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Publications de Michel Lefrancq (10)

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   Autoportrait, 1925Germaine Krull est née de parents allemands à Poznan le 29 novembre 1897, une ville polonaise qui fait partie du royaume de Prusse depuis le Congrès de Vienne, au hasard d’un déplacement de son père, un ingénieur qui va ensuite rejoindre son poste en Bosnie où elle passera une partie de sa petite enfance. La famille s’installe ensuite dans la campagne romaine puis à Paris où sa mère tient une table d’hôtes « assez élégante. Il y a des attachés de consulats et quelques hommes de lettres, des étudiantes en musique. » Son père refuse qu’elle aille à l’école et engage une préceptrice. Ensuite ce sera la Slovénie, puis la Bavière, le père est très mauvais gestionnaire et dilapide l’argent de son épouse.

    En 1912 ses parents se séparent et sa mère gère une pension de famille à Bad Aibling. Germaine a 16 ans, une instruction très lacunaire et est très indépendante car ses parents s’occupent très peu d’elle, elle se laisse séduire par un pensionnaire, une aventure sans lendemain qui se termine lorsqu’elle est enceinte, qu’elle avorte et que son amant la quitte. Nouvelle liaison malheureuse, nouveau chagrin, sa mère l’envoie chez une connaissance en Italie où la guerre va la surprendre, mineure, sans passeport, mais elle parvient à rejoindre son amant à Berlin où leur liaison se renoue de plus belle. À nouveau enceinte elle subit un deuxième avortement et rentre à Munich où sa mère a dû déménager car la guerre à vidé sa pension de famille. Germaine Krull voudrait s’inscrire à l’université, faire des études sérieuses, mais sans diplôme ni aucun certificat d’études c’est impossible, elle a trop de lacunes que pour réussir le moindre examen d’admission. C’est finalement la Lehr-und Versuchsanstalt für Photographie Chemiegraphie, Lichtdruck und Gravüre (Centre d’enseignement et d’expérimentation en photographie, chimigraphie, phototypie et gravure) qui l’accepte vers 1916. Elle n’a aucune attirance particulière pour la photo : elle détestait aider son père lorsqu’il en faisait et qu’elle devait travailler avec lui dans sa chambre noire, mais à l’école ce sera une révélation. Elle en sortira diplômée en 1918. La même année, le Traité de Versailles réinstaure l’indépendance de la Pologne et elle acquière donc la nationalité polonaise. L’ école a été fondée en 1900, ouverte aux filles en 1905 et est relativement conservatrice, de grands noms de la photographie en sortiront, comme František Drtikol ou Lotte Jacobi. Frank Eugene y enseigne, le pictorialisme y règne en maître et les photographes Hugo Erfurth et Heinrich Kühn y sont cités en exemples. Elle est dans la classe du professeur Spörl pour qui la personne représentée n’est qu’un moyen pour atteindre un but : la représentation artistique. Elle adore l’école qui est une expérience absolument nouvelle, les travaux pratiques, son professeur, la découverte de la ville avec pour la première fois des amies de son âge.

Elle fréquente la bohème munichoise et s’engage en politique. Elle a son premier contact avec le bouddhisme « ... cette philosophie [qui] est la mienne depuis. La réincarnation ; les fautes que vous faites, vous les expiez ; la conscience de la vie qui tourne et qui revient... ». C’est là qu’elle découvre l’art moderne, qu’elle forme son goût sous l’influence d’un ami peintre plus âgé qu’elle. Elle obtient son diplôme et installe un atelier avec l’aide financière de son ami et de sa mère, qui gagne sa vie en faisant du marché noir, elle y fait du portrait et des nus, surtout de dos pour pouvoir les vendre, encore sous l’influence pictorialiste de l’école, mais avec beaucoup de plaisir. « On rigolait beaucoup » se souvient-elle. Mais la politique, les grèves, l’opposition à la guerre et à l’empereur sont ses principales préoccupations, même si ses idées ne sont pas encore très claires. Pour trouver des clients elle écrit aux artistes et comédiens de théâtre en proposant de faire leur portrait. Le studio devient rapidement rentable et elle se rapproche du centre en s’installant à Schwabing, le quartier bohème autour de l’Université et de l’Académie des Arts. Elle publie à compte d’auteur un premier livre de photos de nu, Der Akt (Le nu), très artisanal et tiré à seulement 50 exemplaires. Elle assiste à des meetings de Kurt Eisner et en fait le portrait. Son atelier est devenu un lieu de rencontre pour de nombreux jeunes intellectuels et ouvriers révolutionnaires. C’est là qu’elle fera la connaissance des étudiants Max Horkheimer et Friedrich Pollock qui seront quelques années plus tard parmi les fondateurs de l’École de Francfort ainsi que de Rainer Maria Rilke et Stefan Zweig. A la chute de l’éphémère République de Bavière, Germaine Krull prend la fuite vers l’Autriche avec Tobias Axelrod, un révolutionnaire russe détaché auprès des Conseils ouvriers. Ils sont arrêtés, emprisonnés à Innsbrück puis ramenés en Bavière. Avec l’aide de Horkheimer elle est libérée et se cache dans une maison de santé sous prétexte de dépression nerveuse.
[...]Les amies, Berlin, 1924
    Mila a été brisé par sa détention mais Germaine Krull obtient des mandats de camarades pour les représenter au IIIe Congrès de l’Internationale à Moscou et organise leur départ. Ils se glissent au milieux de prisonniers russes renvoyés au pays en janvier 1921. Arrivés à Saint-Pétersbourg ils se heurtent à la désorganisation et à la bureaucratie, Germaine Krull est envoyée au service photographique mais rien ne fonctionne, elle ne connaît pas le russe, elle passe son temps à faire semblant de travailler. Elle est complètement désorientée par la révolution russe en quoi elle avait mis tous ses espoirs. La date du congrès arrive, ils sont à Moscou et, par quelque hasard, au pied de la tribune où parle Lénine. Le lendemain ils sont arrêtés et conduits à la Loubianka, le siège de la police politique. Elle y subira plusieurs interrogatoires et un simulacre d’exécution. Mila l’abandonne, elle est finalement expulsée à la fin de décembre 1921, contracte le typhus dans le train de réfugiés, des wagons à bestiaux garnis de paille, qui la ramène vers Berlin où elle est hospitalisée. Horkheimer et Pollock lui rendent visite chaque jour. Après sa guérison elle est accueillie par la veuve de Kurt Eisner, dans la Forêt Noire.Pollock et Horkheimer reprennent leurs études à Francfort. Il lui faudra du temps pour se réhabituer à une vie normale, sans crainte d’arrestation ou d’exécution. Elle retourne finalement à Berlin où elle peut ouvrir un studio en association avec Kurt Hübschmann, qui aime le travail de laboratoire mais pas la prise de vue et n’a pas de diplôme de maître photographe. Sans elle, il ne peut donc pas ouvrir son studio. La photographie est alors très florissante et de nombreux photographes sont actifs dans la ville, même des grands magasins ont leur studio de photographie. Les débuts sont difficiles, mais à la mort de Lénine l’ami qui a financé en partie son installation lui apporte de nombreuses photos du leader soviétique et ils réalisent en quelques heures un album retraçant sa vie. Le lendemain ils ont une commande de 300 exemplaires dont beaucoup partiront pour la Russie. Pour elle, c’est simplement une opportunité, et la mort de son ancienne idole ne lui fait guère de peine. La révolution ne lui a pas laissé que de bons souvenirs. Les albums eurent beaucoup de succès et lui permettent un nouveau départ. Les commandes de portraits sont encore trop rares, elle refait des photos de nu, mais ne retrouve ni le plaisir ni la qualité de son travail des débuts à Munich, même si les porte folios se vendent bien. Ses modèles, des connaissances ou sa jeune soeur, n’arrivent pas à rendre ce qu’elle recherche. C’est à ce moment qu’elle rencontre Joris Ivens, étudiant à la Technische Hochschule de Charlottenburg, qui est en stage chez Zeiss, et que Hübschmann abandonne la photo. Il lui laisse le studio et tout le matériel. Tout est payé pour encore six mois. Il lui souhaite de réussir.
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    En 1940, l’avance des troupes allemandes et l’occupation de Paris jointes à la menace que fait peser l’armée italienne sur la Principauté de Monaco la décident à quitter la France. Avec beaucoup de difficultés, elle parvient à obtenir un passeport (hollandais) et un visa pour le Brésil. Elle embarque le 24 mars 1941 pour Rio au départ de Marseille. Sur le bateau elle retrouve André Breton, le peintre Wifredo Lam et Claude Lévi-Strauss, la plupart des passagers sont des Juifs allemands, tout le monde est entassé dans les cales sans aucun confort malgré le prix élevé du billet. Le voyage est difficile, avec escales à La Martinique, à Saint Laurent du Maroni et à Bélem. À Rio, où elle débarque le 21 mai 1941, elle arrive après quelques difficultés à gagner sa vie comme portraitiste mais elle veut rejoindre la France Libre à Brazzaville. Louis Jouvet, de passage en tournée avec le Théâtre de l’Athénée lui conseille de rester au Brésil où elle a déjà une situation. Enfin, en juillet 1942 elle peut signer son engagement auprès de la France Libre. Elle a pu entre-temps réaliser un reportage sur la Tour Eiffel, 1927ville de Ouro Preto, ancienne cité de chercheurs d’or dans l’État de Minas Gerais, qui illustrera un livre qui parut en 1943, puis part enfin au Congo français où elle arrive en septembre. Elle va diriger le Service photographique de Propagande de la France Libre, à Brazzaville jusqu’en 1943, puis à Alger. Au départ du Congo elle a réalisé un grand reportage sur la forêt tropicale qui l’a menée de Brazzaville à Libreville et Port-Gentil au Gabon et qui a fait l’objet d’une exposition à Brazzaville où toutes les photos ont été vendues au profit de la France Libre. Les négatifs ont été ensuite envoyés à Londres et elle ne les a jamais retrouvés. Ce sera ensuite l’Oubangi-Chari (actuelle République Centrafricaine) et le Tchad puis le Cameroun où elle visite la première plantation d’hévéas. C’est au Cameroun qu’elle reçoit l’ordre de rejoindre Londres. Elle perd la trace de ses négatifs et tirages réalisés en Afrique Equatoriale Française qui se trouvent actuellement dans les archives françaises. En avion de Douala à Dakar, Rabat et Casablanca elle arrive à Marrakech où elle a la chance de pouvoir photographier la rencontre de Churchill et de Gaulle. Elle est alors envoyée à Alger pour organiser le service photographique et elle y fera le portrait de de Gaulle. Elle suivra l’armée américaine de Naples à Rome en 1944 puis débarque à Saint Tropez quelques jours après le Débarquement de Provence, elle passe par Marseille, se rend dans le Vercors, puis dans les Vosges et couvre la bataille d’Alsace. C’est Roger Vailland qui écrira le texte de son livre La Bataille d’Alsace. Elle rend compte de la libération de camps de concentration et certaines de ses photos seront publiées dans la presse. La plupart de ses négatifs ne lui seront jamais rendus. Sa mission se termine en avril 1945 et elle rentre à Paris où le climat politique et de combines l’écœure. Elle ne veut plus rester en France et ne sait que faire. On lui propose alors de partir comme correspondante de guerre au Japon. Il fallait passer par Londres pour obtenir son accréditation et de Londres elle rejoint Ceylan, puis la Birmanie. À Rangoun elle découvre le bouddhisme vivant et en est très émue. Elle arrive à Saïgon avec l’armée britannique en septembre 1945 et découvre avec stupéfaction que là, ce sont les Français que l’on déteste. Elle assiste aux premières émeutes et est dégoûtée par le comportement des soldats et colons français, tous ralliés à Vichy et Pétain, qui incendient et brutalisent les annamites. « J’ai assisté de la part des soldats à un vandalisme que je n’avais jamais rencontré pendant toute la guerre. » dit-elle. Elle fait le récit des événements dans un tapuscrit de 45 pages resté inédit : Les Dix Jours qui ont décidé du sort de l’Indochine française : journal de Saigon en septembre 1945 où elle analyse la déclaration d’indépendance du Vietnam.
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    Elle revend ses parts de l’Hôtel Oriental et, en 1965 elle rencontre le Dalaï Lama pour la première fois, à Dharamsala, elle réalise le livre Tibetans in India qui est vendu au profit des tibétains réfugiés en Inde. Elle s’est installée à Mussoorie dans une communauté tibétaine et y approfondi sa connaissance du bouddhisme. Elle a fait la connaissance de Sakya Trizin, patriarche d’une des quatre lignées du bouddhisme tibétain avec qui elle va plus tard voyager en Europe, au Canada et aux États Unis. En 1967 elle fait un nouveau voyage en Europe, à Paris une première rétrospective lui est consacrée grâce à André Malraux et Henri Langlois. C’est alors qu’elle découvre que les négatifs qu’elle avait confiés à Eli Lotar ont été perdus, pour les photos d’avant-guerre ce sont des reproductions qui sont exposées. Il y en aura également une à l’Alliance française de New Delhi en 1968. En 1977 ce sera le Rheinisches Landesmuseum Bonn qui la mettra à l’honneur.

    Malade, elle quitte l’Inde pour l’Allemagne et meurt à Wetzlar en 1985.

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Shoji Ueda, une oeuvre onirique et nostalgique

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Shoji Ueda est né le 27 mars 1913 à Sakaiminato, préfecture de Tottori, ville portuaire au sud ouest de l’île de Honshu, l’île principale du Japon. Son père est artisan, il fabrique et vend des getas, les socques traditionnelles japonaises.

Shoji Ueda est le troisième et seul survivant des quatre enfants de la famille. Il poursuit ses études dans sa ville natale et découvre le dessin, la photographie et les bandes dessinées. Sa mère encourage ses dispositions artistiques. Dès 1928 il se passionne pour la photographie et son père lui offre son premier appareil photo en 1929. Il a l’intention de devenir peintre et veut aller dans une école d’art à Tokyo. Ses parents refusent car il est leur seul fils et doit reprendre l’ entreprise familiale, mais un compromis est trouvé et il peut étudier la photographie, un métier artistique mais aussi artisanal. Après un bref passage à l’ Oriental School of Photography de Tokyo en 1932, il revient dans sa ville natale et s’ y installe comme photographe professionnel. Il fait des portraits, vend de la pellicule, a une activité commerciale de photographe de quartier, mais il fréquente aussi les photo-clubs (il en créera d’ailleurs plusieurs par la suite) où il se confronte à d’autres passionnés. Son épouse le soutient activement dans cette activité, ce qui lui permet de consacrer plus de temps à son œuvre et de vagabonder à travers la campagne de sa province.

En 1930, pour ses 17 ans, son père lui a offert un ou deux numéros d’une revue éditée en Suisse sur la photographie moderne européenne, Modern Photography, qui lui ouvre les yeux sur une nouvelle esthétique. La revue est en anglais, il ne connaît pas cette langue, et donc les images seules lui parlent. C’ est une révélation qui l’encourage à suivre son imagination et à découvrir son style propre. À cette époque, la photographie japonaise est encore largement influencée par un style traditionnel, pictorialiste, qui est dominant dans les clubs qu’il fréquente. La découverte de la photo européenne le libère de cette influence et le réalisme, la netteté et l’invention graphique remplacent le flou artistique. C’est le moment où la photographie japonaise abandonne progressivement le style « artistique » (pictorialiste) pour ce qui s’appellera le style Shinko, moderne, utilisant notamment la ville moderne comme arrière plan et se tournant vers des compositions abstraites. Ses images de l’ époque peuvent alors se rapprocher de la Nouvelle Objectivité comme de la Photographie subjective. Il a découvert les œuvres de Man Ray et d’ André Kertesz, il s’ est essayé aux manipulation en laboratoire, solarisation, interventions directes sur le négatif et autres. Il est encore en pleine recherche.

Il s’est marié en 1935, ses enfants sont nés, l’aîné en 1937, sa fille en 1938, un second fils en 1940, le troisième en 1944. Il commence à faire des photos dans les dunes qui sont proches de la ville et en 1939, sa photo « Quatre filles » est primée dans un concours. C’est sa première photo mise en scène réellement aboutie et elle marque le début d’une longue série qui se poursuivra durant des années. Le style Ueda est maintenant affirmé et reconnu. Toute la famille, au fil des ans, est emmenée dans les dunes pour des séances de prises de vues parfois très exigeantes. Shoji Ueda est un perfectionniste et ses enfants se souviennent de séances parfois éprouvantes mais qui se déroulaient néanmoins dans une ambiance agréable grâce à la complicité qu’il avait avec eux, et avec les enfants en général. Sa fille parlera de séances interminables, de la joie et de la complicité, de l’agacement aussi, d’un père très proche, presque enfant également, perfectionniste, seulement satisfait lorsqu’il pense avoir enfin l’image parfaite.

