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Publications de martine rouhart (225)

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Un poème inspiré par la jolie peinture de Jaqueline Nanson!

'déambuler dans les grands fonds'

Monde océanique

Dans les fonds océaniques
Je vois le monde antique
Des lueurs surnaturelles
La terre originelle,
Un univers immaculé
Que personne n’a violé
Où dansent des poissons
Comme volent les papillons,
Un monde d’absolus silences
Où les anémones se balancent
Comme les fleurs des champs
Caressées par le vent

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POSITIVER!

12273026691?profile=originalNina, Adyne (et les autres!), si vous aimez les messages positifs, vous aimerez sûrement ce petit livre, "Agir et accueillir" (épuisé chez l'éd mais j'ai des exemplaires...), très amicalement.

Le cancer, mot effrayant, souvent tabou. Il y a un avant et un après. Tout bascule, mais pas nécessairement ni complètement dans le mauvais sens. À l’instar d’autres maladies ou accidents graves de la vie, c’est une épreuve difficile, physiquement et moralement. Mais parvenir à accepter le coup du sort, tenter de l’apprivoiser, c’est se donner les moyens de l’affronter, s’affermir, grandir un peu ; c’est agir et non pas seulement subir. C’est aussi s’élever vers les autres, aimer, apprendre à recevoir, à tout accueillir. Ce témoignage est un appel à la vie, à goûter l’instant présent, un message de joies toujours possibles, un petit pas vers une certaine sérénité. Le texte, poétique et optimiste, ouvre un chemin de réflexion personnel et spirituel face à la maladie. L’auteure, âgée de cinquante-cinq ans, juriste, est passionnée de littérature, de philosophie et de musique. Aussi loin qu’elle s’en souvienne, l’écriture a toujours fait partie de sa vie, des articles juridiques, des nouvelles, des poèmes. Exprimer par écrit son profond ressenti a d’abord été une expérience personnelle pour l’aider à surmonter l’onde de choc qui l’a ébranlée. Cela lui a aussi donné l’occasion de concrétiser son rêve de publier un récit, de laisser ainsi un « petit quelque chose derrière elle ». Quoi qu’il advienne.

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Du bonheur d'être mortel

La conscience de notre mortalité donne tout son sens à la vie, elle participe pour ainsi dire de son essence.
La pressentent bien aussi, ceux qui se refusent pourtant à concevoir l’idée de la mort, qui tentent de fuir leur vie durant et jusqu’aux derniers instants cette ombre qui les accompagne discrètement tout au long de leur route quoiqu’ils fassent, cette finitude inéluctable, seule certitude qu’ils partagent tous dans l’avenir.
Toute pensée de soi n’est-elle pas une pensée de soi en tant que mortel ?
« On ne cesse de penser à la mort qu’en cessant de penser » … (Marcel Conche, La mort et la pensée). « L’homme libre ne pense à rien moins qu’à la mort, et sa sagesse est une méditation non de la mort mais de la vie »… (Spinoza, L’Ethique).
La conviction de notre mortalité est inscrite en filigrane dans l’exigence qu’on ressent à accomplir des actions, dans les projets, les priorités qu’on se fixe, dans les attitudes qu’on adopte envers soi-même ou autrui, dans le questionnement même de savoir où l’on va.
Ce qui caractérise peut-être le plus la vie humaine, c’est le pouvoir des choix innombrables que l’on doit arrêter tout au long de l’existence. La vie entière apparaît comme un foisonnement, une arborescence de possibles dont les rameaux de plus en plus touffus s’emmêlent aux caprices du hasard.
Parmi toutes les voies qui s’offrent à nous, nos choix nous engagent sur celle qui accomplira le plus souvent notre destinée. On ne peut retourner en arrière, défaire ce qui a été…
Quel sens pourrais-je donner à ma vie si j’étais immortelle ? Qu’importerait alors, si je ne fais rien, ou mal, si je me trompe, puisque j’aurais de toute manière l’éternité -ce qui peut vouloir dire jamais- pour tout refaire, construire enfin quelque chose, être moi en mieux ?
Plus rien n’aurait vraiment de valeur. La liberté même n’aurait plus aucune signification puisqu’on disposerait d’un temps illimité pour s’engager dans une infinitude d’autres chemins.
Comment jouirait-on de l’instant présent, quel serait le sens d’une suite indéfinie de plaisirs ou de résolutions qu’on n’aurait jamais à choisir, auxquels il ne faudrait jamais renoncer, que voudrait dire encore vouloir, désirer ?
Tout serait futile, vain, sans importance.
La conscience d’être mortel est une incitation, dans une certaine urgence, à vivre, créer, agir, ne pas se gaspiller, à tenter d’accroître son savoir, à perfectionner son être tant qu’il est temps, se hâter à se dépasser un peu…
Ce qui donne son sens, sa valeur à la vie, c’est qu’elle est un tout avec un début et une fin, c’est qu’elle parvienne à son accomplissement, entre la naissance et la mort.
Ce que je crains, ce n’est pas tant l’état de mort, ce rien que nous ne ressentirons de toute façon pas, que le passage vers ce néant.
Il y a bien des manières de mourir et c’est plutôt la perspective de la douleur, fréquente avant-coureuse du trépas, qui rebute et désespère.
Mais ce qui est finalement le plus douloureux, c’est la mort de ceux qui me sont chers, et aussi, lorsque j’envisage ma propre disparition, la peine que j’infligerai à quelques personnes, celles dont justement le bonheur m’importe le plus.
Mais en dépit de toutes les souffrances et incertitudes inséparables de notre grand saut dans l’inconnu, je pense, avec soulagement, qu’il ne faut en aucun cas regretter d’être mortel.
L’idée d’immortalité m’apparaît comme un abîme, une éternité angoissante de vide et d’ennui où on se consumerait sans jamais disparaître tout à fait.
Un fardeau en fin de compte bien lourd à porter, non?

