Statistiques google analytics du réseau arts et lettres: 8 403 746 pages vues depuis Le 10 octobre 2009

Publications de Robert Paul (1964)

Trier par

12272719468?profile=original12272719497?profile=original

Une collection vivante et militante…

Le Musée du Livre Belge de Langue Française

Les collectionneurs se divisent en deux races particulières : ceux qui cachent leur collection et ceux qui la montrent. Le bibliophile nommé Robert Paul est de la deuxième, mais encore un peu plus rare : il est de ceux qui, non contents de montrer leur collection, désirent qu’elle soit utile au plus grand nombre.

Il a commencé par prêter de ses précieux livres. Par exemple ses Verhaeren à la Fondation  Brel. Puis, presque tous au Comité Littéraire Jeune Belgique de Michel Siraut pour une grande exposition de collections privées organisée sous le titre « Cent ans de littérature belge 1880-1980 au travers de belles et rares éditions », organisée au Pré aux Sources de Bernard Gilson.

Cela n’a pas suffi à notre collectionneur.

 

Une définition en forme d’art de vivre

Robert PAUL, sans préparation préalable, s’st senti attiré par les éditions rares et si souvent belles des écrivains classiques de notre pays. Ce n’était pas le créneau le plus facile. Il dut se plonger dans les poussières des arrière-boutiques, mais eut la chance de rencontrer des libraires éclairés comme De Greef, Ferraton ou Schwilden par exemple, vite devenus des amis. Il réunit des éditions de luxe, mais seulement les grands noms, les grandes œuvres et seulement si c’était possible les beaux papiers, les grands papiers, les dédicaces, les illustrations…

Et Robert PAUL découvrit quelque chose à quoi il ne s’attendait pas du tout, ou très peu : étant non seulement un collectionneur et un lecteur passionné, il découvrit ce que les histoires des lettres belges cachaient souvent sous des listes de noms anonymes : que notre littérature de langue française était une grande littérature et non un petit appendice des lettres françaises.

 

Naissance d’un Musée

Il voulut aller plus loin encore, n’étant jamais satisfait de l’étape parcourue. C’est un homme qui pense constamment aux étapes suivantes. Il vit, comme je dis souvent « un peu penché en avant ». Il ne lui suffisait plus que sa collection passive soit devenue vivante. Il pensa à une permanence. Il se mit à chercher un local où il pourrait montrer les livres ouverts, fermés, commentés, illustrations mises en valeur, rareté à découvrir toujours plus. Par exemple il avait un prodigieux coup de cœur pour Max ELSKAMP, grand poète, mais aussi artisan et illustrateur extraordinaire, qui avait produit de petits livres précieux, tirés à petit nombre d’exemplaires avec une souveraine qualité. Robert PAUL était malade à l’idée de ne les prêter que de loin en loin, et même avec la crainte de les voir revenir malgré tout abîmés. Car il est un collectionneur comme les autres malgré son désir de montrer ses pièces : précieux, maniaque dans le bon sens du terme, et de surcroît clairvoyant, conscient que rares sont les personnes aussi soigneuses que lui.

De là à songer à rendre sa collection permanente, il n’y avait qu’un pas vite franchi : un musée, ce serait un musée. Il chercha en ce sens et découvrit, au niveau -1 du Centre Manhattant, place Rogier, une longue vitine prête à accueillir des présentoirs et une galerie suffisante à l’arrière pour le reste  des collections. Il y avait meme, comme dit Robert PAUL, un autre espace, en face du premier, pour un éventuel musée… des lettres belges de langue néerlandaise !

On attendait, on attend encore les amateurs !

Pour le Musée francophone, aussitôt dit, aussitôt fait : création d’une asbl, travail en solitaire de mise en place et, comme l’habitude est prise, présence un peu partout et nouvelles recherches de livres qu’il n’aurait pas encore.

Très vite l’importance de ce petit et modeste musée n’échappa à personne. Les visites se firent de plus en plus nombreuses et parfois inattendues : un homme qui observe longuement les livres, visiblement attentif aux détails, une dame très chic passant, revenant puis se déclarant, le signataire de ce papier, animateur d’un Groupe de Réflexion et d’Information Littéraires, et une responsable de la très sélecte Société des Bibliophiles, cercle très fermé, très sévère, où Rober Paul se retrouva sans coup férir. Et l’action continue, Promotion des Lettres Belges, éditeurs de haute qualité tels que Jacques Antoine, le Daily Bul ou Roger Foulon, qui produisent du livre de beauté et aiment les lettres belges.

 

Une étape suivante

L’étape était à peine franchie que ces contacts dont je viens de parler orientent notre promoteur vers une idée nouvelle, qui n’est en fait qu’une extension de l’idée de départ.

