns, épicurien sensible et généreux pour les autres ; vivant retiré du monde, lisant, écrivant et buvant beaucoup, ultimement tiré de l'oubli par l'annonce de son suicide, le 30 novembre 1994.



On peut reprocher à Debord le choix malheureux du mot spectacle. Il semble nier autant le rôle nécessaire de la représentation que celui de la procuration oubliant la validité ou le rôle cathartique du théâtre, des spectacles et de l'art en général. Mais le principal n'est pas là. Il s'agit d'un texte radical qui subsiste à minima comme prophétique.



Dans La Société du spectacle, et plus encore dans ses Commentaires sur la société du spectacle, Debord critique le capitalisme, la démocratie et ses fondements.

La « société du spectacle » est incontestablement le concept qui fait encore la postérité de Guy Debord. Devenu, dans le langage courant, une sorte de dénonciation de l'emprise excessive des médias, La Société du spectacle, essai plutôt difficile d'accès, est en fait bien plus que cela : un pamphlet anticapitaliste virulent et argumenté. La cible de l'auteur, et il le redira en 1988 dans ses Commentaires sur la société du spectacle, c'est « l'accomplissement sans frein des volontés de la raison marchande », « le règne autocratique de l'économie marchande ayant accédé à un statut de souveraineté irresponsable, et l'ensemble des nouvelles techniques de gouvernement qui accompagnent ce règne ».

Le capitalisme est une machine qui tourne pour elle même, où le spectacle exprime le fait qu'il semble avoir oublié les besoins que la production est censée satisfaire.

Pour la première fois dans l'histoire des hommes, ajoute Debord, « les mêmes ont été les maîtres de tout ce que l'on fait et de tout ce que l'on en dit ». C'est la concentration de tous les pouvoirs dans les mains de quelques-uns, le totalitarisme de la marchandise, l'aliénation de l'individu dont l'existence est au service de ladite marchandise. « Quand l'économie toute-puissante est devenue folle […] les temps spectaculaires ne sont rien d'autres », conclut Guy Debord.

Il nous montre que la société est devenue une société matérialiste et consumériste qui tourne autour de l'avoir et du paraître mais aussi une société en lutte permanente.

Pour lui tout est production, le monde est devenu une représentation du capitalisme au sens théâtral du terme. Tout est dans la représentation, le paraître qui découle de l'avoir. A l’époque de l'industrialisation , l'avoir définissait l'être. Aujourd'hui avec la production de masse quand tout le monde peut avoir des choses identiques, l'avoir n'est plus la définition premier de l'être. Ça devient le paraître. C'est ce qu'on donne à voir qui va nous définir, nous devenons des spectacles de nous mêmes. Il critique la marchandisation du monde. Dans la société contemporaine, tout se vend tout s’achète . On doit consommer toujours plus et cette consommation à outrance est de plus en plus visible et se donne en spectacle.

Une société en lutte permanente dominée par les institutions du pouvoir

Les hommes politiques issues de la bourgeoisie pour la plupart ont la main mise sur l'économie capitaliste. La société est construite selon un point de vue bourgeois. la lutte et la domination se retrouvent aussi dans les domaines de l'espace, du temps et de la culture. Ce sont les dirigeant qui décident aussi bien de la répartition du temps que de la manière dont on peut le dépenser . Ainsi il y a une profonde inégalité entre les travailleurs qui sont emprisonnés dans ce que Debord appelle «un temps cyclique» qui correspond au temps de production ou ils ne font que répéter des gestes de production. (voir les expressions métro boulot dodo ou travaille consomme et meurs ou encore travaille consomme et tais toi); tandis que les dirigeants perçoivent la «valeur ajoutée» du temps qu'ils dépensent comme ils le veulent en loisirs ou autre.

De plus Debord nous explique aussi qu'il y a depuis le début de l'industrialisation une lutte entre la ville et la campagne et que c'est finalement la première qui gagne dans l'emménagement du territoire.
Dans le texte paru en 1967,
Debord ne distinguait que deux formes du spectaculaire, l’une diffuse dont le modèle était la société américaine, dans laquelle le modèle du citoyen-consommateur dominait et l’autre concentrée, représentée par les régimes dictatoriaux reposant sur le culte du chef. En 1988, il ajoutait un troisième type : le spectaculaire « intégré », synthèse des deux premiers. Ce dernier, en sus d’être apparu le plus récemment selon lui, est transversal à tous les régimes politiques, mais acquiert une force particulièrement grande dans les démocraties spectaculaires, et se caractérise par cinq traits :

«le renouvellement technologique incessant ; la fusion étatico-économique ; le secret généralisé ; le faux sans réplique ; un présent perpétuel ».

EtDebord d’ajouter plus loin :

« Le secret généralisé se tient derrière le spectacle, comme le complément décisif de ce qu’il montre et, si l’on descend au fond des choses, comme sa plus importante opération. » ; « Notre société est bâtie sur le secret, depuis les ”sociétés-écrans” qui mettent à l’abri de toute lumière les biens concentrés des possédants jusqu’au ”secret-défense” qui couvre aujourd’hui un immense domaine de pleine liberté extrajudiciaire de l’Etat » .

On le voit ici, le secret couvre le champ tant économique que politique. Il convient ainsi de déterminer en quoi le secret est au cœur du spectacle, et quelle est précisément sa fonction : en quoi est-il sa « plus importante opération » ? Le secret, comme technique de gouvernement, apparaît comme la clé de voûte du système spectaculaire, car il permet de masquer le spectacle, autrement dit la domination, au public. Il est ainsi vital à l’exercice de la domination. Mieux, le secret est le mode de production de la domination car sans lui elle apparaîtrait au grand jour et deviendrait donc, dans sa crue et obscène nudité, insupportable et donc fragile.

C’est pourquoi Debord fustige ceux qui organisent le secret, ses agents, à savoir les services secrets, les experts, les médias et les sociétés secrètes.

Le rôle des services secrets

Les services secrets, sous couvert de protéger une société de ses ennemis, constitueraient en fait un réseau d’espionnage des citoyens, visant à surveiller et à contrôler toute découverte de ces derniers de la véritable nature de la société spectaculaire, bref pour étouffer toute tentative de renversement du pouvoir. Ils symbolisent l’arbitraire du pouvoir, leurs actions injustes, assassinats, enlèvements, pressions, restant à jamais dans l’ombre. La condamnation de l’impunité dont jouissent ses agents est renforcée par la détention d’informations capitales, qui assoit leur pouvoir : ils convertissent leur savoir en un pouvoir qu’ils exercent sur toute la société.

Les experts

Les experts participent, quant à eux, de la même dynamique. Ils ont pour rôle de falsifier le passé (réalisant la « mise hors la loi de l’histoire » ), organisant l’amnésie collective de la société, le présent (avançant « des récits invérifiables, des statistiques incontrôlables, des explications invraisemblables et des raisonnements intenables ») et le futur, la mise à distance du monde et l’impossibilité de bâtir un projet réformateur, bref la déréalisation du monde, le devenir-falsification du monde.

Les médias

Debord pointe du doigt les moyens de communication de masse qui sont les principaux acteurs, la preuve la plus évidente d'une représentation du monde ou nous sommes le spectacle de nous mêmes. De plus les médias renforcent les effets du spectaculaire en rendant futile et stérile tous les débats, fondés uniquement sur le divertissement. Assujettis au pouvoir, ils constituent, pour Debord, les meilleurs propagandistes de la société du spectacle, maintenant, via la pratique de la rumeur et de la désinformation, les individus dans l’ignorance.

Les sociétés secrètes

(Pour être tout à fait clair et éviter les confusions, Debord ne pense pas aux théories complotistes telle la théorie du complot Illuminati véhiculée par «les milieux d'extrême droite ésotérique marqués par le new-age », par une association d'extrême droite comme Égalité et Réconciliation ou par Laurent Glauzy, ancien chroniqueur de Rivarol qui lui a consacré un livre largement cité à l'extrême droite (Rivarol, Radio Courtoisie , plusieurs sites officiels du Front national)

Il parle des sociétés maffieuses ( Camorra, Cosa nostra, 'Ndrangheta, triades chinoises, boryokudan japonais, bratva russe) , qui sont des « institutions» de la société spectaculaire, qui concourent à la prolifération du secret. Elle naissent sur le sol même du spectacle, complices, et non rivales , de l’État. L’alliance de la Mafia et du spectaculaire intégré consiste, nous dit Debord, à déposséder, comme cela a été le cas lors de la prohibition aux États-Unis, le public de toute autonomie. Debord érige la Mafia, société secrète criminelle, en unique modèle de société secrète.



Guy Debord nous livre donc dans son travail, une critique acerbe de la marchandisation de la société. Société dans laquelle les individus sont séparés les uns des autres alors qu'ils sont de plus en plus identiques et en lutte permanente les uns envers les autres que ce soit à l’intérieur de l'entreprise ou ils sont mis en concurrence les uns avec les autres, au niveau du marché du travail national et même international où le travailleur italien est mis en concurrence avec le chinois , le roumain ou le français.

A l'heure ou se cristallise et se manifeste le mécontentement d'une partie des français il est bon de rappeler qui sont ceux qu'il faut combattre, quels sont ceux à qui il faut s'adresser. En ce sens «la société du spectacle» garde toute sa pertinence. Il faut toutefois ajuster cette pensée avec la réalité actuelle: Ce que Debord nomme les dirigeants, les politiques, ne sont pas ceux qui sont à l’Élysée, à Matignon, au sénat ou à l'assemblée nationale. L'ennemi c'est le système capitaliste et les dirigeants des grandes entreprises Google, Total, Facebook, Amazon , les Vincent Bolloré,François Pinault , Bernard Arnault, Mark Zuckerberg, Jeff Bezos etc.

Ne nous trompons pas de cible.

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L’univers poétique d’Alain Bashung.

Je souhaite aborder l’écriture de Bashung d’un point de vue stylistique, en cherchant à dégager ce qui s’écarte de l’usage traditionnel de la langue pour en faire une œuvre d’art à part entière et analyser ce qui fait la spécificité de sa prose et l’organise en une sorte de signature. Quand je parle de l’écriture de Bashung c’est par facilité étant entendu qu’il a collaboré avec divers auteurs tels que Fauque, Bergman ou Gainsbourg.


Il y a, chez Bashung, une tentation, une fascination pour le double. Son langage, n’est jamais saisi dans une unicité, une précision; tout est toujours flou, glissant, redoublé profondément ambivalent. L’écriture donne en permanence l’impression de se dérober, on croit l’avoir saisie mais déjà elle se dérobe, le sens sur lequel on croyait pouvoir s’appuyer cède sous la pression de la forme dans laquelle il s’insère. Le texte se déploie dans plusieurs directions, dans plusieurs dimensions simultanées qui ne se font jamais entendre simultanément. L’auditeur est toujours maintenu dans une sorte d’incertitude quant à la compréhension du texte. Cette incertitude procède du fait que Bashung fait souvent coexister, au sein d’un énoncé unique, deux espaces de significations distincts, qui la plupart du temps entrent en conflit. De ce conflit naît la dimension poétique. Pour cela, je m’intéresserai à deux manières spécifiques, deux figures récurrentes dans son écriture qui permettent de provoquer cette situation de conflit.

La première est celle du double tangible : le miroir ou l’écho, dont la présence jalonne le texte. Aucun terme, aucun syntagme n’existe chez Bashung de manière autonome, tous viennent s’inscrire dans un plus vaste réseau, phonique et sémantique, qui structure le texte, lui donne cohérence et couleur. Certaines chansons possèdent ainsi des « clés de lectures », des thèmes et parfois même des mots qui sont des sortes de dénominateur commun à l’ensemble du texte, des nœuds dont découle l’ensemble des autres termes.

La seconde figure, plus insaisissable, fonctionne davantage par surgissement : c’est le double absent, fantomatique, le possible de la langue jamais complètement actualisé, mais dont on ne peut remettre en cause la présence souterraine. Cette figure, qui s’applique notamment de manière récurrente aux locutions, donne une véritable épaisseur au texte de Bashung. Avec la première figure nous sommes dans un rapport d’horizontalité du texte à son double. Avec la deuxième, on entre dans un rapport de verticalité. Ce sont ces différentes modalités d’existence du texte que je vais essayer d’analyser à l’aide de certains exemples.

Concernant le premier type de figure, je distinguerai différentes formes de sa présence au texte : la saturation (allitérations, paronomases), la récurrence (notamment par le biais d’allophones et le renvoi direct (jeux de mots, calembours).


Je commencerai par traiter les échos qui sont les moins riches d’un point de vue poétique : les jeux de mots. En effet, les tensions qu’ils instaurent entre les mots sont davantage de l’ordre de l’amusement que de l’incongruité Nous en citerons quelques uns des plus fameux, tels que « Guru, tu es mon führer de vivre » (Source : Guru), « tu m’as conquis j’t’adore » (S.O.S Amor), « helvète underground » (Helvète Underground), ou encore « Robinson Crusoë n’a plus un vendredi libre » (id.). Au-delà des réflexions que peut engager ce dernier exemple sur la question de l’esclavage et sur le mythe du Bon sauvage, on admettra que l’on se situe plus du côté de la blague de potache que de la véritable trouvaille poétique. La plupart de ces jeux de mots ressortent davantage du calembour, l’amorce étant d’ordre sonore – chanson oblige (à l’exception ici de l’exemple de Robinson, où le jeu de mot portant sur « vendredi » repose sur un second sens possible pour un terme utilisé – ici nom propre/nom commun. On notera deux choses concernant cette propension au jeu de mot : la première est qu’elle peut déborder le cadre de la chanson pour s’étendre au cadre para-textuel de l’album : ainsi du live enregistrée lors de la tournée de l’album Novice : Tour Novice, ou de certains titres de chansons : Camping Jazz … La seconde, d’ordre génétique, est que cette figure relativement peu productive d’un point de vue poétique semble caractériser une période précise de l’écriture de Bashung quand il travaillait avec le parolier Bergman. Cette relation textuelle me semble assez pauvre du fait de son caractère particulièrement tranché : soit on comprend l’astuce, soit on ne la comprend pas ; soit l’on possède la référence, soit on ne la possède pas. Son ressort réside tout entier dans notre capacité de compréhension et notre vivacité d’esprit. Mais, une fois élucidé, le jeu de mots n’offre plus aucune difficulté ; il se donne tout entier ou ne se donne pas. Il ne possède pas cette propriété de résistance qui fonde l’image poétique : une association dont la compréhension justement résiste, une association qui ne se départit jamais totalement de son caractère étrange et pour laquelle demeure toujours une forme d’incertitude. L’image poétique fuit l’évidence. L’écho qui s’instaure entre les deux pôles du jeu de mots ne provoque jamais que la satisfaction de l’esprit et constitue en ce sens le « degré zéro » des figures du miroir, ou de l’écho.

Un degré supplémentaire est franchi avec l’usage d’une figure que semble particulièrement affectionner Bashung, à savoir l’ allophone : « texte transcrit en d’autres mots. On a remplacé des mots par des homophones qui semblent conférer au texte un sens nouveau »

Exemple particulièrement probant cet extrait de 2043 : « Ses congénères crient au génie », où on est forcé d’entendre, ou croire entendre, dans la phrase initiale, la présence, seconde, du mot « cryogénie ». On peut également penser à certains titres : « Est-ce aimer ? », « Que n’ai-je ». Ce procédé, dans certains cas, peut produire des équivoques intéressantes -renvois troubles, miroirs troublés : ainsi, le début de Volutes ne se laisse pas aisément démêler : « Vos luttes partent en fumée / vos luttes font des nuées / des nuées de scrupules », que l’on peut tout à fait entendre, titre du morceau à l’appui : « Volutes partent en fumées / […] font des nuées / dénuées de scrupules ». L’allophone est ici pour Bashung un moyen de brouiller les pistes, de scinder l’idée que l’on croit saisir, et son propre reflet (les mêmes sons pouvant produire deux phrases distinctes, le trouble étant renforcé par le champ lexical vaporeux qui caractérise tout le texte, et dont la dimension proprement insaisissable convient bien à cette entrée en matière). On voit donc bien qu’avec cette figure, il réintroduit ce principe de résistance, cette dimension d’incertitude. Si l’on file la métaphore du miroir, le reflet du texte premier ne diffère plus simplement parce qu’il est maquillé, mais bien parce qu’il commence à introduire la possibilité d’un Autre ; c’est le principe d’identité du texte à lui-même qui est remis en cause par l’allophone, où l’on croit entendre ce qui s’avère être différent. Ce que l’on croyait avoir identifié comme l’image première n’en est en fait que le reflet, qui nous échappe. Il n’y a plus coïncidence, mais une première forme, infime, de décalage. Le texte, doucement, s’ébranle.

