Dans son « Système des beaux-arts » (1920), Alain propose l’idée que l'art surgit dès le moment où la pensée, libérée de toute nécessité, se reprend elle-même. Selon lui l' art comme lieu où les passions s'expriment, est le seul moyen que l'homme a trouvé pour que ses passions s'expriment sans que l'ordre humain s'en trouve menacé, car l'art leur fournit une règle: "l'expression composée". En ce sens, l' art est une discipline.
C’est aussi un langage, à condition de ne pas croire que la beauté se trouve dans le contenu de l'idée exprimée: le bon est dans l'oeuvre elle-même en tant qu'elle donne corps à l'idée.
Il faut aussi lire d’Alain ses « Vingt leçons sur les beaux-arts », ainsi que les écrits qu'il a consacrés à certains arts particuliers (« Entretiens chez le sculpteur » et aux écrivains (Balzac, Dickens, Stendhal).
Réponses
La source unique de l’art et du sacré serait la sublimation de la peur.
la peur de la Mort à laquelle l’artiste, créateur en son dieu intérieur, trouve une réponse en laissant une trace pour le futur, sacralisant un tant soit peu sa vie ?
La peur de l’Amour et de tous ses aléas et subterfuges y compris l’affirmation de soi et la volonté de puissance, astuce de la vie pour que l’Homme satisfasse aux exigences de la reproduction sexuée ?
Si l’on relit ce que pense Freud au sujet de l’artiste dans son ‘ Introduction à la Psychanalyse’ que j’ai repris d’un forum précédent ayant trait à la notion de beauté, c’est la seconde voie qui, pour lui, prévaut.
En effet, selon Freud :
"Il existe notamment un chemin de retour qui conduit de la fantaisie à la réalité: c'est l'art. L'artiste est en même temps un introverti qui frise la névrose.
Animé d'impulsions et de tendances extrêmement fortes, il voudrait conquérir honneurs, puissance, richesses, gloire et amour des femmes. Mais les moyens lui manquent de se procurer ces satisfactions. C'est pourquoi, comme tout homme insatisfait, il se détourne de la réalité et
concentre tout son intérêt, et aussi sa libido, sur les désirs créés par sa vie imaginative, ce qui peut
le conduire facilement à la névrose. Il faut beaucoup de circonstances favorables pour que son développement n'aboutisse pas à ce résultat; et l'on sait combien sont nombreux les artistes qui souffrent d'un arrêt partiel de leur activité par suite de névroses. Il est possible que leur
constitution comporte une grande aptitude à la sublimation et une certaine faiblesse à effectuer des refoulements susceptibles de décider du conflit. Et voici comment l'artiste retrouve le chemin de la réalité.Je n'ai pas besoin de vous dire qu'il n'est pas le seul à vivre d'une vie imaginative. Le domaine intermédiaire de la fantaisie jouit de la faveur générale de l'humanité, et tous ceux qui sont privés de quelque chose y viennent chercher compensation et consolation. Mais les profanes ne retirent des sources de la fantaisie qu'un plaisir limité. Le caractère implacable de leurs refoulements les oblige à se contenter des rares rêves éveillés dont il faut encore qu'ils se rendent conscients.
Mais le véritable artiste peut davantage. Il sait d'abord donner à ses rêves éveillés une forme telle qu'ils perdent tout caractère personnel susceptible de rebuter les étrangers et deviennent une source de jouissance pour les autres. Il sait également les embellir de façon à dissimuler complètement leur origine suspecte. Il possède en outre le pouvoir mystérieux de modeler des matériaux donnés jusqu'à en faire l'image fidèle de la représentation existant dans sa fantaisie et de
rattacher à cette représentation de sa fantaisie inconsciente une somme de plaisir suffisante pour masquer ou supprimer, provisoirement du moins, les refoulements. Lorsqu'il a réussi à réaliser tout cela, il procure à d'autres le moyen de puiser à nouveau soulagement et consolation dans les sources de jouissances, devenues inaccessibles, de leur propre inconscient ; il s'attire leur reconnaissance et leur admiration et a finalement conquis par sa fantaisie ce qui auparavant n'avait existé que dans sa fantaisie : honneurs, puissance et amour des femmes "
En valeur absolue, Il faudrait donc en déduire que l’homme qui conquiert « honneurs, puissance et amour des femmes » selon les principes naturels de dominance (beauté, force physique,…) n’a pas très envie de sublimer par la création artistique un manque qu’il est censé ne pas éprouver ,son aspect physique lui apportant tous les avantages.
L’art serait donc une consolation et non pas une réalisation !
Il est heureux (?) que l’histoire de l’Homme soit devenue une histoire culturelle plutôt que naturelle !
Freud a presque raison mais tout est dans le presque !
Jean-Marie Cambier
Maurice Stencel a dit :
: nous ne sommes pas dans la morale.
Par contre, je suis d'accord que l'oeuvre est bien plus importante que l'idée qu'a eue son auteur en la créant.
Encore et toujours, remettons ce type de critique dans son contexte. Pas d'arrogance ni de moquerie.
Maurice Stencel a dit :
L’art est le type même de la question métaphysique qu’aucun schéma ne résout de façon satisfaisante. Sa structure fondamentale, hormis ses formes, n’a pratiquement jamais évolué. Il est la réponse, c’est vrai. Mais à quoi ?
L’art a-t-il vocation de morale ? Est-il un substitut à la religion ? Ou l’anesthésiant de la condition humaine.
Lorsque l’art aura disparu, les hommes se verront tels qu’ils sont : seuls et toujours dans le néant des premiers âges.
La vocation artistique est de nature quasi religieuse. Elle procède de la même mécanique, incompréhensible au travers du seul vocabulaire de la raison.
La schizophrénie du créateur, ce n’est pas son incapacité à répondre à la question : Pourquoi est-ce que je crée ? Des réponses existent ; même si elles sont insatisfaisantes, elles apaisent l’esprit. Le trouble fondamental vient de la question : pourquoi moi ?
Il est comme l’homme des premiers âges. De ceux où pour la première fois un homme a pris conscience de soi. Que l’angoisse s’est installée dans son ventre et que le seul antidote à sa solitude s’est exprimée sous la forme singulière qu’elle a conservé jusqu’à ce jour, source unique de l’art et du sacré : la sublimation de la peur