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Publications de Robin Guilloux (67)

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Sonate d'automne

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L'automne ravive une très ancienne douleur. Le long des allées blanches qui éblouissent et consolent, les arbres lentement s'exténuent... Ils pénètrent dans la maison du sommeil... Les oiseaux sont partis depuis longtemps. Il n'y a que le vent, le marcheur infatigable. Comment dire cet incendie subtil et délicieux ? Que faire de tant de splendeur, de tant de vide ?

Les nuages : un oiseau se fraye un chemin vers ces géants charbonneux frangés de lumière. L'air est triste, les frondaisons s'agitent, lourdes... Une plénitude inachevée... Le chant des feuilles, la nuit...

Le bonheur ? Se délivrer ? C'est trop dire... Peut-être... Nous avançons dans la nuit, sans savoir...

L'enfouissement secret, la solitude de la graine qui mûrit lentement, d'une germination invisible et secrète, sous le sol gelé de l'hiver, qui vit, contre toute apparence d'une vie mystérieuse...

La joie est au bord du cœur, elle tourne derrière cette pierre qui scella ma source.
 
 
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Les coquelicots, en hommage à Francis Ponge

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Le coquelicot est aussi appelé " coq ", " ponceau ", " pavot des champs ", " pavot rouge ".

Son nom viendrait de "coquelicoq" (1545), variante de l’ancien français " coquerico " désignant le coq par onomatopée. On écrit maintenant  : "cocorico".

La crête du coq est rouge aussi, en effet, mais plus sombre, plus opaque, plus charnue. Le rouge du coquelicot est intense et translucide et quasiment sans support.

Brasier végétal.

Une fleur presque immatérielle. De la couleur à l'état pur, suspendue comme par miracle.

Stridents coquelicots ; on ne sait à quelle forge ils attisent leur incandescence.

Une mauvaise herbe, mais jolie et inoffensive : « Gentil coquelicot, Mesdames, gentil coquelicot, Messieurs.»

Son fruit est une capsule verte qui ressemble à une salière. Mais c'est plutôt du poivre qui en sort. Prenez-en de la graine pour les gâteaux.

Il a des vertus dormitives, comme son cousin, le pavot, mais dans les limites du raisonnable. Ce n’est pas une « Fleur du Mal ».

Entre herbe et fleur, un mutant. Il dépasse les herbes, mais sans orgueil. On le voit de loin. Un solitaire qui fait nappe. Il invite à déjeuner sur l’herbe. Très prisé des Impressionnistes.

Une ivraie en robe de soie qu'on laisse volontiers croître parmi les blés en compagnie de son petit frère, le bleuet, plus rare et plus discret.

Le rouge aux joues de la campagne.

Sur les talus aussi, ça en jette.

Fleur prolétarienne, rouge comme le sang des canuts, de Gavroche. "Je suis tombé par terre, c'est la faute à Voltaire..."

Une ardeur fragile et tenace, comme la colère des pauvres.

C’est aussi la fleur des soldats : il fleurit sur les champs de bataille. Mais son sang à lui n’est pas rouge. Sa tige, fine et velue, laisse échapper un suc laiteux quand on la coupe.

Transparent coquelicot qui tremble sous le vent.

Il a le cœur en deuil, mais on n'y regarde pas de près.

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Federico Garcia Lorca et le "Cante Jondo"

cante-jondo-dame-en-rouge.jpg Il est impossible de parler de Federico Garcia Lorca sans évoquer le Cante Jondo, le chant profond issu des Gitans d'Andalousie, dont le thème central est la personnification de la mort et l'évocation des "pays lointains de la peine".

Garcia Lorca et son ami et père spirituel Manuel de Falla, étaient fascinés par les chants des Gitans et ont essayé dans leurs œuvres, de traduire cette authenticité populaire inspirée et profonde.

