Statistiques google analytics du réseau arts et lettres: 8 403 746 pages vues depuis Le 10 octobre 2009

Publications de claude luezior (4)

Trier par

Extrait de "CLAMES" (Ed. tituli, Paris, nov. 2017)

Extrait de "Clames", Ed. tituli, Paris, nov. 2017 :

                      GRAMMAIRE

 

                      à l’étuve

                      j’ai mis

                      quelques virgules

                      un semis de points

                      de points-virgules

 

                      au four

                      j’ai mis

                      quelques rimes

                      à la sauce

                      ancienne

 

                      au feu

                      j’ai mis

                      quelques impératifs

                      un semis de subjonctifs

                      trop chétifs

 

                      à l’eau

                      j’ai mis

                      quelques conjugaisons

                      aux entournures

                      qui me torturent

 

                      à la marinade

                      j’ai mis

                      quelques conditionnels

                      trop bedonnants

                      trop passionnels

 

                      à califourchon

                      j’ai mis

                      quelques suffixes

                      avec de la colle  

                      d’adjectifs

                      à la fripe

                      j’ai mis

                      quelques reliques

                      de participes

                      trop passés

 

                      à la cave

                      j’ai mis

                      quelques règles

                      en sourdine

                      cent disciplines

 

                      à l’encan

                      j’ai mis

                      quelques tenailles

                      en vente, pas trop cher :

                      celle de ma grammaire

                                          Claude LUEZIOR

Lire la suite...

Bénitier

 

Juste au coin du narthex, un pieux bénitier. Autour de lui, le geste est souvent machinal, bâclé, sans souvenir précis des temps heureux : l’eau du baptême est à presque cent mètres de là. Certains se signent, pressés, comme pour pointer à l’horodateur du Seigneur. D’autres ont la lenteur de l’arthrose, humectant leurs phalanges de presque ressuscités.

S’avance la bigote à la peau parcheminée : marathonienne de la rédemption, elle hydrate les flétrissures de son cœur en vue de la dernière ligne droite. Juste derrière, les doigts légers d’une fleur de pavé. Selon les Évangiles, cette Marie-Madeleine coiffera l’athlète des ave à la porte du Seigneur.

Quelques enfants de chœur bousculent de leurs rires la bien-pensante. Plus loin, des canailles bâclent une génuflexion, tandis que des traîne-crasse envisagent une ablution. Et puis, un fada : d’après la légende, les fées, qu’on appelle dans le sud fadarelles, échangent parfois leur descendance dans le berceau des humains. Consolation des affligés, le simple d'esprit sera tantôt prince du royaume.

Suit la main droite du besogneux, trempant ses cals jusqu’à la paume et celle, un peu raide, du colonel qui hésite entre signe de croix et salut. Depuis l’ébrasement du porche, un martyr surveille le geste sévère de l’instituteur, égalitaire du gauchiste en goguette, opportuniste du politicien dont le menton tutoie les étoiles, niais de la cancanière en mal de calomnie.

On y voit aussi les ongles vernis de la précieuse qui, pour peu, déposerait une goutte sacrée sur son cou, tel un parfum. Et cette jeune-fille presque vierge, presque transparente, effleurant les satins de son amant.

En miroir, des doigts froissant à peine la surface de l'eau sacrée, comme pour ne pas déranger le Très-Haut : arachnéennes caresses d’une religieuse déjà en extase.

Pour clore cette humanité défilante, une troupe de dubitatifs, tièdes et païens de toute obédience évitant comme des chats maigres la sainte source et préférant passer à gué le seuil de l’Eden.

Self-service d’eaux lustrales, le bénitier a bien du mérite. Mirage d’anachorètes ou puits artésien pour âmes en rémission, on le retrouvera au tourniquet du Jardin premier.

 

                                                             Claude Luezior

Lire la suite...

Claude LUEZIOR - Une dernière brassée de lettres - éditions Tituli

 

            Il s’agit là d’une œuvre très originale. Quelle idée d’écrire des lettres aujourd’hui dans un monde qui ne fonctionne plus qu’à coups de S.M.S. ? Mais des lettres à qui ? A Maison de retraite, à Ordinateur, à Deuil, à Absence, à l’Homme... en tout une bonne trentaine. Ce sont des lettres ouvertes, des sortes d’interpellations, pour dénoncer ceci ou cela : Ainsi dans Lettre à Maison de retraite : « Jeanne, tu te l’es appropriée, elle qui tombait cent fois à domicile... Tu l’as mise en chaise alors qu’elle pouvait encore marcher. D’allure secourable, le verdict fut prison à perpétuité. Il fallait surtout relever le score de dépendance, question subsides et comptes de fin d’année.» Dans Lettre à Politicien, il analyse comme au scalpel, ce qui attend au tournant l’homme politique ; après la gloire viennent les déboires : « Ceux qui t’acclamaient se sont mués en hyènes et la presse des rues en bourreau... Sur les temples de ta puissance, on a martelé tes cartouches, écorché ton nom et ceux-là même qui se sont nourris de ton népotisme ne sont plus que masses assoiffées de ta sève.»