Il a photographié des enfants tout au long de sa carrière, non pas, dira-t-il « parce qu’il les aimait particulièrement, mais parce que les enfants sont toujours disponibles et qu’ils acceptent facilement de prendre la pose. »

[... ]

C’ est à cette époque d’après guerre qu’ Ueda atteint le sommet de son art avec ses mises en scènes. Il retournera dans les dunes de Tottori dans les années 80 à la demande de son fils qui lui a obtenu une commande pour le créateur de mode Takeo Kikuji. À 70 ans passés, c’ est sa première commande, pour laquelle il exige, et obtient, une liberté totale et se rebiffe si l’ on prépare trop la prise de vue à sa place. Toujours curieux, il s’ amuse à cette occasion à cloner ses personnages à l’ ordinateur pour les multiplier dans les dunes. Ces images sont moins naïves, plus apprêtées que dans ses séries précédentes, mais restent néanmoins une remarquable démonstration de sa capacité à maîtriser l’ espace avec cette légère touche de surréalisme qui lui est propre.

Dans sa série consacrée aux enfants, réalisée tout au long de sa carrière et qui fera l’objet d’un livre en 1971, il y aura beaucoup moins de mise en scène. Il s’agit le plus souvent d’images prises en situation naturelle laissant percer une certaine nostalgie d’une enfance rurale et idéalisée. Shoji Ueda se rappoche ici du reportage, quoique avec toujours le même regard poétique et complice. Ces images d’enfants sont très éloignées de ce qu’ ont fait, par exemple, Lewis Caroll ou Irina Ionesco dans ce domaine : Lewis Caroll avec ses petites filles posant déguisées ou plus ou moins dénudées, Irina Ionesco en érotisant à l’ excès sa fille Eva.

A sa mort en 2000, Shoji Ueda laisse une œuvre très personnelle, plutôt intemporelle, poétique, nostalgique, dépeignant un Japon rural et sans doute idéalisé, qui ne laisse rien transparaître des soubresauts qu’ a connu le pays tout au long de la vie de son auteur.

[...]

12273134881?profile=originalIl y a des images du début des années 30 qui montrent une influence certaine de la photographie européenne que Shoji Ueda a pu découvrir dans les revues tandis que d’autres se rapprochent plus de l’ estampe de Hokusai par le traitement de la perspective, frontale avec peu ou pas de lignes de fuite. On trouvera aussi, dans ses photos réalisées dans les dunes une certaine parenté avec la peinture de Magritte (Composition, 1937) sans que rien ne nous permette de dire s’il a connu ou non l’ œuvre de ce peintre dès avant la guerre. Il n’ est toutefois pas impossible qu’il en ait eu connaissance lors des expositions surréalistes de Tokyo en 1937 et 1938 ou par les revues publiées à cette époque.

Quelles qu’aient pu être ses influences extérieures, l’ oeuvre de Shoji Ueda n’en est pas moins extrêmement personnelle, à la fois onirique et nostalgique, selon qu’on considère ses séries réalisées dans les dunes ou celles consacrées aux enfants. Il y a enfin de nombreuses images montrant des mises en scène de petits objets (Petits naufragés, 1950) qui pourraient faire référence aux jardins Zen.

L’ absence de toute référence, même indirecte, à la guerre, à ses destructions, puis à l’occupation américaine, et surtout aux deux bombes atomiques ne laisse pas de poser question. Y a-t-il là un déni de la catastrophe ou la simple volonté d’ occulter le traumatisme subi ? Je n’ai aucun début de réponse à ce sujet.

Présenté au Photo-Club de Mons en mai 2014.

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Biographie succinte

12273132859?profile=originalFan Ho est né à Shanghai en 1932, son père est un commerçant aisé qui, en 1946 et pour son 14e anniversaire, lui offre son premier appareil photographique, un Rolleiflex. Il commence alors à photographier la vie quotidienne dans les rues de Shanghai. La famille quitte Shanghai pour s’installer dans la colonie britannique de Hong-Kong en 1949. à Shanghai, enfant, il était passionné de cinéma et y allait le plus souvent possible, seul, pour voir de nombreux films. Une fois au collège, il veut devenir écrivain pour pouvoir, à son tour, raconter des histoires passionnantes. étudiant brillant au St. Paul’s College de Hong Kong, il est vite connu sous le surnom de Bah Gam (Grand érudit) et peut travailler à domicile alors que ses condisciples sont tenus d’assister aux cours. Malheureusement, il souffre soudainement de migraines sévères que les médecins ne peuvent guérir et qui l’ obligent à interrompre ses études. Il découvre que seules de longues promenades à travers les rues de la ville pour respirer de l’air frais peuvent le soulager. Cela devient si ennuyeux qu’il prend son Rolleiflex et fait des photos pour tuer le temps. Photographe instinctif, autodidacte, il participe à un concours, gagne le premier prix, reçoit de nombreux encouragements, et décide d’utiliser la photo au lieu de l’ écriture pour raconter des histoires. Tout en expérimentant et en perfectionnant sa technique, il continue dès lors à arpenter les rues tôt le matin ou en fin de journée pour saisir le quotidien d’une ville qui va rapidement se transformer sous ses yeux. Il s’ essaye à la double exposition, il expérimente en chambre noire, il devient rapidement un photographe accompli.

[...]

À propos de l’oeuvre

Dès le début, Fan Ho fut un photographe de rue. Il ne s’est jamais intéressé aux bâtiments historiques, au lieux pittoresques ou aux évènements importants. Pas de VIP ni de cortèges officiels dans ses images. Il s’intéresse essentiellement au quotidien de la rue, aux marchés, aux personnes saisies au vol dans la banalité de la vie courante, mais il le fait avec grand art, choisissant avec soin le lieu et le temps de la photographie. Il travaille très tôt le matin, parfois dès avant le lever du soleil, et en fin de journée jusqu’au crépuscule. La plupart du temps il choisit un emplacement qui lui convient et attend l’instant décisif, selon l’expression de Cartier-Bresson. Parfois il a de la chance et l’image se compose rapidement sous ses yeux, un personnage se présente, se combine parfaitement avec l’arrière plan au bon moment, au bon endroit, avec la bonne lumière. Alors l’émotion survient et il appuie sur le déclencheur.

On verra, au fil de son oeuvre, la richesse de son invention comme celle de ses références esthétiques. On y trouve autant l’influence occidentale que celle de la peinture traditionnelle chinoise. C’est délibérément qu’il travaille principalement très tôt le matin, parfois dès 4 heures, ou en fin de journée. à ces heures, le soleil très bas sur l’horizon procure des ombres allongées qui intensifient l’aspect dramatique des images, des ombres qui en deviennent les parties signifiantes. L’usage de la lumière naturelle chez Fan Ho est tout à fait particulier et, dès l’abord, il y a dans son expression un caractère cinématographique qui, pour moi, ne fait aucun doute. Chaque photo est une nouvelle, un court récit d’un moment de la journée, une fraction de mouvement arrêté, le résumé d’une action. L’ auteur a bien rempli son contrat, lui qui, ne pouvant être écrivain, voulait raconter des histoires par la photographie.

Il y a également une utilisation intensive du contrejour, autre élément dramatisant du langage cinématographique qui, par le contraste, intensifie le graphisme de l’image et sa charge émotionnelle. Le contrejour, dans des compositions fermées comme Hurrying home ou Life in a slum, crée un « entonnoir » de lumière qui focalise le regard sur le sujet principal tout en accentuant le relief du cadre de l’action. Combiné à un cadrage précis, resserré sur son sujet, il l’ isole de son environnement sans toutefois l’en extraire.

12273133091?profile=originalD’autres compositions, comme Arrow ou Shadow saw, sont construites autour d’un trait de lumière découpant brutalement l’ombre environnante. On imagine bien le photographe à l’aguet ayant soigneusement cadré ce fragment de paysage, attendant l’arrivée d’un personnage, déclenchant enfin lorsque la bonne personne sera au bon endroit. Dans cet esprit, Approaching shadow (de 1954) présente un cas particulier qui témoigne de l’imagination et du sens de la composition de son auteur. Fan Ho a expliqué la genèse de cette image lors d’une interview pour le HK Magazine : « J’ai vu un mur blanc, près de Causeway Bay. J’ai demandé à ma cousine de se tenir là et elle a joué le rôle d’une fille face à une ombre qui s’approche. J’ai d’abord composé l’image, puis j’ai terminé le travail en ajoutant le triangle sombre en chambre noire. Il n’y avait pas d’ ombre en réalité. Cela signifie que sa jeunesse va disparaître, et que chacun se trouve devant le même destin. C’est un peu tragique. » Il y a dans cette photo autant toute la rigueur et la précision d’un tableau de Piet Mondrian que l’intensité tragique du personnage confronté à sa fragilité. Le savant dosage des valeurs, de la robe noire à la verticale presque blanche, est une démonstration de la virtuosité du photographe dans sa chambre noire, comme sur le sujet, lorsqu’il visualise ce que va devenir ce mur violemment éclairé après y avoir disposé sa cousine et appliqué l’ombre qui donnera toute sa signification à l’image. Là, on retrouve aussi le talent du cinéaste.

Les scènes de la vie courante, saisies au marché, dans les ruelles étroites ou de larges avenues montrent la même précision dans la composition. Le photographe parvient à isoler son sujet dans la foule (Mother’s helper ou His private world) ou, dans un plan large, à saisir les personnes traversant une avenue en y dessinant une arabesque qui va contredire la rigueur de la perspective des voies du tramway (People crossing).

Ses vues du port sont de la même veine, à quelques exceptions près. C’est la vie de tout un monde flottant de pêcheurs ou de coolies vivant sur l’eau qui l’intéresse, c’est plus souvent la jonque et le sampan ou la barque menée à la godille qui sera son sujet, pas le paquebot.

De nombreuses photos montrent une image inattendue de Hong Kong, des personnages seuls dans des avenues désertes ou des ruelles ombreuses, très loin des foules denses que nous reconnaissons d’habitude dans la ville actuelle. C’est évidemment un choix délibéré de l’artiste qui travaille au petit matin ou tard le soir pour obtenir ces évocations de destins individuels.

D’autres photos tiennent une place particulière dans l’œuvre de Fan Ho, ce sont des images composées, sans doute parfois des surimpressions, issues directement du style shanshui de la peinture traditionnelle chinoise, photos d’une très grande poésie dont la calligraphie a été remplacée par les traits noirs d’éléments végétaux. Il en existe aussi qui présentent du texte.

Enfin, lorsque âgé de 80 ans Fan Ho cesse son activité sur le terrain, il revisite ses anciens négatifs, les scanne, et réalise des montages oniriques ou les colorise. Il garde la nostagie du Hong Kong des années 50 et 60, avant que la ville ne devienne la métropole que l’on connait maintenant. Tout au long de sa carrière, il a principalement utilisé un Rolleiflex, plus rarement un Leica. Fan Ho aime le format carré du négatif qui lui offre de grandes possibilités de recadrage. Et il ne s’en est pas privé, produisant parfois des images au format un sur trois, rappelant le format des rouleaux de la peinture traditionnelle.

Hong Kong

Lorsque le famille de Fan Ho arrive à Hong Kong, la ville commence une mutation qui la conduira à devenir l’importante place financière et commerciale actuelle.
Colonie britannique depuis la première Guerre de l’Opium, elle a longtemps été une base navale et de commercepor l’Angleterre, la porte de l’Empire chinois. Elle occupe une position stratégique, au débouché de la rivière des Perles qui est la voie d’accès à Canton (l’ actuelle Guangzhou), seule ville alors autorisée au commerce avec les étrangers. à l’arrivée des Britanniques, l’île est occupée par des pêcheurs et ne compte qu’une population d’ environ 8 000 habitants mais bénéficie d’un port en eaux profondes qui permet l’accueil de navires de fort tonnage. Au moment de l’invasion japonaise de 1941 elle est de 1 600 000 habitants pour ne plus être que de 700 000 à la fin de la guerre. Après la guerre civile qui s’ ensuit, lorsque Mao Zedong achève l’unification de la Chine continentale et proclame la République populaire de Chine en 1949, Hong Kong passe de 700 000 habitants à 2 200 000 en 1950 pour approcher les 7 300 000 aujourd’hui, avec une densité de population de 30 000 habitants au km2, une des plus élevée au monde (Bruxelles en compte 5 321 au km2).

En 1949, la ville a encore un caractère traditionnel, renforcé par l’afflux de migrants arrivant de la République populaire. Une grande partie de ses habitants est très pauvre et habite des appartements minuscules. Le principal de la vie quotidienne se passe dans la rue. C’ est cette Hong Kong des années 50 et 60, des débuts de sa mutation, que Fan Ho photographie et dont il garde la nostalgie.

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Présenté au Photo-Club de Mons le 8 octobre 2015.