Cela les a conduits à organiser en 1922 un grand concours de Cante Jondo où purent se produire les meilleurs "cantaores". Pour la petite histoire, Don Manuel aurait voulu inviter Igor Stravinski et Maurice Ravel, tous deux très intéressés par ce concours, mais la municipalité de Grenade s'y opposa pour des raisons financières.

Les meilleurs chanteurs sont ceux qui interprètent les chants gitans avec duende, cette sorte d'inspiration toujours liée à l'angoisse et au mystère, à la souffrance et à la mort, qui s'empare de l'artiste, musicien, chanteur ou poète, lorsqu'il se livre physiquement au public. C'est au café de Chinitas (chinitas veut dire "babioles", "bibelots") à Grenade que l'on pouvait trouver les vrais "cantaores".

Lorca a harmonisé des chansons populaires espagnoles. Ces chansons sont  liées à l'enfance et à l'adolescence du poète à Fuente Vaqueros ; il les a entendues dans la cuisine de la maison, dans les rues, dans la campagne environnante ; elles sont l'expression de l'âme populaire espagnole que Lorca aimait tant.

Par la suite, au contact de Manuel de Falla, il a cherché à les transcrire et il a ajouté beaucoup de lui-même. Jorge Guillen a dit, dans sa préface aux oeuvres complètes de Lorca, que sa passion pour la peinture, pour la musique et pour le théâtre provenait de la même impulsion poétique. Lorca a inséré ces chansons dans son oeuvre théâtrale ; elles témoignent d'une autre facette de son génie créateur : le Lorca compositeur et musicien.

Par une nuit de lune, racontera Miguel Ceron, Federico et moi nous montions à la Silla del Moro (La chaise du Maure) derrière l'Alhambra de Grenade, par un sentier qui serpentait dans une oliveraie. La brise agitait les branches des arbres à travers lesquelles filtraient les rayons de lune. Federico s'immobilisa soudain, comme s'il avait vu quelque chose d'étrange. "Les oliviers s'ouvrent et se referment comme des éventails", s'exclama-t-il. L'image se retrouve dans les premiers vers du poème de la Siguiriya gitane : Paisaje, extrait du Cante Jondo :

El campo
De olivos
Se abre y se cierra
Como un abanico.
Sobre el olivar
Hay un ciel hundido
Y una lluvia oscura
De luceros frios.
Tiembla junco y penumbra
A la orilla del rio.
Se riza le aire gris.
Los olivos,
Estan cargados
De gritos
Una bandada
De parjaros cautivos,
Que mueven sus larguissimas
Colas en lo sombrio.

Le champ
D'oliviers
S'ouvre et se referme
Comme un éventail.
Sur l'oliveraie
Un ciel plombé
Et une pluie obscurcie
D'astres morts.
Tremblent les joncs dans la pénombre
Du bord de la rivière.
L'air gris se froisse.
Les oliviers
Sont chargés
De cris
Une volée
D'oiseaux captifs
Qui meuvent leurs immenses
Traînes dans l'obscurité.



Une chanson populaire espagnole très connue, transcrite et harmonisée par F.G. Lorca, De los quatros muleros :

 

 

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lorca1_small.jpg Il fut l'une des premières victimes de la guerre civile espagnole. Pendant les vingt années qui suivront sa mort, sous le régime du général Franco, le nom du poète demeurera tabou et son oeuvre interdite. Sa vie fut intense, brève et tragique, son nom est synonyme d'intelligence et de vie jaillissante. Il était la poésie incarnée, l'image radieuse de l'Espagne.


Pianiste, guitariste, conférencier, dessinateur, homme de théâtre, conteur, mime, Lorca fut également capable de chanter et d'harmoniser des chansons populaires avec une grande sensibilité...Il avait tous les dons. Son humour contagieux et ses crises de rire légendaires le rendaient irrésistible.

