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Publications de Bernard Bohmert (8)

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Sur la place à Irun

Hassan et moi, sur cette place de la ville frontalière, on avait décidé de larguer les amarres. Refuge de l'étranger, nous ne voulions rien entendre de la langue locale, rien voir des murs moyennageux, juste profiter de rien, pour nous emplir de tout. Sur la terrasse du café, depuis notre dernière coupe, deux heures avaient fui dans les mots. Après un long silence, moi scotché sur les femmes qui s'enroulaient dans leurs châles au pied de la fontaine, lui, sa énième clope allumée, il commença à parler doucement, les yeux un peu brumeux.

'' Remarque bien on s'en branle, mais lorsque mon père, cet enculé abandonna ma mère avant ma naissance, nous étions deux non attendus, non voulus, des enfants de la nuit; de laquelle mère, nous eûmes la chance de sortir presque la main dans la main. Deux tu vois un peu le merdier d'ici ? Elle accouche, elle a pas la majorité, on est pendant la guerre d'Algérie, elle vient de la campagne, les vignes de Pomerol. Son mec, celui qui l'a baisé, bon, il l'a largué pour aller se marier. Dingue. Tu vois? Que veux tu qu'elle fasse la morpionne, elle est coincée, pas le choix, enfin si, des choix y en a. Tu les flingues, oui bon, y a aussi, tu les fous à l'orphelinat, ou encore tu les vends. Bon nous ça a été une danse (il rit, c'est fou, dingue ce mec), un mezzé de luxe, allers retours entre les mains de plusieurs, institutions, familles d'accueil, des trucs pas possibles. (Silence) Ouais, dans la merde, dès le départ.''

Grosse pompette sur sa clope, Hassan, se creusait les joues comme s'il était un instant pris par la fièvre et rejettait un nuage impressionnant en avancant sa machoire inférieure avant de croiser ses jambes dans le pantalon trop large.


'' Tu sais, je l'ai su plus tard, cette résilience de chiotte, c'est la mode en ce moment, ils en foutent partout, comme Mary Barnes sur les murs, bon ben, j'ai compris que ça n'avait rien, mais rien putain, rien de commun avec la vraie vie. Mon frangin et moi on s'en est sortis par les marges, à jamais balafrés sur la gueule, comme au coeur d'ailleurs, tatoués par l'immonde et nés pour crever; en encre invisible dans les yeux..'' Repompette.  

'' Tu vois, je ne sais pas, je ne crois pas que ma mère assista au mariage de l'enculé mais surement qu'une bande de pelés et de tondus eux se marrèrent à mort en repensant à la petite connasse qui devait être bourrée ce soir là. Nous sommes les enfants de l'ivresse, de la jeunesse. Puuutain. Je me suis souvent demandé pourquoi nous avions été abandonnés par ce connard et pourquoi je dus l'apprendre seulement à 50 piges ? Le désarroi qui habita mes jours d'enfance et la terreur qui la remplaça plus tard, m'ont fait voir le monde comme une ronde dans laquelle la main ne se donne pas facilement. Tu vois la ronde ? T'es le dernier, ça tourne, tu cours, tu ris jaune, mais en fait tu as peur, ça va vite, tu finis par te casser la gueule. Tu pleures, humilié. Bon ben nous, on est deux à se viander. Alors les mains tendues tout ça...''

Un gendarme au loin, me fit signe du doigt. Pas pour m'envoyer chier mais pour me dire de venir le voir. Incroyable comment sont restées les bonnes habitudes franquistes. Les flics te font signe et comme une larve tu y vas. En rampant. Hassan est toujours une source d'emmerdes. Chaque fois qu'on est ensemble putain, y a toujours un flic qui remarque qu'il a un profil, attends, oui, un profil d'ailleurs. Terroriste d'aujourd'hui dirais je. Sans turban. En même temps, Hassan, se rase pas tous les jours, ça aide pas parce qu'avec sa gueule, pour le rasé de frais de la banlieue, laisse moi te dire que ça faisait plutôt dans la série décapage. Papier de verre, style pour l'acier.