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12272888086?profile=originalWilliam Eugene Smith, familièrement appelé Gene Smith, est né à Wichita (Kansas) le 30 décembre 1918.
Adolescent, il est fortement intéressé par l’aviation, ce qui est assez naturel à Wichita qui compte plusieurs usines d’aviation (Cessna, Boeing) et débute en photographie. En 1933 il rencontre le photographe de presse Frank Noel, qui le conseille, et commence rapidement à publier des photos dans les journaux locaux (Le Wichita Eagle, et le Wichita Beacon). En 1935-36, il fait des reportages sur les événements sportifs, l’aviation, les catastrophes naturelles. C’est l’époque du Dust Bowl et de la grande misère des fermiers du Middle West, rappelez-vous les photos de Dorothea Lange et Walker Evans.
En 1936 il étudie la photo pendant un semestre à l’Université Notre Dame du Lac de South Bend (Indiana) puis à l’Institut de Photographie de New-York. Il détruira le travail de ces premières années par la suite, le jugeant techniquement insuffisant et manquant de profondeur.
Dès 1938, il travaille pour Newsweek mais est licencié parce qu’il a utilisé un appareil de petit format (± 6x6) contrairement aux règles du magazine (À cette époque les reporters utilisent généralement un Speed Graphic 4x5 inches, alors qu’il défend le petit format qui donne “une plus grande liberté de vision”) puis intègre l’agence Black Star et publie des photos dans Life, Collier’s, The New York Times et Harpers Bazaar. Il est rapidement intégré au staff de Life qui l’engage pour réaliser deux reportages par mois. Il quitte le magazine en 1941, insatisfait de la routine qu’impose une publication régulière dans ce magazine et devient freelance. Il jugera par la suite qu’il a mal utilisé sa liberté, produisant des photos montrant une grande profondeur de champ mais une très faible sensibilité (“a great depth of field, a very little depth of feeling”). Il travaille notamment pour le magazine Parade, magazine reconnu pour la qualité de ses documents photographiques. Il est blessé par une explosion de dynamite lors d’une séance de photos de conditions de combats simulées.
En 1942 il est invité à rejoindre l’unité photographique de la Navy (Naval Photographic Institute) dirigée par Edward Steichen, mais sera refusé par la commission de sélection pour “insuffisance physique et académique” : il souffre en effet d’une audition déficiente, conséquence de l’accident avec la dynamite, et ne possède pas de diplôme universitaire. Le comité de 3 amiraux qui statue sur son cas dira que “Quoiqu’il apparaisse comme un génie dans son domaine, il ne se montre pas à la hauteur des standards de l’U.S. Navy.” Il sera néanmoins engagé par la Ziff-Davis Publishing Company comme correspondant de guerre dans le Pacifique sud et s’embarque sur un porte-avions. Il réalise des prises de vue aériennes, en mer et sur terre de la campagne des îles Marshall, revient brièvement à San-Francisco en 1944, puis repart pour le Pacifique comme correspondant pour Life. Il a quitté Ziff-Davis parce qu’il s’est aperçu que près de la moitié de ses photos ont été censurées. Il semble qu’il ait trop montré les souffrances des populations civiles. Il photographie aussi bien les combats que leurs conséquences sur la population japonaise et c’est alors qu’il développe dans son travail le thème de la responsabilité sociale du reporter qui restera présent durant toute sa vie. Il a toujours voulu être au plus près de son sujet, (selon son expression “sink into the heart of the picture”: plonger au cœur de l’image) et c’est ainsi qu’il est gravement blessé lors des combats à Okinawa le 22 mai 1945 et est rapatrié. Il a été touché par un éclat d’obus qui lui a traversé la main gauche et la joue. Il subit une trentaine d’opérations et sa rééducation durera 2 ans. Il avait cru perdre la possibilité de tenir encore un jour une camera en main. Durant sa convalescence il publie des articles et des interviews et insiste sur son attachement à une éthique du photo journalisme. La première photo qu’il réalise au terme de cette période difficile est The Walk to Paradise Garden, une photo de ses enfants, devenue ultra célèbre mais qui sera refusée par Life car les personnages tournent le dos à l’objectif. C’est elle qui clôturera l’exposition The Family of Man, 503 photos choisies dans un ensemble de 4.000.000 venues du monde entier, qu’Edward Steichen montera à partir de 1951 (présentée pour la première fois au MOMA en 1955) et qu’on peut encore voir actuellement au château de Clervaux (Grand-Duché de Luxembourg).
Il travaille à plein temps pour Life jusqu’à sa démission en 1954 suite à un désaccord de plus en plus profond sur la façon dont la revue modifie les légendes de ses photos et l’usage qui en est parfois fait. Le sujet de rupture sera la publication du reportage sur Albert Schweitzer, alors considéré par Life comme le plus grand homme de son époque. Smith, tout en reconnaissant son travail humanitaire, le trouve autoritaire et raciste et veut montrer par un reportage en deux parties la complexité du personnage. Life publiera une version abrégée conforme au sentiment de l’époque sur le médecin, Prix Nobel de la Paix en 1952.
Smith rejoint l’agence Magnum en 1955 et va à Pittsburgh pour un reportage, qui devrait durer 3 semaines, et pour lequel il doit fournir une centaine de photos à l’occasion du bicentenaire de la ville. Il va y travailler durant 3 ans et en ramener plus de 10.000 images, sans l’accord ni le soutien de l’agence, ce qui entraînera sa ruine malgré deux bourses reçues de la Fondation Guggenheim, en 1956 et 1958, car aucune revue ou agence n’accepte de financer un tel projet. Il refuse une proposition de 21.000 $ pour une publication partielle car on ne lui accorde pas le contrôle du choix des images, de leurs légendes et de la mise en page. Il y aura une publication de 88 photos dans Photography Annual de 1959, pour laquelle il ne touchera que 1.900 $ mais dont il aura le contrôle total.
En 1956, il réalise sa première commande en couleurs pour l’American Institute of Architects lors d’un travail sur l’architecture moderne. Des tirages géants de 3,50 m. seront réalisé à cette occasion. En 1957 il quitte sa famille et s’installe seul dans un loft de la Sixième avenue à New York où il commence un travail de longue haleine sur des images de rue prises depuis sa fenêtre et des photos de musiciens lors de jam sessions ou de séances d’enregistrement. Il enseigne à la New School for Social Research, et quitte Magnum en 1958.
En 1961-62 il fait un reportage de 2 ans sur la firme Hitachi au Japon. En 1971 il s’installe avec sa seconde épouse Eileen Mioko, également photographe, à Minamata, une petite ville du Japon, afin de suivre les effets de la pollution industrielle. Il y passe 4 ans dans le dénuement le plus complet. Victime de violences de la part d’employés de la firme Chisso,  responsable de la pollution, il perd presque la vue et doit être rapatrié d’urgence aux Etats-Unis. La publication de 11 photos dans Life puis d’un livre sur le sujet aura un retentissement mondial.
On peut dire que sa volonté d’implication personnelle dans les sujets de ses reportages a révolutionné cette nouvelle forme de photojournalisme, pour l’époque, appelée “essai photographique”. Insistant sur la responsabilité sociale du photographe, il a développé tout au long de sa carrière une éthique à laquelle il s’est tenu sans dévier et est devenu un modèle pour beaucoup de reporters qui l’ont suivi.
En 1976 il dépose ses archives (11 tonnes !) à l’Université d’Arizona, à Tucson, où il enseigne. Il meurt d’un infarctus en 1978, avec 18 $ sur son compte en banque...
Un “Prix de la Photographie humaniste” de 30.000 $ portant son nom est décerné annuellement depuis 1980 par l’International Center for Photography de New York. Il est destiné à aider et encourager les photographes travaillant indépendamment des courants de la mode et des impératifs économiques de l’édition pour rendre compte des aspects importants du monde actuel.
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Tina Modotti, amour et révolution

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12272844052?profile=originalAssunta Adelaide Luigia Modotti Mondini, communément appelée Tina Modotti, est née à Udine (Frioul, Italie) le 17 août 1896, son père est mécanicien, elle a un oncle, Pietro Modotti, qui est un photographe réputé dans la même ville. En 1897 ou 98, le famille s’installe dans les environs de Klagenfurt (Autriche) où son père a trouvé un emploi dans une usine de bicyclettes. C’est probablement lui qui a inventé le cadre de vélo en bambou qui est la spécialité de cette usine, la bicyclette de l’époque étant très lourde et peu commode dans cette région au relief accidenté. La famille revient à Udine en 1905, et Tina doit recommencer ses études primaires au début, en italien, après avoir les avoir faites en allemand à Klagenfurt. La réadaptation lui sera difficile, notamment à cause de la différence d’âge avec ses condisciples. Son père émigrera en Amérique vers 1908 avec sa fille aînée, où il rejoint un de ses frères établi à Turtle Creek (Pennsylvanie) depuis 1904. La situation économique sur la côte Est n’est pas très bonne, le secteur mécanique dans lequel il espère trouver un emploi est frappé par une grève qui durera un an et demi, et il part pour  San Francisco où il tente d’installer son propre studio de photographie dans le quartier de la Petite Italie. San Francisco offre beaucoup d’opportunités car la ville est encore en pleine reconstruction après le tremblement de terre, suivi d’incendie, qui la détruisit à plus de 80 % en 1906. Après un an, il doit abandonner ce projet qui est un échec et, revenant à son métier d’origine, il ouvre un atelier de mécanique où il fait surtout des réparations en tous genres. Il invente une machine à faire des ravioli qui rencontre un grand succès dans l’importante communauté italienne et sa situation économique s’améliore progressivement.


Pendant ce temps, la famille restée à Udine se trouve plongée dans une très grande pauvreté que Tina n’oubliera jamais. Elle a à peine 14 ans, travaille dans une usine textile et est la seule à apporter un salaire à la maison pour nourrir sa mère et ses quatre frères et soeurs.


En 1913, le père a les moyens de faire venir Tina à San Francisco. Elle débarque à Ellis Island le 8 juillet 1913 et répond au fonctionnaire de l’Immigration qui l’interroge qu’elle n’est “ni anarchiste ni polygame, et n’a jamais été en prison.” C’est l’année qui voit le plus d’Italiens quitter le pays : 3 % des 25.000.000 d’Italiens s’embarquent pour le Nouveau Monde cette année-là. Tina a 17 ans et trouve rapidement un emploi de couturière auprès de sa soeur dans le prestigieux magasin de mode I. Magnin qui propose notamment les dernières créations de Paris et a rouvert ses portes un an plus tôt. Sa grande beauté est vite remarquée, et elle est alors employée comme mannequin pour présenter les collections.


1914-1915 voit la région d’Udine être le théâtre de combats violents et le reste de la famille est obligé de fuir vers le sud pour trouver finalement un refuge dans les Abbruzzes où elle connaîtra une très grande misère. En 1915, San Francisco accueille l’Exposition Internationale Panama-Pacific officiellement organisée pour célébrer l’ouverture du canal de Panama, mais surtout pour célébrer la reconstruction de la ville après le séisme de 1906. C’est là que Tina rencontre celui qui deviendra son mari en 1917, le peintre et poète Roubaix de l’Abrie Richey (dit Robo), et est confrontée pour la première fois aux manifestations de l’art moderne. Au Palais des Beaux-Arts elle pourra voir notamment des oeuvres d’Edvard Munch et des futuristes italiens et des photos d’Edward Weston qui est déjà un artiste reconnu. Un an plus tard, elle abandonne le métier de mannequin et se tourne vers une carrière théâtrale, elle joue dans des opérettes médiocres données dans un théâtre italien local. Son talent et l’adoration du public sont peut-être à l’origine de sa découverte par un chercheur de talents de Hollywood. Le cinéma, encore muet, est alors en pleine évolution.


Tina Modotti et Robo arrivent à Los Angeles à la fin de 1918 et après quelques petits rôles, elle obtiendra les rôles principaux dans deux films, I Can Explain et The Tiger’s Coat. Dans ce dernier, elle porte une robe dont le modèle et le tissu ont été créés par Robo. Pour Tina et Robo, Los Angeles ne se limite pas à Hollywood et au cinéma. Ils font partie de tout un cercle d’avant-garde composé d’artistes, d’anarchistes, et d’intellectuels, tous fascinés par l’art, le mysticisme oriental, l’amour libre et la révolution mexicaine. Pendant ce temps, le père Modotti a acquis une certaine aisance et, en 1920, il a enfin pu faire venir son épouse et les enfants restés en Italie.


À Los Angeles, en 1921, Tina rencontre Edward Weston, photographe célèbre de dix ans son aîné, marié et père de 4 garçons, personnage important d’un autre cercle d’intellectuels bohèmes. Les deux groupes fusionnent quelque peu, se retrouvent régulièrement chez l’un ou chez l’autre, et Modotti et Weston ressentent rapidement une attirance réciproque. Le mariage de Tina et Robo bat déjà un peu de l’aile et Tina expliquera plus tard que leur union s’est progressivement dégradée, quoiqu’ils restent en bons termes, du fait de la personnalité de Robo, trop dépendant, qui ne peut la satisfaire ni sur le plan sentimental ni sur le plan sexuel.  Elle devient d’abord le modèle de Weston, puis son amante.  Robo et Weston sont invités à exposer à Mexico par le directeur de l’Académie des Beaux-Arts, le poète Ricardo Gómez Robelo, dont Robo a illustré un recueil. Il est prévu que Tina accompagne son mari, mais elle doit auparavant terminer le tournage de I Can Explain. Robo part donc seul pour le Mexique. Weston avait envisagé de partager un atelier avec lui, mais hésitait encore.  En 1922 elle part pour Mexico où Robo à contracté la variole, elle y arrive deux jours après son décès. Elle reste sur place et supervise une exposition des oeuvres de Robo, Weston et d’autres artistes californiens dont il avait emporté des travaux. Robelo l’introduit auprès des muralistes mexicains lors de ce premier séjour qui se termine brutalement lorsqu’elle apprend la maladie et le décès de son père quelques semaines plus tard.


Sa relation avec Weston qui s’intensifie et cette double perte provoquent une nouvelle prise de conscience chez Tina Modotti. Elle ne peut plus se satisfaire des rôles stéréotypés que lui offre Hollywood, ni de son rôle de simple modèle devant l’objectif de Weston, de Johan Hagemeyer et des autres membres du cercle de Weston. Elle commence à travailler au studio de Weston, à les accompagner, Hagemeyer et lui, lors de prises de vue en extérieur, et à les assister pour les travaux de laboratoire. Ce sont probablement ces expériences, plus les souvenirs de ses visites chez son oncle à Udine, qui l’incitent à installer son propre studio.


En 1923 elle retourne au Mexique, accompagnée cette fois de Weston et de Chandler, le fils de ce dernier. Weston s’est engagé à lui enseigner la photographie en échange de son aide au studio, elle devient donc officiellement son assistante. Le Mexico post-révolutionnaire des années 20 est en pleine effervescence sociale et culturelle, un peu comme le sont Berlin et Paris à la même époque, et la maison des Weston-Modotti devient un lieu de réunion célèbre où se rencontrent radicaux, écrivains et artistes tels que Diego Rivera, Anita Brenner ou Jean Charlot.


Instruite par Weston, Modotti maîtrise rapidement la technique photographique, et plus son séjour se prolonge au Mexique, plus elle s’éloigne de son influence pour s’investir dans le reportage photographique et rendre compte de l’agitation politique et de l’injustice sociale dont elle est témoin, ainsi que de la révolution culturelle en cours au centre de laquelle se trouvent les muralistes. Le 1er novembre 1924 une exposition où l’on peut voir des photos de Tina et de Weston est inaugurée en présence du président Obregón. Ils font la connaissance de l’écrivain D.H. Lawrence qui est alors au Mexique en train d’écrire son roman fameux Le Serpent à Plumes. Elle a lu Oscar Wilde, Edgar Allan Poe, Freud et Nietsche, et ses idées radicales, alimentées par les souvenirs de la misère connue en Italie ont été renforcées par l’influence de son mari. Son amitié avec les muralistes, et Rivera en particulier, tous proches ou membres du Parti communiste mexicain, la fortifie dans son engagement politique et l’amène à devenir la photographe officielle de ses fresques en 1925. Elle fait la connaissance du poète russe Vladimir Maïakovski, un des chefs de file des futuristes russes. C’est pour elle une période de grande activité artistique et politique, où elle s’implique surtout dans des campagnes pour la libération des prisonniers politiques ou la promotion des mouvements de libération internationaux, laissant de côté les débats idéologiques qui ne l’intéressaient que très peu.  Fin 1925, début 1926 elle retourne à San Francisco auprès de sa mère gravement malade. Elle fréquente tous les amis de Weston et le studio de Dorothea Lange. En 1926 elle sillonne le Mexique avec Edward Weston et son fils aîné, Brett, prenant des photos pour illustrer le livre d’Anita Brenner Idols Behind Altars (Des idoles derrière les retables), une réflexion sur l’art moderne mexicain et ses sources traditionnelles et précolombiennes. En novembre de cette année 1926, la rupture entre Weston et Tina Modotti est consommée : l’écart entre leurs conceptions esthétiques et l’engagement politique et social de Modotti, qui se tourne vers l’extérieur alors que Weston est dépourvu de tout réalisme social, la nostalgie de Weston qui voulait revoir sa famille, et la volonté de Modotti de rester au Mexique où elle pressentait qu’elle avait un rôle à jouer dans la révolution culturelle et sociale en cours, toutes ces différences qui s’accentuent provoquent leur séparation. Ils ne se reverront jamais, mais resteront en contact permanent jusqu’en 1931, date à laquelle Modotti s’installera en Russie.


 Elle mène de front son oeuvre personnelle, les photographies de travaux d’artistes mexicains destinées à la publication de livres d’art ainsi que ses travaux de photojournalisme pour El Machete, le journal du parti communiste mexicain, et une activité de photographe plus conventionnelle, alimentaire, réalisant de nombreux portraits en studio pour la riche bourgeoisie de Mexico. Sa maison est devenue un lieu de rencontre pour les exilés dont elle soutient les luttes de libération nationale et pour nombre d’artistes mexicains, comme le jeune photographe Manuel Alvarez Bravo, Rufino Tamayo ou Frida Kahlo, qu’elle présentera à Diego Rivera.


En 1928, elle vit avec Julio Antonio Mella, un jeune révolutionnaire cubain en exil, qui sera abattu en pleine rue à ses côtés alors qu’ils rentraient un soir d’avoir été au cinéma. Il s’agit d’un crime politique dont le gouvernement se sert contre les communistes, le faisant passer pour un crime passionnel malgré les témoins qui ont décrit le déroulement des faits. L’ enquête est orientée, sa maison est perquisitionnée, et une véritable inquisition sur sa vie privée commence. Les photos de nus que Weston a  réalisées d’elle sont saisies comme preuve de son « immoralité », ce qui va causer un tort irréparable à sa réputation et à sa carrière, aussi bien auprès de la base du parti communiste, paysans et ouvriers peu familiarisés avec l’art photographique, qu’auprès de sa clientèle de la haute société qui la voit dépeinte dans la presse comme une « communiste dépravée ».


Malgré son acquittement lors du procès, la mort de Mella et le harcèlement policier et médiatique la laissent profondément meurtrie, lui donnent une perception du monde irrévocablement changée et renforcent son engagement dans la lutte pour le changement social. « Il n’y avait plus pour elle de moyen terme ; la vie était désormais affaire d’absolus. Elle avait été une photographe engagée, elle était désormais une révolutionnaire pourvue d’une mission. Un zèle nouveau la poussait à suivre les traces de Mella. »


Mella était le rédacteur en chef de El Machete, elle y avait déjà publié une série de photos sous le titre Les contrastes du régime, montrant des images de dégradation et de pauvreté confrontées à celles de la richesse des possédants. Elle poursuit son engagement dans le photojournalisme en couvrant une manifestation le 1er mai, 18 images prises avec son Graflex qui montrent le début jovial de la marche que l’on suit dans les rues de Mexico, l’arrivée de la police venue disperser la foule et les violences qui mettent fin à la manifestation. C’est un changement d’attitude dans sa pratique photographique : la composition lente et précise de l’image esthétique n’en est plus l’objectif principal, il s’agit maintenant de montrer le mouvement de la vie saisi sur le vif. Elle se déplace rapidement pour enregistrer les moments importants de la manifestation. Dans une interview parue la même année, elle définira sa nouvelle manière comme traduisant sa volonté de ne produire que des « instantanés parfaits. »


Après un voyage dans l’isthme de Tehuantepec où elle s’est consacrée à un reportage sur la vie quotidienne et les coutumes des femmes de cette région, elle est de retour à Mexico et de nouveau poursuivie par le scandale et la police secrète qui la met sous surveillance continue. Des vigiles sont en permanence devant sa porte. Lors de sa première exposition personnelle, le peintre muraliste David Alfaro Siqueiros fait le discours inaugural et sera arrêté quelques jours plus tard pour conspiration contre le gouvernement. La presse se déchaîne à nouveau contre Tina Modotti alors que, dans le même temps, son travail était de plus en plus reconnu sur le plan international à un point tel qu’elle devient une caution publicitaire pour Agfa et que ses photos ou des articles sur elle sont publiés dans différentes revues de gauche ou d’avant-garde aux états-Unis et en Europe.