*

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Nouvelle: Séisme

Séismes

Clara et Simon se connaissaient depuis longtemps. Ils habitaient deux maisons contiguës dont les façades de pierre s’ouvraient sur la place triangulaire de Mont sur Roc ombrée de grands platanes.
Enfants, ils s’étaient peu côtoyés, Clara étant plus âgée de quelques années. A 20 ans, elle devint l’institutrice de l’école du petit bourg. Elle prit l’habitude, les soirs où la fraîcheur légèrement humide des arbres de la petite place estompait pour quelques heures la chaleur étouffante de l’été, de lire sur un banc un peu à l’écart et toujours inoccupé comme s’il lui était réservé. C’est là que Simon vint lui aussi s’asseoir, d’abord comme au hasard de ses promenades, puis presque chaque jour.
Bientôt, suspendant sa lecture, elle tourna de plus en plus lentement les pages de son livre pour finalement l’abandonner ouvert sur ses genoux, laissant les feuilles ondoyer librement sous la brise. Ils se sont découverts, d’abord avec étonnement, des sujets infinis de discussions, des rêves et des idéaux à partager. Elle l’aima d’un amour fou et lumineux qui transporte et dévaste, sans chercher à se protéger, sans crainte, comme une évidence qui s’imposait à elle.
Ils avaient en commun la folie des gens exaltés. Un jour, Simon pénétra en riant, tout habillé, dans la rivière, là où l’eau plus profonde se tord dangereusement et danse en tourbillon sous les grands arbres. Clara l’y avait suivi dans un emportement joyeux et alors que les remous la faisaient vaciller et l’enveloppaient dans leur creux, il l’avait secourue, répondant d’emblée à l’appel muet et confiant de ses yeux.
Elle vivait au jour le jour, sans souci du lendemain. Simon lui souriait et la regardait avec une tendresse un peu amusée, ce qu’elle n’osa pourtant prendre pour de l’amour. Son regard qui parfois semblait la traverser, se portant au-delà d’elle vers des horizons lointains et inconnus, étendait des ombres en son cœur et lui donnait de sourdes angoisses, la laissant enfermée en elle-même. Elle avait la sensation en ces moments que de noires araignées tissaient lentement leurs toiles dans sa tête.
Un certain été, Simon arriva de plus en plus souvent accompagné de Marie-Claire, la fille du châtelain déchu dont la demeure, grande bâtisse de briques rouges et blanches tombait mélancoliquement en ruines. Marie-Claire était sans aucun doute jolie, mais Clara souffrait de voir son ami suspendu aux lèvres peintes de cette fille superficielle qui n’aimait surtout qu’elle-même. Clara se taisait. Elle s’efforçait de se montrer toujours enjouée et légère lorsque Simon venait lui faire l’éloge de celle qu’il épousa quelque temps après.
C’est ainsi que Simon quitta le premier Mont sur Roc pour se fondre dans la grande ville. Ils entretinrent longtemps une correspondance régulière qui réchauffait le cœur de Clara. Le soir, quand elle s’allongeait dans le noir, son chat blotti contre son bras, et que le sommeil tardait à la prendre, elle se laissait aller au bonheur douloureux des souvenirs et à s’inventer une vie avec Simon. Au creux de la nuit, serrant un peu plus fort contre elle son chat qui gémissait doucement, elle sombrait dans les rêves comme un navire s’enfonce dans des eaux noires.
Puis les lettres se firent plus courtes, plus espacées et bientôt cessèrent. Elle aussi quitta le village. Elle avait fini par épouser le fils d’une amie de sa mère, beaucoup plus jeune et qui disait l’aimer depuis l’enfance, un garçon sage et honnête. Un fleuve tumultueux doit se jeter dans l’océan : c’est aux eaux dormantes d’un étang qu’elle mêlait ses impétuosités.