Bon oui, le doigt insiste. Ramon (doit s'appeler Ramon) le doigt qui ramone, m'appelle toujours. Je m'approche de lui laissant en plan Hassan le terroriste. Il me tend une pièce et déclare avec un franc sourire, vous devriez mettre cette pièce dans le parco mètre, sinon, Mouloud, je m'appelle Mouloud, vous mettra un papillon de 230 euros. Bonne journée.

Bon ok, d'accord, les franquistes ont changé. Putain mais c'est dingue. Mais enfin c'est dingue comment il parle bien français, hein Hassan ? Hein ? T'as pas une clope là ?

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Éguski

La lune du haut du ciel, regardait le petit chemin sur le plateau. Elle seule vit ces deux ombres noires sur le gravier jaune qui allaient vers l’église.

La jeune veuve suivie de sa mère, chassait les pensées de sa tête sans y parvenir une seconde. Éguski, lui, celui-ci en plus, avec son prénom à ne pas y croire, soleil. Qui sait…, quelle humiliation tout de même. Il ne demande rien mais on le devine. D’autre part…se mettre avec un autre homme…avant tout une perte de temps…et puis, qui sait combien d’embêtements, sans parler…sans parler des autres embêtements. Certes, les hommes sont si faciles ! On n’en rencontre pas tellement des biens.

Mais à quarante ans,… hé, à quarante ans, après en avoir perdu l’habitude, se remettre à penser à se découvrir pour un autre…hé, bé à quarante ans, ça ne doit pas être facile. Toujours être jolie, oui parce que les femmes ailleurs,…et puis cette envie qu’ils ont de toujours vouloir coucher, là ou ici, pour faire ça, hein, comment leur donner ce que je ne sens pas…Quoique… Me marier!!! Non mais quelle histoire. Au moins il a une paye fixe. On n’aime pas pour ça mais on peut aimer à cause de ça se disait elle. Il est presque vieux mais c’est un brave homme et veuf par dessus le marché. Bien veuf en plus. Depuis longtemps. Propre aussi. Oui, il se remariait, il le voulait le pauvre, plutôt par force que par amour au bout de plusieurs années de veuvage, parce qu’il avait besoin d’une femme, là-haut, pour tenir son ménage sa cuisine, le soir. Le soir, c’est là ou c’est pas facile, le soir. Voilà pourquoi il se remariait.
L’amour. Pour ça…elle se faisait confiance. Elle saurait faire. Parfois il n’entendait plus son pas sur le sol, un léger frou frou peut être, elle saurait se tenir, une manière de lever les bras pour qu’il la sente, de se pencher en dévoilant ses chevilles, oui elle y arriverait. Elle aussi l’aimerait peut être, le gardien du cimetière, à la sortie du village.

On était en Avril, il restait l’été à naître, la lune souriait et dans quelques heures, Marastelle serait mariée
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Amagnie

Silence de glace, odeur de cire sur le carrelage, fraîche candeur des rideaux de mousseline aux fenêtres, tel est depuis onze ans, l’appartement de Mme Leuca. Mais en ce moment, il plane sur toutes les pièces comme une étrange surdité. Et cela vous agace, oui vous agace, que l’horloge de la salle à manger fasse entendre dans cette surdité son lent tic-tac si distinctement détaché dans toutes les pièces comme si le temps pouvait encore couler aussi placide et uniforme que toujours.

Dans le salon, il y avait bien aussi le grillotis, oui mais pas trop fort, des bibelots en verre et en argent et l’on aurait dit que les pendentifs des candélabres dorés sur la console et les petits verres du service à liqueur sur la table à thé avaient des frissons de peur et des frémissements d’indignation après le départ des voisines. Les voisines, fallait les voir. Petit troupeau de madames avec des choses à dire sur chaque chose, elles quittaient la maison après l’avoir occupée comme de la poussière d’été, levée par l’orage.

- « La vie ! » elles disaient ça avant de s’enfoncer dans la ruelle sombre.
- La vie, ah la vie !