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les chevaux du plaisir

Enfin, l’image d’un mot peut se diffracter jusqu’à saturer le texte de sa présence, par le biais notamment de deux figures particulières : l’allitération et la paronomase. Nombreux en effet sont les textes de Bashung reposant sur un nombre restreint de phonèmes, et semblant même parfois entièrement procéder de variations appliquées à ces (ou ce) phonèmes. Le principe de « retour permanent » qui caractérise la rime (certains schémas de phonèmes terminaux se répondent de manière réglée) s’étend alors à l’ensemble du texte ; par la systématisation de ce principe, on entre alors dans une forme de saturation, de « galerie des glaces » renvoyant indéfiniment la même image de manière déformée. Ainsi du [an] (ou [am]) d’Un âne plane (titre programmatique) qui contamine en quelque sorte le reste du texte, dans lequel on retrouve des mots tels que « Notre Dame », « clame », « fane », « anatomies », « pavane », « courtisane », « anoblit », « condamne », « émanent », etc. Ou bien du [z] d’Osez Joséphine, que l’on retrouve de manière particulièrement éloquente dans la phrase « user l’usurier / soyez ma muse », ou ailleurs (« plus rien n’s’oppose », et jusque dans certaines liaisons « ils font des envieux », étendant ce principe de contamination au-delà du mot seul, mais bien dans la structure même de la phrase – les mots entre eux produisent le son premier.) La paronomase également peut produire cette sensation d’enfermement entre certains sons récurrents, au nombre restreint. « A moi s’agrippent des grappes […] » (Noir de monde), « les cymbales les symboles » (Happe), « j’ai pas compté j’escomptais » (Malaxe), « à quoi s’adonne la madone » (L’Irréel), « j’ai fait l’amour/j’ai fait le mort » (La Nuit je mens), « en Écosse des gosses précoces » (Que n’ai-je), pouvant aller jusqu’à l’homophonie, sorte de « paronomase absolue » : « en Écosse des gosses écossent » (id.), « me lancent/des dagues et des lances » (Volutes). Mais dès lors, c’est l’infime variation dans la répétition du même, qui importe : ainsi, dans une phrase telle que « effet de serre/ma vie sous verre/s’avère ébréchée » (Dehors), c’est le terme « ébréchée », qui concentre toute notre attention par sa situation en fin de phrase et qui produit cette cassure que le reste de la phrase prépare: la surenchère, l’enfermement dans quelques sons particuliers favorise l’écart, la disjonction : tout terme ne présentant pas le même caractère d’identité constitue nécessairement un relief à notre écoute ; le fait que ce terme, ici, soit « ébréchée » est d’autant plus éloquent, dans la mesure où c’est lui qui vient écorcher la structure close de la phrase, et vient forcer notre écoute. Dans le miroir, l’image de cette phrase est à la fois une ressemblance, une forte identité, en même temps qu’une fêlure. Il revient donc à la langue elle-même de faire vaciller sa propre image, de mettre en place les conditions de sa propre remise en cause, de sa propre contestation – le surgissement de ses failles. Cet univers cohérent de répétition du même, ce principe d’identité qui structure et organise de nombreux textes de Bashung, ne vaut que pour et par les nuances, les exceptions et variations qu’il met à jour, dont il permet l’épanouissement. La récurrence d’une figure n’a d’intérêt que dans les moments où elle fait défaut – dans l’espace intime de ses lacunes. C’est ainsi que je voudrais concevoir l’intérêt des différentes figures « du miroir » : dans leur opacité bien plus que dans leur transparence. Il est vrai que ces divers phénomènes d’échos participent d’une cohérence du texte, qu’ils lui permettent de prétendre à une forme d’unité, de couleur qui lui soit propre. Mais les espaces cohérents peuvent également s’appréhender par leurs marges, car c’est ainsi, par l’écart, que l’on peut espérer accéder à cette étrange résistance du poétique dont je parlais plus haut.

Après avoir fait état des principaux moyens dont use Bashung pour donner à ses textes une apparence de stabilité , je voudrais analyser un autre type de figure, qui joue bien moins sur la mise en relation des différents éléments explicites d’un texte, que sur le recours à un éventuel implicite du langage. Alors que nous venons de voir comment d’éléments en présence pouvait naître une lacune, j’aimerais désormais montrer comment est-ce que Bashung parvient à donner une forme de présence à ce que la langue, d’une certaine manière, dissimule.


Certains textes reposent sur des « mots-fantômes », des sortes de dénominateurs communs à l’ensemble des autres termes, autour duquel ils tournent, sans jamais sembler le saisir, sans jamais l’énoncer, des clés de lecture restant dissimulées, informulées. Ces présences fantomatiques peuvent être d’ordre sémantique, avec le développement d’un champ lexical particulier, ou phonique, rejoignant ainsi le principe allitératif.. Pour les constructions d’ordre sémantique, on peut penser à
2043 et Angora, qui s’organisent respectivement autour de la notion d’hiver (et ce qu’elle implique de froid et de rigueur : « elle hiberne », « l’ont refroidie », « crient au génie », et de maladie respiratoire (voir notamment le refrain. Dans la mesure où elle est couplée au champ lexical de la moisson – « faucher les blés », « manier la fourche », « […] qu’on a semée », « n’a pas pris ». Dans une perspective plus large, on peut constater qu’un album tel que Fantaisie Militaire semble s’organiser autour de l’idée de Nature. Ainsi, on peut lire dans la grande majorité des chansons des allusions à la nature en tant qu’elle renvoie à une forme d’état premier, ou de monde parallèle au nôtre mais qui conserve tout de même une certaine porosité.: les grands espaces (« montagnes », « plaines », « abysses », « forêt vierge », « l’océan » ), le monde minéral (« extrait de roche », « falaise », « éboulis »), aquatique (« cité lacustre », « geyser », « l’eau du nénuphar », « jailliront les cascades », « les eaux troubles », « les pluies acides »), végétal (« la lande », « les herbes folles », « valériane », « orchidées », « laurier » « nos lianes infinies », « le dernier coquelicot », « les sapins », « la mandragore »), animal (« le lièvre court la hase » « au gardon à la tanche », « terrier ») le cycle cosmique (« la saison », « aux équinoxes », « mes éclipses », « la Grande Ourse »), etc., comme si l’album dans son ensemble était parcouru par cette idée de Nature, et les rapports que l’homme peut entretenir avec elle.

https://www.youtube.com/watch?v=I65xH9-bWRU

On peut également retrouver ce principe de mot-fantôme qui viendrait hanter les souterrains d’un texte dans une dimension d’ordre plus phonique. L’exemple le plus significatif d’un tel procédé nous est offert avec la chanson Elvire, dont le titre semble déterminer, parcourir l’ensemble du texte ; autrement dit, le texte paraît s’attacher à n’exprimer aucun terme qui ne rompe le lien phonique avec le prénom qui le fonde. On trouve ainsi des mots tels que « rêveries véritables », « éprouve », « logiciel », « en exil j’excelle/aux barres parallèles », « enjoliveurs », « crécelle », etc. Tout le texte paraît donc n’exprimer, en filigrane, que la présence absolue, totalisante, de cette Elvire. La question à cet endroit pourrait être de connaître la différence que j’opère entre l’exemple d’Elvire, et le principe de l’allitération : c’est qu’ici, la récurrence des mêmes phonèmes ne relève pas d’une volonté arbitraire d’établir des échos entre certains mots, mais bien de rendre phoniquement la permanence de la figure féminine, qui s’épanouit de manière souterraine , et qui vient d’une certaine manière véroler le texte dans son ensemble. Autrement dit, l’obsession du narrateur pour cette Elvire peut se lire dans le processus de contamination qui se met en place sur l’ensemble du texte. Même lorsqu’elle n’est pas nommée, on ne peut s’empêcher « d’entendre » sa présence. Je dirai qu’elle hante la chanson.

Un autre procédé que semble affectionner Bashung est celui qu’emploie Michel Leiris dans son Glossaire et qui consiste à remettre en cause l’arbitraire du signe linguistique, en donnant à un mot une définition qui semble procéder du signifiant plus que du signifié. C’est le mot dans toute sa matérialité qui commande la définition (ainsi, on peut trouver à « Botanique : ta beauté panique »). Si Leiris pousse l’habileté à conserver une cohérence d’ordre sémantique au sein du jeu sur les signifiants (« centaure : sans mors son torse se tord »), Bashung reprend le procédé en le simplifiant quelque peu. On peut donc trouver trace, dans son écriture, de certaines de ces définitions obliques : Ombres chinoises : « les ombres s’échinent à me chercher des noises » (J’passe pour une caravane), Vercors : « voleur d’amphores au fond des criques » (La Nuit je mens), ou encore Sonotone : « les sonates de l’automne » (La Ficelle). De cette manière, et pour reprendre l’expression de Leiris, on « entend ce que les mots disent ». Ils sortent de leur simple transitivité, s’imbriquent à la façon de poupées gigognes, et croyant en trouver un, on tombe sur les autres. Il établit ainsi entre eux des correspondances insoupçonnées et inédites, qui nous poussent à entendre au plus près la texture du mot, et exploite de cette façon sa faculté à « faire image ». Il met à jour les réseaux qui parcourent la langue et qui souvent nous échappent, dans l’habitude que nous sommes à ne plus considérer le langage pour ce qu’il est, mais pour ce à quoi il nous sert

Cette remotivation de la langue trouve son accomplissement le plus radical dans le traitement que fait Bashung des locutions et autres expressions figées, qui surabondent dans le cours de son écriture. Je ne me lancerai pas dans un compte-rendu exhaustif de chacun des cas particulier de ce procédé, dans la mesure où il pourrait constituer à lui seul un article conséquent, mais je tâcherai de dégager les principes de sa mise en place, et ce que cela engage dans notre rapport au texte – et, partant, au langage. La locution, explique Le Grand Robert, est un « groupe de mots (syntagme ou phrase), fixé par la tradition ». Elle se caractérise également par le caractère « intangible » et « stable » de sa forme. On pourra également ajouter qu’elle constitue, par le fait même de son intangibilité, la modalité d’expression favorite de l’ensemble des opinions reçues sans discussion, comme une évidence naturelle, dans une civilisation donnée. ». Il s’agit donc en un certain sens d’un matériau verbal – et poétique – plutôt vil. Or la prose de Bashung regorge véritablement de ces locutions, expressions figées, tics de langage : « avoir les mains sales » (Station Service), « pleuvoir des cordes » (Rognons 1515), « sans crier gare » (id.) , « sur le bout des doigts » (Mes bras), « faire une fleur » (J’ai longtemps contemplé), « se perdre en […] » (Kalabougie), « fausser compagnie » (Fantaisie militaire), « le plus clair de mon temps » (J’passe pour une caravane), « la caravane passe » (id.), « partir en fumée » (Volutes), « être noir de monde » (Noir de monde), etc. Ce qui importe désormais est de saisir le traitement qu’il impose à ces locutions, ou autrement la manière dont il arrive à se sortir des sables mouvants de la langue, comme est-ce qu’il parvient in fine à la mettre en branle. Il procède pour cela de trois manières différentes : soit par un jeu sur le contexte dans lequel il insère la locutions ; soit par un jeu sur les termes immédiatement présents dans l’environnement de la locution, d’un point de vue strictement syntaxique : quels sont les mots qui bornent, encadrent la locution, qui se situent dans son entourage immédiat ?) ; soit, empruntant à l’attitude surréaliste, par défigement de l’expression. Je ne retiendrai qu’un exemple pour chacun des types de traitement.

https://www.youtube.com/watch?v=U-tJQgsZp20

Concernant la relation au contexte général de la chanson, sa concrétisation la plus éloquente est celle que l’on peut trouver dans le texte de Station service, extrait de l’album Roulette russe: « Aujourd’hui j’ai plus les mains sales». Cette phrase, qui intervient à de nombreuses reprises dans le texte, subit l’action rétroactive du contexte de deux manières distinctes mais non contradictoires : en effet, le morceau dépeint, d’une part, la mort d’un « vice-président du conseil […] à l’arrière de sa DS », et de billet de « 100.000 lires » que l’on tend en faisant « promett[re] de n’jamais rien dire ». Ce genre d’affaire justifie pleinement qu’en « lâch[ant] son job », on n’ait plus les mains sales, et la conscience tranquille. « Avoir les mains sales » aurait donc bien ici le sens (figuré) qu’on lui connaît, celui de se compromettre dans d’obscures affaires. Mais (et c’est le deuxième sens possible de l’expression), l’action se passe, ainsi que le titre l’indique, dans une « station service ».On peut donc recevoir l’expression « avoir les mains sales » au sens propre , dans la bouche de celui qui en arrêtant son « job » n’a plus, enfin, à se soucier de l’état de ses mains. Partant de là, l’habileté de Bashung réside dans le fait qu’il fasse converger les deux sens (propre et figuré) sur la même expression, sans qu’ils n’entrent jamais en conflit, et sans que l’on soit jamais capable de décider lequel des deux il nous faut retenir : on ne peut jamais trancher quant à l’orientation qu’il nous faut donner à cette phrase. La seule chose dont nous puissions être sûr, c’est que par la mise en place d’un contexte spécifique appliqué à une expression particulière ou, inversement, par le choix d’une locution spécifique dans un contexte particulier, il nous pousse à reconsidérer cette dernière dans toute son épaisseur. Il nous oblige, par une subtile mise en contexte, à repenser l’origine de l’expression. Nous sommes forcés de nous confronter à la dualité principielle de toute locution mais que l’usage nous fait perdre de vue. En ce qui concerne le rapport au co-texte, on peut distinguer deux façons de procéder, toutes deux s’appuyant sur un usage particulier du lexique : par analogie, ou par antagonisme. Par analogie, j’entends que l’on trouve parfois dans l’environnement immédiat de la locution certains termes ressortissant du même champ lexical qu’elle, et que de cette proximité naît la figure. Ainsi pour la phrase suivante : « Je me tue à te dire / qu’on ne va pas mourir » (Mes bras) : la présence du verbe « mourir » fait immédiatement écho au verbe « tuer » (champ lexical de la violence et de la mise à mort), que pourtant l’usage nous à appris à ne plus entendre pour lui-même lorsqu’il s’inscrit dans la locution « se tuer à dire (qqch – à qqun -) » C’est la co-présence des deux termes qui nous pousse à revenir sur la locution et qui nous permet d’entendre, ici, la violence sur laquelle elle se fonde. « Je meurs pour te dire qu’on ne mourra pas ». A noter également que ce type de pratique est valable dans le cas d’expressions telles qu’ « un train s’en va sans crier gare », « il pleut des cordes sur ma guitare » (Rognons 1515), etc.). Mais cette prise de conscience peut également passer par le recours à deux termes antagonistes : « se perdre en retrouvailles » (Kalabougie) (ou encore « le plus clair de mon temps dans la chambre noire » (J’passe pour une caravane) : c’est donc ici le fait de rapprocher l’idée de « perte » et celle de «retrouvailles» qui fait sens. Le phénomène majeur qu’entraîne ce jeu sur le co-texte, est qu’il nous pousse à reconsidérer la locution dans toute sa matérialité ou dans toute sa texture. Bashung confronte d’une certaine manière l’espace figé de la locution, et l’espace dynamique de la phrase. L’auditeur bâtit le sens de manière progressive, et c’est cette entreprise de dévoilement qui le conduit à reconsidérer la locution, une fois opérée la compréhension du syntagme dans son ensemble. La présence du co-texte provoque en quelque sorte le vacillement de la locution, par un mouvement de va-et-vient permanent sur l’axe syntagmatique, d’un espace à l’autre. Même s’il ne s’agit pas d’un « défigement » en règle , cela participe tout de même d’une forme « d’ébranlement » de la locution. Le terme d’ « expression figée » signifie bien que le récepteur identifie le syntagme comme un bloc, dont les différentes composantes restent inconsidérées pour ce qu’elles sont. En rétablissant des liens de type lexical, Bashung rend perceptible un ou plusieurs éléments en particulier de la locution et lui rend son particularisme. De cette manière, il nous fait entendre les « rouages »de la langue.

Enfin, la troisième manière d’exploiter ces « phénomènes linguistiques » particuliers que sont les locutions, est le « défigement » de certaines « expressions figées » tel que le pratiquait les surréalistes, c’est-à-dire par l’intervention directe sur la configuration interne de l’expression : ainsi Madame ne rêve pas à des « foudres de guerres », mais bien « de foudres et de guerres » (Madame Rêve). De la même manière, ça n’est plus « la caravane qui passe », mais bien « Je [qui] passe pour une caravane ». L’expression est donc mise à nue, en une sorte de dissection, puis « remontée », de sorte qu’elle nous apparaisse comme neuve ou du moins, inouïe.

Par tous ces procédés, A.Bashung participe d’une remise en cause de la transitivité de la locution : on ne glisse plus sur elle comme sur ce bloc syntaxique que l’usage nous a appris à ne plus considérer pour lui-même, mais pour ce à quoi il renvoie : on est forcé de l’appréhender de manière individuelle. L’informulé remonte à la surface, se fait véritablement entendre. Bashung débarrasse la locution de son surpoids doxal, et elle devient ainsi, par son incongruïté et son intransitivité fraîchement acquise, un matériau à fort potentiel poétique.