De cette morne union qui n’était pourtant pas malheureuse, elle eut une fille qui hérita de son caractère fougueux et partit vivre aux Etats-Unis dès ses études terminées.
Las de se heurter sans cesse à son regard où se lisaient de la tristesse, de la révolte et une volonté désespérée de rattraper des bonheurs perdus, c’est lui qui le premier parla de séparation.
Clara venait d’avoir 54 ans, elle avait derrière elle un passé fragmenté et inachevé et elle s’apprêtait à la solitude.
*
Clara est fatiguée. Sa fille Laure vient de la quitter, elle était venue fêter ses 60 ans. Elles éprouvent l’une pour l’autre une affection à la fois tendre et distante et leurs discussions passionnées s’achèvent souvent dans un retirement exacerbé de tout leur être. Laure est très libre, elle a des dizaines d’amis mais repousse toutes attaches et mène une carrière brillante aux Etats-Unis. Pourtant sa mère trouve navrant de ne pas la sentir plus heureuse et plus sincère. Sans doute y est-elle pour quelque chose, sa fille luttant de toute son âme à ne pas se laisser emprisonner dans la vie terne où elle a vu pendant toute son enfance sa mère se cogner comme un bel oiseau auquel on aurait coupé les ailes.
Clara s’étire lentement devant la fenêtre grande ouverte. Un vent frais pénètre dans sa chambre, faisant ondoyer les tentures; une brume diaphane montant de l’aube estompe les cimes des hauts sapins en bordure du parc. C’est le printemps, elle regarde l’envol des pigeons au-dessus des toits et s’emplit de l’air humide et parfumé apporté du lointain par les premières jacinthes. Vie plane, tranquille et sans surprise. Lassitude de tout ce qui est insuffisant.
Son stage d’aquarelles débute ce matin. Elle se secoue et se surprend à sourire, projetée dans le menu plaisir de noyer ses pinceaux dans les couleurs mêlées.
*
S’installant devant son chevalet, elle ne peut que deviner le visage de l’homme aux cheveux un peu longs et grisonnants qui se tient en face d’elle à contre-jour.
Un choc, brutal. Un tremblement saisit tout son être. Séisme dont le cœur est l’épicentre.
Leurs regards n’ont fait que s’effleurer, ils se sont reconnus dans un éblouissement. En un instant tout lui revient, un lancement douloureux serre sa gorge. Les longues promenades à vélo sur les chemins étroits courant entre les prés, les paroles et les rires s’envolant, légers, au-dessus de la rivière comme autant de scintillements dispersés sur l’eau verte, ses sourires gais et tendres qui lui laissaient dans ses yeux à elle des étoiles lumineuses.
Vies bouleversées, joies pleines. Ils se retrouvent comme si toutes les années passées s’étaient effacées d’un coup.
Il est veuf depuis 8 ans, elle est divorcée, aucun obstacle ne les séparera jamais plus.
Simon reprend, jusqu’à leur accomplissement, les gestes qu’il avait à peine ébauchés, elle lit dans ses yeux une tendresse et un besoin d’elle bouleversants.
Tu m’as tellement manqué, lui répète-t-il sans cesse, que de temps perdu. Oui, répond Clara éperdue, ma vie commence seulement, nous rattraperons tout ce temps, nous retrouverons tous les instants abandonnés.
Elle arrive toujours un peu en avance à leurs rendez-vous, un peu rouge, décoiffée, essoufflée, tant elle a le puéril besoin de le toucher, de frotter son nez contre le sien, de partager tous les élans qu’elle attendait il y a 40 ans.