Une grande littérature comme la littérature belge ne peut s’être arrêtée soudain à l’aube du XXe siècle. Il faut par conséquent voir plus avant, étendre la collection vers les livres et les auteurs qui seront plus tard, dans de nombreuses années, devenus eux-même des classiques. Ceux qui seront étudiés par les étudiants et les chercheurs du XXIe siècle.

A peine l’idée l’at-elle effleuré que Robert Paul est sur la brèche, il se répand parmi les éditeurs, la Foire du Livre lui done une occasion de plus de connaître, d’apprendre. Et de rendre son musée encore plus militant.

 

A la découverte de l’avenir

Un homme qui lit ne termine jamais d’apprendre. Il est un oeil et un esprit ouverts sur ce qui se passe et ce qui va se passer dans le monde… Et la littérature belge, dès à présent, doit déjà beaucoup à Robert PAUL. On se souvient du Musée du Livre, aujourd’hui disparu et qui avait été, sous la houlette de grands amateurs et écrivains de notre pays et avec le patronage du Roi Albert, une passionnante aventure dans ce que d’aucuns appellent une Béotie. La relève est aujourd’hui assurée et la preuve est faite que même sans moyens ni subventions au départ, un simple collectionneur privé peut faire beaucoup avec du dynamisme, de l’enthousiasme et une idée.

Reviendrons-nous au temps béni des hommes de bonne volonté ? Ou même de ces humanistes souvent pauvres, mais admirablement motivés, qui ont fait la grandeur de la culture européenne ?

Voir aussi: A propos de Robert Paul

Voir aussi article lié de La libre Belgique sur le Musée du livre belge

 

Lire la suite...

Prototype d’Atelier pédagogique artistique

« À Fleurs de Mots et  Voix au Chapitre »

 

Initiation à « La Flore dans l’Art et l’Histoire »

 

Par Valériane d’Alizée,

 

Créateur-Passeur de Verbes et d’Arts

 

Rencontres naturalistes déclinées au rythme du calendrier :

 

(Écrit et Oralité

Vers et Prose)

 

Animations pour de « jeunes graines en germination »

(Enfants de 8 à 10 ans)

 

Canevas du déroulement d’un cours

(adapté sur mesure, selon le potentiel, la réceptivité des élèves[1])

 

Modèle de Cycle :

 

Hommage à l’Arbre

ce « géant » majestueux dont la cime se plait « à tutoyer l’azur »

 et qui survit à l’Homme :

 

« Peinture » effectuée à l’aide de « la plume et du pinceau »

(Palette d’artistes faisant partie du patrimoine d’antan et vivant, pictural et littéraire)

 

I)            « Portrait » du Chêne :

de sa pleine efflorescence à sa disparition naturelle voire tourment programmé…

  • ou

 

L’Arbre de Jupiter sous la saison automnale

 

 

 

En Prologue :

 

  • Identification visuelle de l’essence botanique élue, ce feuillu à la verdoyante feuillaison caduque : courte présentation du « Quercus » notamment l’un des plus répandus sur le continent européen : le Chêne commun dit pédonculé, dénommé en latin, la langue des végétaux que l’humoriste Alphonse Karr disait « barbare »[2], Quercus pedunculata ou Quercus robur
  • Résumé sur son appartenance « généalogique » (famille botanique des Fagacées), son étymologie et origine, odyssée historique incluant également ses légendes et traditions mythologiques ainsi que chrétiennes, son apport fondamental pour l’équilibre de la biodiversité, sa présence au sein des beaux arts, de la littérature, sans omettre sa place au cœur de la chanson…

Acte I

a)

  • Mise en bouche vocale à voix haute des œuvres au programme (soit sous forme de poème, soit de prose) « autrement dites » par l’intervenante, soit, de manière artistique, commentées en un second temps à son auditoire de manière vivante.
  • Mise en relief de la beauté des sonorités des mots, de la musicalité et de la cadence des vers ou d’une prose poétique, éclairage sur le sens du vocable ainsi que la stylistique des poésies appréhendées, leurs métaphores devenant images parlantes, dans le dessein de les rendre intelligibles et donc de « colorer », de nourrir de l’intérieur ce langage, expressions usitées caractéristiques d’une époque mais aussi propres à l’auteur, ce « Poémier » véritable « Arbre à Poèmes » suivant une formule de Paul Fort[3]
  • Éveil à l’interprétation grâce à la technique vocale, respiration, articulation, rythme, inflexion, ré-accentuation et autres principes de diction favorisant le « jeu-je » appropriation de la pièce présentée :

b)