Silencieuse, madame Leuca les regardaient partir. Ce n’est pas qu’elle n’était pas d’accord, mais enfin, plutôt que de ne plus voir personne, elle avait choisi de dire moins, peut être au fond pour penser mieux. La vie, et oui, cette vie là justement : quelque chose de honteux impossible à avouer, une misère à laquelle il faut compatir ainsi ; en haussant les épaules et en baissant les paupières ou en tendant le cou comme s’il s’agissait d’une pilule bien amère à avaler.

La vie ! N’était ce donc pas la vie qu’elle savourait, elle souvent seule, dans une paix inaltérable, dans la perfection d’un ordre si net, dans ce silence accompagné du lent tic-tac de l’horloge qui sonne les heures et les demies heures du ton languissant et apaisant de son coffre vitré?

Qu’en savaient elles, elles de la vie, elles qui ne vivaient qu’en regardant le soleil les yeux plissés et le front usé de l’avoir tellement questionné pendant que la vie passait ? Alors elle se repencha sur la table ou son cahier l’attendait. Il fallait garder ces choses là secrètes. Écrire ici, c’est un peu perdre son temps, mais tant de choses sont à dire qui restent des secrets :

« Mon frère,
La terreur du monde réel n’a jamais cessé de peser sur ma destinée. La terre n’a jamais été solide sous mes pieds. Elle chavire souvent, je la sens sombrer, s’effondrer en moi-même. Cette instabilité parfois, me donne l’impression de gagner le monde entier. Je n’ai jamais trouvé la terre hospitalière mais j’ai vécu mon enfance comme un animal voué à la sensibilité. Cette terre natale qui revient tous les matins, comme un être aimé sans retenue, m’est souvent apparue comme quelque chose d’hostile, de terriblement angoissant en lutte contre moi. L’impression qu’elle s’imposait à moi, reflet de l’abîme et de la précarité de mon assise, l’empreinte d’une perte fondamentale. »

Hé bé, une fois écrites ces choses là devaient bien sur rester secrètes. De toute manière, qui pouvait lire autre chose que le ciel dans cette campagne ? Et que lit-on dans le ciel ? Et quoi encore, avec l’aide de Dieu surement, oui parce que évidement. Dieu. Dieu et ses grimaces. Un jour à genoux devant lui, parce que personne n’honore les vivants, elle avait écrit entre ses larmes, ce que la stèle de son mari aurait du avoir pour l’éternité.

« Il était un homme exigeant avec lui-même comme envers les autres mais à cette rigueur s’ajoutait un tempérament à la fois ténébreux et solaire, fier et passionné, de sorte que ses amitiés furent souvent marquées par des ruptures éventuellement suivies, le temps passant de chaleureuses mais rares réconciliations. Il aimait les femmes, adorait le grouillement de la rue, la terrasse du café sur laquelle il venait seul, rien dans les mains. D’ailleurs qui l’a vu dans ses solitaires replis, s’abandonner à la conquête d’une splendide passerelle entre le temps et les heures, toute de formes et de dentelle fut elle ? Rien dans son apparence, dans sa curiosité toujours en éveil pour toutes choses, n’aurait fait supposer que cet homme si bien portant, resplendissant et beau, cachait une blessure en son flanc, qu’il savait inguérissable. ».

Sur une stèle… et alors qu’auraient dit les autres ? Et qui l’aurait gravée la stèle ?

C’était ses secrets à elle, personne pour savoir qu’elle les écrivait, les pensait, loin des gens du village, des enfants, des cris du monde. La montagne se dressait là, comme un mur de toujours et son air d’éternité, se couchant dans son ombre au crépuscule et lourdement puissante les jours de pluies aux quatre saisons. Il y avait les enfants, heureusement, avant qu’ils ne deviennent grands, qui faisaient de la vie, des petits soleils en plus. Après tout, l’univers n’était pas que pour les autres, alors, oui parmi les mots, les secrets, de petits soleils pondus, des en plus, comme des surprises dans les poches, lorsqu’on est loin de la maison et qu’il reste quelques noix écalées tièdes, réchauffées à la peau humide d’avoir trop marché.