Elle rajeunit, elle se sent belle de l’amour qu’elle donne et qu’elle reçoit. Elle qui ne s’habillait, par habitude ou négligence, que de teintes grises ou noires, se pare maintenant de couleurs gaies et vives comme pour crier son bonheur aux gens qui passent, au ciel et au vent. Quelquefois, lorsqu’elle se retrouve seule dans son petit appartement vieillot avec tous ses meubles, ses objets accumulés qui ne signifient rien pour elle mais font partie de son être depuis si longtemps, elle redevient pour un moment la dame digne aux cheveux déjà blancs et relevés en un petit chignon sage. Elle s’est inquiétée auprès de son médecin, tant ces émois et ces transports d’adolescente amoureuse lui paraissent démesurés.
Elle s’éveille chaque matin dans l’étonnement naïf du bonheur et des promesses à venir. Son existence décolorée s’égouttait lentement en perles pâles, s’épandant sans qu’elle y prenne garde, s’enlisait dans l’immobilité progressive des choses qui finissent, et la vie lui fait don d’un dernier cadeau. Elle émerge enfin de ce puits aux parois froides et lisses où elle s’était laissé glisser sans résistance. Une route lumineuse s’ouvre devant elle. L’horizon sombre cesse de se rapprocher, elle voit l’avenir comme un beau paysage avec ses étendues calmes et ses méandres mais toujours éblouissant.
*
Un jour, alors qu’ils étaient assis côte à côte, leurs mains se touchant, leurs lèvres se cherchant avec ardeur, elle s’enquiert entre deux baisers des causes du décès de sa femme, par prévenance et aussi parce qu’il ne lui en avait rien dit, petite phrase anodine, question distraite qui attendait à peine une réponse.
Mais les yeux de Simon se ternissent et la fuient, s’assombrissent comme si un orage recouvrait brusquement le bleu de ses prunelles et il lui répond évasivement, détournant le regard : elle est morte d’une maladie virale, brutale. Clara s’étonne, tant Marie-Claire représentait pour elle la femme éclatante de santé, solide à force de se préserver, dont toutes les demandes obtenaient des réponses.
Clara insiste, c’est son destin qui l’entraîne inexorablement, elle demande des détails et commence à s’alarmer, ressentant un raidissement dans la voix de Simon, une impatience à peine contenue. Elle pressent confusément qu’elle entrouvre une porte sur un néant inévitable et malgré le vertige qui la prend, ne peut se défendre de le questionner encore, elle perd pied. Il s’emmure, elle n’ose plus parler. Long moment où le temps est suspendu, où tout semble encore possible.
A bout de réticences, déchirant le silence opaque qui les assourdit, Simon la regardant de ses yeux bleu sombre lui lance avec une voix changée : je l’ai tuée; quatre coups de couteau alors qu’elle prenait son bain. On ne m’a jamais soupçonné, j’ai un alibi solide, ajoute- il encore. Elle n’en n’est pas sûre mais elle l’a entendu à ce moment ricaner.
D’abord elle ne dit rien, tout se fige, elle ne le croit pas, il plaisante. Le regard de Simon la détrompe. Aucune échappatoire.
Le sol se dérobe, un gouffre glacial s’ouvre devant elle l’engloutissant comme dans un tremblement de terre. Nouveau séisme, réplique violente, absurde et contrecarrant le premier.
Clara ne peut plus soutenir les yeux de Simon que les ombres ont quitté et qui la fixent maintenant d’un air désolé et aimant. Elle se lève brusquement et s’enfuit en courant, trébuchant à chaque pas. Elle étouffe, des sanglots lui nouent la gorge mais ce sont des pleurs de rage et de colère. Chaque respiration lui déchire péniblement les poumons.
Elle regrette de l’avoir retrouvé, le prix à payer est trop élevé. Elle menait une vie morne sans grande joie mais sans véritable douleur non plus, sauf la crainte lancinante et refoulée de vieillir seule.