Révélatrice à cet égard est la nostalgie du critique américain Hershel Brickell qui reçut Lorca chez lui à Manhattan en 1929. Dix ans après l'assassinat du poète, il déclara : "Au cours d'une vie assez longue, j'ai côtoyé toutes sortes d'artistes, mais je n'ai jamais rencontré plus proche du génie à l'état pur que Lorca."

Cependant, derrière l'exubérance andalouse, peu de gens ont soupçonné la face mystérieuse, nocturne et lunaire de l'artiste dont les angoisses et les tourments secrets s'expriment dans les thèmes de la mort et de l'amour frustré. "Lorca était capable du plus grand bonheur du monde, mais comme tous les grands poètes, il n'était pas heureux. Ceux qui l'ont pris pour un oiseau chatoyant qui évoluait avec insouciance dans la vie le connaissaient bien mal", a dit de lui son ami Vincente  Alexandre dans une émouvante évocation écrite en 1937.

Pour Lorca, la poésie n'est pas un jeu de l'esprit, mais une quête existentielle. "Le mystère seul nous permet de vivre, le mystère seul." a écrit le poète au bas de l'un de ses énigmatiques dessins. Sa poésie nous fait pénétrer dans un univers "pré-logique" où la lune est souvent présente et où l'homme, qui n'est qu'un fil dans le tissu de la vie universelle, recherche désespérément la lumière du soleil.

A un ami qui lui demandait un jour de définir la poésie, Federico Garcia Lorca répondit : "Que dirais-je de la poésie ? Que dirais-je de ces nuages, de ce ciel ? Les voir, les voir, les voir...et rien de plus. Tu comprendras qu'un poète ne peut rien dire de la poésie. Laissons cette tâche aux critiques et aux professeurs. Mais ni toi, ni moi, ni aucun poète ne savons ce qu'est la poésie. La voici ; regarde : je porte le feu dans mes mains. Je comprends et je travaille avec lui, mais je ne peux pas en parler."

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Cette célèbre toile de Vincent Van Gogh "représente" la terrasse d'un café, un soir d'été, à Arles.

Le peintre s'est placé perpendiculairement à la terrasse (et non en face), ce qui lui a permis de créer un effet de profondeur et d'enrichir sa toile d'un grand nombre d'éléments, en perspective : un cheval tirant un fiacre avec ses lanternes allumées, le ciel avec des étoiles en forme de fleurs, les maisons, la rue avec ses pavés, des personnages attablés, d'autres, dans la rue, un homme et une femme qui semblent converser, un balcon, l'embrasure d'une porte au premier plan à gauche, la frondaison d'un arbre, à droite.

Le store et les murs du café, éclairés par une lampe à gaz,  sont comme revêtus d'une substance précieuse. On pense à la vue de Delft de Vermeer et au "petit pan de mur jaune" que contemple Bergotte dans "La Recherche du temps perdu".

Les pavés eux-mêmes sont colorés et semblent refléter la lumière qui émane du café et des étoiles ; ils semblent même réverbérer le bleu du ciel nocturne. On y voit toutes les couleurs et les nuances de l'ensemble de la toile. On peut parler de métonymie (la partie pour le tout). Tout est déjà, mais rien n'est encore, nous cheminons sur des pavés disjoints, entre la tristesse et l'extase, la naissance et la mort, au seuil d'un mystère qui nous dépasse. Ces pavés cernés de noir préfigurent l'art abstrait. On les retrouve dans une toile de Paul Klee.

La silhouette blanche, étrangement allongée du garçon de café dans le trois quart inférieur de la toile retient particulièrement le regard. On a le sentiment que tout s'organise autour de cette silhouette. Roland Barthes parlerait du "punctum".

Mais ce garçon de café n'est ni le Christ, ni un ange ; Van Gogh communique un sentiment "mystique", paisible et joyeux, non en peignant un sujet "religieux", mais  à travers une scène de la vie quotidienne.