Je voudrais pour finir évoquer deux procédés qui, s’ils ne rentrent pas pleinement dans les catégories factices forgées par mes soins, n’en demeurent pas moins des « points de surgissement » du sous-texte, des voies d’accès aux galeries qui parcourent les textes de Bashung. Le premier de ces procédés est un hybride entre ce que j’ai pu dire sur le principe de l’allophone et le jeu sur le co-texte : citons ainsi, pour illustrer cette catégorie, des phrases telles que « les délices qu’on ampute pour l’amour du connasse », ou « tu sauras où l’acheter le courage », ou encore « et que ne durent que les moments doux ». Cette figure se déploie en deux temps : d’abord Bashung sélectionne un terme, que l’on peut croire neutre mais qui en réalité contient en son sein la possibilité d’une seconde lecture ; puis il lui accole un second terme qui, par affinité sémantique, actualise en quelque sorte la seconde lecture possible du premier. Par exemple, il ne vient pas spontanément à l’idée d’entendre « lâcheté » où l’on nous dit « l’acheter ». Mais par l’association du mot « courage », son exact antonyme, cette métamorphose devient immédiate et évidente. Ainsi, chacune de ces phrases peut s’entendre « en plusieurs dimensions ».

Enfin, la dernière figure que j’aimerais citer simplement pour mention est celle de la syllepse, qui présente le double avantage de constituer un point de basculement du texte et un point de vacillement dans notre compréhension. C’est une figure qui met en déroute tant le texte que l’auditeur ; le texte hésite, et l’on hésite avec lui. Ainsi : « […] un concours de circonstance qu’aurait engendré ce paysage désolé/de n’être pas resté ». Le basculement s’opère ici au niveau du mot « désolé », qui s’accompagne en plus dans la chanson d’une pause dans la scansion. (On notera que l’expression « un paysage désolé » peut constituer également une forme d’expression figée – au moins dans un certain type de littérature.) Ce terme, sur lequel s’opère la jonction de deux sens, propre et figuré, les unit, et fait résonner la solitude de l’un dans l’embarras de l’autre. Dire le plus de choses avec le moins de moyens, voilà ce qui pourrait constituer une sorte de programme esthétique pour Bashung.

Voilà donc dans les grandes lignes ce que j’aurais eu envie de dire quant à l’écriture d’Alain Bashung, à ce que je pense être son fonctionnement, ses mécanismes, ses spécificités. Ce que je me suis efforcé de faire était de cerner les modalités d’existence du langage chez Bashung, ses différentes organisations, sa structure. Et de cette structure, le concept qu’il me semble falloir retenir est cette idée de densité, de permanence des images et de leur intégration en un plus vaste réseau. La langue d’Alain Bashung est une langue qui me paraît trouée en même temps qu’elle est stratifiée, où les différentes lectures possibles se déposent en une multitude de couches. Voilà ce que nous pourrions identifier comme le système poétique propre à Alain Bashung. Il faudrait aussi analyser d’éventuelles failles dans le système.

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Je vous déteste tous

Comme dans le sublime Samuel Hall, de Fantaisie Militaire. Tout y semble d’un absolu premier degré : absences d’images, de figures de style, de sous-texte, pauvreté du lexique, élocution hachée . Tout est fait pour que, à l’instar du héros, ce texte se marginalise du reste de la production de Bashung. Et c’est finalement dans cette perspective macrostructurelle que s’accomplit sa beauté, et qui en fait un alien dans l’œuvre du maître et incarne la trace insurpassable de l’Autre.

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je prends des trains à travers la plaine

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Electre de Sophocle à Richard Strauss

Electre est le sujet de ma nouvelle série inspirée par l'opéra éponyme de Richard Strauss dans la mise en scène de Patrice Chéreau pour le festival d’Aix en Provence . Je reviendrai plus loin sur cet opéra et ce spectacle. Tout d'abord allons à la source qui a inspiré Hugo von Hofmannsthal le librettiste de l'opéra de Strauss.

Le thème de l'Électre de Sophocle qui se rapporte aux légendes troyennes, est celui-là même qui fut traité par Eschyle dans ses Choéphores à la différence notable que c' est Electre qui est au cœur de l'intrigue et non son frère Oreste.

Sophocle n'est pas le seul à avoir écrit sur le thème d'Électre. La richesse des légendes grecques a été une source inépuisable d'inspiration pour les Tragiques. Ils ont proposé chacun de leur côté leur propre version de tel ou tel mythe: par exemple, Eschyle et Euripide avaient écrit un Œdipe, perdu, comme, malheureusement, la plus grande partie de la production des poètes tragiques. S'agissant d'Électre, Eschyle et Euripide en ont fait le thème central d'une de leurs pièces, que nous possédons encore, ce qui permet de comparer, texte à l'appui, les différences de traitement, tant du point de vue de la psychologie des personnages que des modifications opérées dans le mythe.

Dans ses conférences sur l'art et la littérature dramatiques, Schlegel a fait une comparaison entre les femmes endeuillées imaginées par Eschyle et l'Électre de Sophocle. Il montre qu'Eschyle a traité l'aspect le plus sombre de l'histoire, évoquant en détails les divinités terribles de la vengeance, les Érinyes. Sophocle, tout en n'oubliant pas cet aspect, raconte l'histoire avec infiniment moins de cruauté, en focalisant l'attention sur la seule Électre, sa constance dans l'adhésion à ses convictions profondes, et son héroïsme dans la souffrance.

« Ce qui caractérise particulièrement la tragédie de Sophocle est le peu d'influence qu'ont les dieux dans cet environnement pour le moins effrayant. En fait, la fleur de la vie et la jeunesse imprègne tout le décor. Apollon, le dieu-soleil, semble jeter son éclat partout ; même le point du jour avec lequel la pièce débute est tout à fait significatif. Le monde des tombes et des ombres est gardé à distance ; ce qui dans Eschyle est inspiré par l'âme de l'homme assassiné vient ici du cœur d'Électre vivant, qui se livre à l'amour autant qu'à la haine avec une force égale. »

Sophocle donne à Oreste une individualité plus cohérente qu'Eschyle. Avant, ou après le meurtre, Oreste ne montre jamais la moindre hésitation. Aucun scrupule de conscience ne le ronge. Il est beaucoup plus inflexible que l'Oreste peint par Eschyle comme le prouve la mise en scène macabre auquel il se livre avec le cadavre de sa mère avant de tuer Égisthe. Mais c'est dans le rêve de Clytemnestre qu'apparait le mieux le traitement différent des deux tragédiens. Celui d'Eschyle, terrifiant, intimidant au possible, est au cœur même de l'intrigue, alors que le rêve évoqué par Sophocle est, certes, majestueux dans son horreur, mais apparaît comme un détail secondaire et peu déterminant. Le surnaturel y est moins intense. Au drame symbolique teinté de mysticisme propre à Eschyle succède donc le drame psychologique sophocléen.

Quant à l'Électre d'Euripide, nous savons, vraisemblablement, qu'elle était contemporaine de celle de Sophocle, sans doute très légèrement postérieure. On l'a datée avec certitude de 413 av. J.-C. ; la pièce de Sophocle daterait, elle, d'environ 415.

Les différences entre les deux Électre sont criantes, même si Sophocle reprend à son compte les nouvelles tendances théâtrales de son époque, marquée par les innovations d'Euripide. Par rapport à Antigone, on constate une plus grande importance de l'action et une peinture plus expressionniste des personnages centraux. Cependant, dans Électre, si Sophocle offre grandeur et noblesse à son héroïne, Euripide, lui, fait le portrait d'une femme, certes résolue, mais plus trouble, plus cruelle, et moins digne. Le traitement euripidien tend à exacerber le côté passionnel de l'Atride, ce qui est bien dans sa manière. Quant à Oreste, il apparaît plus indolent, plus hésitant que le personnage créé par Sophocle. Inversement, la Clytemnestre d'Euripide est plus humaine, plus touchante, plus ambiguë que celle de Sophocle, qui apparaît sous le jour d'une femme très minérale, que nul sentiment ne trouble, et qui va même jusqu'à se réjouir de la mort de son propre fils. Chrysothémis est une pure invention de Sophocle : à travers elle, le poète renouvelle la confrontation entre deux sœurs comme dans Antigone, où Ismène, bien qu'alliée à sa sœur, montrait une personnalité plus souple qu'Antigone. Dans Électre, Sophocle radicalise les positions, au point que Chrysothémis devient la symbole de la mollesse, de la complaisance, voire de la compromission au pouvoir, choses qu'Électre ne peut supporter.

Adepte du « tout ou rien », inconsolable absolue, Électre vue par Sophocle est l'une des personnalités les plus fortes de tout le répertoire tragique grec. On peut la comparer avec l'Antigone du même auteur dans la fermeté des convictions et le courage sans limite. Mais Antigone agit dans le sens de l'amour. Électre tourne ses regards vers le « côté obscur », avec une seule finalité, une obsession même, qui tient de la pathologie : venger son père et se débarrasser de meurtriers impies doublés de tyrans odieux. Une autre différence notable avec Antigone, sa rage continuelle, ses éruptions verbales, voire sa morbidité, qui n'ont rien à voir avec le calme, la « force tranquille » de l'héroïne thébaine qui marche au supplice avec une fière résignation.

Toutefois, Électre a en commun avec Antigone la certitude d'être dans son bon droit, et elle n'éprouve visiblement aucun remords à réaliser avec Oreste son plan terrible, contrairement à l'Électre d'Euripide, un moment désarçonnée par l'horreur de son acte. Le meurtre d'Égisthe et de Clytemnestre ne semble pas avoir beaucoup choqué Sophocle, au point que sa tragédie exclut toute idée d'une vengeance divine, normalement consécutive à tout matricide. En effet, chez Eschyle et Euripide, les Érinyes, déesses de la vengeance, interviennent aussitôt l'assassinat perpétré. Dans les Euménides d'Eschyle, dernier volet de l'Orestie, Oreste devra procéder, non sans difficulté, à sa purification. De tout cela, nulle trace chez Sophocle, qui termine la pièce sur la fin de la malédiction des Atrides que ce meurtre, que l'on peut qualifier de légitime, a permise. La question d'une quelconque suite à donner à un acte si terrible, aussi lourd de conséquences dans la mentalité grecque, ne se pose même pas. Beaucoup d'auteurs antiques et même contemporains se sont d'ailleurs sentis troublés par une fin aussi brutale. D'aucuns y ont vu une justification tous azimuts de l'assassinat politique dans des circonstances particulières, comme Antoine Vitez dans sa mise en scène d'Électre en 1971 et 1986, qui a comparé, pour la justifier, la liquidation des deux Atrides avec les assassinats des plus ignobles collaborateurs à la Libération. Ainsi, dans le personnage d'Égisthe revu par Vitez, on reconnaît ouvertement Pierre Laval !

La pièce est remarquablement bien construite, avec une progression d'une grande intensité. La subtilité du ressort dramatique y est même supérieure à celle de l'Œdipe. De par ces qualités, Électre fut la tragédie la plus admirée par les érudits dès l'époque hellénistique.

Plus près de nous, l'œuvre a inspiré à Voltaire une pièce assez faible, puis au XXe siècle, Giraudoux et Hofmannsthal, dont le drame fournit la matière du livret de l'opéra le plus ambitieux et le plus noir de Richard Strauss, en 1909.

Avant de devenir un opéra emblématique de la modernité, Elektra est une pièce de théâtre de Hugo von Hofmannsthal. Comme Arthur Rimbaud, Hofmannsthal est un poète prodige qui a renoncé très tôt à la poésie, mais en continuant une carrière littéraire qu’il partagea essentiellement entre le théâtre et ses activités de librettiste. C’est au Deutsches Theater de Berlin, en octobre 1903, que Richard Strauss découvre la tragédie de Hofmannsthal, Elektra. Le point de départ d’Elektra sera donc identique à celui de Salomé (1905) adaptée de la pièce d’Oscar Wilde que Hofmannsthal avait vue à Berlin dans une production du même Reinhardt avec la même Gertrud Eysoldt… Mais si le musicien est d’emblée attiré par la pièce de Hofmannsthal qui fait écho à ses propres préoccupations artistiques, il hésite encore devant un sujet trop proche de celui de Salomé au moment où il souhaite explorer d’autres domaines. Le 11 mars 1906, le compositeur écrit au dramaturge : 

« Je suis plus passionné que jamais par ‘Elektra’ et j’ai déjà fait quelques coupures pour mon propre usage. La seule question que je n’ai pas encore décidée (…) est de savoir si, immédiatement après ‘Salomé’, j’aurai la force de traiter un sujet aussi semblable par maints aspects avec une entière fraîcheur d’esprit, ou si je ne devrais pas attendre quelques années avant d’approcher ‘Elektra’, jusqu’à ce que j’aie évolué suffisamment loin du style de ‘Salomé’ ».
Le 27 avril, Hofmannsthal, très désireux de travailler avec le musicien, lui répond de manière à dissiper définitivement ses doutes :
« 
Les « ressemblances » avec l’histoire de ‘Salomé’ me paraissent, si l’on y regarde bien, se résumer à rien (…). Le mélange des couleurs dans les deux sujets me paraît tout aussi différent dans leurs composants : dans ‘Salomé’, mieux vaut parler de mauve et de violet, l’atmosphère est torride ; dans ‘Elektra’, c’est au contraire le mélange de lumière et de nuit, d’obscurité et d’éclat (…) Mieux, la séquence, qui va rapidement crescendo, des événements relatifs à Oreste et à son acte (…) je peux (l’) imaginer bien plus forte quand elle est mise en musique qu’avec des mots écrits »



Sommet absolu de la tragédie lyrique, inspirée de la tragédie de Sophocle, Electre, associe une musique d’une grande audace et le crescendo d’une intrigue, d’une violence dramatique jusque-là inégalée. On reprocha souvent à Strauss ses excès d’orchestration. Ainsi, le rôle d’Electre, par la présence des tourments hystériques qu’il  commande, est l’un des plus éprouvants et exigeants du répertoire lyrique. Malgré un accueil réservé, insensiblement, l’opéra, dont le monologue final et la danse infernale d’Electre restent l’épicentre mélodramatique de l’ouvrage, fit la conquête des plus grandes scènes lyriques à travers le monde.

Avant d aller plus loin voici un résumé de l'ouvrage.

Electre, inconsolable, tout entière absorbée par le désir de venger la mort d'Agamemnon son père assassiné par sa mère Clytemnestre et son beau-père Egisthe pleure. Chassée du palais par Clytemnestre en proie à de terribles cauchemars prémonitoires, l’intransigeante Electre tente en vain d’obtenir l’aide de sa sœur Chrysothémis qui lui refuse. Cette dernière la met en garde contre Clytemnestre et Egisthe qui veulent l’enfermer. Electre espère aussi le retour de son frère Oreste , exilé loin du palais quand il était enfant. Seul son retour pourrait permettre d’accomplir enfin le châtiment des deux meurtriers du valeureux Agamemnon. Un mystérieux étranger arrive, qui n’est autre qu’Oreste dont on avait annoncé la mort. Il est venu  pour seconder sa sœur dans son implacable soif de vengeance.

La rencontre d’Electre et de sa mère révèle toute la haine et le ressentiment que se vouent les deux femmes, et combien Electre veut la voir mourir sous les coups de son frère. Après le départ de Clytemnestre, Chrysothémis vient annoncer à sa soeur la mort d’Oreste. Electre plonge alors dans un profond désarroi. Or l’un des deux étrangers porteurs de l’affreuse nouvelle n’est autre qu’Oreste lui-même, qui s’est fait passer pour mort afin de s’introduire au palais pour venger son père. La scène des retrouvailles, laisse paraître toute la tendresse et l’amour d’une sœur envers son frère. Oreste part accomplir Le châtiment. Le cri de Clytemnestre, suivi par le hurlement d’Egiste, confirment le double meurtre.  Electre, toute à sa joie, s’adonne à une danse frénétique avant de s’effondrer sans vie, laissant sa sœur désespérée et son frère silencieux.



Allons plus loin.



Opéra hors norme dont on a souligné à l’envie la démesure et l’éblouissante fulgurance, Elektra se déroule en un seul acte d’une tension extrême, centré autour d’une héroïne dévorée par une soif de vengeance obsessionnelle. L' orchestre porte jusqu’aux limites du langage tonal un drame qui puise sa part de ténèbres et de démence dans une antiquité primitive marquée par une sauvagerie troublante. Cette adaptation du mythe d’Electre, contemporaine des recherches freudiennes sur l’hystérie, offre une conception nouvelle des personnages requerant un langage musical dont la règle principale semble l’excès.

Romain Rolland écrit dans une lettre à Strauss datant de 1909 l’année de la création d’Elektra: « On est enveloppé et balayé d’un bout à l’autre par une force tragique. Plus qu’aucune autre de vos œuvres, celle-ci s’imposera à tous les théâtres du monde». C’est cette «force tragique» à la violence inédite qui induit une conception moderniste sollicitant toutes les ressources vocales de chanteurs menés aux limites de l’expression musicale.

La création d’Elektra eut lieu à l’Opéra Royal de Dresde le 25 janvier 1909. On peut parler d’un « succès d’estime » comme le note Strauss lui-même. Bien qu’il ait été repris sur de grandes scènes internationales dans les mois suivants, l’ouvrage était bien trop en avance sur son temps pour rencontrer un véritable triomphe.

Pour rendre l’atmosphère chargée d’agressivité et de démence qui caractérise cet opéra de la vengeance, Strauss fait se déchaîner un orchestre qui dresse une véritable barrière sonore, réclamant des chanteurs aux capacités exceptionnelles.