C’était aussi un secret que le départ de son frère, avec ses airs de souffrir plus que tout le monde. La ville qui les mangeait tous les uns après les autres. Il écrivait, parfois, deux fois rien, quoi, une lettre en 20 ans ? Et quelle lettre. Pour lui dire à quel point elle lui avait pris son enfance, piétiné sa destinée à lui, des mots qu’elle ne comprenait pas entièrement, des choses qu’on ne dit pas.

Oui, il avait trouvé une belle femme, oui il avait fait des enfants et oui il avait une maison. Elle n’avait rien vu de tout cela, mais ça devait être vrai. Depuis ce temps, il avait du sentir le temps passer, il faudrait bien qu’elle y aille à la ville voir cette maison. Et le voir lui, après tout, la maison, sa femme, ses enfants ce n’était qu’un prétexte. Elle l’avait tellement aimé, il l’avait tellement fait rire. Les tempêtes de l’enfance, ils les avaient traversées à deux, celles de la vie, elles s’étaient accrochées à chacun de ses cheveux à elle, surement aux siens aussi mais elle n’en savait rien au fond.

En attendant et depuis si longtemps, il fallait se résoudre à ce silence comme une cape de plomb sur sa vie. Il avait décidé qu’elle ne devait plus être en contact avec lui, cela lui faisait du mal, alors sans avis, il avait coupé les ponts. Juste bonne à rien ni à personne, voila comment elle s’était sentie. Triste destin que ces enfants qui s’aiment trop. Oh pas de vilaines choses non, des choses que les seuls ne peuvent pas connaître, que les singuliers ne peuvent pas apprécier. Des choses d’enfants, s’endormir le soir avec la main de l’autre, écouter son souffle régulier, entendre son pas dans les chemins, comprendre son appréciation de tout et de rien sans rien échanger, être dans le même camp devant les autres. Des riens, de ceux qui font que les autres cherchent toute une vie, l’âme sœur. Alors, la peur au ventre, elle avait continué, sans jamais bouger de ce village, fière tout de même, qu’un des deux soit parti.

La terre, les vaches, les saisons, les cochons, un mari et puis une fille. Voila la vie qui était passée dans ce silence étourdissant qui la dévorait encore parfois si elle se laissait aller. Un dernier coup de balai sur le sol et un coup de ce vin là et puis voila, la journée aurait été bien remplie. Comme la vie, un jour passé, un jour de plus.

Elle fuyait ces points d’interrogations qui surgissaient sans qu’elle les appelle, là dans la poussière, ou bien lorsqu’elle étendait le linge. Pourrait-elle lui dire un jour qu’il lui avait manqué tant et tant ? Voudrait-il l’écouter lui raconter la peur de ses silences et de ses cris profondément enfouis, lorsqu’il fallait aller bien et tenir la maison, s’occuper des champs, faire comme si rien n’était plus normal que de perdre son frère.

Pourquoi, n’était elle plus assez aimable pour être aimée, pourquoi ne lui avait il pas tendu un peu la main au cours de ces années de cœur sec. Oui c’était cela, la moitié du cœur sec et l’autre qui a besoin de l’eau de la vie. Un seul de ses mots à lui son frère jumeau et sa vie aurait été colorée de jaune, de bleu, avec une forêt de pleine vie. On ne devrait plus vivre sans son jumeau, non jamais.

Adolescent, il lui avait dit qu’il fallait vivre comme des « tout seul » avant de se mettre à courir les filles. Elle avait mis des années à comprendre, non pas que ce soit difficile, mais elle n’avait jamais pensé que les singuliers, ces solitudes qui passent leur vie à chercher l’âme sœur, pouvait être un modèle, un idéal. Elle avait mis la vie pour constater qu’il s’était peut être trompé et qu’elle ne pourrait jamais vivre avec le manque de frère, avec ce grand trou noir au fond d’elle, ce vertige qui l’emportait un peu chaque matin, parce qu’il fallait ne pas en parler. Alors elle avait meublé les vides, les mélancolies par l’abrutissante régularité des saisons, des choses qu’il avait fui. Un temps ramasser les noix, un temps le maïs, un temps les légumes, un temps le linge, un temps le bois, un temps les voisins, un temps les fleurs, un temps les plantes qui soignent, un temps lever les collets, un temps se ramasser avec tous ces souvenirs étalés, un temps pour tenter d’en faire une vie. Tous les temps avant le temps du rien.