Au début de 1930 les membres du Parti communiste mexicain sont l’objet d’une répression sévère car on leur attribue la responsabilité d’un attentat contre le président. Tina est arrêtée et extradée. Sur le bateau qui l’emmène vers l’Europe, elle retrouve Vittorio Vidali, un ami italien dont elle a fait la connaissance à Mexico en 1927. Il est agent soviétique et essaye sans succès de la convaincre de l’accompagner à Moscou. Elle préfère s’installer à Berlin où elle entre en contact avec le Bauhaus dont elle connaît les travaux par des publications. Lotte Jacobi lui organise une exposition qui est très bien reçue par les critiques. Mais Tina ne parvient pas à s’adapter à cet environnement et au bout de six mois, elle rejoint Vidali à Moscou où une autre déception l’attendait. Elle se rend assez vite compte que son travail de photographe ne correspond pas aux exigences du réalisme socialiste stalinien. En 1930, la création soviétique est loin des expérimentations et de l’originalité enthousiasmantes des années 20.


Comme elle l’envisageait déjà depuis quelques temps, elle abandonne complètement la photographie pour se consacrer essentiellement à la lutte contre le fascisme en travaillant pour le Secours rouge international. Déjà au Mexique, après l’assassinat de Mella, le traumatisme du meurtre et de son intimité violée, de sa vie privée exposée au grand public par  des journalistes malveillants plus l’incompréhension et le rigorisme des dirigeants du Parti communiste, tout cela avait dû faire naître en elle un sentiment de malaise vis-à-vis de sa propre beauté, sentiment qu’elle ne pouvait sans doute apaiser qu’en s’immergeant avec humilité dans le travail en faveur de la « cause ». Sous différents pseudonymes elle se rend ainsi dans les pays à régime fasciste pour apporter de l’aide aux familles des prisonniers politiques.


En 1936, dès le début de la guerre d’Espagne, elle est à Madrid avec Vidali. Sous le nom de Carlos, il participe à la défense de la capitale contre les fascistes franquistes tandis qu’elle travaille activement à l’organisation de l’aide internationale à la république, fait des traductions et écrit pour Ayuda, le journal du Secours rouge espagnol et s’occupe particulièrement de l’évacuation des enfants de Madrid et Valence vers Barcelone.  Elle fera également partie de la garde chargée de la protection de Dolores Ibárurri, La Pasionaria, la présidente du Parti communiste espagnol. En 1937 elle représente le SRI au Congrès international des Intellectuels pour la Défense de la Culture à Valence. Jusqu’à la fin de la guerre d’Espagne elle s’occupe de l’organisation du SRI et de l’évacuation vers l’étranger des orphelins de guerre.


En 1939 Barcelone est occupée par les franquistes et elle parvient à fuir avec Vidali pour Paris. Elle arrive avec un faux passeport espagnol à New York, en avril, où est déjà Vidali, mais on ne la laisse pas débarquer et elle est transférée sur un bateau en partance pour le Mexique où Vidali la rejoindra quelques temps après. Elle vit sous la fausse identité de Carmen Ruiz et évite ses anciens amis. Elle travaille au soutien des réfugiés de la guerre d’Espagne. Lorsqu’elle rencontre Manuel Alvarez Bravo, elle lui confie qu’elle a abandonné la photographie. Elle ne se réinscrit pas au Parti communiste car elle est en désaccord avec le parti sur le Pacte germano-soviétique.


En 1940 le président Lázaro Cárdenas annule l’ordre d’expulsion qui la frappait. Elle reprend progressivement contact avec ses anciens amis et vers 1941 on peut penser qu’elle envisageait d’acheter un appareil pour recommencer à photographier. Vidali est arrêté, soupçonné d’avoir trempé dans le meurtre de Trotsky, survenu en mai 40 à Mexico. Terrorisée, elle n’ose presque plus quitter sa maison, passe quand même le réveillon de la saint Sylvestre chez le poète chilien Pablo Neruda.


Elle meurt d’une crise cardiaque dans le taxi qui la ramène chez elle, dans la nuit du 6 janvier 1942, à l’âge de 46 ans à peine, après un dîner chez son ami l’architecte du Bauhaus Hannes Meyer.


Le contexte


Quand Tina Modotti arrive à San Francisco, la ville achève sa reconstruction après le séisme de 1906. C’était la ville la plus importante de la côte Ouest avant cette catastrophe, et malgré les efforts des autorités, elle ne retrouvera pas le rang qu’elle occupait alors. Le centre de gravité du développement économique et culturel se déplace à Los Angeles, 600 km plus au Sud. C’est en 1911 que le premier studio de cinéma s’y installe, et quelques années plus tard, le quartier de Hollywood est devenu l’épicentre de l’industrie cinématographique américaine.


Quand Robo et Tina s’y installent, en 1918, l’Amérique est en pleine mutation. La Première Guerre mondiale vient de s’achever, Los Angeles entre dans le XXe siècle : c’est l’avènement de l’automobile et du cinéma, l’émergence du jazz, le bouillonnement des idées nouvelles, les revendications des suffragettes, la fascination pour le mysticisme oriental, mais aussi la Prohibition (janvier 1919), l’agitation ouvrière, un renouveau religieux fondamentaliste, les attentats du Ku Klux Klan.


Au Mexique, après la présidence de Porfirio Díaz qui a duré de 1876 à 1911, période de grande stabilité politique mais aussi d’inégalités sociales croissantes, la révolution a éclaté après les dernières élections entachées d’irrégularités flagrantes.


La classe moyenne voit ses revenus se réduire, des terres confisquées à l’église et aux communes traditionnelles sont vendues à vil prix aux grands propriétaires et les paysans vivent dans la misère. L’insurrection éclate donc, marquée par deux figures qui deviendront légendaires : Pancho Villa, un paysan pauvre de l’état de Durango, et Emiliano Zapata, un petit propriétaire terrien de l’état de Morelos. La révolution se termine en 1917 avec la publication d’une nouvelle constitution, mais des troubles continuent d’éclater jusqu’au début des années 20.


Le président Alvaro Obregỏn soutient théoriquement le désir de réformes sociales, quoiqu’il se laisse aller au favoritisme, et entreprend une politique culturelle vigoureuse. Pour asseoir la légitimité de son régime il prône la construction symbolique d’une identité culturelle spécifiquement mexicaine et le ministre de l’éducation publique, José Vasconcelos, invite les artistes mexicains à la grandeur au nom d’un peuple appauvri et ravagé par la guerre. Son projet est basé sur une instruction gratuite et universelle, des concerts et des expositions gratuites, en bref : l’art et la culture pour le peuple. Il rencontre ainsi les préoccupations des muralistes et des autres artistes de gauche qui croyaient en la capacité de l’art à améliorer la vie des gens et réfutaient un art élitiste centré sur lui-même.


C’est ainsi que les muralistes négocient avec le ministère des milliers de mètres carrés de peintures murales didactiques à réaliser sur des édifices publics, au tarif des peintres en bâtiment, des oeuvres qui ne pourraient jamais être achetées et appartiendraient à tous, des oeuvres glorifiant la révolution et les classes laborieuses et revendiquant l’héritage précolombien.


Des discours complexes sur la mexicanité prenaient une importance considérable dans le paysage culturel post-révolutionnaire, et les intellectuels étaient à la recherche du lien idéologique qui pourrait unir dans un sentiment national les cultures et les ethnies disparates du Mexique.


Le ministre Vasconcelos considérait que les métis représentaient l’identité de la nation, une « race cosmique » selon ses termes, qui reliait le pays au reste de l’Amérique latine. Un autre courant de pensée voyait dans les cultures indiennes, pourtant très divergentes, l’essence de la nation mexicaine. L’ expression artistique était donc traversée par ces différents courants, comme par les influences des mouvements de pensées venus d’Europe ou des états-Unis.
En même temps que le mouvement muraliste, se développe un mouvement d’avant-garde esthétiquement plus radical, le stridentisme, pour qui révolution sociale et radicalisme artistique participent de la même idée. Les stridentistes partagent avec les futuristes italiens l’amour de la vitesse et de la machine, une vision idéalisée de la modernité urbaine, mais ils rejettent l’engagement généralement pro-fasciste des Italiens. C’est un groupe d’écrivains et d’artistes gauchistes qui célèbrent une utopie urbaine et moderniste, indépendante des conditions économiques et sociales, qui les écarte de l’orthodoxie communiste de la plupart des muralistes.


Il y a alors au Mexique une effervescence culturelle extraordinaire qui attire des intellectuels et des artistes comme André Breton, Sergueï Eisenstein, Antonin Artaud, Luis Buñuel, John Dos Passos ou D. H. Lawrence. On parle, à propos de cette période, de « Renaissance mexicaine. »

A propos de l’oeuvre de Tina Modotti


On peut distinguer quatre périodes dans l’oeuvre de Tina Modotti. à ses débuts, son travail ne se distingue pas de celui de son mentor, Edward Weston, de qui elle a hérité la rigueur dans la composition, le purisme et la précision. Ce sont des compositions géométriques ou des photos de fleurs, un art intimiste, représentation symbolique de la femme en tant qu’être de beauté, fragilité, sentimentalité. Elle adhère d’abord totalement à la démarche de Weston qui s’écarte alors du pictorialisme de Stieglitz, style qu’il affectionnait jusqu’il y a peu. Ils perfectionnent la spécificité du rendu photographique par une mise au point extrêmement précise et une profondeur de champ qui couvre toute l’étendue du sujet, souvent des objets familiers isolés et photographiés dans une nouvelle perspective.


Viennent ensuite les photos stridentistes, ode à la modernité, images épurées de fils télégraphiques ou d’échafaudages, vision intemporelle d’une civilisation urbaine moderne, des constructions intellectuelles épurées à partir d’éléments réels qui traduisent non seulement une réflexion esthétique, formelle, sur la photographie mais aussi la projection de l’artiste dans une société en pleine évolution, la préfiguration d’une civilisation future.


Le reportage social occupe ensuite une large place dans l’oeuvre de Tina Modotti, concomitant des photos de peintures murales. Il s’agit pour elle de montrer les inégalités sociales criantes malgré le discours officiel, mais aussi de rendre un hommage simple, non emphatique, à la dignité des classes laborieuses. Ses photos se distinguent par une extraordinaire clarté formelle, couplée à un contenu social incisif . Elle parcourt notamment l’isthme de Tehuantepec pour rendre compte de la vie des femmes de cette région, certes réputées pour leur grande beauté, mais surtout parce que c’est une région où la culture traditionnelle est encore largement matriarcale, ce qui ne peut manquer d’attirer l’attention d’une féministe engagée comme elle dans le combat social.


Enfin, il y a les images de propagande réalisées pour El Machete. Le lectorat de l’hebdomadaire communiste étant peu instruit, souvent illettré le discours du journal s’appuyait sur des images, photographies, dessins et gravures sur bois à la symbolique simple et évidente. Loin de sa démarche allusive habituelle, Tina Modotti utilise le même schématisme afin que leur signification soit immédiatement accessible à tous. Néanmoins, elle aura toujours le souci d’une composition rigoureuse, ainsi, la photo « Défilé de travailleurs » où l’on ne voit aucun visage, prise en plongée, sans horizon, qui nous montre une mer de sombreros, est à rapprocher de « Verres », une image qui est une recherche esthétique pure. La masse d’individus, des travailleurs défilant le 1er mai 1926, devient ici une entité organique autonome, la représentation  d’une classe ouvrière forte, unie dans une volonté commune.


Dans d’autres photos au langage aussi simple, mais à la composition tout aussi rigoureuse, Modotti utilise des éléments significatifs de la vie des travailleurs mexicains : guitare, marteau, faucille, mais aussi cartouchière, dont le rapprochement hors de tout contexte réaliste donne des images à la valeur symbolique évidente. Elle utilise également des éléments portant une charge symbolique forte par eux-mêmes, indépendamment de tout agencement avec d’autres : le maïs qui, plus qu’un simple aliment de base, symbolise la culture ancestrale pré-colombienne et le sombrero, large chapeau porté par les paysans, les ouvriers et les révolutionnaires zapatistes.


Nous nous trouvons ici en présence d’une artiste majeure du début du XXe siècle dont la vie et l’oeuvre, malgré leur brièveté, se confondent dans des engagements absolus, un météore dans le ciel de la photographie.

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Imogen Cunningham, 70 ans de photographie

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12272845672?profile=originalImogen Cunningham est née le 12 avril 1883 à Portland (Orégon), fille de Isaac et Susan Cunningham, elle sera l’aînée de six enfants. La famille s’installe à Seattle (Washington) en 1889. Le père est un petit fermier, pauvre, issu d’une famille d’immigrants irlandais, qui a grandi dans une petite plantation du Kentucky comptant quatre esclaves. Il est profondément religieux, mystique même, il étudie chaque religion sur laquelle il peut se documenter mais refuse tout contact avec les églises et les institutions religieuses. Sa mère est complètement soumise au père qui semble être un aimable tyran domestique dont elle satisfait naturellement les moindres désirs, Imogen dira d’elle qu’elle « n’a jamais émis la moindre opinion personnelle. »


Son père se charge de son éducation jusqu’à l’âge de huit ans, où elle entre à l’école. Après le lycée elle fait des études de chimie à l’université de Seattle, qu’elle finance en travaillant comme secrétaire pour son professeur de chimie et en réalisant des photos pour les botanistes. Elle obtient sa licence en 1907, avec un mémoire intitulé Procédés modernes en photographie. Durant ses études elle s’intéresse à la culture et à la langue allemandes, intérêt qu’elle gardera tout au long de sa carrière, suivant l’évolution de la photographie allemande, notamment par la lecture de Das deutsche Lichtbild et du livre de Karl Blossfeld Urformen der Kunst (Les formes originelles de l’art), paru en 1928.


En 1906 elle a acheté par correspondance son premier appareil photographique à l’American School of Art and Photography de Scranton (Pennsylvanie), une chambre 4x5 inches ainsi qu’une boîte spéciale qui lui permet, en un premier temps, d’envoyer ses plaques qui sont développées à l’école et lui sont renvoyées avec les critiques des professeurs. Elle s’en désintéresse rapidement, mais la rencontre de l’‌oeuvre de Gertrude Käsebier durant ses études à l’université réactive son intérêt pour la photo. Très vite elle se construit une chambre noire dans la grange familiale avec l’aide de son père. Quand elle déclare vouloir être photographe, il est très déçu par ce choix d’une profession qu’il considère comme très médiocre, mais il ne fait rien pour l’en dissuader.


Après l’université, de 1907 à 1909, elle travaille 3 jours par semaine comme laborantine et retoucheuse au studio du portraitiste Edward S. Curtis où elle est chargée de la retouche des négatifs et apprend la technique du tirage au platine, une technique assez délicate fort en vogue au XIXe siècle et au début du XXe. Elle obtient alors une bourse d’étude de sa fraternité étudiante et se rend en Allemagne, à Dresde, pour étudier la chimie photographique avec le très réputé professeur Robert Luther à la Technische Hochschule. Dans sa thèse, décrivant son procédé pour augmenter la rapidité du tirage au platine, augmenter la clarté des hautes lumières et obtenir des tons sépias, elle préconise l’usage d’un papier au platine de fabrication personnelle plutôt que ceux du commerce.
Lors de son voyage de retour, elle s’arrête à Londres et rend visite au photographe Alvin Langdon Coburn et, à New-York, elle rendra visite à Alfred Stieglitz et Gertrude Käsebier qui auront chacun une influence importante sur son oeuvre.


De retour à Seattle, elle ouvre son studio de portraitiste ; elle est la seule photographe membre de la Society of Seattle Artists. En 1913 elle publie un article, Photography as a Profession for Women, dans lequel elle encourage les femmes à embrasser une carrière, non pas pour surpasser les hommes, mais pour faire quelque chose pour elles-mêmes. Elle acquiert rapidement une réputation au plan national, non seulement pour ses portraits mais également pour son oeuvre pictorialiste dont des images sont publiées en 1914 dans le Wilson’s Photographic Magazine, année où a lieu sa première exposition personnelle au Brooklyn Institute of Arts and Sciences.