Tout lui est ôté, tout lui est rendu. Il ne reste plus rien de son bonheur fou, sa petite existence étriquée d’avant lui est relancée au visage comme une gifle, avec le désespoir en plus.
Clara pense qu’elle avait pourtant vaguement ressenti chez Simon et enfoui au plus profond d’elle- même, certaines attitudes, une sorte de retrait de l’être, quelque chose de fuyant et de secret qu’elle ne lui connaissait pas. Mais elle avait surtout retrouvé malgré les années sa voix chaude et grave, un cœur battant au même rythme que le sien, la consanguinité d’esprits qui les avait rapprochés.
Mais Simon est devenu un monstre et ses sentiments pour lui sont intacts.
Clara marche à pas hésitants dans le parc dont les allées sablonneuses sont recouvertes de pétales roses et blancs. Les jacinthes et les jonquilles sont déjà fanées, laissant la place à de larges bordures de pensées violettes. Clara ne retient plus ses larmes et il lui semble que ces fleurs veloutées et si discrètes s’accordent à son âme et à sa petite existence dérisoire. Elle écoute quelques instants le chant monotone des tourterelles perchées tout en haut des arbres en pleine feuillaison. L’horizon s’obscurcit à l’ouest d’une traînée d’un noir délavé qui se fond dans le bleu transparent du ciel. Tout peut être si beau. Et si triste.
Elle s’est isolée chez elle, dans l’obscurité, l’esprit vide. Tout ce à quoi elle aspire, c’est dormir, s’enfoncer dans la nuit, se laisser emporter dans la vie imaginaire des rêves. La sonnerie du téléphone la réveille soudain, se prolonge, la pénétrant d’échardes douloureuses, puis s’interrompt enfin, comblant la chambre de silence. Plus tard, on frappe à sa porte, on insiste, son cœur se met à battre plus fort, à coups saccadés. Elle se lève, il faut faire face.
Simon est devant elle, pâle, les trais flous, le visage creux, comme rongé de l’intérieur. Je t’aime lui dit-il gravement, je n’ai qu’une chose à faire pour être digne de ton amour, je vais me dénoncer, j’expierai mon crime.
Elle tend la main et lui caresse doucement la joue. Jamais elle ne s’est sentie aussi triste, aussi démunie. Clara lui dit d’attendre, elle a besoin de rester seule, ils se retrouveront demain.
Elle éprouve à la fois une peur et un épuisement immenses. Jamais elle n’aura le courage de l’abandonner, de renoncer à lui. A quoi serviraient désormais sa bouche, ses bras, son cœur, son être ? Elle ressent aussi, à d’innombrables petits signes, qu’elle n’a plus beaucoup de temps; elle ne pourra pas attendre que se rouvrent les murs où Simon sera enfermé. Mais comment l’existence pourrait-elle continuer à s’écouler pour eux deux, avec l’horreur qui dressera toujours ses ombres funestes sur leur amour?
*
A la levée du jour, Clara est apaisée, elle est prête. Le printemps l’éclabousse à sa fenêtre des mille existences minuscules qu’il fait renaître. Le vent chasse d’indolents nuages, découvrant ça et là des éclats bleus lumineux.
Elle chantonne doucement en traversant les allées du parc saupoudrées de lumière dorée, lève son visage dévasté vers le ciel, les arbres en fleurs et les oiseaux. Clara va chercher Simon.
Ils demeurent longtemps côte à côte, elle a la tête un peu penchée sur lui qui l’enlace de son bras. Tout a été dit. Ils ont retrouvé Mont sur Roc. Contournant la petite place ensommeillée, ils s’éloignent silencieux dans les prés voilés de rosée, vers la rivière qui scintille.
Sur la berge d’où s’élèvent de longues écharpes de brumes ils se dévêtent et se tenant par la main, se dirigent lentement vers les tourbillons.
Tout est calme à présent. Ils ont arrêté de dériver d’un bord à l’autre de leur vie.
*
Martine Rouhart, 2009