Son frère, elle l’avait aimé comme elle n’avait rien aimé d’autre, il ne le savait pas, il n’existait plus, il était devenu ce qu’il avait toujours été, l’autre, son autre.
Alors, le balai elle le passait sans y penser. Dehors, le ciel léchait le ventre de la terre, elle était seule, un peu plus ce soir là. Le soleil se couchait derrière la montagne toute là, immense et éternelle, toujours changeante et tellement immobile.
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Matin de ruines à Bamako

Je marche dans un village fantôme. C’est mon quartier éteint, dans la nuit de Bamako juste avant l’appel de la mosquée. À peine sorti de chez moi, dans les rues, le jour bruyantes, je longe les murs silencieux, me heurtant parfois sur le sol, à des roches rouges et poussiéreuses. D’anciennes villas post colonial évoquent, avec un peu d’imagination, les fastes d’autrefois sans parvenir toutefois à donner le change : les lézardes dans les façades laissent deviner les trouées du temps sur les toits qui surplombent les vérandas, défoncées par l’abandon.
Dans la maison, de l’autre côté du carré, qui a le charme d’un petit palais de province ou les princes ont cessé de venir, un lustre est resté accroché au plafond du balcon.

Sous ce climat chaud, ou les chemises et les robes collent à la peau, parfois avec bonheur, seul paysage étonnant de beauté dans la ruine envahissante, il y a dans ces demeures délabrées mais encore habitées par des familles venues des villages de brousse, quelque chose qui s’apparente à la dignité perdue. Comme si les murs lépreux et couverts de poussière, détruits par endroits, tentaient de maintenir les apparences, à l’égal des clochards vêtus d’un smoking. Est-ce l’homme qui ne porte pas le bon habit ou l’habit qui n’est pas sur le bon homme ?

Dans cette vieille maison, devant laquelle, retournées, une dizaine de calebasses expliquent en un coup d’œil qu’elles sont sous contrôle d’autant de femmes pour une centaine de marmots et de maris feignamment éffouarés, dans leurs fauteuils de nylon tressé, des cordes à linge où pendent des maillots de corps et des soutien-gorge au dessus de la terre sur laquelle dansent des centaines de sacs de plastique noir, tels des feux follets sans flamme. Je fais le tour du quartier. Le muezzin entame son appel à la prière, les sotrama amorcent leurs rondes polluantes, brinquebalants leurs carcasses dangereusement tremblantes parmi les vendeuses de beignets qui vont rejoindre leurs étals poussiéreux avec des bassines sur la tête, les yeux encore pleins de sommeil.
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Tout va bien, Bamako, marché

Une chaleur écrasante dans laquelle les livreurs en vélo, suant sur leurs ruines mécaniques cent fois réparées, ahanant, poussent de lourdes charges entre les bagnoles scrapées qui lâchent des gaz polluants aux visages des passantes surchargées sur la tête de bassines bariolées. Cette chaleur inhumaine frappe la vie d'une violence intolérable à laquelle se soumettent ces millions de gens, comme repentis au châtiment de Dieu, Celui ci qu'ils adorent partout, le nez dans les ordures, les mains à plat sur la terre usée et sans eau.