Tous les éléments de la création sont présents dans cette toile : le monde minéral (les pavés), végétal (la frondaison de l'arbre, les étoiles en forme de fleurs qui font penser au vers de Stéphane Mallarmé "Neiger de blancs bouquets d'étoiles parfumées"), animal (le cheval), humain et céleste. Ces éléments sont en profonde harmonie les uns avec les autres.

Le bleu (saphir) et le jaune (d'or) couleurs primaires complémentaires, sont les couleurs dominantes. Il y a également des touches de vert absinthe, (en particulier sur le mur du café et ce n'est sans doute pas un hasard), de vert émeraude, de mauve et de noir. L'embrasure de la porte est de la même couleur que le ciel : bleu saphir et le sol de la terrasse est rouge orangé (la chaleur humaine). Le bleu saphir symbolise le mystère le plus profond, l'amour divin (il n'est d'ailleurs pas tout à fait approprié de dire que les couleurs symbolisent, elles "incarnent") ; nous ne savons pas ce qu'il y a "derrière" cette porte. Il en filtre un peu de cette lueur dorée (la joie parfaite ?) que l'on retrouve sur le mur du café. Le peintre a placé son chevalet près de cette porte. Être homme, c'est se tenir au seuil du mystère.
 
Pour peindre le ciel, le peintre a utilisé plusieurs nuances de bleu, du bleu clair au bleu marine (on parle de "camaïeu"). Ce ciel est à la fois "le ciel qu'on voit" et celui qu'ont découvert les astronomes dans leurs télescopes. On y voit s'y dessiner des galaxies, des trous noirs, des naines blanches, des amas d'étoiles... on y pressent une profondeur infinie. Le ciel révélé par la science est encore plus mystérieux aux yeux de l'artiste. La science ne dissipe pas le mystère, elle le renforce. Ce ciel n'est pas celui de Pascal ("Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie") et n'a rien d'effrayant  ; il est à la fois mystérieux et  familier. C'est aussi le ciel vu par un enfant, un "primitif" : deux étoiles dessinent des yeux, on devine une forme humaine ou angélique à la verticale du garçon de café, les étoiles, on l'a dit, ressemblent à des bouquets de fleurs, mais ce peut être le fruit du hasard, d'une interprétation subjective.
 
L'artiste ne peut se détacher de son époque, il en vit intensément les doutes, les interrogations et les tourments. Si la question de Dieu est au cœur de son œuvre et de sa vie (on sait que le peintre se destinait à la prédication), Van Gogh, contemporain de Nietzsche, sait bien qu'on ne peut plus l'aborder "comme avant". Le génie (Bach, Mozart, Van Gogh...) s'aventure, armé de sincérité, dans l'espace infini qui sépare le signifiant du Signifié, le verbe du Verbe.
 
Un "mystère familier" : "Une odeur de mûres traîne au fond des galaxies.", dit magnifiquement Jean Mambrino.

Des étoiles qui ressemblent à des fleurs, un mur recouvert d'or, des pavés semblables à des pierres précieuses... On reconnaît la figure poétique par excellence de la poésie : la métaphore. La toile de Vincent Van Gogh est une "transfiguration" du monde. "Transfigurer" (le contraire de "défigurer") ne veut pas dire "transformer", embellir, mais révéler, dévoiler. "C'est ainsi que je vois le monde, pourrait nous dire Vincent, c'est ainsi qu'il est vraiment et c'est ainsi que vous le verriez si vous preniez la peine de le regarder avec les yeux du coeur, de l'habiter en poètes (Hölderlin) et non en prédateurs et en blasés."