Dès les premières mesures de l’opéra, l’extrême violence de l’écriture rappelle certaines pages de Wagner. Une sorte de chaos orchestral traduit le chaos intérieur des protagonistes. Mais Strauss va encore plus loin. Il n'hésite pas à utiliser des procédés nouveaux, il s’engage résolument dans la recherche d’un « primitivisme musical » chargé de donner vie à un monde légendaire archaïque, au sens propre du terme, c’est-à-dire originel. Nous entrons avec Elektra dans l’univers de La Naissance de la Tragédie (1872) que Nietzche dédia à Richard Wagner. Nous retrouvons l’ivresse de Dionysos, l’impact foudroyant d’un mythe des origines, très loin de la sérénité apollinienne de la Grèce, modèle du classicisme. Elektra semble annoncer les déchaînements et les pulsations d’un rituel sauvage et primitif dont les rythmes inouïs et obsédants se feront entendre dans Le Sacre du Printemps (1913) de Stravinsky.

« Une force tragique »

Elektra s’ouvre abruptement. En guise d’ouverture s’impose un thème évoquant d’emblée Agamemnon, le héros qui à son retour de la guerre de Troie a été traîtreusement assassiné par son épouse et l’amant de celle-ci, Egisthe. L’auditeur est brutalement arraché au réel pour être emporté par «une force tragique» exceptionnelle pour un peu plus d’une heure et demie, jusqu’à ce que le vertige de la vengeance enfin accomplie submerge l’héroïne qui meurt dans les transes d’une danse sauvage et extatique. Elektra plonge ses racines dans la sanglante histoire d’une famille maudite, celle des Atrides qui régna sur une Mycènes légendaire, fascinante et inquiétante, symbole de la barbarie des temps immémoriaux. Richard Strauss, est attiré par cette Grèce des premiers âges mise en pleine lumière par le célèbre archéologue Heinrich Schliemann. Dans une Mycènes, « mélange de lumière et de nuit », Strauss et Hofmannsthal installent leur ouvrage commun. Les indications scéniques laissées par Hofmannsthal pour la représentation de sa pièce de théâtre étaient déjà sans ambiguïté. Elles éclairent aussi les enjeux de l’opéra où elles trouvent un prolongement aussi bien dans la construction du livret que dans les affrontements entre personnages :

« Le décor ne comporte absolument aucune de ces colonnes, de ces larges marches d’escalier, de toutes ces banalités antiquisantes qui sont plus propres à refroidir le spectateur qu’à agir sur lui de manière suggestive. Les caractéristiques du décor sont l’exiguïté, l’absence de possibilité de s’enfuir, l’impression d’enfermement(…) La grande cime d’un figuier (…) permettant de recouvrir la scène de bandes d’un noir profond et de taches rouges (…) Et l’on voit briller sur le mur ainsi que sur le sol de larges taches de sang ».

Comme je l'écrivais plus haut, on retrouve les principaux éléments de la légende des Atrides dans les poèmes homériques, puis chez les trois grands auteurs tragiques que sont Eschyle, Sophocle et Euripide. Hofmannsthal a privilégié la perspective retenue par Sophocle qui construit son drame autour d’une Electre animée par un inflexible désir de vengeance contrastant avec le droit à l’oubli que revendique sa sœur Chrysothémis. Comme l’Electre de Sophocle, celle de Hofmannsthal vit uniquement dans l’attente du retour de son frère Oreste, le seul  qui puisse accomplir son implacable volonté : venger le meurtre de son père Agamemnon en tuant ses meurtriers. Richard Strauss avait quant à lui une idée très précise du personnage d’Oreste auquel Hofmannsthal dut apporter quelques modifications à la demande expresse du musicien. Pour donner plus d’intensité au moment crucial où la sœur reconnaît son frère dont on vient faussement d’annoncer la mort, Strauss demande à son librettiste d’ajouter «quelques beaux vers». Cette scène de la reconnaissance entre les deux enfants de Clytemnestre et d’Agamemnon constitue un des sommets de l’ouvrage. Elle «touche au sublime du cœur» ainsi que l’écrivait Romain Rolland. Mais si Oreste apparaît comme la main du destin, sa présence n’égale pas celle des trois femmes dont la confrontation détermine le déroulement implacable du drame. Electre, Clytemnestre, sa mère meurtrière, et Chrysothémis, sa sœur trop humaine, dominent véritablement l’opéra.

Une histoire de femmes

L’opéra de Strauss comporte trois grands rôles féminins . Trois femmes unies par les liens du sang s’affrontent dans un grand déchaînement de violence sans pouvoir se comprendre. La mère et les deux filles sont à jamais séparées par le sang de l’époux assassiné, qui reste pour Electre un père dont l’absence est irremplaçable, tandis qu’il n’est pour Chrysotémis qu’un cruel souvenir à oublier pour tenter de vivre.

Rendue inflexible jusqu’à la sauvagerie par son obsessionnelle soif de vengeance, le personnage d’Electre semble d’ailleurs s’apparenter à l’un des cas cliniques décrits par Sigmund Freud et son collègue Josef Breuer dans les Etudes sur l’Hystérie qu’ils publièrent à Vienne en 1895. C’est en tout cas un des rôles les plus écrasants de tout le répertoire lyrique.  Electre fait sa première apparition sur scène d’une façon tout à fait saisissante dans un premier monologue. Elle sort de sa tanière comme chaque jour à son heure, « l’heure où elle pleure son père si fort que de ses hurlements tous les murs retentissent ». Sur un rythme de marche funèbre, la fille évoque le supplice du père dont elle invoque plusieurs fois le nom dans un appel déchirant qui scande son chant. A la fin de son monologue comme au début, retentira encore comme un cri le nom d’Agamemnon. Electre est aussi cette fille aimante qui implore son père avec la faiblesse de la tendresse : « Agamemnon !  Père! Je veux te voir, ne me laisse pas seule aujourd’hui ! Telle une ombre, montre-toi à ta fille là-bas, dans le recoin du mur, comme hier ! ». A cette douceur succède bientôt la violence des imprécations et la joie sauvage à l’idée de la vengeance qui va s’accomplir : « Ton fils Oreste et tes deux filles, nous trois quand tout sera accompli (…) Nous, qui sommes ton sang, nous danserons autour de ta tombe ». A la fin de l’opéra Electre sera emportée dans une transe sauvage, avant de s’écrouler, morte.

A côté d’Electre se tient sa sœur Chrysothémis. Elle ne partage pas la haine de sa sœur, mais craint les conséquences que son intransigeance pourrait avoir. Chrysothémis exprime des sentiments très différents : humaine, attirée par un bonheur maternel simple, elle représente la lumière et la volonté d’apaisement face à l’hystérie d’Electre. Le troisième personnage féminin de l’ouvrage est Clytemnestre, l’effrayante meurtrière hantée par le sentiment de sa culpabilité. Sa première et unique apparition constitue la scène la plus éprouvante de l’ouvrage. Le « visage blême et bouffi », Clytemnestre « littéralement couverte de pierres précieuses et de talismans », les « bras chargés d’anneaux, ses doigts couverts de bagues »,  s’avance à la tête d’un cortège sacrificiel cauchemardesque. La reine en proie aux rêves les plus terrifiants se lance dans un monologue halluciné et glaçant. Véritable décryptage psychanalytique du personnage, ce récit où se mêlent souffrances et obsessions est porté par un orchestre qui épouse tous les méandres d’une âme tourmentée. Tour à tour hautaine, inutilement maternelle ou effrayée, puis déchirée entre la terreur et la colère, Clytemnestre quitte la scène « gavée jusqu’au cou d’une joie sauvage » en se réjouissant trop vite de l’annonce de la mort d’Oreste.

Contemporaine des premières œuvres atonales d’Arnold Schöenberg , Elektra est une des partitions les plus représentatives du début du XXème siècle. On peut rapprocher le langage musical volontairement excessif de Strauss de la sauvagerie du Sacre du Printemps de Stravinsky ou de la musique convulsive d’Erwartung composé par Schöenberg . On peut voir dans l’extraordinaire tension de ces différentes œuvres la marque d’une époque qui allait sombrer dans la sauvagerie et le chaos de la guerre. Quoiqu’il en soit, la perception d’Elektra ne doit pas être faussée par la violence du sujet et du langage musical qu’il appelle. L’écriture vocale parfois proche du cri, l’abus des dissonances et l’audace des harmonies ont pu conduire Gustav Mahler à dire qu’«il ne pouvait plus suivre» Strauss dans une telle évolution. Mais le compositeur ne semble pas chercher systématiquement à «déconstruire» pour construire un langage musical moderne. Il cherche à repousser les limites de la musique pour trouver l’expression la plus adaptée aux émotions extrêmes dont son époque a voulu s’emparer.



En juillet 2013, trois mois avant sa mort, Patrice Chéreau faisait son grand retour au Festival d'Aix-en-Provence dans la mise en scène d'Elektra". C'était six ans après «de la maison des morts» de Janacek

Cette fois, il s'agit de la maison d'un mort. Celle d'Agamemnon

Dès le prologue, silencieux, on sent que Chéreau tient sa tragédie. Les balais des servantes sur les escaliers de pierre, l'eau dispersée sur le sol afin d’empêcher la poussière de voler, sont autant de rituels antiques. La musique entre en coup de vent avec l'ouverture d'une porte. Electre, en haillons, est reléguée dans la cour avec les domestiques, en proie à des visions de mort. Patrice Chéreau lui a donné un côté clocharde céleste. La soprano allemande Evelyn Herlitzius est d'une lumière et d'une grâce confondante. Cette bête fauve et rampante, raillée par les uns, crainte par les autres, ne se dresse plus que dans la douleur de l'imprécation, dans une quête désespérée de l'autre. Luttes et enlacements procèdent de ce combat : qu'Electre embrasse les genoux de sa mère qu'elle veut pourtant détruire qu'elle lutte avec sa sœur Chrysothémis pour la convaincre de tuer avec elle, ou qu'elle enlace amoureusement Oreste reconnu sous les traits du jeune étranger venu annoncer , par ruse, sa propre mort.

Le décor est d'une pureté classique. Une cour bordée de hauts murs lissés avec au fond ce qui ressemble à un grand mihrab, des portes basses, un portail en fer plein . Dans cet espace unique, chaque détail de la mise en scène prend un relief chorégraphique : chœur des servantes, travaillé de manière picturale sur la musique, lumières raffinées , la ronde des regards jamais arrêtée. Patrice Chéreau a donné à la danse, la marque d'Electre, des gestes sinueux, rageurs ou dégingandés jusqu'à la transe. Une fois le destin accompli, Electre restera coite, comme arrêtée.

Corps et voix hallucinés, l'impressionnante Evelyn Herlitzius tient le plateau sous sa coupe de sa voix singulière aux aigus vibrionnant, aux teintes fuligineuses. Loin du monstre d'impudeur si souvent campé, la Clytemnestre de Waltraud Meier est d'une beauté touchante et profondément humaine. Le récit de ses mauvais rêves a gardé quelque chose du songe. La voix est toujours d'un chaud galbe altier. Adrianne Pieczonka, est une Chrysothémis de rêve au timbre charnu, à l'émission pleine, la ligne belle et soutenue. Celle qui veut vivre, se marier, avoir des enfants a quitté l'habituelle petite-bourgeoise conformiste pour une femme de chair, de sang et de tempérament.







Chéreau apporte le mouvement, la vérité des êtres sur le plateau. Il focalise son énergie sur la direction d'acteurs, transfigurant systématiquement la plupart des chanteurs qui auront croisé sa route.

Elektra, chant du cygne qui nous occupe aujourd'hui est la preuve ultime de la démarche de celui qui fut écartelé entre le Théâtre, d'où il venait, et le Cinéma, où il voulait aller. L'Opéra n'aurait-il été pour lui qu'un entre-deux ? C'est à voir…

Artiste aux expressions multiples, humble artisan pétri par le doute, Patrice Chéreau cherche inlassablement ce qu'un personnage de 3.000 ans d'âge peut nous transmettre. Il ne se contente pas de l'autosatisfaction commode dont il se méfie. Il nous laisse aux prises avec l'imaginaire qu'il nous lègue. Ses films, étaient toujours passionnants, rarement aboutis, et l'ultime, Persécution, carrément gênant. D'où l'idée, au bout du compte et à son cœur défendant, que l'Opéra lui aura permis les plus grands accomplissements.






Comme on est loin, avec cette Electre du monstre assoiffé de sang que l'on nous avait vendu et que l'on aurait jamais souhaité croiser au coin d'un bois ! Alors qu'ici, on découvre que l'on a tant à échanger avec elle.











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Edgar Degas, classique ou moderne ?

Il y a un peu plus de cent ans, le 27 septembre 1917, mourait le peintre Edgar Degas Si l’on retient volontiers de lui qu’il était “le peintre des danseuses”, sa carrière a en réalité été bien plus vaste, de la peinture à la sculpture, en passant par le dessin et la photographie.

C'est en visitant la fondation de l’Hermitage à Lausanne que j'ai eu l'idée d'une série de créations en hommage à Degas. En effet s'y tenait une exposition consacré au pastel qui est un médium fascinant à la croisée du dessin et de la peinture. Cette exposition rassemblait 150 chefs-d’œuvre de collections suisses publiques et privées. Offrant une véritable histoire de cette technique originale, la présentation traversait près de cinq siècles de création, des maîtres de la Renaissance aux artistes contemporains. De Degas, on pouvait y admirer entre autres les Danseuses au repos.

Cent ans après sa mort, l’artiste résiste à toutes les tentatives de classification de son œuvre.

Edgar Degas est l’homme des paradoxes; peintre par excellence de la vie contemporaine, des cafés et des salles de spectacle, il est passionné par la culture classique et la peinture ancienne qu’il collectionne avec talent. Lui qui incarne parfaitement la double modernité prônée par Baudelaire, celle du sujet et celle des moyens plastiques, est en même temps celui qui dessine patiemment en atelier des scènes que l’on dirait surprises par un appareil photographique. Mieux encore, l’artiste que le poète Paul Valéry évoquait dans son ouvrage Degas, danse, dessin affirme qu’il faut regarder la tradition pour mieux être moderne! Il fut toutefois l’un de ceux qui renouvelèrent le plus profondément la thématique de la peinture.



Il fréquente les cafés, où il fait la connaissance d’artistes comme Manet, figure emblématique de la modernité, Manet, qui joue un rôle d’initiateur, le pousse à se détourner de la peinture d’histoire aux références mythologiques ou religieuses pour se consacrer aux scènes de la vie contemporaine.

Ces années marquèrent l’explosion de l’impressionnisme. Degas participa à la première exposition du groupe en 1874 bien que fort éloigné de la poétique de ses amis en particulier leur goût pour la nature.

«L’ennui me gagne à contempler la nature. À vous, il faut la vie naturelle, et moi la vie factice», écrit le peintre, qui préfère les lieux clos des spectacles et des plaisirs, soumis aux éclairages artificiels. Ses rares scènes d’extérieur s’intéressent plus au mouvement rapide des chevaux qu'il capte en une lecture nouvelle et en traits rapides comme dans «à l'hippodrome»

Il se consacra exclusivement aux scènes d’intérieur rendues avec des cadrages de plus en plus novateurs (Le Bureau de coton à La Nouvelle-Orléans, 1873); le monde du théâtre, les chanteurs, les musiciens et les ballerines constituent des thèmes récurrents de sa peinture. Les danseuses sont saisies en pleine répétition étudiées comme purs effets de mouvement, devenant plus tard essence de couleur vive. Degas représente également des repasseuses (Deux Repasseuses, 1884), des modistes et tous les types de figures féminines. De ses études réalisées au pastel émane une poésie embuée : les plans colorés y sont de plus en plus saturés jusqu’à la fin de sa vie. Très graphique dans les années 1860, le style de Degas se distingue tout au long de sa carrière par une grande sûreté de mise en page et par des compositions aux espaces coupés ou décentrés de plus en plus originaux qui le situent dans la grande tradition classique.



En dépit de son appartenance au groupe du Café Guerbois, Degas demeura toujours un artiste figuratif. Condamnant néanmoins les sujets académiques, il s’intéressa de façon privilégiée aux loisirs de la haute bourgeoisie, notamment l’opéra et les courses de chevaux. Degas cependant rejoignant en cela l’approche du courant réaliste, était loin de rester indifférent aux problèmes sociaux. Le travail de ses repasseuses, baignant dans une atmosphère embuée et malsaine, est comme l’antithèse des scènes de fêtes de Renoir.



La modernité des peintres impressionnistes est évidente. Stimulés par la comparaison avec la photographie, ils essaient de trouver une solution alternative aux méthodes traditionnelles de représentation de la figure humaine au cours des siècles.

Edgar Degas se passionne pour la photographie, qui l’aide dans ses efforts pour «résumer la vie dans ses gestes essentiels». Le peintre n’hésite pas à désaxer le point de vue central, à fractionner le champ visuel, à laisser d’importants espaces vides, à montrer les sols, à tasser les formes, comme dans sa série de nus de femmes, un ensemble de pastels présentés en 1886 à la dernière exposition impressionniste, dont le plus emblématique –LeTub– montre une femme accroupie dans une bassine. Les figures nues occupent une place importante dans l’œuvre de Degas et reflètent son évolution stylistique, de ses premiers dessins de «nu idéalisé» aux représentations du corps beaucoup plus incarné et sexuel réalisés à la fin de sa vie. Inspiré par les décompositions photographiques du mouvement d’Eadweard Muybridge, le peintre va donner une vie au corps comme jamais cela n’a été fait auparavant. Son observation minutieuse du mouvement à travers la danse le distingue également des impressionnistes. Degas privilégie la vie quotidienne des danseuses, qu’elles soient sur scène, en coulisse lorsqu’elles se déshabillent ou pendant leurs répétitions. Il peint leur fatigue après l’effort, leur souffrance physique, et s’emploie à reproduire fidèlement leurs gestes. Avec L’Orchestre de l’Opéra , il signe une composition audacieuse grâce à une superposition de plans : au premier plan, la fosse des musiciens, au second, la scène avec des danseuses sans tête formant un tourbillon de jambes et de tutus.

