VERSET 44
L’orage antique sur les temples
la solitude en versets de foudre
Il faudra vivre mille ans
Le frai des foules sur la berge
Tu devrais remonter la rivière
mais plus aucun saumon ne te connaît
Et tu dois composer tout ce temps
avec la fable de l’absence
Il faudrait un miracle
Et l’ange vient qui sait ton nom
l’exil est suspendu
et l’abandon
Tes yeux de vierge apocryphe
ouvrent le manuscrit
de nos initiations
Et puis trouver le gué
dans cette pluie mythique
qui figure le fleuve des contres
Eprouver l’ébauche des corps
toucher par le verbe le plus simple
à la grammaire des complexes
Il manque un souffleur inspiré
dans ce théâtre ciel sans Dieu
le désir est coupé du texte
La lumière du jour
la fatigue est solaire
qui épuise le tranchant
Je voudrais la paix du verbe
un autre possible
une écluse
Mais l’ange est loin déjà
intransigeant avec la frustration
la précision du chagrin
Je te sens duelle
je nous sens duel
au premier sang
Nous sommes au bord
tout au bord
j’aimerais tomber encore
Pas de seconde chance
il faudra vivre mille ans
avec
Le temps est un Dieu pervers
qui reprend sa foi
inconsolable
Nous ne sommes pas au monde
les fées se sont retirées du berceau
des surnuméraires
Quelle est la promesse des cendres
où est le bûcher de la perfection
l’accouplement du subtil
Aimer c’est donner à la douleur
la franchise de se consumer
en nommant le feu
Descendre par le chemin du thé
l’Asie des couleurs
sur un éléphant doré
Crémations sous le ciel safran
sollicitudes et résiliation
le corps est toujours ailleurs
Calligraphier le jade
sur la peau de l’autre
étoile perdue sur palimpseste
Un sentiment de perte imminent
comme à la genèse de l’amour
quand tout est possible même le néant
Et la mère crache sur l’enfant
qui vient à la vie par le masculin
la mauvaise porte des anges
Il y a tant de ciels sous le ciel
et la vie se doit de vivre
même avec un sang corrompu
Et mille femmes pour un seul baptême
je suis né par la bouche
à même la peau calligraphe
Naître ne suffit pas pour naître
il faut naître encore et encore
mourir enfin désiré
Je vais ce soir perdre mon âme
vendre au diable le minerai
la poussière des caresses
Et pour épuiser le déclin du chagrin
confier à Saturne le sanskrit du désir
ne plus vouloir traduire ce qui est trahi
Tout ce qui constitue l’éternité
la beauté terrible de l’instant
qui seule accompagne nos cendres
Perdre tout ce qui est aimé
dans le ruisseau antique
la main du sage sur les yeux
© Patrick Chemin (2002)
Extrait du livre « Ruches »