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Dialogue sur l'amitié

De l’amitié: dialogue entre Nietzsche et Montaigne

J’ai rêvé d’une rencontre quelque part hors du temps, entre la Saxe et le Périgord, entre le 16è et le 19è siècle…, entre Friedrich Nietzsche et Michel Eyquem, seigneur de Montaigne;;;

Montaigne- Ce qui m’emplirait de plaisir, c’est de goûter un verre de vin rouge délicat et de belle couleur; non, donnez m’en une pleine carafe, « je me défens de la tempérance comme j’ai fait autrefois de la volupté. Elle me tire trop en arrière, et jusqu’à la stupidité ». Monsieur N, m’accompagnerez-vous ?

Nietzsche- Non merci, pas de ces sortes de drogues, « agents de la corruption », pour moi, je veux juste un grand verre d’eau pure. Vous vouliez me voir, mon cher, c’est bien parce que c’est vous, que j’ai accepté de renoncer un moment à ma solitude… C’est pour parler de philosophie je suppose ?
…Ah, de l’amitié ? Et bien, d’accord parlons-en, parler beaucoup est un bon moyen de se dissimuler…

M- Je vous dirai d’abord que par amitié, je ne parle pas de toutes ces accointances et familiarités ordinaires qu’on noue suivant les circonstances, mais j’entends par ce mot le mélange de deux âmes pour n’en former plus qu’une…

N- Permettez, je vous interromps tout de suite. La camaraderie, d’accord, cela existe, mais la véritable amitié ! !?

M- Il est vrai que c’est la chose la plus rare à trouver au monde, mais j’ai eu le bonheur dans ma vie de connaître cette sorte d’union divine. Une bien belle amitié, ayant si tard commencé et qui n’a pu durer bien longtemps. Je pleure encore la perte de cet ami ; depuis sa mort il me semble n’exister plus qu’à demi.

N- Moi aussi j’ai cru connaître cela un moment, avec un grand compositeur pour qui j’ai éprouvé une vénération dévorante lorsque j’étais jeune homme. Il était l’homme selon mon cœur… Mais j’ai été cruellement déçu, je me suis rendu compte qu’il ne s’intéressait qu’à ce qui pouvait le servir dans son œuvre et ce que je prenais pour une profonde amitié s’est rompu, nous sommes devenus étrangers l’un à l’autre, « tels deux vaisseaux dont chacun a son but et sa route tracée ». J’en ressens encore une telle souffrance que depuis j’ai préféré m’éloigner des hommes.

M-Je crois vous comprendre. Une amitié doit être réciproque et elle doit aussi être tout à fait désintéressée. Dans l’amitié, il ne peut y avoir d’affaires ou de commerce sauf d’elle-même…Entre de vrais amis, il faut ignorer l’envie, ce tombeau des sentiments, ainsi que bannir les mots que sont obligations, prière ou reconnaissance…

N-Ah oui, j’ajoute qu’« une âme délicate est gênée de savoir qu’on lui doit des remerciements, une âme grossière, de savoir qu’elle en doit »…

M- Et pour moi une amitié n’est vraiment parfaite et complète que lorsqu’entre les deux amis tout est commun, souhaits, pensées, jugements,…

N- Ah non là je vous arrête ! Si on veut un ami, il faut pouvoir s’y opposer, respecter l’ennemi jusque dans son ami ! On n’est au plus près de son cœur que si on lui résiste et il n’est pas d’amitié qui dure sans de grandes exigences! Il ne faut pas non plus vouloir partager avec lui tous ses tourments ! L’ami pour moi doit pouvoir deviner et se taire !

M- Mon Dieu ! Calmez-vous mon ami, pourquoi s’emporter, ne soyez pas si chagrin, on ne peut en effet être d’accord sur tout, n’est-ce pas?
Et puis il y a les femmes, Ah ah ! Que pensez-vous des amitiés avec les femmes ?

N- Diable ! Les femmes ! Il y a dans toute femme « un esclave et un tyran cachés », elles ne sont pas capables d’amitié et même en amour, elles prétendent faire « tous les sacrifices et rien à part cela n’a plus de valeur » pour elles !

M- Ah ah ! Je vous suis un peu sur ce sujet, les relations avec les femmes sont difficiles à classer. L’affection qui nous lie à elles a un caractère si ondoyant, brûlant, un feu de fièvre … Leur inconstance, leurs excès…

N-Oui, oui ! « Ne vaut-il pas mieux tomber entre les mains d’un assassin que dans les rêves d’une femme en chaleur ? »

M-Pour moi je vous avoue que leur commerce charmant m’est très agréable et même, étant d’un naturel bouillant, je le recherche. Mais, être amoureux de sa femme est un supplice autant qu’un péril !

*
Je laisse à nos deux compagnons la responsabilité de leurs errements sur les femmes…

Mais j’acquiesce assez à leur vision de l’amitié.
Une amitié parfaite, pour moi c’est une relation faite de partage, de confiance réciproque et de complicité. Une consanguinité d’esprit qui unit. La joie prodigieuse de savoir simplement que l’autre existe.
Aimer vraiment, c’est aussi préférer l’autre. Cela implique, quoi qu’il advienne, une part d’acceptation, de retrait de soi. Raréfier son être, tout en continuant d’exister pour l’autre et sans jamais renoncer complètement à sa propre liberté.

Martine ROUHART

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