L'éclat du soleil sur les mille plaques de tôle rouillée, à travers les manguiers vidés de leurs fruits, reflète dans la poussière de la ville, la lumière jaune du sable levé qui en tombant colore les fossés d'égouts, d'une boue dégueulasse. Elle sent la pisse et la merde, en coulant lentement sous le nez des hommes éjarrés. Ils sirotent du thé sucré; loin des femmes au dos cassé, au sexe mutilé, normalement soumises à l'usure domestique comme l'âne muet fléchissant sous le bat. Tout va bien.
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Montréal nord

Le ciel de l'ile ne s'enneige pas
Et mon âme lasse un peu,
Voudra regarder les vagues levées par le vent
En éternelle marée contre la digue
Ou je me penche pour presque toucher ravi,
Leurs crêtes chapeautées d'écume.
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Ouvres tes yeux


Repousses tes peurs au bord du gouffre, le printemps est là.
Dehors loin dans le ciel, les oies t'appellent
Elles sont en grands troupeaux
De retour sur nos rives encore glacées.
Demain, sans attendre, j'irai les saluer avec toi dans ma tête,
Toi libéré de notre peur, toi de retour parmi nous,
Toi enfin, de retour pour toujours.
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Amagnie

Au fil des jours et des mots, de ces nuits avides, sans aurores, elle se regardait aller comme une funambule sur le fil. Comme au cirque. Ah oui le cirque. D’ailleurs ce n’était pas normal de penser à un funambule alors que la maison respirait après sa première chaleur d’avril, les pierres sèches; elle les entendait haleter. Les enfants, Pierre le tordu et les jumeaux dormaient à côté, dans la chambre. Et s’ils n’avaient pas été là ces enfants, comment les jours seraient ils passés ? Au fond, bien avant les cimes d’où descendait une brise presque fraîche, les dernières maisons de la commune disparaissaient dans une brume légère qui montait de l’herbe tendre, chauffée par ce soleil pas encore tout à fait de l’été. Et là, trop proches, les cochons grognaient derrière le mur, il faudrait bientôt penser à les retourner au fond du jardin, avec les jours chauds, l’odeur allait devenir aussi intolérable que le bruit des truies en chaleur à la fin de l’hiver. Et s’ils n’avaient pas été là les cochons ? Comment les jours se seraient ils mangés ?

La dernière fois qu’elle avait vu un cirque, c’était au moins, avant sa première communion. Oh la robe de ce jour là…Il y avait la robe, le dieu, le dieu juste à côté des cierges allumés. Que tout était beau. Quelle histoire tout de même, le Dieu dans le bleu du ciel de l’église, les femmes du village avec leurs robes noires et leur air sévère d’être toujours en colère. Mais enfin, Dieu et les histoires du curé, on grandit trop vite pour toutes les retenir, faut-il vraiment s’en rappeler pour être heureux ? Aujourd’hui, à bien y penser, de la religion, ce qui se voit, ce ne sont que des grimaces partout sur la terre…Ils sont là avec leurs guerres, leurs croix et leurs bannières, leurs lunes et leurs faucilles, leurs voiles et leurs interdits, leurs commandements disent ils, qui sont ils pour commander avec leurs terreurs, jusqu’ici, partout ailleurs, les enfants dans les champs, les cuisines et sous les robes de leurs mères?

Et ses yeux se mouillaient du temps si vite passé.
Le temps, mais oui, le temps fait pleurer un peu. Oh pas grand-chose, le temps d’un oignon, d’une pelure de mémoire, le temps d’un souvenir. Alors oui, parce que le temps passe comme un funambule qui monte vers la plate forme. Elle avait souvent l’impression de n’avoir pas été en équilibre mais en chute et c’est vrai qu’un funambule qui tombe, eh bien ce n’est plus un funambule. Elle, elle n’était pas tombée. Elle n’était pas devenue
non plus une funambule. Enfin, parfois la vie prenait l’air et tardait juste un peu à reprendre sa place.
Entre les murs de planches des ruelles de Montréal, l'hiver vient de se poser sans gène, glissant sous mon blouson, sa main froide comme celle de ma diva à son retour de promenade. Il y a des débuts de saisons qui ressemblent en leurs mitans, à ces pleins qu'ils annoncent, à quelques heures à peine de la promesse enfuie, bien à la place qu'ils occupent sans frémir, tel cet hiver 'installé comme s'il n'y avait que lui.

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