Elle épouse l’année suivante le graveur et imprimeur Roi Partridge qui est de retour à Seattle, ayant quitté Paris après un séjour de plusieurs années à cause de la guerre qui s’annonçait. Elle a eu connaissance de son oeuvre par une exposition organisée par des amis communs, et lui a écrit à Paris pour lui faire part de ses commentaires sur son travail. Une correspondance régulière s’ensuivit, qui deviendra de plus en plus personnelle, et ils se marieront quelques mois seulement après le retour de Partridge. Leur fils aîné, Gryffyd, naît 9 mois plus tard. Son mari lui sert de modèle pour des nus en pleine nature, dont une photo est publiée dans un journal local. Cela entraîne un tel scandale qu’elle ne montrera plus ces images pendant de nombreuses années. Elle est probablement la première photographe américaine à présenter des nus masculins.


En 1917 la famille quitte Seattle pour San Francisco. C’est là que naissent les jumeaux Rondal et Padraic, Gryffyd a deux ans et Imogen n’a que peu de temps à consacrer à son oeuvre de photographe. Elle se limite à des photos de ses enfants et des plantes de son jardin. La nature exubérante de la Californie est pour elle une source d’inspiration inépuisable. En 1918 elle travaille brièvement dans le studio de Francis Bruguière, rencontre Dorothea Lange et son mari, le peintre Maynard Dixon. La maison des Cunningham-Partridge devient un lieu de rencontre habituel pour de nombreux artistes et intellectuels. Chaque week-end voit des invités arriver, souvent plus d’une dizaine, et certains restent parfois plusieurs semaines.  Les enfants grandissant, Imogen Cunningham se décharge sur eux d’une grande part des tâches ménagères et se consacre avec plus d’intensité à son travail de photographe. La famille part souvent en montagne, campant en des lieux sauvages ou pittoresques, propices à la réalisation de photos et de croquis, où Imogen utilise son mari et les enfants comme modèles.


12272844895?profile=originalLe couple déménage pour Oakland en 1920, où Roi Partridge a obtenu un poste d’enseignant au Mills College. Ils font la connaissance de Edward Weston, Johan Hagemeyer et Margarethe Mather. Imogen Cunningham reçoit sa première commande commerciale, un reportage sur le Ballet Intime, la troupe du chorégraphe Adolph Bolm. En 1922 elle fait des portraits de Weston et Margarethe Mather et participe à l’exposition de la Pictorial Photographic Society à San Francisco.  C’est à cette époque qu’elle commence à faire des prises de vue de très grande précision de plantes et expérimente la double exposition.


En 1929, Edward Weston est chargé de choisir des oeuvres de photographes américains éminents pour la prestigieuse exposition Film und Foto de Stuttgart, Imogen Cunningham est représentée par huit photos de fleurs, un nu de couple et une photo de château d’eau.


 Elle fait une série de photos de la danseuse Martha Graham, qui sont publiées dans Vanity Fair, et la revue l’engage alors pour faire une série de portraits de personnalités hollywoodiennes. En 1932 elle est parmi les membres fondateurs du « Groupe f/64 », avec Ansel Adams et Edward Weston notamment, groupe assez informel qui se donne comme objectif une photographie d’une qualité technique irréprochable, d’une netteté absolue et présentant une gamme de valeurs d’une étendue maximale, ce qu’on appelle maintenant straight photography ou photographie pure. Ils réagissaient en opposition au pictorialisme et aux manipulations de l’image photographique, ainsi qu’au fait que Stieglitz n’ait jamais fait un geste vers eux. Les photographes californiens se sentaient isolés, loin de New York qui était alors le centre de gravité culturel de Etats-Unis. Elle s’éloignera assez rapidement de ce mouvement, trouvant ces critères trop restrictifs, et aussi du fait de son individualisme prononcé.


En 1934, elle divorce de Roi Partridge. « J’ai été mariée 20 ans, dira-t-elle plus tard, je trouve que c’est assez. »  Imogen était intéressée par tout, sauf les voitures et le sport, dira son fils, elle avait une très grande ouverture d’esprit, tandis que Roi était très conservateur. Ils avaient de fréquentes disputes. Imogen devait séjourner un temps à New York pour répondre à une commande de Vanity Fair, et Roi aurait voulu qu’elle retarde son départ jusqu’à ce qu’il puisse l’accompagner. Elle a refusé et est partie au début du printemps, quelques temps après, en juin, il est parti pour Reno où il a fait prononcer le divorce. Elle ne vivra plus jamais en couple par la suite, appréciant trop la liberté. Partridge et elle sont deux personnalités très fortes, très individualistes l’un comme l’autre, ayant chacun une grande ambition professionnelle. Ils veulent l’un et l’autre laisser une oeuvre à la postérité. Roi Partridge s’absentait parfois plusieurs semaines pour des randonnées en montagne dans le but de ramener les nombreux croquis qui serviraient de base à ses gravures. Cunningham était également absorbée totalement dans la réalisation de son oeuvre, ou de ses travaux de commande. Dans une interview des années 70, son fils, Rondal, racontera que sa mère ne se chargeait jamais des achats pour la famille, qu’elle régentait toute la maison, mais que tout était commandé par téléphone et livré à domicile car elle n’avait pas de temps à consacrer aux tâches ménagères, hormis les repas. Ce sont les garçons qui sont chargés du reste. Mais chacun s’accordera sur ses qualités de cuisinière hors paire et beaucoup gardent le souvenirs de repas exceptionnels. à la fin de sa vie, elle avait d’ailleurs le projet d’un livre de recettes.


Après son divorce, elle travaille donc un temps à New-York pour Vanity Fair, rend visite à Alfred Stieglitz dont elle fait plusieurs portraits (avec l’appareil de Stiegletz), puis fait un reportage avec Dorothea Lange et Willard Van Dyke à Oroville (Californie) sur une coopérative de chômeurs qui fait de la récupération de vieux mobilier un moyen de lutte contre la pauvreté.


En 1946 elle enseigne la photographie à la California School of Fine Arts de San Francisco, abandonne en partie sa chambre technique au profit d’un Rolleiflex, et fait la connaissance de Lisette Model qui y enseigne également. Elle s’installe alors à San Francisco dans la maison où elle résidera jusqu’à son décès. Elle enseignera encore brièvement à la California School of Fine Arts en 1950.


Le International Museum of Photography de Rochester achète une grande collection de ses photos. Elle voyage en Europe en 1960-61, à Berlin, Munich, Paris et Londres. En Allemagne elle rend visite à August Sander et rencontre Paul Strand en France. Elle visite ensuite la Norvège, la Finlande la Suède, le Danemark et la Pologne, et à nouveau Paris. La Librairie du Congrès des Etats-Unis achète un ensemble de ses photos en 1970, et 1975 voit la création du Imogen Cunningham Trust, actuellement dirigé par Meg Partridge, sa petite-fille, qui est chargé de la préservation et de la diffusion de son oeuvre.


En 1976 elle prépare la publication d’une étude photographique sur la vieillesse (Age and aging) et réalise les 12 derniers portraits du projet, qui paraîtra à titre posthume dans un livre sous le titre After Ninety.
Elle meurt le 23 juin de la même année à San Francisco à l’âge de 93 ans.

A propos de l’oeuvre
En 75 ans d’expression photographique, Imogen Cunning­ham a connu les principales tendances de son art durant le siècle. Ses premières photos sont résolument pictorialistes, influencées par la lecture de William Morris et le préraphaélisme. Dans le choix des sujets (Eve repentant, The Supplicant), on peut sans doute aussi déceler l’influence du mysticisme de son père. Déjà elle expérimente, faisant des tirages très différents d’un même négatif (In Moonlight et Morning Mist and Sunshine) explorant les différentes expressions que l’on peut donner d’une même composition.  Elle prend ses amis comme modèles dans des scènes composées, romantiques et maniéristes, utilisant un objectif très doux (soft focus), et fait ses tirages sur des papiers au platine en tons satinés.


Elle se dégagera rapidement de ce genre de sujets tout en gardant la technique et le langage pictorialistes dans ses photos de paysages et ses scènes de nus en pleins nature, les sujets changent, mais le style, l’écriture, restent victoriens. Ses photos de nus de Roi Partridge au Mont Rainier sont très représentatives de cette période.
Son installation en Californie, et la naissance de ses enfants, ont une influence directe sur ses sources d’inspiration dans les années 20 et provoquent une rupture de style brutale. La nature exubérante qui l’entoure, les charges familiales et un nouvel environnement culturel, l’amènent rapidement à ne traiter dans son travail personnel que de sujets très proches : ses garçons et les plantes de son jardin, ou des portraits de personnes qui l’intéressent. C’est là que se montre, dans les années 20, toute la profondeur de la remise en question de sa pratique antérieure et de l’influence préraphaélite. Ses nouvelles photos sont marquées d’une pureté graphique qui dénote son adhésion à une vision moderne de la photographie, dégagée des modèles du XIXe siècle, tendant presque à l’abstraction et proches de la Nouvelle objectivité et du Constructivisme russe. Elle rejoint ainsi l’esthétique d’autres photographes californiens comme Margarethe Mather, Ansel Adams ou Edward Weston. Weston et elle s’influencent d’ailleurs réciproquement, jusqu’à ce que Weston parte pour le Mexique et que chacun suive sa voie. Cette époque, celle des années 20-30, est celle où la photographie “examine” le monde avec attention. Renger-Patzsch en Allemagne, Weston et Cunningham en Californie,  examinent formellement les choses qui les entourent, mais chacun, évidemment, avec sa sensibilité propre.


Avec le groupe f/64 elle adhère un temps aux préceptes définis par Ansel Adams et Willard Van Dyke d’une reproduction du monde réel avec tous ses détails, mais, tout en continuant à apprécier leur travail, elle trouve trop restrictifs leurs critères et leur exigence de tirages parfaits, où la recherche d’une étendue maximale dans la gamme des nuances devient presque obsessionnelle. Son travail est plus instinctif,  et plus sensible,  même si ses images sont également très construites, et elle rejette toute limite à ses propres possibilités d’expression. Weston, Adams et Van Dyke utilisaient exclusivement une chambre technique 8x10 inches (20x25 cm), ils étaient très préoccupés de la qualité de leurs tirages, qu’ils faisaient par contact, et étaient toujours à la recherche du meilleur papier. Ces détails techniques ne l’intéressaient pas : la façon de voir les choses était la seule importante pour Imogen Cunningham.
Ses photos de fleurs et de plantes sont des épures alliant une rigueur extrême dans la construction au velouté des nuances rendues. Nous sommes ici très loin des planches de botanique : les sujets sont extraits de leur contexte naturel, dans la majorité des cas, et présentés sur un fond uni, souvent très sombre, comme des objets esthétiques indépendants. Certaines de ces images tendent à l’abstraction, il s’agit de cadrage très serrés de détails tandis que d’autres, dans un plan plus large, pourraient presque être documentaires. Mais dans tous les cas, il est évident que le propos ici n’est pas d’illustrer ou de documenter mais bien de produire une image esthétique construite comme une fin en soi.


Elle poursuit également sa recherche très personnelle en matière de photo de nus, avec des images de fragments de corps, des attitudes contorsionnées, des angles de vue inhabituels. Dans ses études elle se montre moins géométrique que Weston, moins “abstraite” mais plus sensible. Si son cadrage est souvent très serré, sauf lors de prises de vue dans la nature, et les attitudes parfois inattendues, la sensualité n’en est jamais absente mais il ne s’agit pas ici de poses alanguies plus ou moins érotiques. Ce sont des études de formes prenant le corps humain pour modèle, avec une nette différenciation des genres, une expression en général plutôt athlétique de la masculinité et une féminité sans mièvrerie. Elle a rarement travaillé avec des modèles professionnels, préférant le naturel et la spontanéité de personnes de sa connaissance.  C’est un genre qu’elle pratiquera tout au long de sa carrière avec un égal bonheur.
Quoique elle ait déclaré que le portrait n’avait pour elle qu’un intérêt, l’argent qu’il pouvait rapporter, il est évident qu’elle a été une portraitiste de grand talent dont le style, là aussi, a évolué au fil du temps. Des images sentimentales de ses débuts (comme Mother and Children, 1909) aux manipulations des années 60 et suivantes (A Man Ray version of Man Ray, 1960), elle produit des portraits très pénétrants, révélateurs à la foi de sa compréhension du modèle et de l’évolution de son esthétique. Quand, à partir des années 50, ses contemporains rétrécissent le champ de leur recherche artistique, Weston approfondissant sa poétique hautement formalisée et Ansel Adams perfectionnant son expression symphonique du paysage, Imogen Cunningham élargit sa vision, combinant des portraits avec des prises de vue de plantes ou utilisant les expositions multiples pour produire une oeuvre presque post-moderne.
Imogen Cunningham a très peu parlé de son art, si ce n’est sur un plan anecdotique, quoiqu’elle fut très au consciente des analyses et des critiques produites sur son oeuvre. Elle ne s’est pas exprimée sur la signification qu’elle donnait à ses photos ni à ses motivations en les faisant. Elle explique  néanmoins que pour faire une bonne photographie, il faut penser comme un poète le ferait. Une dizaine d’années avant sa mort, elle dit dans une interview que les peintres et les photographes s’épanchent trop dans un charabia excessif pour exprimer ce qu’ils pensent et ressentent. “Moi, je photographie et je laisse les gens me comprendre s’ils le peuvent”, dit-elle. Quand on la questionnait sur ses travaux, elle était très brève. Ainsi, Minor White rapporte qu’un étudiant, parlant d’un portrait du peintre Morris Graves dit que “Ce portrait montre un homme si enchanté par la nature qu’il semble avoir transcendé son environnement. La lumière romantique l’entraîne vers d’autres mondes, inconscient quoique très sensible. Il comprend la nature parce qu’il y a beaucoup réfléchi et est obsédé par ce qui lui a été révélé.”


Le commentaire de Cunningham sur le même portrait est : “Very good and enough” (Très bon et ça suffit).

Artistes et mouvements cités


Karl Blossfeld (1865 - 1932), un des plus importants représentants de la Nouvelle objectivité berlinoise. Son livre, Urformen der Kunst l’a rendu célèbre dès sa parution.


Adolph Bolm (1884 - 1951), chorégraphe russe ayant quitté les Ballets Russes de Diaghilev pour s’installer aux USA et fonder sa propre troupe de ballet moderne.


Francis Bruguière (1879 - 1945), photographe américain, ami de Stieglitz, ayant expérimenté des techniques d’avant-garde et travaillé pour les revues Vanity Fair, Vogue et Harper’s Bazaar.
Alvin Langdon Coburn (1882 - 1966), photographe américano-britannique qui a été publié dans Camera Work de Stieglitz, connu pour ses portraits de personnalités (Rodin, G.B. Shaw...), un des chef de file du pictorialisme américain.


Constructivisme, courant artistique apparu en Russie  autour de Alexandre Rodtchenko et Vladimir Tatline peu après la révolution de 1917, caractérisé par l’utilisation de formes simples (carré, cercle, triangles) et des couleurs pures.
Edward S. Curtis (1868 -1952), photographe ethnologue, surtout connu pour ses reportages sur les Indiens d’Amérique.
f/64 : Ansel Adams, Imogen Cunningham, John Paul Ed-wards, Sonya Noskowiak, Henry Swift, Willard Van Dyke, Edward Weston.


Martha Graham (1894 - 1991) : chorégraphe et danseuse expressionniste américaine dont l’influence sur le ballet moderne fut comparée à celle de Picasso sur la peinture ou de Stravinsky sur la musique.


Johan Hagemeyer (1884 - 1962), photographe d’origine hollandaise, installé à San Francisco et ami de Edward Weston.


Gertrude Käsebier (1852 - 1934), une des plus importantes photographes américains du début du XXe siècle, surtout connue pour ses portraits, ses photos d’indiens Sioux et avoir contribué à créer la Women’s Professional Photographers Association of America. Elle était membre de la Photo Secession.


Dorothea Lange (1895 - 1965), photographe américaine connue pour ses photos de la Grande Dépression pour la Farm Security Administration.


Margarethe Mather (1886 - 1952), photographe américaine associée à Edward Weston jusqu’au départ de celui-ci pour Mexico avec Tina Modotti. Sa recherche sur la lumière et la forme a influencé la photographie, l’éloignant du pictorialisme pour tendre vers un art résolument moderne.


Lisette Model (1901 - 1983), photographe américaine d’origine autrichienne, ayant travaillé pour Harper’s Bazaar et enseigné la photographie.


Tina Modotti (1896 - 1942) : photographe italienne, politiquement révolutionnaire, un temps compagne de Edward Weston.