Une grande partie des peintres impressionnistes consacre également ses toiles aux scènes de la vie moderne, avec un naturel et un réalisme immédiat. Ils reprennent dans ses œuvres les « scènes de genre », très répandues dans la peinture ancienne, même si on les considérait alors comme des œuvres mineures, presque à la limite entre l’art et l’artisanat, peu appréciées, parce qu’on les estimait d’un niveau culturel très bas et destinées à un public peu cultivé et raffiné. Dans les compositions de Degas, le geste le plus banal prend une particulière douceur poétique et une intimité familière d’une extraordinaire spontanéité. Nous sommes très loin des grandioses évocations historiques qui triomphent sur les murs des Salons.



Habitué assidu à l’Opéra, Degas nous fait respirer l’atmosphère toujours frénétique et chargé d’émotion qui précède la «première». À partir de 1871, les danseuses vont devenir les seuls personnages des tableaux de Degas pendant qu’elles s’entraînent dans la salle de répétition ou derrière les coulisses, tandis qu’elles se préparent pour son entrée en scène. Il nous transmet avec réalisme et naturel les gestes des jeunes filles, même les moins gracieux et les moins féminins, pour nous faire comprendre qu’elles sont comme toutes les autres jeunes filles et que la grâce et l’élégance que le public admire sont le fruit de longs et fastidieux entraînements. Degas est fasciné par le point de rencontre subtil du mouvement et de l’équilibre d’une danseuse sur les pointes. Il accentue leurs gestes et les souligne par des touches rapides. Sa façon de distribuer les couleurs du fond semble aussi créer une sorte de tourbillon autour d’elles, comme si notre perception visuelle était conditionnée par le tournoiement rapide de leurs bras et de leurs jambes, au point d’avoir l’impression que toute la salle se déplace.

Au fil des ans, Degas tend à abandonner les ambiances raffinées et élégantes et porte son attention sur le monde des humbles. Après le voyage à la Nouvelle-Orléans (1873) il commence à s’inspirer de la vie quotidienne et austère des lavandières, femmes de chambre et couturières dans des appartements modestes. L’exposition de 1874 qui se tient dans l’atelier de Nadar, marque l’apogée du mouvement impressionniste mais aussi la fin d’une saison de grande créativité pour certains maîtres. Après cette date, une nouvelle époque s’ouvre pour Degas. Dans le tableaux «L’absinthe», la désolation du café reflète l’absence de perspectives humaines pour la jeune femme désemparée, perdue dans une solitude et un néant qui semblent se répandre autour d’elle. il peint la solitude d’une femme devant un verre d’absinthe, prise dans l’étau de l’alcool. Le réalisme de la scène se trouve renforcé par un cadrage décentré qui donne l’impression au spectateur d’être assis, en face, à une table voisine. Après avoir écrit son roman L’Assommoir, Émile Zola avouera au peintre: «J’ai tout bonnement décrit, en plus d’un endroit dans mes pages, quelques-uns de vos tableaux.»Dans son étude du corps humain, il découvre la gestuelle des repasseuses, des femmes qui se coiffent, qui se lavent dans un tub. La touche de Degas devient rapide, presque sténographique, car sa vue commence à décliner. Enfin, quasiment aveugle, il se consacre définitivement à la sculpture sur argile et en bronze.

Degas est aussi sculpteur, avec plus de cent cinquante œuvres en cire ou en terre. Partagé entre féerie des costumes et situation sociale misérable des danseuses, l’artiste, guidé par sa recherche de l’essentiel, réalise des sculptures parfois incomprises du public. Ainsi, quand il présente au Salon des impressionnistes de 1881 la célèbre Petite danseuse de 14ans, dite aussi Grande danseuse habillée, les critiques s’offusquent devant cette œuvre au réalisme cru.



Quelques années avant sa mort, Degas est atteint, comme Monet, du plus grand malheur des peintres: la cécité. Le 25 septembre 1917, le poète Paul Valéry, apprenant le décès de son ami, déclare: «Le travail, peu à peu, lui devint impossible, et sa raison de vivre s’évanouit avant sa vie.» Edgar Degas laisse plus de deux mille tableaux. Bien qu’il s’en soit toujours défendu, l’artiste est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands créateurs de l’impressionnisme. Ses recherches sur la lumière et le mouvement, son rejet de la peinture d’histoire, ses cadrages novateurs inscrivent son œuvre dans la modernité. S’il n’a pas eu d’élève, Degas a fortement influencé les artistes de l’avant-garde, de Gauguin à Matisse et à Picasso, des Nabis aux expressionnistes allemands.

Je terminerai en citant ces mots qu’il adressait au marchand Ambroise Vollard : "J'ai passé toute ma vie à essayer".

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Pourquoi écrire sur Dimitri Chostakovitch? Tout d'abord parce que par certain coté il reste une énigme. Par ce que j'aime sa musique, vous découvrirez plus loin pourquoi. Et parce que sa symphonie N° XIII a inspiré les images de l'album babi yar .


Dans le contexte de la guerre froide, l'œuvre de Chostakovitch nous parvint pendant longtemps déformée. Dans les années soixante-dix des témoignages de dissidents et rescapés de l’univers concentrationnaire, vinrent s’inscrire en faux contre les histoires officielles, ou du moins les corrigèrent sensiblement. Dans ce processus de “reconnaissance historique” parurent (en 1980 pour l’édition française) les “Mémoires” de Chostakovitch. Certes ce
Témoignage (recueilli par Solomon Volkov) reste controversé. Mais par la suite, la publication de plusieurs autres documents, celle de correspondances ou d’écrits biographiques, confirma le portrait brossé dans cet ouvrage. On y découvrait un personnage éloigné du portrait officiel, un humaniste étranger à l’idéologie stalinienne, un homme désabusé, d’un scepticisme éprouvé, se cachant tant bien que mal derrière ses sarcasmes.

On sait aujourd’hui que Chostakovitch consacra une partie de son temps et de son énergie à aider quelques uns de ceux qui, bénéficiant de la relative libéralisation du régime soviétique, revenaient de captivité.Plus récemment, la publication des Lettres à un ami (la correspondance avec Isaac Glikman) confirmait en grande partie les propos relevés par Solomon Volkov pour la période allant de 1941 à la mort du compositeur.



Dimitri Chostakovitch gardait à portée de main une petite valise qui contenait des vêtements de rechange et quelques affaires de toilette. Chaque soir, avant de se coucher tout habillé, il la posait au pied de son lit. Chostakovitch se réveillait souvent, guettant le moindre bruit. C’était la nuit qu’avaient lieu les arrestations. Dans sa tête devait résonner la petite phrase d'un article de La Pravda : “Un jeu qui peut mal finir... ”. Chostakovitch se retrouvait seul, ou presque. Ses connaissances le fuyaient, ou cessaient de lui téléphoner. On le traitait publiquement “d’ennemi du peuple”. Certains s’étonnaient de le savoir encore libre. Le compositeur recevait des lettres anonymes qui lui promettaient toutes un sort funeste. Chostakovitch avait peur, et les rares amis qui le soutenaient encore avaient peur pour lui C’est dans ces moments là qu’il a songé au suicide. C’était peut-être la seule solution, pensait-il. Au moins on le laisserait tranquille. Il en aurait terminé avec les persécutions. Cela le soulageait d’y penser, d’une certaine façon...

Jamais, dans l’histoire de la musique occidentale, un musicien de cette stature ne fut soumis à pareille pression de la part d’un pouvoir. Chacun s’accorde sur les souffrances qu’endura Chostakovitch durant la période stalinienne. On reconnaît sans barguigner qu’il fut la victime d’un régime totalitaire.

Le temps a passé depuis la publication des nombreux témoignages sur la vie de Dimitri Chostakovitch et les conditions dans lesquelles il écrivit son œuvre. Par delà le personnage Chostakovitch, dont ces témoignages détruisaient l’imagerie encore dominante, il est enfin permis, possible et légitime d’écouter cette musique pour elle-même. La parole reste à la musique. Rien que la musique qui s’insurge contre la condition faite à l’homme. Cette musique - la plus “humaine” peut-être jamais composée, dont les accents tragiques et la mélancolie, de plus en plus présente au fil des années font de Chostakovitch le parangon contemporain du pathos, de la déploration et du désespoir C’est cela, fondamentalement, qu’il faudrait retenir de l' écoute de l' œuvre.

Aujourd’hui nombre de nos contemporains ne connaissent Chostakovitch qu’à travers la Suite pour orchestre de jazz N° 2 : plus précisément la valse extraite de cette suite. Cette Suite n’a qu’un intérêt anecdotique. Son succès est dû aux incontestables qualités mélodiques de la fameuse valse mais aussi au soin qu’apportait le musicien russe à la moindre orchestration, même pour des œuvres d’intérêt secondaire.

La musique de Chostakovitch est jouée partout dans le monde et il semble même que sa cinquième symphonie ait été l’œuvre la plus jouée et enregistrée à la fin du XX siècle.

Mais venons en à la musique qui a inspirée mes images.

L’engagement de Chostakovitch en faveur de la minorité juive, tout au moins en ce qui concerne l’inscription musicale, date de la création du Trio pour piano, violon et violoncelle en 1944. Le dernier mouvement, allegro, s’inspire d’un thème de musique juive. Cette œuvre est dédiée à la mémoire d’Ivan Sollertinsky, son plus proche ami qui venait de mourir. Cette disparition avait bouleversé Chostakovitch. Dans le largo, les accords graves du piano résonnent comme un glas tandis qu’un thème réitéré au violon et au violoncelle n’est pas sans rappeler le rituel de la liturgie orthodoxe.
Cette thématique inspirée de la musique juive se retrouve dans plusieurs œuvres ultérieures au Trio : le Premier concerto pour violon, et les Quatrième et Huitième quatuors par exemple. Mais ce sont surtout les Poésies populaires juives, composées en 1948, qui représentent le meilleur témoignage du philo-sémitisme de Chostakovitch. :”Un jour, après guerre, en passant devant une librairie, je vis un petit volume avec des chants populaires juifs. Je pensais qu’il y aurait des mélodies, mais le livre ne donnait que les textes. Il m’a semblé que si je sélectionnais quelques textes et les mettais en musique, je pourrais raconter le destin du peuple juif. Car je savais à quel point l’antisémitisme se répandait partout” .
Ces onze mélodies pour soprano, contralto et ténor respectent l’esprit de la musique yiddish . Ce cycle décrit le destin de pauvres juifs : la faim, la misère, la prison, la peur, les abandons, les séparations douloureuses. Ce sentiment de douleur, présent dans les huit premières mélodies du recueil, se trouve parfois mis à distance par un humour traduisant cette permanence du “rire à travers les larmes”. Dans la huitième mélodie, qui logiquement aurait dû clore le cycle, la musique émet une protestation plus générale. Chostakovitch laissait entendre que dans la Russie soviétique la misère, la faim et la déportation ne concernaient pas que les juifs. Mais à travers la musique juive il avait trouvé la métaphore pouvant l’exprimer.
Le climat antisémite de la fin des années quarante dissuade cependant Chostakovitch de faire connaître cette œuvre. Quoiqu’elle ne puisse être rangée dans la catégorie des “perversions formalistes” dénoncées par Jdanov la même année, les intentions exposées plus haut ne plaidaient pas en faveur d’une lecture de ces Poésies populaires juives par l’Union des compositeurs. La création aura lieu (avec accompagnement piano) en 1955.

Plus tard, en 1961, un poème de Evtouchenko, Babi Yar, est publié dans la Gazette littéraire. Isaac Glikman le fait immédiatement connaître à Chostakovitch. Ce dernier sort profondément ému de cette lecture. “Babi Yar”, du nom d’un ravin situé près de Kiev où les troupes allemandes exécutèrent en 1941 des milliers de juifs, fait référence à d’autres atrocités : à l’oppression des juifs dans l’Égypte ancienne et durant l’ère chrétienne, à l’affaire Dreyfus, à Anne Franck, et à un enfant russe écrasé sous les bottes d’une bande de progrommistes ivres, et dénonce ouvertement l’antisémitisme ambiant. Chostakovitch décide dans un premier temps d’écrire un poème symphonique sur les vers de Evtouchenko. Quelques mois plus tard, après avoir composé une version pour piano et chant de “Babi Yar”, il se propose d’intégrer ce fragment dans un ensemble (toujours sur des poèmes de Evtouchenko) qui deviendra la Treizième symphonie.
En raison du caractère particulier de cette œuvre le pouvoir s’émeut. Des pressions sont exercées sur les chanteurs afin de les dissuader d’interpréter la partie soliste. Quelques jours avant la première, lors d’une réunion d’écrivains et d’artistes à laquelle Evtouchenko et Chostakovitch assistent, Kroutchev déplore que Chostakovitch se soit cru obligé de composer une symphonie soulevant sans aucune nécessité “la question juive” alors que les fascistes n’avaient pas tué que des juifs. La création de la Treizième symphonie n’est cependant pas annulée en raison des risques de répercussions défavorables à l’étranger. La première se déroule dans un climat tendu : des forces de police ont pris place devant l’entrée de la salle de concert, et les textes de Evtouchenko, contrairement à l’usage, ne sont pas imprimés dans le programme. Avant la seconde représentation, Evtouchenko publie une nouvelle version du texte de “Babi Yar” expurgée et débarrassée de ce qui gênait. Le poète cédait aux pressions du pouvoir : on lui avait demandé de modifier plusieurs vers afin qu’aucun doute ne subsiste sur un “prétendu antisémitisme du peuple russe”. Chostakovitch protesta mais on lui fit comprendre que le sort de cette symphonie dépendait des modifications apportées par Evtouchenko.

La création de cette Treizième symphonie demeura néanmoins associée à une manifestation de protestation contre le régime.



Pourquoi j’aime Chostakovitch ?

Je l’aime parce que j'ai un goût certain pour la musique russe les russes et la Russie. Je l’aime pour le personnage de Katerina Ismailova, pour son aversion de l’antisémitisme, pour une certaine idée du tragique. Pour sa haine du tyran, pour ses requiem à la mémoire des victimes. Dans sa quatorzième symphonie trois poèmes (les deux premiers d’Apollinaire, le troisième de Küchelbecker) forment un triptyque interprété par la basse. Au sujet du second poème d’Apollinaire, Chostakovitch dit ceci “Ce n’est pas contre la mort que je proteste, mais contre les bourreaux qui mettent les gens à mort”.

Je l’aime aussi pour ce corps qui le trahissait, pour ses mains qui tremblaient, pour la mélancolie des dernières années, pour sa rage et son ironie mordante. je l’aime aussi pour le dénigrement presque systématique dont il fut un temps l’objet, pour avoir été l’ami d’Ivan Sollertinski et de Mikhail Zochtchenko, pour les persécutions qu’il dut subir une partie de sa vie, pour son refus de toute complaisance sur sa personne. Parce que c'était un homme brisé, malade et atrocement et radicalement pessimiste. Chostakovitch ne s’illusionnait plus sur les possibilités de transformation du régime soviétique. Il se méfier des idées et des mots. Il ne s’exprimait qu’à travers sa musique. Et A la fin de sa vie il avait tant intériorisé insatisfactions et souffrances qu’il lui était difficile ou impossible de mettre le poids de sa renommée du bon coté de la balance ou d’intervenir. Là où Chostakovitch prenait parti, se battait, s’insurgeait, c’était à travers la musique qu’il écrivait. Et l’on peut difficilement parler de consolation dans une vie inconsolable par excellence.

Chostakovitch dans une lettre adressée à Isaac Glikman écrit ceci : “J’ai été déçu par moi-même. Plus exactement par le fait que je suis un compositeur insipide et médiocre. En me retournant du haut de mes soixante ans vers “le chemin parcouru”, je dirai que deux fois j’ai été l’objet d’une grande publicité (Lady Macbeth et la Treizième symphonie ). Cette publicité agissait très fort. Mais quand tout se calme et se remet en place, on voit que Lady Macbeth et la Treizième symphonie ne sont que des “pschitt”, comme on dit dans Le Nez “.
Chostakovitch doutait et le doute s’insinuait tel un poison. Il avait le sentiment d’une vacuité. Il écrivait plus loin : “Cependant la composition, ce penchant malsain, ne me lâche toujours pas”. La déception devenait inhérente à la vie : il avait fini par en prendre son parti. Et puis, de déception en déception, il finissait par admettre que l’art était supérieur à la vie.

Les moralistes confortablement installés dans leur fauteuil de critique ou de donneur de leçons feraient mieux d’écouter la musique de Chostakovitch : ce qu’il avait à dire, le compositeur l’a exprimé d’abord et avant tout dans son œuvre.

