Un peu trop de bit(e)
Dans le Discours amoureux, Roland Barthes se demandait pourquoi il était si peu question d’amour dans les romans actuels lus par l’intelligentsia alors qu’un romancier comme Stendhal par exemple considérait cette passion comme la « grande affaire » de sa vie, plus grande peut-être que l’idée fixe d’écrire un chef-d’œuvre. In fine, l’auteur du Degré zéro de l’écriture concluait que « l’obsession politique » avait remplacé celle de la poursuite insensée du bonheur par l’amour qui donnerait un sens au non-sens selon la morale des époques incertaines. L’histoire d’amour avait été reléguée au rang de motif ou de thème, ou pour le dire en terme plus cynique, de fonds de commerce exploité par ces romans grand public au titre doucereux que la critique dédaigne mais que le public plébiscite. Mais aujourd’hui, puisque la politique n’est plus le discours dominant qu’il était, comment expliquer que le roman dans son ensemble ait renoncé à redevenir la science des affects alors que le concert ne risque plus d’être troublé par les coups de pistolets de la triste politique ou par les cris de la rage impuissante des indignés ? Il arrive encore qu’une romancière comme Marie Darrieussecq par exemple parle un peu des premiers émois sensuels ou expériences sexuelles de ses personnages féminins, qu’elle rapporte d’ailleurs si crûment qu’ils prennent un caractère sordide un peu kitsch qu’ils n’ont pas toujours, dans des scènes souvent placées abruptement au tout début du récit, in media res, pour accrocher le lecteur dès l’incipit (procédé employé aussi par Dimitri Bortnikov dans Repas de morts qui commence par un scène de masturbation) et exciter son dégoût ou son penchant, c’est selon, pour le trashy (pour le tragique on repassera). Le vernis de la pseudo-novation stylistique peine pourtant à rajeunir de si vieilles rengaines malgré leur piquant intrinsèque, malgré la verdeur du lexique (pas une page voire pour certaines pas un paragraphe sans le mot « bite », cette répétition produit un effet de saturation comme on dit dans la publicité), malgré l’absence de discours psychologisant. Pour Marie Darrieussecq en effet, il n’y a sans doute rien de si nouveau à dire sur l’homme et sa psyché depuis le passage de Freud ou Lacan pour qu’un romancier aille s’arroger un peu imprudemment comme au temps de Balzac une compétence de psychologue surtout quand on est déjà soi-même psychanalyste… et qu’on tient au partage des savoirs : car finalement n’est-il pas un peu incongru pour un auteur de disserter sur les motivations embrouillées de ses personnages ? Quelle valeur le lecteur peut-il donner à ces développements, à ces analyses, à ces dissections du « cœur humain » à l’ancienne ? Toutes ces questions n’ont pas arrêté Stéphane Chasteller, auteur d’un premier roman singulier intitulé Terre promise.
Dans une langue impeccable et dans une syntaxe irréprochable, sur un ton plaisant, avec un brin d’ironie, et aussi avec un certain talent (mot galvaudé mais il n’y en a pas d’autres pour qualifier un complexe de qualité d’expression et d’originalité), il déroule la très vieille histoire de la recherche de l’autre à travers l’itinéraire d’un personnage qui court après les ombres de son rêve et cela jusqu’aux dernières conséquences.
Clèves, Marie Darrieussecq, POL, 352 p., 19 €
Terre promise, Stéphane Chasteller, Edition Embrasure, 158 p., 16 €