            Mais le poète sait aussi glorifier, exalter la grandeur de ce que l’homme a fait de bien au cours de son histoire. Il le fait avec Lettre à Architecte. Comment se fait-il que l’homme bâtisseur ne le soit pas seulement par besoin d’utilité ? « Par quel sortilège t’es-tu affranchi, dès les premières peintures rupestres d’une simple utilité existentielle ? » On ne peut pas détacher les constructions de la prière : « ... le nombre d’or, les flèches et les arcs-boutants ont peuplé ta tête jusqu’à l’envoûtement. Tu t’es pris au jeu de cette musique minérale, tu es devenu le pasteur des pilastres en leur moutonnement d’ogives. » Dans Lettre à Patience, c’est de tous arts qu’il s’agit ; le génie n’est rien sans le travail : « D’ici, j’entends Flaubert chercher le mot juste dans son gueuloir, Hugo tailler ses vers, Brahms rabâcher ses sonates, Beethoven user son piano : tant d’artistes dans une perfection qui leur échappe.»

            On pourrait analyser chacune de ces Lettres. Chaque brin de la brassée nous apporte un moment de plaisir à le lire.  Mais il me faut pour terminer, vous faire part de l’intense émotion contenue dans Lettre à ma Cousine. Ils ont huit ans de différence. Ils s’évadent dans le grenier, une vraie caverne d’Ali Baba. C’est elle qui a initié le poète à la beauté, à la culture, cette chose essentielle, à laquelle concourt une bonne possession de la langue. La culture tous azimuts. Elle lui a fait découvrir Barbara, Ferré, Moustaki, Ferrat mais aussi Aragon, Sartre, Camus, Alain Resnais... La vie les a coupés de leurs rêves. « Les arcatures de l’existence nous ont séparés. Nous étions insoumis. Toi et moi sommes restés rebelles. Tu n’es pas devenue danseuse. J’ai dansé avec les mots...» Et plus loin, cette injustice qu’est parfois la vie : «  La maladie a broyé ton corps. Et ton âme si aérienne a été cariée par les traitements, qui pourtant, te furent indispensables... »

            Ce livre, dans son entier, est un vrai moment de bonheur.

                                                                                                 Louis Delorme

Lire la suite...

Articles récents Trilogie Luezior

TRILOGIE LUEZIOR 2015 : Dans la voie lactée du dire...



Si l’on se souvient de ce qu’écrivait Ernest Pischari, petit-fils de Renan,  le silence est un peu de ciel descendu sur la terre, on peut penser que le poète CLAUDE LUEZIOR solfie la musique des sphères pour dire ses mots-nuages, ses mots-silences.

Pour atteindre ce ciel, il pose son échelle de Jacob contre les parois d’un puits inversé, monte et descend, casse les barreaux de l’aube. Sous sa plume, entre souffle et soufre, ailes et cendres, volupté et humour, naissent des oiseaux qui prennent leur envol dans des syllabes de rosée. Théâtre, tragédie dans la voie lactée du dire.

Si créer c’est collaborer avec les dieux, CLAUDE LUEZIOR vit avec leDaïmon cher à Socrate.  Il aiguise le chant de sa pensée au plus près de l‘image, tantôt noire comme l’or du démon qui inscrit le signe d’Hérode / sur ma porte, tantôt bleue comme les premiers matins qui s’étoilent, pensées / au firmament / de tes yeux. Ainsi roule la pierre de ses lignes sur la marelle de sa materia prima.

Ses mots ont le goût d’un vagabondage : il y a toujours un puits où l’on attend une femme ou le sens du recueillement : la cathédrale étire / ses colonnes et arcatures / sur une verticalité / nervurée de prières.  Entre Éros et Thanatos, le poète coule sa liturgie / celle où une audace / enfin se liquéfie. La psyché de l’écrivain peut implorer, sur les cimes d’un glacier : écoutez, je vous prie / ma supplique d’écorché ; plus loin, la voilà qui  s’agenouille au fond du gouffre ou d’un ciel en gésine pour détacher l’hostie du ciboire / et la parole de nos déserts.

CLAUDE LUEZIOR marie le sacré au profane, le piment des petits riens (boire l’hydromel / de ces riens sans importance / qui signent la vie) au gond plus grave du quotidien en interrogeant la lumière qui s’encalmine sur l’ombre des étoiles. On partage ses lignes d’horizon, ses éclaboussures d’ombres. Ses mots prennent alors le reflet de celui qui lit : osmose des mystères.

CLAUDE LUEZIOR peaufine la couleur d’un silence, écrit en fragment sur l’arc solaire et, d’un seul geste, ouvre les abois du crépuscule. Dans cette trilogie, le silence et la nostalgie (ivre d’un mal étrange / l’ombre chancela / on entendit  une masse / mon corps m’avait trahi) sont davantage présents que dans ses précédents recueils, sans pour autant, ici là, retrouver l’espoir : ensemencer le sillon / quand chuchote la glèbe.L’auteur griffe ses miroirs, nage dans ses marées tumultueuses et nous renvoie, avec un rare sens du dire et de l’image, les échos intérieurs de sa mythologie intime.