William Morris (1834 - 1896) : designer textile, imprimeur, écrivain, poète, conférencier, peintre, dessinateur et architecte britannique, membre de la Confrérie préraphaélite.


Nouvelle objectivité : mouvement artistique apparu en Allemagne dans les années 20 en réaction aux excès de sentiments des expressionnistes, August Sander et Albert Renger-Patzsch en sont les chefs de file en photographie.


Photo-Secession : groupe résolument pictorialiste, fondé par Alfred Stieglitz en 1902 en réaction au Camera Club de New York. Il se dissout en 1917 suite à des désaccords esthétiques entre ses membres.


Pictorialisme : tendance de la photographie apparue vers 1885, influencée par l’impressionnisme et le symbolisme, et caractérisée par l’usage du flou et des interventions sur le négatif. Les photographes tenant de cette esthétique veulent faire reconnaître la photographie comme expression artistique et essaient d’imiter la gravure ou le dessin.


Préraphaélisme : mouvement pictural apparu en Grande-Bretagne en 1848, en référence aux peintres antérieurs à Raphaël. Ses thèmes de prédilection sont les scènes bibliques, le Moyen-âge, la littérature. Les préraphaélites rejettent les modèles de la Renaissance propres à la peinture victorienne et se tournent vers les primitifs, italiens et flamands.


Albert Renger-Patzsch (1897 - 1966), photographe allemand rendu célèbre par son livre Der Welt ist schön (Le monde est beau) publié en 1928 qui contient 100 photos de personnes,  paysages, architecture et produits manufacturés. Sans doute le photographe le plus représentatif de la Nouvelle objectivité.


Alfred Stieglitz (1864 - 1946), photographe américain et directeur de galerie, éditeur de la revue Camera Work qui a introduit l’avant-garde européenne en Amérique. Probablement l’artiste qui a eu le plus d’influence sur la photographie américaine au XXe siècle.


Paul Strand (1890 - 1976), photographe américain, s’est installé en France en 1949 pour fuir le maccarthysme.
Edward Weston (1886 - 1958), photographe américain parmi les plus influents du XXe siècle, chef de file de la photo californienne.


Minor White (1908 - 1976) : photographe américain qui enseigna notamment au Massachusetts Institute of Technology (MIT)..

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Nicéphore Niepce invente la photographie en 1826, sur base de nombreuses recherches qui se font parallèlement sur les propriétés photosensibles de différentes matières, dont principalement l’argent.


La première photo de l’histoire, du moins la première photo permanente, qui ne s’efface pas au fil du temps, date de cette année. Elle a été faite au moyen d’une plaque d’étain enduite de bitume de Judée. Le bitume est sensible à la lumière, il s’oxyde, et les parties non oxydées sont alors solubles dans l’essence de lavande. La prise de vue a duré 8 heures, ce qui explique que les murs de gauche et de droite du bâtiment photographié sont également éclairés.
La photo a été laissée  à Londres par Niepce, chez son hôte le botaniste Francis Bauer qui l’a soigneusement étiquetée et conservée. On la croyait perdue depuis 1898, mais elle a été retrouvée par l’historien de la photographie Helmut Gernsheim en 1952. Elle se trouve depuis à l’université d’Austin (Texas).


Louis Jacques Mandé Daguerrre et Nicéphore Niepce se sont associés, mais la recherche est principalement effectuée par Niepce, qui meurt en 1833. Daguerre continue les recherches avec le neveu de Niepce, et finit par mettre au point son procédé, le daguerréotype, en 1839. Il s’agit d’une plaque de cuivre enduite d’argent, exposée à la lumière puis développées dans des vapeurs de mercure. On obtient ainsi une image unique d’une grande précision, qui sera souvent rehaussée de couleurs par la suite. Le gouvernement achète le brevet contre une pension à vie pour Daguerre et Niepce, et Arago “donne la photographie au monde” lors d’une séance solennelle de  l’Académie des Sciences en août 1839. La même année, l’Anglais Henri Fox Talbot avait mis au point son procédé négatif-positif sur papier, qui permettait donc des tirages multiples, mais donnait une image moins nette et moins nuancée que le daguerréotype. Le temps de pose d’un daguerréotype est au départ de 15 à 20 minutes, mais sera rapidement ramené à quelques secondes, ce qui explique sont essor rapide : en 1847, moins de dix ans plus tard, on vendra à Paris 2.000 appareils et près de 500.000 plaques pour daguerréotypes, en 1853 il y aura 10.000 daguerréotypistes en Amérique, et la photographie sera enseignée à l’Université de Londres dès 1856.


L’évolution la plus importante qui suit est due à l’Anglais Frederick Scott Archer en 1851. Apprenti orfèvre à ses débuts, il fait principalement des portraits sculptés et s’aide de photographies de ses modèles. Il met au point le procédé au collodion humide qui donne un négatif sur verre de très grande qualité et qui sera utilisé pratiquement jusqu’à la fin du siècle malgré la complication de son utilisation. Il faut en effet préparer la solution de collodion, l’étendre sur une plaque de verre, sensibiliser la plaque dans un bain de nitrate d’argent, puis faire la prise de vue et ensuite la développer avec de l’acide gallique ou du sulfate de fer, puis la  fixer au thiosulfate de sodium ou au cyanure de potassium, le tout dans un délai de 15 à 30 minutes selon les conditions ambiantes de température et d’humidité. En effet, un fois sèche, la plaque n’est plus sensible à la lumière.


Le matériel à cette époque est lourd et encombrant, les photographes doivent préparer le plus souvent leurs plaques et leurs papiers eux-mêmes au fur et à mesure des besoins. C’est donc un passe-temps, ou une profession, qui n’est pas accessible au commun des mortels. Les photographes de l’époque sont le plus souvent aisés, sinon fortunés, et ont une bonne connaissance de la chimie.

La guerre de Crimée


En 1854, les Russes passent le Danube et entrent dans l’empire ottoman. Sous un prétexte religieux, une querelle sur la garde des lieux saints de Palestine entre moines franciscains et prêtres orthodoxes, ils veulent en réalité contrôler les détroits du Bosphore et des Dardanelles, ce qui leur ouvrirait ainsi le passage vers la Méditerranée. L’Angleterre et la France volent au secours de la Turquie, leur alliée, pour les mêmes raisons. Le gouvernement britannique souhaite envoyer une mission photographique avec ses soldats, mais les officiers qui doivent s’en charger, trop mal et trop rapidement formés, échouent et le ministère fait appel à la Royal Photographic Society, fondée à Londres en 1853 par Roger Fenton, un photographe déjà très connu, qui a notamment été envoyé en Russie pour photographier la construction d’un pont sur le Dniepr.


Fenton est volontaire. Il obtient un financement conjoint de la Couronne, du Ministère de la Guerre et d’un éditeur. Il fait construire un chariot laboratoire, engage un assistant et un cuisinier, et charge 37 malles de matériel. Arrivé en février 1855 en Crimée, il y restera jusqu’à la fin du mois de juin et prendra 363 photos. Il est obligé de travailler très tôt, au lever du jour, car la température trop élevée fait bouillir ses bains, d’une part, et que, d’autre part, son chariot inquiète les Russes et devient la cible de l’artillerie.


Il est ainsi le premier reporter de guerre de l’histoire de la photographie.  Soit volonté de propagande, soit conception victorienne de ce qui peut ou ne peut pas être montré aux femmes et aux enfants, il ne fera que des photos assez “innocentes” des troupes, de leur campement, des officiers...  il ne faut pas démoraliser le pays. Il évitera de montrer les victimes qui meurent par centaines des suites de leurs blessures ou de maladie (lui-même contractera le choléra, ce qui précipitera son retour). De retour en Angleterre il est célèbre, ses photos sont publiées sous forme d’albums (de tirages originaux) ou reproduites par des gravures sur bois dans la presse. Il est reçut par la reine Victoria qui lui accorde d’apparaître couché en sa présence compte tenu de son affaiblissement provoqué par sa maladie.


La fin de la campagne sera photographiée par Felice Beato et James Robertson, photographes associés qui ont leur studio à Constantinople. Beato, par la suite, accompagnera l’armée britannique en Chine lors de la deuxième Guerre de l’Opium.


Le Grand Tour


Il y a, avant 1885, 250 photographes qui visitent ou travaillent au Moyen-Orient qui est un lieu de destination privilégié par les touristes fortunés d’alors. C’est l’époque où quelqu’un de la bonne société, principalement anglaise mais aussi allemande, et qui en avait les moyens, se devait de faire le “grand tour”, c’est-à-dire un voyage qui le menait de Paris à Rome et la Sicile, puis en Grèce et au Liban, en Syrie, en Palestine, en Egypte, selon l’état de sa fortune et son temps disponible, partout où il y a “quelque chose à voir”.


Tous ne sont pas photographes, loin s’en faut, et donc ils achètent sur place des albums souvenirs. Il y a ainsi de grands studios qui envoient sur le terrain des photographes pour enrichir leur collection de négatifs afin de proposer le choix le plus large possible aux clients potentiels. On peut citer les studios de J. Pascal Sebah et des frères Abdullah à Constantinople ou de Bonfils à Beyrouth qui connaîtront une grande prospérité et deviendront de véritables entreprises internationales.


Francis Frith est un de ces photographes particulièrement doués qui ont travaillé dans ces régions. Anglais, il fait rapidement fortune et se retire des affaires à 34 ans après avoir vendu ses entreprises. Il achète un bateau à vapeur et plusieurs tonnes de matériel, dont une chambre 40x50, une 20x25 et un appareil stéréoscopique, puis embarque pour le Moyen-Orient. Il voyage pendant deux ans en Egypte, Syrie et Palestine, revient en Angleterre avec 450 photos, édite un livre de tirages originaux qui connaît un réel succès puis repart à deux reprises et édite en tout 9 albums de photos de ses voyages. Il crée ainsi progressivement une entreprise prospère qui possédera finalement un million de photographies réalisées, sûrement avec l’aide d’autres photographes dont on a oublié les noms,  à travers l’Europe et la Grande-Bretagne en plus de ses photos du Moyen-Orient.


D’autres photographes entreprenants enregistreront des images qui nous révèlent ce que fut le monde en ces temps qui nous paraissent lointains. Ainsi, Désiré Charnay, maître d’école français parti à la Nouvelle-Orléans qui revient en France pour apprendre la photographie et qui obtient un financement de la part du Ministère de l’instruction publique pour faire un voyage d’exploration dans le Yucatan où il ira photographier les principaux monument précolombiens connus à cette époque, ou les frères Bisson qui tentent l’ascension du mont Blanc avec une équipe de 25 porteurs et réalisent ainsi les premières photos de la Mer de Glace et du sommet en un temps où l’alpinisme est loin de connaître les développements que l’on lui sait maintenant.


D’autres restent dans le confort de leur studio et se consacrent au portrait ou à la photo d’art, comme Henry Peach Robinson, qui combine plusieurs négatifs pour créer des scènes de genre, bien dans l’esprit de son temps, ou Julia Margaret Cameron dont les portraits gardent encore de nos jours tout leur impact, de même que ceux du grand Nadar ou d’Etienne Carjat. Certains enfin, comme Muybridge, se tournent vers une application scientifique de la photographie.


Louis Lumière et la couleur


Louis Lumière est né en 1864 d’un père peintre d’enseignes devenu photographe par la suite. Travaillant au départ comme daguerréotypiste, le père a suivi l’évolution technique du métier et a utilisé le collodion humide puis les plaques sèches au gélatino-bromure. Les fils Lumière ont vite été mis à contribution pour préparer les plaques et, à l’âge de 15 ans, Louis, qui n’est pas satisfait de la qualité des plaques Monckhoven qu’ils utilisent, met au point ses propres négatifs au gélatino-bromure que le père utilise pour ses travaux. Ses confrères sont impressionnés par la qualité des photos obtenues et c’est ainsi que commence la fabrication pour la vente des négatifs Lumière. Le succès vient assez rapidement et l’on passe vite de l’artisanat à l’industrie. En 1885, six ans plus tard donc, 300 ouvriers travaillent dans l’entreprise qui produit 50.000 plaques et 4.000 mètres de papier sensibles par jour. L’usine utilise un wagon de verre chaque jour, elle est devenue la première entreprise de produits photographiques d’Europe. Le père Lumière, gestionnaire fantaisiste, a abandonné à ses fils la direction de l’entreprise et se consacre à la peinture.
À la fin du siècle, les recherches sur la photographie en couleurs en sont encore aux premiers balbutiements, Charles Cros et Louis Ducos du Hauron ont mis au point le procédé trichrome qui démontre la possibilité de capter les couleurs d’un sujet mais n’est quasi pas utilisable hors des conditions d’un laboratoire de recherche. Louis veut simplifier le procédé et le rendre accessible au plus grand nombre. En 1904, après 7 années de recherches, il publie enfin un compte rendu sur le procédé qu’il a mis au point. Voici la description abrégée qu’il en donne :


Si l’on dispose à la surface d’une plaque de verre et sous forme d’une couche unique, mince, un ensemble d’éléments microscopiques, transparents et colorés en rouge-orangé, vert et violet, on peut constater, si les spectres d’absorption de ces éléments et si ces éléments sont en proportions convenables, que la couche ainsi obtenue, examinée par transparence, ne semble pas colorée, cette couche absorbant seulement une fraction de la lumière transmise. Les rayons lumineux traversant les écrans élémentaires orangés, verts et violets reconstitueront, en effet, la lumière blanche, si la somme des surfaces élémentaires pour chaque couleur et l’intensité de la coloration des éléments constitutifs se trouve établie dans des proportions relatives bien déterminées.


Cette couche mince trichrome ainsi formée est ensuite recouverte d’une émulsion sensible panchromatique. Si l’on soumet alors la plaque préparée de la sorte à l’action d’une image colorée, en prenant la précaution de l’exposer par le dos, les rayons lumineux traversent les écrans élémentaires et subissent, suivant leur couleur et suivant les écrans qu’ils rencontrent, une absorption variable. On a ainsi réalisé une sélection qui porte sur des éléments microscopiques et qui permet d’obtenir, après développement et fixage, des images colorées dont les tonalités sont complémentaires de celles de l’original...


La couche mince en question est constituée de grains de  fécule de pomme de terre de 15 millièmes de millimètres et laminées sur la plaque de verre à une pression de 7.000 kg par centimètre carré. Louis Lumière a non seulement conçu le principe de l’Autochrome (c’est le nom qu’il donnera au procédé) mais également conçu et construit tout le matériel nécessaire à sa fabrication. La plaque Autochrome est une diapositive sur verre qui se projette ou s’observe par transparence. Le succès est immédiat et la réussite commerciale viendra rapidement. En 1913 l’usine produit chaque jour 6.000 plaques Autochrome au format 9x12. Par la suite, la fécule de pomme de terre sera remplacée par de la levure de bière, dont les grains plus fins permettront un format plus petit et une plus grande sensibilité, le verre sera remplacé par un support souple récemment découvert, et le procédé sera également appliqué au film de cinéma.
On peut voir à Boulogne-Billancourt, près de Paris, des expositions consacrées à la plus grande collection d’autochromes existant (72.000) au Musée Albert Kahn, un banquier mécène qui envoya des photographes et des cinéastes dans le monde entier entre 1908 et 1929, chargés de constituer ce qu’il appela Les archives de la planète.

Présentation au Photo club de Mons le jeudi 5 mars 2009.

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August Sander est né le 17 novembre 1876 à Herdorf, en Rhénanie-Palatinat (à environ une centaine de kilomètres de Cologne). Il a 8 soeurs, son père est charpentier dans une mine de fer locale et possède et exploite une petite ferme. Il bénéficie d’un modeste capital suite à la vente d’une petite mine dont il était propriétaire. Dès 1890 c’est tout naturellement que August Sander va travailler dans la même mine que son père, tout en l’aidant probablement dans l’exploitation de la ferme. La petite ville de Herdorf n’est pas encore soumise aux bouleversements de l’industrialisation et le travail est plutôt organisé sur un modèle artisanal et coopératif traditionnel, chacun étant employé à tour de rôle au fond de la mine, à l’atelier, et aux champs. Le travail à la mine ne représente que quelques mois sur l’année.

En 1892, August Sander est choisi, un peu par hasard, pour guider un photographe qui veut faire des prises de vues de paysage dans les environs de la mine. Le travail du photographe le fascine et un oncle maternel finance l’achat de son premier matériel. Il commence à faire de la photo en amateur, chose considérée comme assez extravagante par ses concitoyens. Il faut se rappeler qu’il y a à peine 50 ans que Arago a « donné la photographie au monde » et qu’elle est encore loin d’être un loisir populaire.