Dans "Les Portes de la perception", Aldous Huxley se demande si certains artistes comme Van Gogh et certains mystiques n'auraient pas le don naturel de percevoir les choses telles qu'elles sont, d'accéder naturellement (et non, comme le fait Huxley, en absorbant de la mescaline) à ce que les bouddhistes appellent "Sat Chit Ananda" (la félicité de l'avoir conscience), et la mystique rhénane "l'Istigkeit", expression dont maître Eckart aimait à se servir pour définir l'Etre. Cette expérience se caractérise, selon Huxley par un rehaussement des couleurs, une perception particulière du temps et de l'espace et quelque chose d'ineffable qu'il nomme, faute de mieux, "vision de béatitude", "grâce et transfiguration", "présence sacramentelle de la beauté". "Si les portes de la perception étaient nettoyées, disait le peintre et dessinateur anglais William Blake, toute chose apparaîtrait telle qu'elle est."

Le peintre a planté son chevalet en plein air, ici en pleine ville, comme il le fait aussi en plein champs.

Ce qui caractérise la peinture de Van Gogh et celle des Impressionnistes en général est le délaissement des sujets mythologiques ou religieux, des "natures mortes", de la peinture d'atelier  au profit de la peinture "en plein air" au contact de la nature et de la lumière naturelle dont l'artiste s'efforce de capter les nuances changeantes, l'emploi de couleurs pures, le choix de sujets profanes, extraits de la vie quotidienne dont l'artiste magnifie (ou plus exactement "rend visibles") le mystère et la beauté.

L'artiste vraiment créateur, ne se contente pas "d'imiter la nature" (Aristote) ; c'est pourquoi le verbe représenter ("cette toile représente une terrasse de café à Arles, en été, la nuit...") n'est pas adéquat.

Vincent Van Gogh n'a pas "représenté" une terrasse de café, il a rendu visible un étonnement joyeux, une secrète espérance, la nuit transfigurée.
 
 
Apparition 
 
La lune s'attristait. Des séraphins en pleurs
Rêvant, l'archet aux doigts, dans le calme des fleurs
Vaporeuses, tiraient de mourantes violes
De blancs sanglots glissant sur l'azur des corolles.
- C'était le jour béni de ton premier baiser.
Ma songerie aimant à me martyriser
S'enivrait savamment du parfum de tristesse
Que même sans regret et sans déboire laisse
La cueillaison d'un Rêve au coeur qui l'a cueilli.
J'errais donc, l'oeil rivé sur le pavé vieilli
Quand avec du soleil aux cheveux, dans la rue
Et dans le soir, tu m'es en riant apparue
Et j'ai cru voir la fée au chapeau de clarté
Qui jadis sur mes beaux sommeils d'enfant gâté
Passait, laissant toujours de ses mains mal fermées
Neiger de blancs bouquets d'étoiles parfumées.
 
 Stéphane Mallarmé
 
 


Ravel - Piano Concerto in G major - Argerich... par PaGoO

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Tu es là, Federico ?

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Tu naquis près de Grenade la Maure, parmi les vergers en fleurs de Fuente Vaqueros, sous les neiges de la Sierra Nevada, où la glace et le feu à la tombée du soir se fiancent en silence, et tes amis vivaient du soleil de ton rire…

 

La balle a percé ta poitrine où sanglotait un rossignol et dans ta gorge où dormait la colombe du soir, ont fleuri des œillets rouges. La nuit a fermé tes paupières, les étoiles de tes beaux yeux se sont fermées…

 

Tu es couché dans la poussière, Federico

Dans le sang et le crépuscule,

Comme Ignacio Sanchez Mejias,

Tué par la corme du taureau

 

Bêtise a pour nom la corne Federico

Bêtise au front de taureau.

 

Tu rayonnais dans la lumière,

Et ta joie réjouissait la nuit,

Tu es couché dans la poussière,

Et qui pourra nous consoler ?

 

Tu portais le feu dans tes mains,

Et la vie paraissait plus belle,

Tu es couché dans la poussière,

Et rien ne peut nous consoler.

 

La violette a perdu son parfum

Et le fleuve sa voix de cristal.

Bêtise a pour nom la corne

Bêtise au nom de taureau.