Je l’aime enfin pour tout ce qui distingue sa musique des autres compositeurs et pour ce que je ne saurai dire sur elle...



Si vous regardez des photographies de Chostakovitch, vous constaterez que dans les années vingt et au début des années trente il présente “le visage insouciant de la jeunesse”. Dans les photos postérieures à l’année 1937 le visage de Chostakovitch se ferme, se crispe et son regard devient fixe, vide et impersonnel. Chostakovitch exprime un tel malaise que l’on s’attend à voir surgir Staline derrière lui. Épreuves et tourments auront donc façonné ce visage jusqu’à lui faire prendre ce masque tragique que Chostakovitch conservera presque jusqu’à la fin.

Début 1969, dans une chambre d’hôpital, Chostakovitch écrit en un peu plus d’un mois la partition pour piano d’une œuvre qui sera sa Quatorzième symphonie. La peur que sa main droite devienne paralysée, celle aussi de devenir aveugle et divers autres problèmes de santé expliquent cette rapidité. La veille de son hospitalisation, Chostakovitch réécoutait les Chants et danses de la mort de Moussorgsky, une œuvre qu’il avait orchestré en 1962. Ce thème, la mort, n’était pas sans l’obséder depuis quelque temps. Le compositeur va utiliser cette période de repos forcé pour s’efforcer de le traduire et de l’illustrer sur un plan musical.

Dimitri Chostakovitch est mort le 9 août 1975. Quand le défilé commença devant la dépouille du compositeur, on put voir que Chostakovitch souriait : la mort semblait l’avoir saisi dans une expression de bienheureux. L’auteur de la musique “la plus désespérée du monde” était parti en arborant un masque mortuaire presque hilare.





















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« Voyage d’hiver » a été conçu et créé pendant les mois de décembre 2017 et janvier 2018.

l s’agit d’une série de 24 photographies tirées sur toile imaginée au cours d’une période de recherche d’un renouvellement stylistique. Ce fut aussi un temps de grande difficulté personnelle pendant lequel le cycle de lieder de Schubert winterreise (voyage d’hiver) m’a accompagné en permanence. Il en constitue en quelque sorte la bande-son.

Il ne s’agissait pas d’illustrer les compositions de Schubert mais mes propres obsessions, préoccupations et blessures. Les gens qui vous tournent le dos, l’abandon, la solitude, la cruauté humaine, l’amour, le chaos et la spiritualité, la crédulité et la superstition, le voyage, la mort et un possible mais improbable paradis blanc… J’ai trouvé chez Schubert un compagnon de route dont je me sentais proche et dont les états d’âme me parlaient.

Voici donc une présentation de «Voyage d’hiver» qui aurait pu tout aussi bien s’intituler voyage au bout de la nuit ; Voyage de Schubert et peut être le mien car comme disait en substance Jean Renoir: parler des autres , c’est parler de soi.

À la fin d’un récital de Winterreise, un silence mystérieux et souvent prolongé se fait. Il règne un sentiment de gravité comme si le public avait approché un univers supérieur, ineffable et intouchable. Après avoir pénétré si profondément des arcanes aussi intimes et entendre se dévoiler de telles fragilités, le retour à la «normalité» peut poser quelques problèmes. Il en est ainsi , je crois, pour l’artiste en ce sens que la mise à nu de ses tourments ne peut le laisser indemne.

Beaucoup de ceux qui écrivent sur l’art dénoncent la pratique des biographies critiques. Ils nient l’importance de la vie personnelle dans la création. Il n’y a pas de relation claire et normative entre la vie et l’art ou l’art et la vie. Mais la relation entre expression artistique et expérience vécue fonctionne sur un espace plus vaste. L’Art est dans l’Histoire, crée par des êtres humains qui vivent, pensent et ressentent. Il se fait dans la rencontre et le conflit entre vie et forme combinant les mondes de l’émotion, de l’idéologie et les contraintes matérielles. Il n’existe pas dans une sorte de vide abstrait idéalisé.

Dans les lieder de Schubert, je ne parle pas ici de winterreise en particulier, le choix des textes lui-même est révélateur des variations de sa pensée et corrobore les fluctuations qu’il est possible de constater dans son journal et ses lettres. Depuis le décès de sa mère, la mort tient une grande place dans ses pensées. Tantôt elle lui paraît comme l’arrêt total de tout ce qui fait le prix de la vie, tantôt comme une porte ouverte sur une existence plus parfaite.

«des instants de bonheur égayent la sombre vie; là-bas, ces instants de bonheur seront une jouissance perpétuelle; de plus béats encore se transformeront en regards sur des mondes encore plus heureux, et ainsi de suite.»

Dans un moment de dépression, il offre sa vie au créateur:

Tue-la et tue-moi;

Précipite, jette tout au Léthé:

et laisse une existence pure, forte, éclore alors.

A peu d’exceptions près (gruppe aus dem tartarus farht zum Hades), chaque fois que la mort se trouve évoquée dans un lied, nous rencontrons le même solennel et mystérieux éclairage, la même douceur, les mêmes alternances d’ombre et de lumière. Ce retour d’une même attitude devant des situations semblables n’est pas dû à un phénomène de simple mimétisme; il serait peut être possible d’entrevoir le lien secret qui unit l’homme à l’artiste. Les lieder constituent le centre de gravité de l’œuvre entière. Non seulement par leur nombre (environ 650) mais avant tout par la variété des solutions d’ordre formel, la richesse de l’invention mélodique et la possibilité de concentrer un drame en quelques pages. Il est parmi eux de purs chefs-d’œuvre qui représentent l’état le plus achevé de l’art de Schubert. Voyage d’hiver est le dernier grand cycle composé par Schubert. Les poèmes sont l’œuvre de Wilhem Müller qui , ici, réussit à créer vingt quatre aspects différents d’une même obsession, à parcourir, un a un tous les degrés du désespoir , jusqu’à la lisière de la folie( im dorfe) ou l’annihilation de la personnalité (der leiermann). Schubert a composé en deux fois les vingt-quatre lieder qui constituent voyage d’hiver. Il découvre une première série de douze poèmes et les met en musique en février 1827. Schubert ne pouvait qu’être réceptif à ces poèmes de désespérance car en ce début de 1827, il est malade, presque sans domicile fixe et dans une situation financière catastrophique. Pour lui, l’œuvre est achevée et il écrit «Fine» au bas de la page du douzième lied, Einsamkeit. La musique et les paroles sont portées par le chagrin amoureux et figurent des états de conscience inquiétants. Le caractère sombre du musicien pendant la composition impressionne ses amis, d’autant que la première partie du cycle est justement fondée sur une rumination du souvenir, propre au romantisme. Un ami de Schubert,Joseph von Spaum, écrit:

«Schubert fut pendant quelque temps d’humeur sombre et paraissait souffrant. Comme je lui demandais ce qu’il lui arrivait, il eut cette seule réponse: Vous l’apprendrez bientôt et vous comprendrez pourquoi. Un jour il me dit: Viens aujourd’hui chez Schobert. Je vais chanter un cycle de lieder à vous faire frémir. Je suis curieux de voir ce que vous en direz. Jamais lieder ne m’ont tant touché. D’une voix toute émue, il nous chanta dans son entier le Voyage d’hiver. Nous fûmes totalement abasourdis par le climat lugubre de ces lieder et Schobert dit n’avoir apprécié qu’un lied, Der linderbaum/Le tilleul. Ce à quoi Schubert se contenta de répondre: Ces lieder sont ceux que je préfère entre tous, et ils finiront par vous plaire à vous aussi. Il avait raison. Bientôt nous fûmes enthousiasmés par la mélancolie de ces pages vocales que Vogl interprétait magistralement.»

La première audition eu lieu le 4 mars 1827 au soir. La musique laissa en désarroi ses amis «Il ne retrouvaient plus leur gentil Franz, le bon compagnon des Schubertiades, le Viennois facile, l’ami souriant et serviable».

Schubert se retrouve seul, même avec ceux qui l’aiment.

Quelques mois plus tard, sans doute à la fin de l’été 1827, Schubert découvre le second volume complet des poèmes de Müller intitulé, «Chants de la vie et de l’amour». Il décide donc de mettre en musique les douze nouveaux poèmes. Schubert respecte l’ordre des poèmes tels qu’il les trouve dans les deux ouvrages publiés dont il a connaissance et qui s’achève sur Der Leiermann où le poète demande au joueur de vielle – symbole de la mort – s’il peut le rejoindre pour en finir. L’unique permutation volontaire de Schubert, qualifiée en quelques mots d’«enchaînement, hypnotique et sans pareil», se trouve dans ce second cahier: Mut trop clair, passe avant Die Snebensonnen qui lui, par son climat, s’approche à pas feutrés, dans l’atmosphère la plus extatique des vingt-quatre lieder et une harmonie pacifiée, du décharnement du lied final Der Leiermann, comme une étape ultime de «la raison chancelante, la désillusion face à la réalité, la distorsion hallucinatoire, l’errance, l’aliénation vis-à-vis de la société…».

En composant ce cycle de 24 lieder je pense que Schubert entreprend son voyage au bout de la nuit. Gute nacht (bonne nuit) ainsi s’ouvre le cycle. Ce n’est pas la fin d’un conte. Il ne s’agit pas de ce que l’on dit aux enfants en terminant l’histoire destinée à les endormir.

Étranger je suis arrivé,

Étranger je repars.

Maintenant le monde est si sombre,

Le chemin enseveli sous la neige.

Ce n’est plus le voyage romantique mais le dernier voyage. Sa certitude du néant qui s’approche. Il est «entré dans l’hiver, la nuit, la mort de l’âme», fantôme en errance. Commencé comme une destinée individuelle dans le premier cahier (révélation de son statut d’étranger au monde, trahison de l’aimée, glaciation progressive – des sentiments malgré les rêves de printemps…), le cycle finit par devenir une odyssée initiatique dans un climat de plus en plus oppressant, jusqu’au glas final de la destinée humaine. Ce n’est plus le suicide d’un jeune amoureux trompé, mais la prise dans les glaces d’un homme usé, fini, figé dans la solitude et la souffrance. Et cette douleur atteint à l’universel. Voyage d’Hiver est une des œuvres noires de l’humanité.  Je la rapprocherai de celle de Goya qui, de plus en plus malade, se réfugie dans des œuvres chaque fois plus personnelles, plus intimes, puisqu’elles nous livrent les tourments de son âme. Winterreise est en tout cas le sommet absolu du Lied Romantique. Il s’agit d’un voyage intérieur, projection d’un paysage mental, où se meuvent lentement les sentiments. Le dehors n’existe que par le dedans. Le drame est soi-même. Qui se souvient au bout de quelques lieder que la cause première est une trahison amoureuse? L’errant chemine sans rencontrer âme qui vive pendant l’atroce vagabondage, excepté le joueur de vielle de la fin, la mort sans doute, qui est son frère, son double. Schubert a écrit la musique de l’épuisement, le parcours revenu des illusions. Il ne reste que solitude, amour impossible, abandon de tous, désir de mort et de dissolution dans la nature, dans le linceul de la neige.

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La création artistique est un corps à corps

Le processus de création artistique peut être considéré comme un combat avec ce qu’il y a d’archaïque en nous.

En abordant l’expérience de la création artistique, nous sommes face à un matériau nourri par le penser autant que par le corporel. Le processus créatif est intimement lié au corps. L’avènement d’une œuvre s’engendre et se fonde sur ce qu’il en est de plus archaïque, de plus sensoriel, sensuel, corporel: le désir de fusion, de sensation, de satisfaction et de toute-puissance. Pour que la création devienne Création… pour que le désir devienne Désir… ce premier temps à fleur de peau devra inévitablement se doubler d’une mise en sens de la sensation.

La capacité à malaxer, à mettre du sens sur l’archaïsme mis en branle par les processus de création, questionne la relance inlassable du travail psychique: travail de penser, de mentaliser, de lier, de représenter et de symboliser. Par l’intermédiaire de l’œuvre, il s’agit de représenter le monde des sensations, l’expérience primaire, le noyau maternel à représenter la relation au corps, mais grâce à une coupure avec elle. La création artistique en mettant en jeu le sensoriel et le signifiant, le corps et le penser, l’archaïsme et sa représentation, se situe aux interfaces du psychisme.

Ces deux versants, leur liaison ou déliaison, impliquent la notion de limite.La création artistique met en route la fonction de limite à travers ce retour à/et sur soi et ce qu’il en est du travail de l’image spéculaire, le narcissisme. À travers également la position dépressive et le travail de deuil qu’elle implique. Il s’agit pour le créateur de créer un monde qui lui soit propre, de rechercher une réalité nouvelle et différente. Or, la constitution de cette réalité nouvelle, différente, et propre nécessite la reconnaissance du manque, de la perte, de l’absence, l’expérience du deuil et in fine, la restauration en soi de l’objet aimé et détruit.L’expérience de satisfaction, de fusion, doit donc pouvoir devenir traces –mnésiques- afin de faire traces.Ainsi cette expérience de coupure d’avec l’archaïsme pour le représenter, nécessaire à l’émergence de l’objet artistique, s’apparente à ce qui se joue aux sources mêmes du désir.

En effet, désirer c’est accepter cette coupure fondamentale afin de revivre les expériences de satisfaction, alors vidées de leur substance primaire et archaïque.C’est réactiver sans cesse la satisfaction, la jouissance tout en y renonçant. L’artiste relance, travaille et malaxe le désir. Il est st un psychisme au travail, autant qu’un corps au travail avec toutes les images et sensations, tous les affects passés et présents, conscients, préconscients et inconscients qui y sont rattachés.

Pour conclure je dirai avec D. Anzieu que «créer, ce n’est pas se mettre au travail. C’est se laisser travailler dans sa pensée consciente, préconsciente et inconsciente et aussi dans son corps ou du moins dans son Moi corporel, ainsi qu’à leur jonction, à leur dissociation, à leur réunification toujours problématique. Le corps de l’artiste, son corps réel, son corps imaginaire, son corps fantasmatique sont présents tout au long du travail, il en tisse des traces, des lieux, des figures dans la trame de son œuvre.» https://youtu.be/XGCCWn7huDA

https://www.youtube.com/watch?v=JjVK2qVFRNk

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un livre punk : De fringues, de musique et de mecs

Sur la pochette de l’album Cut (1976), The Slits, premier et peut-être meilleur groupe féminin de punk, posaient seins nus et couvertes de boue, comme des sauvages. Des filles survoltées donnaient au mouvement punk une voix féminine avec des titres comme Typical Girls, Newtown, Love Und Romance. Trois albums, une tournée avec les Clash, et terminé.

« Pour écrire son autobiographie, il faut être un sacré connard, ou alors, c’est qu’on est fauché. Moi, c’est un peu des deux », écrit Viv Albertine dès la première ligne de «de fringues, de musique et de mecs».

Viv Albertine revient sur sa carrière de guitariste. Évocation candide et franche d’un mouvement musical et social qui allait changer l’histoire de la musique, «De fringues, de musique et de mecs» regorge d’anecdotes sur les Clash, les Sex Pistols, Vivienne Westwood, Johnny Thunders et tant d’autres. Mais ce serait minimiser ce livre féroce et attachant que de le limiter à un énième document rock, car le propos de Viv Albertine va bien plus loin.C’est un livre sincère, drôle, avide.

Ce livre ressemble sans doute à la façon dont Viv a vécu sa vie. Dans l’instant. La vie d’une bande de gamins faméliques qui essayaient de s’amuser dans le Londres gris et triste des années 70.

https://www.youtube.com/watch?v=ZyXGblps64M

Elle décrit les échanges tels qu’ils étaient : conflits dans le groupe, comment Sid Vicious lui payait des hamburgers, ou ses relations sexuelles ratées avec Johnny Rotten. Elle décrit le punk comme une des dernières sous culture reposant sur un ethos donc difficile à vivre. Remise en question permanente, tout était politique : Le fait de se tenir la main dans la rue, de chanter avec l’accent anglais ou américain, la vie de tous les jours, la façon de s’habiller. La manière dont s’habillaient The Slits, on n’avait jamais vu ça ! Elles mélangeaient des trucs SM avec des uniformes de scout, un tutu et des bottes de chantier. Elles ne portait jamais rien de cher, sauf quand elles allaient à la boutique de Vivienne Westwood, Sex. Mais jamais de marques : c’était pour les femmes au foyer de banlieue. Dans la rue, les gens détestaient ça, en particulier les hommes. Ari Up s’est faite poignarder plusieurs fois, elles se battaient, elles se faisaient cracher dessus. Elles vivaient la vie rebelle dont elles parlaient dans leurs chansons.

Aujourd’hui, tout le monde s’habille en rebelle. Mais ce n’est pas de la révolte, c’est de l’entertainment.

Mais n’allez pas croire que c’est la nostalgie qui prédomine dans cet ouvrage ce n’est pas la tasse de thé de Viv.

«J’ai horreur de la nostalgie»

Elle revient aussi son parcours d’après, sa face B, ou comment repartir de rien, devenir réalisatrice, mère, séduire Vincent Gallo et surmonter un cancer. Quand le punk n’intéressa plus personne, Viv fit une une école de cinéma. Elle était la première femme réalisatrice partout où elle allait. Elle a travaillé dur sept ou huit ans puis son corps s’est effondré, sans doute à cause de la vie qu’elle avait menée. N’arrivant pas à avoir d’enfant, elle s’est bourrée d’hormones et quand finalement elle est tombée enceinte, elle eu un cancer. «J’étais cramée, après la naissance de ma fille, puis la chimio, il ne restait plus rien de moi, plus aucune énergie créative.»