En 1896, âgé de 20 ans, alors photographe amateur déjà fécond, il quitte le milieu familial pour faire son service militaire à Trèves où l’armée lui donne la possibilité d’être apprenti dans un studio de photographie durant ses heures de liberté. De 1899 à 1901, il travaille dans divers studios de Magdebourg, Halle, Leipzig, Berlin et Dresde, où il fréquente également l’Académie des Beaux-Arts, probablement en auditeur libre. Cette période de perfectionnement dans son métier est aussi très certainement une période d’enrichissement culturel pour August Sander.

Ces « années de voyage », comme il les appellera, se terminent en Autriche, à Linz, où il devient premier opérateur du studio Greif. En 1902 il épouse Anna Seitenmacher, fille d’un secrétaire de justice à Trêves, et la même année reprend avec un associé l’atelier Greif qui deviendra en 1904 l’atelier August Sander dont il sera désormais seul propriétaire. C’est la confirmation de l’ascension sociale du paysan-mineur qui est désormais père de famille et chef d’entreprise (il a 7 employés). Pour prendre pied dans la haute société de Linz, et y trouver une clientèle fidèle et aisée, il entreprend alors sous la direction de son épouse l’acquisition de la culture bourgeoise de bon ton qui lui fait défaut. Il lit les « bons » livres, collectionne meubles et tableaux, se met à la musique avec passion et finit par être admis dans la chorale municipale. Il fait dès lors partie des notabilités de la ville. Il participe à plusieurs salons et expositions en Autriche, en Allemagne et en France où son oeuvre est distinguée et récompensée. En 1906 il expose une centaine de tirage grand format au Landhaus Pavillon de Linz. Sa photographie est alors tout à fait conforme à ce qui se fait à l’époque et à ce que demande une clientèle bourgeoise conservatrice, elle est pictorialiste, avec des tirages à la gomme bichromatée très soignés et retouchés. Il se démarque toutefois de ses confrères qui continuent presque tous à travailler « à l’ancienne », c’est à dire en studio, devant la même toile peinte représentant un paysage ou un motif architectural quels que soient les modèles ou leur origine sociale. Sander préconise une prise de vue dans le décor naturel du client, son intérieur ou son jardin, ou dans son atelier qu’il a aménagé au moyen d’éléments de décor « plein de goût» . À la fin de 1909 il vend son studio pour des raisons assez obscures et vient s’installer à Cologne dans le quartier de Lindenthal. Il n’obtient toutefois pas le même succès comme portraitiste qu’à Linz et se voit contraint de rechercher une autre clientèle. Il fait alors la navette entre Cologne et le Westerwald, sa région d’origine où il rencontre bientôt un certain succès. C’est son épouse qui gère l’atelier pendant ses absences. Cette nouvelle clientèle, qu’il connaît bien puisqu’il s’agit de sa région natale, l’incite rapidement à diversifier sa pratique. Clarté, sobriété et froideur deviennent ses maîtres mots.

12273059259?profile=originalEn 1914 il est rattaché à l’armée de réserve et échappe ainsi au grand massacre et, après la guerre, il se rapproche des artistes progressistes rhénans dont les peintres Seiwert et Hoerle avec qui il a de nombreuses discussions qui le détachent progressivement de la bourgeoisie à laquelle il s’était identifié avant la guerre, surtout à Linz où il avait recherché, et obtenu, une ascension sociale certaine. Il reste toutefois partisan convaincu de la social-démocratie de la République de Weimar et n’apprécie nullement l’idée de révolution mondiale, contrairement à son ami Seiwert qui avait des conceptions radicalement anticapitalistes. Vers 1922 il a définitivement abandonné toute idée de « photographie d’art » pour se consacrer à la « photographie exacte » selon ses propres termes ; plus de gomme bichromatée mais des tirages clairs, bien contrastés et de qualité technique optimale sur un papier brillant. Il commence à visionner et à trier les négatifs qu’il a accumulé depuis le début de sa carrière et à les sélectionner en fonction de leur degré « d’objectivité », les considérant maintenant sous l’angle documentaire. Il les tire sur papier brillant et les soumet à ses amis comme une illustration de l’état moral et social d’individus, mais aussi de groupes sociaux. Il étend progressivement son étude aux catégories les plus variées et envisage la question de leurs rapports mutuels et de la structure de la société dans son entièreté. C’est alors qu’il forme le projet d’offrir un panorama photographique de toutes le professions et de tous les milieux de la République de Weimar. C’est le projet, maintenant conscient et mûri, qui était en germe dans son approche des paysans du Westerwald : présenter les individus comme éléments d’un ensemble social. Les années 1923-1924 voient une réforme monétaire qui relance l’activité économique, et il en bénéficie sous la forme de commandes industrielles qui lui assurent la sécurité financière pour une longue période. Il se consacre dès lors à l’accumulation systématique de nouveaux clichés, laissant souvent à ses collaborateurs le soin de répondre aux commandes des entreprises. L’inventaire de la société allemande, tâche énorme et non rémunérée, devient alors son objectif prioritaire.
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En 1927, Sander présente un premier ensemble de photographies dans une exposition à Cologne qui rencontre un certain succès, tant à Cologne qu’à l’extérieur, et un éditeur le contacte pour envisager une publication. Antlitz der Zeit (Visages du temps) paraîtra en 1929 avec une préface de l’écrivain Alfred Döblin. Avec un bulletin de souscription pour Menschen des 20. Jahrhunderts (Hommes du XXe siècle) à paraître par la suite, cet ensemble de 60 portraits est une amorce du grand œuvre de Sander. L’ouvrage se vendit mal malgré l’enthousiasme des journalistes et intellectuels. Le grand public y fut moins sensible, mais ce fut néanmoins un succès partiel.

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Après l’accession de Hitler au pouvoir, et l’arrestation en 1934 de Erich, son fils aîné, condamné à 10 ans de réclusion pour son appartenance au parti communiste, Sander est devenu suspect pour le régime nazi. Antlitz der Zeit est saisi, les derniers exemplaires et les plaques sont détruites, et il se fait discret et travaille plus ou moins clandestinement, notamment à la réalisation de portraits de Juifs ou de prisonniers politiques. Nombre de ses amis sont déclarés « artistes dégénérés ».
C’est à ce moment qu’il entreprend son reportage sur le vieux Cologne qui devait comprendre 12 cartons et s’intituler Köln wie es war (Cologne telle qu’elle était). Cette activité éveilla toutefois les soupçons, sa maison fut perquisitionnée, certaines épreuves saisies. La municipalité lui proposa néanmoins de le publier, mais il a refusé, prétextant que le travail n’était pas assez avancé. Il se consacre dès lors principalement au paysage lors d’excursions de parfois plusieurs semaines sur les bords du Rhin ou de la Moselle, dans l’Eifel, le Westerwald ou le Siebengebirge.

Au début de la Seconde Guerre mondiale, Sander entrepose ses négatifs (40 à 50.000, selon les sources) dans la cave de sa maison de Cologne et se retire dans un appartement au-dessus d’une ferme à Kuchausen (Westerwald) où il en stocke 10.000 des plus précieux. La maison de Cologne sera détruite dans un bombardement, et les négatifs perdus lors de l’incendie qui suivra. Après la guerre il continue à se consacrer aux portraits, principalement de paysans, mais sans être tout à fait satisfait du résultat.

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Si la plupart de ces projets n’ont pu être menés à bien, August Sander aura la consolation de ne pas disparaître de la scène photographique. Alors qu’il avait été pendant des décennies considéré comme un marginal par ses confrères, il reçoit en 1955 la visite d’Edward Steichen qui choisit des portraits pour son exposition The family of man, il est nommé citoyen d’honneur de Herdorf où une rue porte son nom, reçoit la Croix fédérale du Mérite, puis devient membre honoraire de la Société allemande de Photographie qui lui accorde son Prix de la Culture en 1961. Une reconnaissance amplement méritée quoique tardive, qui permit que son œuvre fut enfin accessible et est maintenant recherchée par les collectionneurs et les musées du monde entier.
August Sander meurt à Cologne le 20 avril 1964 d’une attaque d’apoplexie.

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Présenté au Photo-Club le 13 novembre 2014.

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12272973267?profile=originalVoir ou télécharger le billet complet en PDF (biographie et commentaires sur l’œuvre), 8 pages illustrées de 29 photos, sur mon site.

Paul Strand est né à New-York le 16 octobre 1890 dans une famille originaire de Bohème (dans l'actuelle Tchéquie). Ses grands-parents sont arrivés de Bohème vers 1840. Son père, Jacob Stransky, a changé son nom en Strand peu de temps avant la naissance de Paul, son fils unique. Il tient une quincaillerie.

Paul Strand a reçu son premier appareil photo, un Brownie, à l'age de 12 ans mais il ne s'y intéresse guère, plus préoccupé de tours à bicyclettes ou de jeux en rue avec les gamins du quartier. Deux ans plus tard, en 1904, ses parents font le sacrifice financier important de l'inscrire dans une école privée, l'Ethical Culture School, pour le soustraire à l'influence, qu'ils redoutent, des jeunes de l'école publique du quartier, le Upper West Side de Manhattan. Un de ses professeurs de sciences est Lewis Hine, qui donne un cours de photographie en option libre et encourage ses étudiants à utiliser la photographie comme outil éducatif. Hine poursuit le projet à cette époque de photographier les immigrants qui débarquent à Ellis Island puis de suivre leur difficile intégration à la société américaine dans les quartiers de taudis dans lesquels la plupart se retrouvent. Lewis Hine l'emmène à la Photo-Secession Gallery et lui fait découvrir l'oeuvre de Alfred Stieglitz, David Octavius Hill, Julia Margaret Cameron, Gertrude Käsebier et Clarence White. C'est à ce moment, alors âgé de 17 ans, qu'il décide de ce qu'il fera dans la vie : il sera artiste en photographie. Lewis Hine lui enseigna non seulement les rudiments de l'art photographique, mais également les principes de la réflexion morale et de la pensée humaniste qui étaient en vigueur à l'Ethical Culture School.

Il passe dès lors la majeure partie de son temps libre à faire des photos avec la chambre 8x10" (20x25 cm) que lui prête son oncle de façon presque permanente et il est membre du Camera Club de New-York. La cotisation annuelle de 50 $ lui donne accès à une chambre noire et un studio de prise de vue pour le portrait, avantages considérables qui lui en font supporter « l'atmosphère stupide et en plein amateurisme. » Sa mère pense que photographe n'est pas une profession convenable pour quelqu'un qui veut réussir dans la vie, mais son père semble le comprendre dès le départ. «Mon père n'était pas un intellectuel, dira Strand, mais il a été immédiatement intéressé par ce qu'il a vu lorsque je l'ai emmené à la Photo-Secession Gallery, et il a développé une sensibilité extraordinaire pour les images. Il sentait que l'art était important.»

Il n'est pas intéressé par des études supérieures, que par ailleurs sa famille aurait de grandes difficultés à financer, et il travaille comme employé de bureau dans l'entreprise familiale jusqu'à ce qu'elle soit rachetée par une autre compagnie. Bravant l'inquiétude et les fortes réticences de sa famille, il rassemble ses économies, environ 400 dollars, et part pour un voyage de 6 semaines en Europe, débutant à Naples et passant par Rome, Venise, Lucerne et Paris pour visiter les principaux musées et monuments et parcourant de longues distances à pied. À son retour il trouve un emploi, qu'il détestera, dans une compagnie d'assurances, qu'il quittera à fin de l'année 1911 pour s'installer comme photographe professionnel.

[. . .]

12272973294?profile=originalC'est en 1915 qu'il estime être devenu réellement un photographe. Il avait travaillé sérieusement durant huit ans, et soudain il a ressenti qu'il avait franchi un nouveau pas et eût plus de confiance en la qualité de ses photos. Il en rassemble donc une sélection qu'il va soumettre à Stieglitz. Ce dernier est impressionné, il appelle Edward Steichen qui se trouvait au fond de la galerie, et déclare à Strand qu'il peut dorénavant considérer le 291 comme sa maison. Pour le jeune Paul Strand, c'était comme se voir offrir le monde sur un plateau. En mars 1916, il expose pour la première fois chez Stieglitz et plusieurs de ses photos sont publiées au cours de l'année dans Camera Work. La revue paraîtra pour la dernière fois en 1917, pour des raisons financières, avec un numéro qui lui sera entièrement consacré. Dans son introduction, Stieglitz déclare que les photos de Strand sont dépourvues de tout artifice, de toute tentative de mystifier un public ignorant et les photographes eux-mêmes. «Ces photos, dit-il, sont l'expression directe du temps présent.» À 25 ans, Strand rejoint le groupe prestigieux des artistes du cercle de Stieglitz, Edward Steichen, Frank Eugene et Alvin Langdon Coburn, pour ne citer que les photographes. Stieglitz ne faisait aucune différence entre les différentes formes d'art et nombre de peintres le soutenaient dans ses efforts pour faire reconnaître la photographie comme art à part entière.

[. . .]

Incorporé à l'armée en 1918, il est envoyé à Rochester (Minnesota) pour suivre une formation d'infirmier à la clinique Mayo. Lorsqu'il assiste à une opération chirurgicale, il a l'idée de réaliser des films d'opérations pour les montrer aux étudiants en médecine. Il passera 18 mois dans le Minnesota comme technicien en radiographie dans un hôpital militaire. À la fin de son service militaire, en 1919, il s'essaye à la photo publicitaire mais, au début de 1922, quand cette activité commence vraiment à devenir profitable, il est contacté par des personnes qui envisagent de réaliser des films médicaux et Strand accepte immédiatement de devenir leur cameraman. Il avait acquis une petite expérience dans ce domaine en ayant travaillé avec le peintre Charles Sheeler avec qui il avait réalisé le film Mannahatta l'année précédente. Ses commanditaires l'encouragent à acheter la meilleure caméra qu'il puisse trouver pour réaliser ce genre de film et son choix se porte sur une Akeley. À peine a-t-il passé la commande que les investisseurs se désistent, et Strand l'achète à son propre compte grâce à un petit héritage qu'il venait de faire, du montant exact du prix de la caméra, soit 2.500 dollars. Les gens de chez Akeley lui ont expliqué qu'il n'y a à New-York que 4 ou 5 «spécialistes de l'Akeley» et qu'il pourra facilement gagner sa vie comme cameraman indépendant pour des sujets d'actualité ou des studios de Hollywood. N'ayant plus d'autres perspectives, il franchit le pas, achète le matériel et durant 10 ans il filmera des événements sportifs et autres pour Pathé News et Fox Films et, occasionnellement, des scènes d'action pour Hollywood. Mais la photographie reste sa principale préoccupation, qu'il ne peut satisfaire que lors des temps libres quand il n'a pas de commande à satisfaire. En 1922, Paul Strand a épousé Rebecca Salsbury, une artiste peintre amie de Georgia O'Keefe. Le couple occupe un appartement dans la maison familiale de Strand, et ce n'est que 4 ans plus tard qu'ils auront les moyens de prendre des vacances en été, dans le Colorado, au Mesa Verde National Park où Strand commence à faire des gros plans d'enchevêtrements de racines, de champignons ou de troncs d'arbres, et ensuite à Taos (Nouveau Mexique) dans une maison louée à Mabel Dodge Luhan. Il poursuivra cette recherche durant plusieurs années et ce n'est que durant l'été 1929 qu'il se confronte à de larges paysages, lorsque le couple visite la péninsule de Gaspé.

12272973487?profile=originalDepuis 1915, depuis sa découverte d'un recueil du poète Edgar Lee Masters, Spoon River Anthology, il caresse le rêve de faire le portrait global d'un village dont les habitants raconteraient leur histoire individuelle, mais il n'arrive jamais à trouver le village idéal. Il fera dès lors plusieurs séjours au Nouveau Mexique et, en 1932, alors que son mariage bat de l'aile et que son épouse rentre à New-York, il part pour Mexico. Comme beaucoup d'intellectuels américains de gauche à cette époque, il est attiré par le Mexique et les suites de la révolution. Il a rencontré le compositeur Carlos Chávez chez Mabel Dodge Luhan l'année précédente, et ce dernier a insisté pour qu'il y vienne faire des photos. L'accueil de Chávez est particulièrement chaleureux et, en personnage influent qu'il est, il organise une exposition des oeuvres de Paul Strand dans un bâtiment du Ministère de l'Education et obtient pour lui et son neveu, Augustin Velásquez Chávez, la mission gouvernementale d'établir un rapport sur l'enseignement artistique dans les écoles rurales de l'État du Michoacán.

[. . .]