 

Tu n’avais pas de cape rouge,

Mais les simples mots d’un poète

 

Tu es couché dans la poussière,

Comme Ignacio Sanchez Mejias

 

La lune a perdu son éclat,

Et les étoiles leur parfum

 

Bêtise a pour nom la corne,

Bêtise au front de taureau.

 

L’arène a pour nom la guerre,

Le coup de corne fut pour toi

 

Bêtise a pour nom la corne,

Bêtise au front de taureau.

 

Notre cœur est brûlant, une épée le traverse,

Mais tu revis en nous dans un air de guitare,

Une voix qui s’élève dans la douceur du soir.

A Fuente Vaqueros, les vergers sont en fleurs,

Le crépuscule rougit la Sierra Nevada,

Fiançailles éphémères de la glace et du feu,

Le crépuscule rougit les murs de l’Alhambra.

Dans le ciel de Grenade s’allument les étoiles,

Fontaines et jardins chantent dans la nuit bleue

Les orangers frémissent sous la brise du soir.

La nuit fleurit en nous, comme un fruit délicieux

La lune, lame d’argent, cisèle l’Alhambra…

Un parfum de jasmin s’élève comme un encens

 

La vie est douce à en crier

 

   «  - Tu es là Federico ?

 

      - Bien sûr que je suis là…

     J’ai toujours été là…

     Je ne vous ai jamais quittés. »

 

Note : Ignacio Sanchez Mejias était un célèbre torero espagnol qui fut tué dans l’arène. Deux ans avant sa propre mort, Lorca écrivit en son honneur Chant funèbre pour Ignacio Sanchez Mejias où il exprime son obsession (et peut-être son pressentiment) de la mort violente. Assassiné le 19 août 1936 par la garde franquiste, Federico Garcia Lorca fut l’une des toutes premières victimes de la guerre civile espagnole.

 

 

 

 

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Bourges des Lys (la ville où je vis)

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  A la mémoire de Marcel Bascoulard

 

« A Cœur vaillant, rien d’impossible. » (Devise de Jacques Cœur)

 

Le fier marchand de Bourges verse sa corne d’or sur la ville qu’il aimait. Son cœur et sa coquille ornent encore le blanc palais que le roi jalousait. Il le servit pourtant de ses écus, mais il trahit aussi la demoiselle qui le servit de son épée.

 

Aquarelle médiévale aux maisons de guingois où sautille le moineau des colombages, je trébuche sur le pavé du royaume des Lys et me perds dans le labyrinthe enchanté de tes ruelles fleuries de passeroses où œuvre encore peut-être, sous la cathédrale de lumière, l’alchimiste aux yeux d’émeraude.

 

Jean de Berry et son cortège chamarré d’insouciance, sortant des Riches Heures de son précieux palais, dans sa houppelande d’azur semée de lys d’or, Macée de Léodepart, la dame de Cœur, navrée de sa disgrâce, les chanoines satisfaits de la Sainte-Chapelle, plus belle, dit on, que celle de Paris, et qui n’est plus ; comme le dit le Roman de la Rose : « Tout se passe et rien ne dure, ne ferme chose tant soit dure. »… Maître Guillaume Pelvoysin, le très savant maître d’œuvre, Charles de Valois, septième du nom, avec son long nez morose sous son grand chapeau de velours pourpre et Louis le onzième, le rusé compère, riant de ses bons tours, Luther allumant l’incendie depuis la « Pierre de crie »… Hommes d’armes et échevins, jongleurs et cracheurs de feu, comédiens d’Italie, étudiants d’Allemagne, bouchers de la place Gordaine, marchands de la Halle au Blé, menu peuple de ce temps-là, se mêlent aux passants modernes.

 

Ville ajustée, à taille humaine, musicale et joyeuse, capitale éphémère et mille fois meurtrie, tu ne veux pas que l’on t’éveille du beau songe où tu t’assoupis sous le soupir d'une fontaine.

 

 

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