Hassan et moi, sur cette place de la ville frontalière, on avait décidé de larguer les amarres. Refuge de l'étranger, nous ne voulions rien entendre de la langue locale, rien voir des murs moyennageux, juste profiter de rien, pour nous emplir de tout. Sur la terrasse du café, depuis notre dernière coupe, deux heures avaient fui dans les mots. Après un long silence, moi scotché sur les femmes qui s'enroulaient dans leurs châles au pied de la fontaine, lui, sa énième clope allumée, il commença à parler doucement, les yeux un peu brumeux.
'' Remarque bien on s'en branle, mais lorsque mon père, cet enculé abandonna ma mère avant ma naissance, nous étions deux non attendus, non voulus, des enfants de la nuit; de laquelle mère, nous eûmes la chance de sortir presque la main dans la main. Deux tu vois un peu le merdier d'ici ? Elle accouche, elle a pas la majorité, on est pendant la guerre d'Algérie, elle vient de la campagne, les vignes de Pomerol. Son mec, celui qui l'a baisé, bon, il l'a largué pour aller se marier. Dingue. Tu vois? Que veux tu qu'elle fasse la morpionne, elle est coincée, pas le choix, enfin si, des choix y en a. Tu les flingues, oui bon, y a aussi, tu les fous à l'orphelinat, ou encore tu les vends. Bon nous ça a été une danse (il rit, c'est fou, dingue ce mec), un mezzé de luxe, allers retours entre les mains de plusieurs, institutions, familles d'accueil, des trucs pas possibles. (Silence) Ouais, dans la merde, dès le départ.''
Grosse pompette sur sa clope, Hassan, se creusait les joues comme s'il était un instant pris par la fièvre et rejettait un nuage impressionnant en avancant sa machoire inférieure avant de croiser ses jambes dans le pantalon trop large.
'' Tu sais, je l'ai su plus tard, cette résilience de chiotte, c'est la mode en ce moment, ils en foutent partout, comme Mary Barnes sur les murs, bon ben, j'ai compris que ça n'avait rien, mais rien putain, rien de commun avec la vraie vie. Mon frangin et moi on s'en est sortis par les marges, à jamais balafrés sur la gueule, comme au coeur d'ailleurs, tatoués par l'immonde et nés pour crever; en encre invisible dans les yeux..'' Repompette.
'' Tu vois, je ne sais pas, je ne crois pas que ma mère assista au mariage de l'enculé mais surement qu'une bande de pelés et de tondus eux se marrèrent à mort en repensant à la petite connasse qui devait être bourrée ce soir là. Nous sommes les enfants de l'ivresse, de la jeunesse. Puuutain. Je me suis souvent demandé pourquoi nous avions été abandonnés par ce connard et pourquoi je dus l'apprendre seulement à 50 piges ? Le désarroi qui habita mes jours d'enfance et la terreur qui la remplaça plus tard, m'ont fait voir le monde comme une ronde dans laquelle la main ne se donne pas facilement. Tu vois la ronde ? T'es le dernier, ça tourne, tu cours, tu ris jaune, mais en fait tu as peur, ça va vite, tu finis par te casser la gueule. Tu pleures, humilié. Bon ben nous, on est deux à se viander. Alors les mains tendues tout ça...''
Un gendarme au loin, me fit signe du doigt. Pas pour m'envoyer chier mais pour me dire de venir le voir. Incroyable comment sont restées les bonnes habitudes franquistes. Les flics te font signe et comme une larve tu y vas. En rampant. Hassan est toujours une source d'emmerdes. Chaque fois qu'on est ensemble putain, y a toujours un flic qui remarque qu'il a un profil, attends, oui, un profil d'ailleurs. Terroriste d'aujourd'hui dirais je. Sans turban. En même temps, Hassan, se rase pas tous les jours, ça aide pas parce qu'avec sa gueule, pour le rasé de frais de la banlieue, laisse moi te dire que ça faisait plutôt dans la série décapage. Papier de verre, style pour l'acier.
Bon oui, le doigt insiste. Ramon (doit s'appeler Ramon) le doigt qui ramone, m'appelle toujours. Je m'approche de lui laissant en plan Hassan le terroriste. Il me tend une pièce et déclare avec un franc sourire, vous devriez mettre cette pièce dans le parco mètre, sinon, Mouloud, je m'appelle Mouloud, vous mettra un papillon de 230 euros. Bonne journée.
Bon ok, d'accord, les franquistes ont changé. Putain mais c'est dingue. Mais enfin c'est dingue comment il parle bien français, hein Hassan ? Hein ? T'as pas une clope là ?