Strand était très enthousiaste devant les réformes sociales de la révolution mexicaine et les oeuvres de grands peintres muralistes Diego Rivera, David Alfaro Siqueiros et José Clemente Orozco, aussi, quand Carlos Chávez lui propose de diriger un plan de 5 ans pour la réalisation de films qui refléteraient les préoccupations des Mexicains, il se met immédiatement au travail pour élaborer des propositions. Il est alors nommé directeur de la photographie et du cinéma au Département des Beaux-Arts du Ministère de l'Education. Strand, Chavez et le ministre sont d'accord sur le fait que les films doivent s'adresser d'abord aux dix-huit millions d'Indiens dont la plupart sont illettrés, et qu'ils doivent répondre aux plus hauts critères esthétiques, partant du principe que le meilleur de l'expression artistique parlerait au plus grand nombre. Le seul film qui sera réalisé est Redes, un semi documentaire-semi fiction, sur une grève de pêcheurs de Alvarado, près de Veracruz dans le Golfe du Mexique. Il n'y a qu'un seul acteur professionnel, tous les autres personnages sont incarnés par les pêcheurs d'Alvarado et leur famille. Le film fut réalisé sous la direction de Fred Zinneman, alors jeune directeur n'ayant encore aucun film à son actif, et tourné par Paul Strand avec sa camera Akeley. Il semble bien, toutefois, que Strand fut le véritable « patron » et la tension a très vite été vive entre les deux hommes, Zinneman reprochant à Strand de ne pas avoir « l'esprit cinéma », de ne pas saisir le mouvement et d'imposer un rythme trop lent au film.

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Il est maintenant divorcé et s'est éloigné de Stieglitz, sans toutefois que la rupture ait jamais été totale entre les deux hommes, et il fréquente le Group Theatre fondé en 1931 par Lee Strasberg, Harold Clurman et Cheryl Crawford. Le Group Theatre est un collectif fortement influencé par l'esthétique et le cinéma soviétiques de Eisenstein, Dovzhenko et Pudovkin. En ces années de dépression qui font suite à la crise de 1929, les réalisations soviétiques ont un attrait certain pour nombre d'intellectuels de gauche en Amérique. Harold Clurman et Cheryl Crawford partent à Moscou en 1935 pour voir par eux-mêmes ce qui s'y fait en matière théâtrale et de cinéma. Strand les rejoint et rencontre notamment Eisenstein qui lui dira, après avoir vu quelques extraits de Redes, qu'il est essentiellement un photographe plutôt qu'un cinéaste. Il l'invite néanmoins à travailler avec lui sur un nouveau film, mais les difficultés pour l'obtention d'un permis de travail se révèlent insurmontables et Strand revient en Amérique. Il avait emporté sa caméra Akeley et son matériel photographique à Moscou, mais n'y aura fait aucune photo ni tourné le moindre mètre de pellicule.

À son retour il est invité à participer à un documentaire sur le Dust Bowl et durant dix ans il se consacrera principalement au cinéma documentaire sans pour autant abandonner complètement la photographie. Il fondera ainsi Frontier Films qui produira différents films documentaires jusqu'à sa disparition en 1942, dont Native Land, un film sur les violations des droits civiques aux Etats-Unis, dirigé, filmé et édité par Paul Strand et Leo Hurwitz. En 1936 il s'est remarié et c'est à l'occasion de son voyage de noces qu'il réalise une nouvelle série de paysages en Gaspésie.

En 1945 le Musée d'Art moderne de New-York organise une rétrospective de son oeuvre, la première grande rétrospective du MOMA consacrée à un photographe. C'est durant la préparation de cette exposition que la directrice du département photographie, Nancy Newhall, fortement impressionnée par son travail, lui propose de réaliser en commun un livre sur la Nouvelle-Angleterre.

Ils vont travailler de concert durant 5 ans à la préparation du livre Time in New-England, Strand parcourant le pays à la recherche d'images de nature, de gens et d'architecture qui soient représentatives de la tradition de la Nouvelle-Angleterre, et Nancy Newhall écumant la Bibliothèque publique de New-York à la recherches de textes représentatifs de cette région, berceau des États-Unis d'Amérique. Ils se rencontraient périodiquement et travaillaient à la mise en relation des images et des textes en des combinaisons souvent plus poétiques que rationnelles. Le livre paraît en 1950 et, quoique Strand ait été déçu par la qualité de la reproduction de ses photos, il a été séduit par la réalisation d'un livre dans lequel images et textes s'enrichissent mutuellement. Ce sera un grand tournant dans sa carrière.

Au cours de ce travail en Nouvelle-Angleterre, il repense à son idée du portrait d'un village, non pas dans l'esprit de ce que faisaient alors les photojournalistes de Life et autres revues du moment, l'actualité ou l'élément événementiel ne l'intéressaient pas, il envisageait de rendre la nature même d'un village particulier où des gens particuliers vivent et travaillent. Mais il ne le trouve pas en Nouvelle-Angleterre, et le livre en préparation demande une attention de chaque instant. Après la parution de Time in New-England, il éprouve quelques doutes sur ce projet de livre sur un village américain. Il est perturbé par ce qui se passe alors en Amérique. Leo Hurwitz et nombre de ses anciens collègues sont sur liste noire, considérés comme de dangereux radicaux par l'industrie cinématographique et ont la plus grande peine à trouver du travail, et il commence à envisager un séjour en Europe quoiqu'il ne soit pas lui-même inquiété. « Le climat moral et intellectuel des Etats-Unis était tellement empoisonné par le maccarthysme que je ne voulais pas travailler dans un village américain à cette époque. Ce n'était pas un rejet de l'Amérique, c'était un rejet de ce qui se passait en Amérique en ce moment précis. J'eus donc l'idée de voyager, pour voir ce qui se passait ailleurs dans le monde. »

Son second mariage s'est terminé par un nouveau divorce en 1949 et, au printemps 1950, il part pour la France avec Hazel Kingsbury, qu'il épousera en 1951, une photographe qui a travaillé pour la Croix-Rouge et a parcouru les zones de combats en Europe et en Extrême-Orient. Durant les premiers mois ils parcourent la France en long et en large à la recherche du village idéal, sans jamais le trouver, mais Strand réalise de nombreuses photos qui feront l'objet d'un livre publié en 1952, La France de profil, avec des textes de Claude Roy.

En 1949 Paul Strand se rend à un festival de cinéma en Tchécoslovaquie, où Native Land se verra récompensé, puis en Italie, au festival du film de Perugia (Pérouse) où les cinéaste néo-réalistes italiens réfléchissent à l'évolution de leur art et à sa diffusion au-delà des frontières nationales. C'est là qu'il rencontre Cesare Zavattini avec qui il évoque son projet du portrait global d'un village. Trois ans plus tard, Zavattini sera son guide en Italie et lui fera connaître son village natal, Luzzara, sur le Pô, où il réalisera enfin son vieux rêve. Le livre paraîtra en 1955 en Italie sous le titre Un Paese, avec des textes de Cesare Zavattini.

En 1954 il a séjourné 3 mois sur l'île de South Uist (Hébrides Extérieures) pour des prises de vues qui donneront le livre Tir a'Murhain, Outer Hebrides (paru en 1962) avec 106 photos et des textes de Basil Davidson. D'autres livres suivront, Living Egypt (paru en 1969), dans lequel il rend compte de l'évolution de la société égyptienne, des grands travaux et de l'industrialisation mais, comme dans ses autres ouvrages, de la vie quotidienne plutôt que des grandes attractions touristiques. Comme on ne trouvera ni Versailles ni le Mont Saint Michel dans La France de profil, on ne trouvera pas les pyramides dans Living Egypt. Il voyage également en Roumanie, au Maroc, puis au Ghana, à l'invitation du président de la république Kwame Nkrumah, ce qui donnera le livre Ghana: An African Portrait (paru en 1976) avec à nouveau un texte de Basil Davidson.12272973881?profile=original

Au début de leur séjour en France, les Strand vivent à Paris, à l'hôtel puis dans un appartement au cinquième étage sans ascenseur du 13e arrondissement, puis en 1955 ils cherchent une maison dans les environs. Ils n'ont pas décidé réellement de vivre définitivement en France, c'est principalement pour pouvoir disposer enfin d'une chambre noire, et d'un peu plus d'espace, qu'ils achètent une maison dans le petit village d'Orgeval, à une trentaine de kilomètres de Paris. À bientôt 65 ans, une chambre noire bricolée dans une salle de bains lui semble désormais un handicap à éviter. Ils pensent pouvoir la revendre facilement quand ils envisageront de retourner aux États-Unis. Orgeval sera dès lors leur port d'attache, où ils rentreront après leurs nombreux voyages, où ils recevront des amis et des visiteurs, dont de nombreux jeunes photographes américains avec qui Strand aimait s'entretenir.

En 1965, en signe de protestation contre la guerre du Vietnam, il avait refusé publiquement par une lettre dans le Times une invitation à un déjeuner à la Maison Blanche ...

(lire la suite de la biographie et les commentaires sur l’œuvre de Paul Strand sur le PDF, 8 pages, 29 illustrations.)

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Ambrotype : photographie sur verre en exemplaire unique. Il s’agit en réalité d’un négatif au collodion, volontairement sous-exposé afin qu’il apparaisse en positif lorsqu’il est placé sur un fond sombre. Les ambrotypes étaient montés dans des écrins du même genre que ceux des dagerréotypes.

Autochrome : procédé mis au point par les frères Lumière, qui permettait d’obtenir une photo en couleurs, transparente, une diapositive en quelque sorte. La plaque de verre était recouverte d’une mosaïque de minuscules grains de fécule de pomme de terre préalablement colorés dans les trois couleurs primaires : rouge, vert et bleu et ensuite d’une couche sensible panchromatique. La plaque était traitée pour obtenir un positif noir et blanc qui, regardé par transparence ou projeté, renvoyait une image colorée. Les autochromes ont eu un très grand succès de 1907 aux années 30.

Bromoïl : Dans ce procédé, l’image argentique contenue dans la gélatine d’une épreuve photographique est blanchie et en même temps cette gélatine se tanne proportionnellement à la quantité d’argent qu’elle contient. L’image est ensuite fixée, lavée et séchée. Elle est retrempée dans une eau plus ou moins chaude qui va faire gonfler la gélatine. On ôte le surplus d’eau, et on applique une encre grasse, au pinceau ou au rouleau. Cette encre est absorbée là où la gélatine a été tannée (les ombres) et rejetée là où la gélatine s’est gonflée d’eau (les hautes lumières). De cette façon, l’image argentique est graduellement remplacée par l’encre. Par l’application judicieuse de plusieurs couches d’encre de différentes consistances, et en travaillant sélectivement certaines parties de l’image, l’artiste a un très bon contrôle de l’image qu’il construit petit à petit. Ce procédé a été très en vogue auprès des pictorialistes.

Calotype : négatif papier, et, par extension, le tirage positif obtenu à partir de ce négatif. Breveté en 1841 par Henri Fox Talbot, il s’agit du premier procédé fondé sur le développement chimique d’une image latente, c’est-à-dire d’une image initialement non visible, comme celle des négatifs actuels avant développement. Il s’agit donc de l’ancêtre direct de la photographie moderne basée sur le procédé négatif/positif. Ce procédé n’a pas été d’une très grande popularité, malgré la possibilité offerte des tirages multiples, car le temps de pose était plus long que pour obtenir un daguerréotype et que la précision de l’image était moins grande. Cette technique a très vite disparu lors de l’apparition du collodion.


Collodion humide : le collodion est un nitrate de cellulose dissous dans un mélange d'alcool et d'éther que l'on étend sur une plaque de verre. Quand ce mélange sirupeux commence à se figer sur le verre, on plonge la plaque dans un bain de nitrate d'argent pour la sensibiliser, les sels contenus dans la pellicule sont ainsi transformés en halogénure d'argent sensible à la lumière. On égoutte alors la plaque et la transfère dans un châssis étanche à la lumière. Ces opérations se font évidemment en chambre noire. On peut alors faire une prise de vue avec la chambre photographique. La plaque doit ensuite être immédiatement développée en chambre noire avec de l'acide gallique ou du sulfate de fer puis fixée au thiosulfate de sodium ou au cyanure de potassium. L’ensemble de l’opération devait se faire avant que le collodion ne sèche complètement, environ un quart d’heure (selon les conditions de température et d’humidité ambiante), d’ou l’apellation “collodion humide”. C’est un procédé qui permettait une très grande richesse de tons, ce qui a assuré son succès malgré l’apparition des films de fabrication industrielle. Il a été utilisé en photogravure jusqu'aux années 1950 et plus


Cyanotype : épreuve sur papier qui se distingue par sa couleur bleu vif. L’image s’obtient par exposition du papier sensibilisé à la lumière, sans développement chimique. La papier ayant été sensibilisé par immersion dans une solution de sels ferreux est ensuite exposé par contact avec le négatif. Les zones ayant reçu la lumière bleuissent, tandis que les zones sous-exposées restent blanches. On obtient ainsi un positif bleu. Les zones n’ayant pas réagi à la lumière sont ensuite éliminées par un rinçage à l’eau. Le procédé a été inventé par l’astronome anglais John Frederick Herschel.


Daguerréotype : mis au point par Louis-Jacques-Mandé Daguerre, le daguerréotype est le premier procédé photographique ayant eu un succès commercial. Il est constitué d'une plaque, généralement en cuivre, recouverte d'une couche d'argent. Cette plaque est sensibilisée à la lumière en l'exposant à des vapeurs d'iode qui, en se combinant à l'argent, produisent de l'iodure d'argent photosensible. Lorsqu'elle est exposée à la lumière, la plaque enregistre une image invisible, dite « image latente ». Le temps d'exposition est à l'origine d'environ vingt à trente minutes, beaucoup moins que les méthodes précédentes qui nécessitaient plusieurs heures d'exposition, et sera fortement raccourci par la suite. Le développement de l'image est effectué en plaçant la plaque exposée au-dessus d'un récipient de mercure légèrement chauffé (75 °C). La vapeur du mercure se condense sur la plaque et se combine à l'iodure d'argent en formant un amalgame uniquement aux endroits où la lumière a agi, proportionnellement à l'intensité de celle-ci. L'image est ensuite fixée à l’hyposulfite se soude.


Épreuve à l’albumine : le papier est enduit d’une couche d’albumine (du blanc d’oeuf) qui est sensibilisée avec une solution de nitrate d’argent. L’impression se fait par exposition à la lumière à travers le négatif posé sur la face sensibilisée, sans développement chimique ultérieur, et nécessite un temps de pose long. Ces images ont tendance à pâlir avec le temps.


Épreuve au charbon : ces épreuves se caractérisent par leur résistance et la richesse de leurs teintes sombres et brillantes. Elles s’obtiennent sur une feuille de papier enduite de gélatine bichromatée à laquelle a été adjoint du charbon pulvérisé. L’exposition se fait par contact avec le négatif. La gélatine durcit en fonction de la quantité de lumière reçue, la feuille est ensuite appliquée sur une autre feuille enduite de gélatine insoluble. On les immerge toutes deux dans un bain d’eau tiède, la première se libère, la gélatine qui n’a pas durci sous l’action de la lumière disparait tandis que l’image au charbon se transfère sur la seconde feuille où elle apparaît avec un léger relief. Le brevet a été déposé par Alphonse Louis Poitevin et a connu son apogée entre 1870 et 1910.


Épreuve à la gomme bichromatée : on utilise ici une feuille enduite de gomme arabique sensibilisée avec du bichromate de potassium qui durcit sous l’action de la lumière. L’exposition se fait par contact avec le négatif. Le papier est ensuite plongé dans l’eau et la gomme non durcie se dissout et l’image positive reste sur le papier. Cette technique a largement été utilisée par les pictorialistes qui intervenaient ensuite sur l’image par des retouches au pinceau. Comme ces épreuves ne contiennent pas de métal sensible à la lumière, elles se caractérise par une grande stabilité dans le temps.


Épreuve sur papier salé : ce sont les premières épreuves sur papier. La feuille de papier qui servira de support à l'image positive est d'abord mouillée dans une solution de sel de cuisine, puis, après un court séchage, enduite d'une solution de nitrate d’argent. Après séchage, elle peut recevoir une seconde couche de nitrate d'argent, pour augmenter sa sensibilité. L’exposition est réalisée par contact avec le négatif jusqu'à ce que l'image positive se forme. Elle est ensuite fixée avec de l'hyposulfite de soude. Ce procédé mis au point par Henri Fox Talbot vers 1830 à dominé jusqu’aux années 1850.


Ferrotype : il s’agit d’une épreuve unique réalisée sur une fine tôle de fer enduite de vernis noir et ensuite d’une couche de collodion sensible. Après développement, le négatif ainsi obtenu apparaît comme un positif. Techniquement semblable à l’ambrotype il est moins fragile, puisque le support est en fer plutôt qu’en verre, mais de ce fait sensible à l’oxydation.

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