Il déplie avec un art consumé l’éventail de ses émois, pensées et désirs. Ce, dans une crémation du dire où il entraîne le lecteur. On ne peut que suivre le poète sur les chemins escarpés de ses songes, sauter dans sa barque qui n’est pas celle de Charron mais plutôt celle du nautonier qui sait hisser les voiles de son illimité.

Claude LUEZIOR, Trilogie : Fragment, D’un seul geste, La couleur d’un silence. Collection Poésie(s). Éditions L’Harmattan, Paris, 2015.

©Nicole Hardouin in : site de la revue Traversées, 2015





Claude Luezior : le prophète et le silence 



Les « fragments » ou la somme de Claude Luezior deviennent de fabuleux dépôts contre la mort et le silence (c’est parfois la même chose).  Les mots ruissellent de leur liqueur dans chaque page. Ils se mettent aussi  à voler, à flotter sur la terre comme au ciel, aujourd’hui comme demain, ici et ailleurs, dans le réel comme dans l’imaginaire mais toujours pour venir à bout du néant.

Le régime des poèmes est fait d’images ardentes et pénétrantes. Elles sont moins des figures de style que la manière de créer un autre rapport au réel que celui de la littéralité. L’apparition, le surgissement de la métaphore transmuent les événements afin que ce qui pourrait mourir ressuscite avant même que la messe soit dite. C’est pour Luezior un ordre, un souhait, une invite, une adresse à l’autre et à soi-même. Le poète revendique le cycle vital ininterrompu qui désigne l’ordre mouvant d’une vie faite bien sûr d’accidents de parcours. Mais il en donne un contrepoint. A la ténuité des vers répond leur alchimie qui vient broyer le silence pour échapper aux Golgotha du temps.

La trilogie reste une arche singulière et unique, tout ce que le monde contient de beauté, de grâce et de magie et de douleurs aussi est rameuté dans un « paysage poétique » qui n’a rien de mièvre ou d’anthropocentrique : les sentiments contribuent à faire de ce recueil l’étrange narration d’une perpétuelle résurrection contre le silence de plomb. Avant d’être un miracle révélé, cette renaissance apparaît ainsi comme le destin d’un monde qui croît encore au futur à partir d’un présent constamment mouvementé et pas forcément « positif ».

Face au silence de mort c’est  finalement de réconciliation qu’il s’agit : concorde et concordance des êtres en dépit de leurs différences. Encore faut-il accepter comme le fait Luezior le glacis du temps qui passe et ses vicissitudes  pour espérer croire en la résurrection des corps. Elle est aussi celle du monde, celle d’une vie que le froid hivernal endort pour mieux assurer sa poursuite. Dès lors, les Métamorphoses que contait Ovide Luezior les reprend à sa main : il suffit de quelques mots, d’un choix finalement assez restreint d’expressions pour dire la grâce et la nécessité d’une création qui impose - contre vent et marée -  une sérénité. On l’appellera folie du sage.

 

Jean-Paul Gavard-Perret in : Salon-littéraire.com



Ref : Claude Luezior, Trilogie : Fragment, D’un seul geste, La couleur du silence, 90 p., 92 p., 100 p., 12 Euros chacun, 2015, coll. Poesie(s), L’Harmattan, Paris.



 


CLAUDE LUEZIOR : trilogie 2015


L’imaginaire et le réel remarquablement travaillés par la langue du poète fribourgeois font que les notations-événements à caractère descriptif deviennent  l’objet d’une transformation plus existentielle que « littéraire ». La mutation des formes d’écriture s’opère dans la réduction et la densité  et l’enrichissement de la langue au moyen d’images qui effacent les contingences pour les densifier. Par exemple Luezior transcende la lutte de la femme (une amie poétesse de l’auteur) devant la maladie : « elle est là devant toi / et ton aiguille vile / elle est là, poitrine offerte / victoire de Samothrace / à la proue des embruns / elle qui brise le tumulte / du crabe qu’elle défie » et afin de parachever sa lutte le poète ajoute : « la vestale respire / de son verbe / de ses murmures / déjà / elle nous donne la vie ».


Luezior renverse donc les données dites objectives : l’espoir est l’étincelle qu’il jette au vent de la vie pour faire resplendir une sorte d’au-delà. Mais ici-même, ici bas. Le poète ne lâche rien : certes par essence la vie use mais il s’agit de faire résistance contre le silence : le poème devient le cri des oiseaux en plein vol. Comme eux il s’agit aller au-delà des neiges et des rochers pour atteindre les mots parfois encore indéchiffrables qui font taire le mutisme.

 

Jean-Paul Gavard-Perret 

in : De l'art helvétique contemporain, blog 24Heures, 2015
Lire la suite...