En retraçant sans tabou ni biais son parcours de gamine de la classe moyenne anglaise des années 70 fascinée par la scène musicale et bien décidée à y faire entrer les filles, puis de jeune femme embarquée dans un mouvement aux excès et au nihilisme affichés, et enfin de femme confrontée au grand vide post-punk qui tente de survivre aux excès, à la maladie, et à l’ennui d’une vie rangée, Viv Albertine livre un texte brûlant d’honnêteté et d’engagement. Choquant parfois, brutalement émouvant par moments et toujours drôle, ce livre est une ode aux femmes, un texte féministe qui regarde en face ce qu’il en a coûté – et ce qu’il en coûte encore – d’être une femme, d’être irrévérencieuse, et d’être têtue au point de croire à son destin.

« J’ai la trouille, mais j’y vais quand même : c’est ce qu’il faudra écrire sur ma pierre tombale. »

http://www.buchetchastel.fr/de-fringues–de-musique-et-de-mecs-viv-albertine-9782283029237

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David Bowie, le Dorian Gray de la pop anglaise

David Bowie semblait immortel. Éternellement jeune, éternellement élégant, éternellement créatif. Il laisse derrière lui une œuvre colossale. Son parcours personnel se confond avec les cinquante dernières années de l’histoire occidentale. Mieux que quiconque il comprit la transformation du domaine culturel en une industrie de divertissement de masse. Plutôt que de subir la société du spectacle, il sut la confronter, l’utiliser et la défier. Son approche était totalitaire, totalisante, comme pour mieux interroger l’entreprise d’hébétude de la culture de masse. Lui, au moins, en avait conscience.
Bien plus qu’un simple chanteur pop, David Bowie était et restera un artiste iconique de son époque. Un artiste irréductible à la seule musique rock anglaise des années 1960 jusqu’à nos jours. Il explose le cadre dans lequel il est apparu. Homme influencé par les artistes de son temps ( Lou Reed, Iggy Pop, Peter Hammill du groupe Van Der Graaf Generator, King Crimson ou bien encore la musique noire américaine de ces années là), David Bowie fut aussi une influence pour de nombreux mouvements de la fin des années 1970, à commencer par les mouvements punk et post-punk. Des groupes comme The Cure, Siouxsie And The Banshees, Joy Division ou Japan en sont les preuves manifestes. Il est la synthèse, de Londres, où il est né, à New York, où il s’est éteint, de toutes les tendances de la «pop culture », d’Andy Warhol à Damien Hirst, en passant par Marcel Duchamp, Man Ray, William Burrough, Rauschenberg, Lichtenstein ou Basquiat.

Artiste aux nombreuses facettes, complet et polyvalent, amoureux de la métamorphose et protéiforme au point qu’on le qualifia souvent de «caméléon», il se plaisait aussi à multiplier, jusqu’à les confondre parfois avec sa propre personne, y compris dans son transformisme vestimentaire, les personnages ainsi qu’en témoignent, parmi tant d’autres, son Major Tom de «Space Odity», son très décadent Ziggy Stardust ou son très sulfureux Aladdin Sane. C’est là, cette diversité des personnages au sein d’un même être, la thématique – autre prérogative du dandysme – du masque, liée à l’art de cultiver le secret: «Tout esprit profond a besoin d’un masque», écrivait Nietzsche dans son Par-delà bien et mal.
C’est là, encore, ce qu’Oscar Wilde, l’une des principales sources d’inspiration de David Bowie en matière d’esthétique, appelait la «vérité des masques».

Chaque pose (à ne pas confondre avec «posture») de Bowie porte la griffe dandy qui la caractérise: la tendance à vouloir transmuter une vie en œuvre d’art; la multiplication des doubles et des masques; la fascination envers le «troisième sexe» l’hédonisme transgressif; l’exercice d’une lucidité confinant à l’héroïsme pour combattre la souffrance et s’autoriser à clamer au seuil du néant: «Mort, où est ta victoire?»la sublimation en astre noir, en Blackstar se consumant d’une flamme inverse, pour l’éternité. .
Si cette immense rock star, créateur de génie et déjà mythe de son vivant, semblait immortelle, défiant jusqu’aux cruelles mais impérieuses lois de la finitude humaine, c’est qu’il incarnait à merveille, plus que tout autre artiste, la quintessence du dandysme: un mode d’être plus qu’être à la mode. Bowie, dandy absolu!

Hyper dandy indémodable, sinon éternel, parce qu’il avait réussi à incorporer la principale caractéristique du dandysme: faire de sa vie une œuvre d’art et de sa personne une œuvre d’art vivante comme l affirme Oscar Wilde, dans Formules et maximes à l’usage des jeunes gens: «Il faut soit être une œuvre d’art, soit porter une œuvre d’art.». C’est là aussi ce que Lord Henry Wotton, son alter ego littéraire, préconise dans Le Portrait de Dorian Gray : « Il arrive qu’une personnalité complexe prenne la place et joue le rôle de l’art, qu’elle soit en vérité, à sa façon, une véritable œuvre d’art, car la Vie a ses chefs-d’œuvre raffinés, tout comme la poésie, ou la sculpture, ou la peinture.»
Etre charismatique et sophistiqué, racé et d’une rare distinction, tant dans sa gestuelle que dans sa voix et tant dans ses poses que dans sa silhouette – en un mot, dans son allure -, n’aurait pas désavoué ce que Charles Baudelaire écrivait dans LePeintre de la vie moderne : «C’est bien là cette légèreté d’allures, cette certitude de manières, cette simplicité dans l’air de domination, cette façon de porter un habit (…), ces attitudes toujours calmes mais révélant la force (…) de ces êtres privilégiés en qui le joli et le redoutable se confondent si mystérieusement». Il existe bel et bien, un mystère Bowie, que nul, probablement, ne percera jamais véritablement. Ce perpétuel innovateur, toujours en quête d’inventions, a sans cesse intrigué par son avant-gardisme.

Mais le dandysme, c’est aussi la révolte par l’élégance: Rebel Rebel chantait David Bowie , et un dernier éclat d’héroisme.
Oui, comme le chantait magnifiquement bien Bowie en l’un de ses meilleurs albums, Heroes, conçu durant ses années berlinoises: «We can be heroes. Just for one day». Il semblait répondre là, comme en un romantique quoique tragique écho, à ce que clamait déjà haut et fort, un siècle avant lui, Baudelaire: «Le dandysme est le dernier éclat d’héroïsme». Mais ce n’est là, hélas, que littérature, fût-elle la plus sublime qui soit! Car même David Bowie, que l’on croyait pourtant immortel, éternellement jeune et beau, malgré l’incurable cancer qui le rongeait inexorablement, s’en est allé en ce funeste jour que fut le dimanche 10 janvier 2016
Aujourd’hui, son ultime chef d’œuvre, Blackstar, sorti deux jours seulement avant son décès, sonne plus que jamais, dans sa sombre flamboyance, comme un terrible présage, chant funèbre tout autant que testament spirituel : le talent de David Bowie, prémonitoire une fois de plus, consista aussi à mettre en scène, ainsi que le donne à voir ce clip somptueux mais saisissant de réalisme mortifère, qu’est Lazarus, sa propre mort, à l’instar de Mozart, autre génie de la musique bien qu’en un tout autre registre, avec son Requiem.

Sa mort, n’a fait qu’accroître son aura à travers le monde. Artiste culte, musicien incontournable, dandy inspiré, il continue d’exercer une énorme influence sur des générations entières. Il était donc temps de rendre à cet inventif génie, précurseur de bien des modes, l’éloge qui lui est dû !

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Hergé inspirateur de ma série 1956RG-2017RE

Il y a, sans qu’on le sache vraiment, des hommes, des femmes, des livres, de la musique, des parfums , des odeurs, des goûts qui nous accompagnent. Ulysse, d’Artagnan, les Beatles , Guevara, l’eau de Cologne , la lavande dans l’armoire, l’odeur de l’éther, des œuvres lu et relus, des chansons que nous n’écoutons plus car elles sont gravées dans notre mémoire. Il en est ainsi d’un homme et de son œuvre: Georges Rémi dit Hergé.

Hergé

Je passait dans une ruelle d’un blanc éclatant à l’heure où le soleil est au zénith. Une lumière douloureuse, qui lui donnait la dimension d’un labyrinthe d’arêtes tranchantes. J’en fus aveuglé et je dus fermer les yeux et baisser la tête pour me soustraire à ce trop plein de blanc.

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Il me vint immédiatement à l’esprit que le blanc était la «couleur» de ma dépression… Je n’était capable que de photographier des chaises. Toujours vides. Visiblement la fête était terminée, tout le monde était parti. Il ne restait rien que des chaises plus ou moins bien rangées. Je vivais alors un moment de crise, de doutes et de remise en question. Peu importe la cause j’étais à cet endroit pour en quelque sorte me laver et revenir à la lumière.

Cet éblouissement induisit une association d’idées surprenante: Blanc , dépression, Hergé, 1956, Tintin au Tibet. Mon album préféré de Tintin avec le Lotus bleu.

Tintin

De tous les albums d’Hergé consacrés à Tintin, Tintin au Tibet, est sûrement le plus personnel.

Le sujet en est le sens de l’amitié, une quête du Bien qui raconte l’histoire d’un homme prêt à donner sa vie pour sauver un ami dont tout laisse à penser qu’il est mort. C’est une allégorie moderne et laïcisée du bon samaritain à dimension philosophique et spirituelle inégalée dans les autres albums de la série.

On ne peut comprendre véritablement une œuvre sans rien connaître de son auteur au moment où il l’écrit. Or, précisément, Tintin au Tibet fut écrit à une époque de remise en cause profonde et douloureuse de son auteur.

Depuis 1956, Hergé marié à Germaine Kieckens depuis 1932, est tombé amoureux d’une jeune collaboratrice des studios Hergé: Fanny Vlamynck.

Parallèlement, il vient de vivre une période de retraite et de méditation personnelle à l’abbaye de la Trappe de Scourmont puis, toujours en solitaire, sur les rives du lac Léman en Suisse. Âgé d’une cinquantaine d’années, il semble faire un bilan de sa vie et des valeurs catholiques qui l’ont animé depuis sa jeunesse. Hergé rentre en pleine période d’introspection.

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Il vit une véritable crise intérieure. Il connaît une série de rêves obsédants et récurrents qui le poussent à consulter un psychanalyste. Hergé le racontera lui-même plus tard .

«A cette époque, je traversais une véritable crise et mes rêves étaient presque toujours des rêves en blanc et ils étaient très angoissants. J’en prenais note et je me souviens de l’un deux où je me trouvais dans une espèce de tour constituée de rampes successives. Des feuilles mortes tombaient et recouvraient tout. A un certain moment, dans une sorte d’alcôve d’une blancheur immaculée est apparu un squelette tout blanc qui a essayé de m’attraper. Et à l’instant, tout autour de moi, le monde est devenu blanc.»

Certaines questions personnelles le taraudent et sont à l’origine d’une véritable crise intérieure: qu’est-ce que faire le Bien? Quel chemin m’indique ma conscience? Abandonner mon épouse après près de 20 ans de vie commune et laisser mes sentiments me conduire à épouser Fanny? Ou me condamner à passer à côté d’un nouveau bonheur?

1956RG-2017RE

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Ces rêves en blanc, étouffent Hergé et il a besoin de s’en libérer. La création de Tintin au Tibet va ainsi tenter de répondre à un profond besoin de métamorphose de son auteur. Une BD chef-d’œuvre (clarté, simplification, dépouillement, sobriété), un héros vertueux (la prudence, la justice, la tempérance et la force), vertus qui se trouvent aussi associées aux vertus théologales qui semblent plus que jamais habiter Tintin (la foi, l’espérance, la charité). C’est ,du point de vue spirituel, une véritable démarche de sainteté que semble poursuivre Tintin. Le saint au sens chrétien est celui qui va jusqu’au bout de la révélation de la vérité du Christ, comme Tintin va jusqu’au bout de la révélation qui lui fait apparaître son ami Tchang comme vivant. Pour tendre vers la sainteté, il faut se rappeler sa condition humaine.A ccepter sa faiblesse, afin de pouvoir la transcender; par ailleurs cette démarche vers la sainteté est avant tout intérieure et singulière; elle ne peut se vivre qu’en solitaire.

 

http://www.dailymotion.com/video/x387hid

 

L’album s’ouvre sur un étrange songe au cours duquel Tintin croit voir son ami Tchang l’appeler à son secours. Alors que dans tous les autres albums l’intrigue était lancée par un événement extérieur qui alertait Tintin (une statuette volée, une étoile qui grossit, des savants qui tombent malades, l’enlèvement de Tournesol, etc.), l’intrigue est ici comme intériorisée par le héros lui-même. Un rêve «hallucinant de vérité» commande à Tintin d’agir et d’aller sauver Tchang. C’est bien dans ce songe que Tintin puise la foi que Tchang a survécu à la catastrophe. Cette espérance lui permettra de soulever les montagnes, ou plutôt de gravir les versants de l’Himalaya…

1956RG-2017RE

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Le Rêve accompagne les démarches de sainteté dans de nombreux récits de la tradition chrétienne – Saint-Martin auquel le Christ apparaît en songe: «ce que tu as fait en couvrant ce mendiant de ton manteau, c’est à moi que tu l’as fait.» Le chemin vers la sainteté exige aussi un long dépouillement de soi, de ses vanités, de ses appréhensions et de ses a priori. Ce n’est sans doute pas un hasard si cette aventure de Tintin se déroule sur les plus hautes montages du monde, car la montagne est, par excellence, le cadre d’une géographie mystique, le lieu du dépassement de soi. Le blanc qui entoure Tintin, et qui était la couleur obsédante des rêves d’Hergé à cette période de sa vie, apparaît alors comme l’allégorie de cette pureté que semble atteindre son héros.Le saint, de par son rayonnement, exerce aussi une autorité morale qui est de nature à transfigurer radicalement ses proches.

1956RG-2017RE

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Dès la première page, le capitaine Haddock nous apprend que les randonnées en montagne ne l’intéressent pas: «s’obstiner à grimper sur des tas de cailloux, ça me dépasse»; c’est pourtant ce qu’il va faire en accompagnant Tintin au Tibet – Mais la force de l’ amitié le pousse à surmonter son dégoût pour la marche et à devenir, à sa manière, un homme de Bien. Le guide Tharkey se transforme également au cours du récit. Après avoir abandonné Tintin et Haddock, il revient «Toi jeune sahib blanc, et toi risquer ta vie pour sauver jeune garçon jaune», «Moi, faire demi-tour et revenir vers toi». En somme, Tintin est celui pour lequel on sort de ses habitudes, de son confort, afin de le suivre, comme on suit un saint parce qu’une force morale nous enjoint à le faire.

Le mot de la fin semble nous être donné par le lama qui vient à la rencontre de Tintin et de Tchang: «Ce que tu as fait, peu d’hommes auraient osé l’entreprendre. Sois béni, Cœur Pur, sois béni pour la ferveur de ton amitié, pour ton audace et pour ta ténacité.»

Tintin acquiert ainsi une nouvelle dimension, le héros s’est transfiguré; il s’engage dans une démarche de sainteté, à la recherche d’une forme de bien absolu.

En se posant finalement cette question qui parcourt l’album, «Qu’est ce que le Bien?», Hergé indique encore une autre piste de lecture. Il représente le Yéti aveuglé par le flash de l’appareil photographique que Tintin déclenche fortuitement… et l’on déduit qu’à cette distance, et dans ces conditions, la photo prise est illisible. On peut percevoir dans cette scène une analyse avant-gardiste du rejet de «la société du spectacle» dans laquelle l’hyper-médiatisation nous a fait entrer. L’insistance répétée du capitaine Haddock pour que Tintin prenne absolument une photographie du Yéti illustre bien cette avidité de voyeur qui recherche avant tout le spectaculaire. Sauf que le vrai Bien ne peut pas se montrer en spectacle. Cette scène fait d’ailleurs écho à une autre scène de même nature et qui la précède: lorsque Tintin, rescapé dans la lamasserie, raconte son aventure au grand précieux, il n’arrive pas à formuler le but réel de son expédition car il est interrompu de façon incongrue par le capitaine Haddock. Le véritable Bien ne peut pas s’exposer. Il échappe à toute explication et relève presque de l’absurde, simplement parce qu’une force irrépressible, qui vient dont on ne sait où, appelle à l’accomplir. Il est irréductible à une loi civile ou religieuse, à un quelconque sens tiré de la raison, et lorsque l’on croit le saisir, il nous échappe toujours.Tintin au Tibet, paru en 1960, est pour Georges Remi l’album de la sagesse personnelle comme Le Lotus bleu, paru en 1936, a été l’album de la maturité politique et du dépassement des a priori.

En tant que pyrénéen je me dois de terminer sur cette anecdote et ce commentaire.

Georges Rémi n’était certes pas un grand adepte de randonnées en montagne, mais adolescent, lorsqu’il était chef de patrouille chez les scouts, il avait randonné autour du cirque de Gavarnie. Comme le dit Pierre Assouline: «le cirque de Gavarnie fut son Himalaya»

En tant qu’homme et artiste je me dois de rendre hommage à Georges Rémi qui m’a inspiré pour cette série, qui m’a aidé (il n’est pas le seul) à retrouver la lumière comme le montre la deuxième partie de la série et à l’égal de Dumas ou Homère a participé à faire de moi ce que je suis.

Cette série autobiographique est visible ici http://www.pixbyroland.com/galerie/1956rg-2017re-serie-noir-blanc-hommage-melancolique/

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Les visions d'Ulysse III

JFK.
Pour aller à Bayonne (NJ) c’est assez simple.
Départ de
John F. Kennedy International Airport (JFK) (John F. Kennedy International Airport)
Marchez 1 min vers Jfk Terminal 4 ID 3 PARTEZ de Terminal 4 Departures Attendez JFK AIRTRAIN Jfk – Howard Beach ALLEZ vers Howard Beach Airtrain ID 10 Marchez 1 min vers Howard Beach – Jfk Airport [A] PRENEZ l’entrée 103rd St And 159th Ave Se PARTEZ de Coleman Square ATTENDEZ A Uptown Express To Inwood – 207 St ALLEZ vers Fulton St [A,C,J,Z,2,3,4,5] PRENEZ la sortie Broadway And Fulton St Nw MARCHEZ 2 min vers World Trade Center PRENEZ l’entrée World Trade Center PARTEZ de Fulton Street ATTENDEZ NEWARK – WTC Newark ALLEZ vers 1 arrêt Exchange Place Newark
MARCHEZ 2MIN vers Exchange Place Light Rail Station ID 30833 ATTENDEZ HUDSON-BERGEN LIGHT RAIL Hblr Bayonne 8th St ALLEZ vers 34th Street Light Rail Station Prenez la sortie 34th St Parking Lot M ARCHEZ vers où vous voulez vous êtes à Bayonne New Jersey USA.
Je vais vers Broadway pas loin du Bayonne Tattoo Company qui est au 668 Broadway précisément au 27 E 31st St où je trouve une petite maison à étage ou flotte un putain de drapeau américain alors que l’occupant des lieux, aux dernières nouvelles possède un passeport argentin. Il y a un petit carré d’herbe devant la maison et six marches pour arriver sur une véranda où je me demande bien pourquoi il y a un canapé-balançoire car qui peut avoir envie de s’installer là pour admirer un paysage composé de voitures garées et de maison toutes quasi identiques. Relaxation ultime.
«A» m’ouvre.
Oui je l’appelle A. Pour plusieurs raison. Un: je n’ai pas envie de vous donner son vrai nom. Deux: ça m’ évite de chercher un pseudonyme bien que je connaisse la plupart de ses faux noms . Trois parce que ça me fait penser à Arthur «A, noir corset velu des mouches éclatantes Qui bombinent autour des puanteurs cruelles…» et que ça lui va bien à «A» ces vers. Il est velu, ex artificier et il a connu les puanteurs cruelles des dictatures. En ce sens il est assez surprenant de le retrouver installé dans le pays qui a installé et soutenu toutes les dictatures en Amérique du sud et en Europe dont il a eu à connaître le joug.
Les vrais amis même après des années de séparation n’ont pas besoin de se dire grand chose quand ils se retrouve. Une accolade suffit. Je pose mon maigre bagages dans ce qui sera ma chambre pendant quelques temps. «A» a gardé ces vieilles habitudes. Une certaine paranoïa peut être. Comme il devine que je ne suis pas là pour rien et que ce que je vais lui demander n’est pas vraiment légal, il préfère sortir de la maison.
Nous allons sur broadway au lighthouse restaurant.
Selon «A» qui me présente Pat la serveuse
-it’s trully great food and over the years it’s still almost always full of people. If you are looking for a mid town diner on Broadway in Bayonne new jersey with great food and really good people this is it !
On va le croire sur parole et de toute façon je n’ai pas le choix.
On va parler en français si tu veux statistiquement il y a une demi chance sur cent que quelqu’un nous comprenne. Alors pourquoi tu es là
Il te reste des Kadanski?
Non. Sur le darknet , Sous la protection de Tor tu peux acheter de faux chèques presque parfaits avec les pièces d’identité correspondantes falsifiées.tout ce que tu veux dans le genre.
Je n’ai pas confiance. Je préfère connaître les gens.
Je connais un ancien graphiste doté d’un savoir-faire rare et délicat, à la technique sure. Confection sans faille. A 35ans, il est la référence des experts en contrefaçon. Il te faut une légende aussi?
Ça serait bien.
ça va te coûter cher.
C’est comme ça que je me suis retrouvé coincé quelque temps à Bayonne New Jersey USA. Parce que pour payer l’addition il a fallu que je bosse et pour tout vous dire , pas dans des activités très légales. Vous imaginez bien que pour gagner une grosse somme en peu de temps… ou alors faut être un voleur légal genre … Goldman Sachs et consorts?
Je sais pas faire grand chose, là où je me débrouille le mieux c’est l’utilisation de logiciels de retouche. C’est mon coté Dr Jekyll. Je peux aussi devenir hyper violent. Je pensais jamais que ma face Mr Hyde me rapporterai de l’argent. N’ayez pas peur comme disait Jean Paul II le Christ dans une main l’Opus Dei dans l’autre.

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Les visions d'Ulysse II

Tout a commencé quand j’ai voulu soigner une blessure narcissique on va dire ça comme ça.
J’ai rien trouvé de mieux que de lire du Rimbaud, apprendre des poèmes par cœur pour m’éviter de penser. C’est assez simple pendant que vous vous récitez un poème vous ne pensez à rien d’autre. J’ai essayé les prières, je Vous Salue Marie pleine de grâce … trop court, trop facile, on perd vite la concentration et hop la machine à penser se met en route. Horrible. Et vas y que tu rumines le passé , que tu échafaudes des scenarii pour l’avenir. T’es jamais dans le moment présent.
Notre Père qui es aux cieux … pas mal en l’ enchaînant au Je Vous Salue Marie plusieurs fois ça fait dormir. Mais les poèmes c’est mieux. J’ai pris Baudelaire, Verlaine, Apollinaire… Trop facile. Puis Arthur Rimbaud. Là c’est du sérieux. Déjà à la première lecture tu ne comprends pas tout. Par exemple Le bateau ivre. Pas banal non? La syntaxe, les images, les métaphores, le sens qui t’échappe …Prends «…sous les yeux horribles des pontons».
Waouh c’est quoi ça? Les pontons sont en bois et les nœuds font comme des yeux? Naan. Un ponton est une prison flottante. On y entassait les prisonniers en grand nombre, l’avantage étant qu’un personnel réduit suffisait à surveiller les prisonniers.
Thérapie la poésie de Rimbaud? Tu parles. Une fois que tu as pigé, lu, retenu et récité tu fais quoi tu recommence avec un autre oui. Mais au bout d’un moment ça a infusé tout ça.

On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
– Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
– On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Oui c’est ça va falloir sortir à «m’en donné».

Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien …

Exactement ce qu’il me faut.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d’astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts …

Yes, yes, yes!
Et puis je lis
Je est un autre

si «je est un autre»,s’il n’y a pas en réalité d’identité stable, pourquoi le croire. Foin de Descartes et des moralistes classiques. On sort sur la promenade rejoindre NIEZTSCHE .
Moi ça m’arrange bien que Je soit un Autre.
Je vais devenir un autre dans le genre
Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. »
Vaste programme
Et puis Arthur est parti …J’ai fait comme lui je suis parti.

Je vous vois venir vous vous demandez où?

Bayonne.
MDR , Bayonne? C’est à coté! C’est nul.
Oui c’est nul surtout du mercredi qui précède le premier week-end du mois d’août et se termine le dimanche suivant.
Non. Bayonne New jersey USA. Et là je vous ai tous perdu. Vous regardez si ça existe. Ça y est c’est bon? Allez y regardez aussi ma localisation sur face book. Tré bien vous voyez je raconte pas d’histoires.

Bon maintenant vous vous demandez mais pourquoi Bayonne dans le new Jersey USA?
Ce choix tient à une période passée au cours de laquelle je fréquentais un groupe indépendantiste dans lequel je me suis fait des relations amicales , fraternelles qui malgré les années, les exils plus ou moins volontaires, demeurent.
J’avais un passeport, j’ai demandé un visa, complété le formulaire DS-160 etc.
Et à nous deux Bayonne.
Tarbes, Paris, New York.

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Le chaos source de la création moderne

Le chaos extérieur. Nietzsche. «Et savez-vous bien ce qu’est le monde pour moi? Voulez-vous que je vous le montre dans un miroir? Ce monde: un monstre de force, sans commencement ni fin; une somme fixe de force, dure comme l’airain, qui n’augmente ni ne diminue, qui ne s’use pas mais se transforme, dont la totalité est une grandeur invariable, une économie où il n’y a ni dépenses ni pertes; mais pas d’accroissement non plus ni de recette…». (Par delà le bien et le mal)

Il propose une représentation chaotique du monde, tissu de forces sans ordre intrinsèque ni possibilité d’ordonnancement même la raison ne peut donner du sens aux choses:«Mais je pense que nous sommes aujourd’hui éloignés tout au moins de cette ridicule immodestie de décréter à partir de notre angle que seules seraient valables les perspectives à partir de cet angle. Le monde au contraire nous est redevenu «infini» une fois de plus: pour autant que nous ne saurions ignorer la possibilité qu’il renferme une infinité d’interprétations. Une fois encore le grand frisson nous saisit: mais qui donc aurait envie de diviniser, reprenant aussitôt cette ancienne habitude, ce monstre de monde inconnu? Hélas, il est tant de possibilités non divines d’interprétation inscrites dans cet inconnu, trop de diableries, de sottises, de folles d’interprétation, notre propre nature humaine, trop humaine interprétation, que nous connaissons…». (Gai Savoir)


Que reste-t-il alors de ce monde où rien n’a de sens, et quelle place l’homme peut-il y occuper?

La vie, mais une vie pleine de cruauté, d’injustice, d’incertitude et d’absurdité. Il n’y a pas de normes absolues du bien et du mal. Il n’y a qu’un homme nu vivant seul dans un monde absurde et chaotique.

«Il faut avoir du chaos en soi pour accoucher d une étoile qui danse» (Ainsi parlait Zarathoustra )

Freud pensait que si le développement de la civilisation continue sur sa forme actuelle,  » l’ensemble de l’humanité risque de devenir névrotique, « Malaise de la civilisation.1930.»
La raison humaine et les sciences sont selon lui le chemin pour la connaissance. Freud est l’enfant des Lumières. Il va se concentrer sur le pouvoir et l’influence des facteurs non-rationnels, des impulsions de la pensée et du comportement humain. Freud croyait que nos pensées conscientes sont déterminées par quelque chose de caché : nos pulsions inconscientes.

Freud ne s’éloigne pas de Nietzsche. Il pense que l’irrationnel est une un danger potentiel. Il était convaincu que l’homme n’est pas un être rationnel, son comportement est guidé par des forces intérieures.
L’esprit inconscient explique selon Freud certaines actions humaines.
Freud n’a pas découvert l’inconscient. Les romantiques européens, Rimbaud, Shakespeare, Dostoïevski et Nietzsche ont discuté cet esprit inconscient. Contrairement à Nietzsche, Freud était un homme scientifique. Le médecin Freud s’était spécialisé dans le traitement des troubles mentaux. Il a conclu que le chaos intérieur est le résultat de craintes vécues durant l’enfance. Les névroses prennent selon lui plusieurs formes : hystérie, anxiété, dépression ou obsession. Pour traiter un comportement névrotique, Freud discutait les expériences de l’enfance. Il traitait ses patients de deux façons. La première la libre association : dire tout ce qui vient à l’esprit peut révéler quelque idée cachée. La deuxième méthode est l’interprétation des rêves. Les rêves selon lui révèlent les désirs secrets.

Comme Nietzsche, il pense que les gens ne sont pas bons par nature. L’individu est une créature d’instincts et d’agressivité.
La civilisation est un fardeau. Le chaos intérieur est le résultat d’un conflit. La coexistence est douloureuse entre nos pulsions et les limites de la société que les individus doivent supporter pour éviter le chaos. En face de cette souffrance, on trouve anxiété,frustrations, dépression, alcool et autres drogues. La vie civilisée augmente la souffrance des gens et le risque pour leur santé mentale.

Nietzsche, Freud vont changer la civilisation occidentale

Le travail de Nietzsche et Freud a créé une grande révolution culturelle, le modernisme, caractérisée par la prise de conscience de Soi. Les artistes modernistes ont abandonné les traditions artistiques et les conventions littéraires et ont commencé à expérimenter de nouveaux modes d’expression. Thomas Mann,Marcel Proust, Rimbaud, DH Lawrence, James Joyce, Franz Kafka ou Yasunari Kawabata au japon ont exploré la vie intérieure. Leurs romans traitent de l’homme moderne qui rejette les valeurs de sa culture en payant le prix de la culpabilité, de la frustration, d’une sexualité stigmatisée, de solitude.

Pour l’artiste, la réalité est personnelle, individuelle et subjective.
L’artiste fait sa propre réalité et façonne un monde irrationnel.
Il tente de pénétrer les profondeurs de l’inconscient véritable source de la créativité.

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Les visions d'Ulysse

Les visions d’Ulysse, Odyssée contemporaine


J’ai vu le soleil bas, taché d’horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !
Rimbaud
Le bateau ivre

Les visions d’Ulysse

I

Prenez une carte du monde à l’échelle que vous voulez et un compas . Plantez la pointe sur la bonne ville de Tarbes Hautes Pyrénées Occitanie France Latitude : 43.2333
Longitude : 0.0833 et tracez un cercle de…2300km
et oui il faut calculer l’écartement des branches en fonction de l échelle bande de cossards.
Vous y êtes?
Donc , la pointe sur Tarbes et on trace un jolie cercle. Bien. Il passe où ce bel objet géométrique?

Océan atlantique,Norvège, Suède, Estonie, Lettonie, Lituanie, Biélorussie, Ukraine, Moldavie/Transnistrie, Roumanie , Bulgarie, Turquie, Grèce, Libye , Algérie , Mali, Mauritanie, Sahara occidental.
Vaste programme. Je vous aide un peu essayez de croiser ces données avec les différentes routes de trafics de drogues, armes, êtres humains. Connaissant votre sagacité vous devez situer mon lieu de villégiature.
Bon d’accord certaines routes sont moins fréquentées, les trafiquants sont toujours à l’affût de nouveaux débouchés, des marchés sont saturés, d’autres sont prometteurs, Comme tout bons capitalistes ils étudient le marché . Saint Marché priez pour nous .
Mes vaccins n’étant pas à jours vous devinez maintenant vers quel point cardinal je me trouve ?
Je ne parlerai pas! Inutile de me supplier. Pas de nom , motus et bouche cousue. Enfin presque je vais quand même vous raconter mon séjour.
L’inconvénient c’est que vous ne saurez jamais si c’est la vérité. De l’autobiographie, du journal de voyage , de bord , intime , de l’autofiction, de la fiction, de l’affliction , de la friction de méninges , du reportage, du roman , une fable? On va dire Récit à récifs.Parce qu il va y avoir des écueils, des vagues, des remous…
Mais hypocrite lecteur mon semblable mon frère j’espère que cela te tirera des maux qui nous accablent tous, au moins quelques minutes: l’ennui et notre incapacité à nous définir par nous même. Il y a bien quelque chose qui nous donne l’illusion d’être complet. Trouver un sens à son existence en pensant combler les manques de l’autre et recevoir en retour l’amour qui comblera les notres. Mais tout cela n’est qu’illusion. Un jour nous réalisons que nous sommes existentiellement incomplet.

Alors que faire? Noyer sa blessure narcissique dans le dépréciation et la dépression?
Non on va soigner ce besoin d’avoir une image idéale, forte et positive de soi.
Je deviens écrivain. Je trouve ça valorisant classe non? Ça déchire!
Je vous offre un petit voyage en ma compagnie.
Roh mais pourquoi voyager direz vous chers lecteurs casaniers.
Je ne sais pas. Ce n’est pas parce que je suis écrivain que j’ai réponse à tout.
Je vous donne trois citations. On y réfléchit et on commence la lecture demain OK?

 » A quoi sert de voyager si tu t’emmènes avec toi ? C’est d’âme qu’il faut changer, non de climat. »

Citation de Sénèque

«Voyager, c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination,
Tout le reste n’est que déception et fatigues.
Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force.
Il va de la vie à la mort. Hommes, bêtes, villes et choses, tout est imaginé. C’est un roman,rien qu’une histoire fictive.
Et puis d’abord tout le monde peut en faire autant. Il suffit de fermer les yeux.
C’est de l’autre côté de la vie.»

Citation de Céline

et last but not least

« Moi, le seul voyage qui m’intéresse, c’est la mort. Parce qu’on ne rapporte pas de diapos. »

citation de Georges Wolinski

Je n’ai pas les moyens de me payer un correcteur faites le travail vous même. Et puisqu il faut bien donner un titre , disons
« Les visions d’Ulysse »

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