  • En ouverture, travail de base fondé sur le Chêne et le Roseau de Jean de la Fontaine, (Fable XXII du Livre Premier), ses correspondances antiques et modernes : filiation et legs, d’Ésope et Aphtonius à Isaac de Benserade puis à Jean Anouilh, sans omettre le texte signé de Georges Brassens nommé « Le grand chêne » faisant référence à la source de La Fontaine.
  • Toujours après avoir donné en audition la fable précitée, accompagnée des textes en lien, échange avec quelques apprenants en toute équité, qui, à tour de rôle s’exerceront au « bien dire », au plaisir de restituer par la parole, la saveur des mots-émaux issus des vers du maitre des Eaux et Forêts de Château-Thierry, tout en étant à l’écoute de leur propre sensation, sinon émotion de sensitif en germination…

Pratique que ces derniers réitéreront en deuxième partie de l’Atelier, concernant le texte principal exploré…

 

 

Le Chêne et le Roseau de  Jules Louis Philippe Coignet,

(milieu XIXème Siècle)

 

(Pause de dix minutes environ, proposée aux Enfants)

 

Acte II

Intermède enluminé :

 

  • Précédant l’étude du motif central, l’instant de la reprise est à une respiration picturale proposant un échantillon de tableaux de Maitres tels que ceux de Gustave Courbet, Odilon Redon, Vincent Van Gogh, Egon Schiele, René Magritte ayant immortalisé notre géant pour la postérité, et de temps à autre, mise en miroir de la création d’un poète avec celle d’un peintre, parfois ami ; exemple d’ « Affinités électives » : la relation entre Émile Verhaeren et Henri Edmond Charles Cross, Charles Baudelaire critique d’art, inconditionnel « supportant » la production d’Eugène Delacroix, Camille Corot …
  • Dialogue autour du ressenti des enfants, vision laissant parler leurs perceptions sensorielles, privilégiant l’Affect, et non exclusivement l’Intellect…

 

Métamorphose automnale :

  • ou quand le protagoniste de l’histoire se défait de son habit émeraude

 

  • Après avoir revêtu une chaude parure mordorée, rougeoyé de mille feux pour le plaisir des prunelles humaines qui savent le contempler et ne pas passer à côté de lui en indifférent, le « regardant » sans le « voir », le Chêne doté d’une feuillée non persistante,

est voué de façon immuable à perdre sa toison, puis à s’endormir afin de se ressourcer, jouant en cela à la « belle au bois dormant », dans le dessein de rejaillir, gorgé de sève, soit, de reverdir à la saison nouvelle…

 

 

Paysage d'Automne de Vincent Van Gogh

(1853-1890)

 

  • Correspondance allégorique des quatre saisons, fille de Natura, elle-même engendrée par Gaïa, la Terre, notre mère nourricière, avec les quatre âges de l’existence humaine, l’Automne équivalent au troisième moment clé de son cheminement, c'est-à-dire sa pleine maturation annonciatrice des rigueurs de l’hiver-vieillesse …
  • Lecture à voix haute sur un mode majeur proche du récital chargée de mettre en valeur le sujet principal de cette rencontre naturaliste par l’animatrice artistique, semblable à la pièce poétique « Matin d’Octobre [4]» de François Coppée (1842-1908) dont le principal enjeu représente la restitution de l’atmosphère du tableau dépeinte grâce à l’imagier-poète par le biais de son sonnet.

 

Modèle servant d’inspiration, de sensibilisation à nos frais bourgeons en germination qui s’empareront tour à tour de la voix orphique, via l’œuvre dévoilée, au vu et au su de leurs camarades de l’assemblée, cependant que chacun d’entre-eux aura le loisir, cela va sans dire, de s’interroger en verbalisant librement leur réflexion.

 

Acte III

 

  • Pour clore en beauté ce cours porteur d’un thème inédit, incitation faite aux enfants afin de recueillir leurs impressions de la thématique naturaliste déployée au sein de cet atelier, les conviant à transcrire au moyen de l’écriture sous forme de prose, les sentiments qui les traversent, du moins l’empreinte que la « substantifique moelle » émanant de la langue « entendue » au sens littéral du terme, leur laisse, confiant au papier le fruit de leur perception, également teintée de leur imaginaire, en « apprivoisant » non plus l’élocution mais l’expression écrite propre à leur tempérament…

 

Notes :

 

Nous nous permettons d’attirer l’attention sur le fait que cet atelier n’a pas pour vocation de se montrer contraignant envers des enfants qui sont déjà fort sollicités au quotidien dans leur vie et apprentissage scolaire, mais a, autant que faire se peut, pour objectif premier, de délivrer un message artistique avec entrain, afin que prédomine une atmosphère où le plaisir serait roi, avec en filigrane, et ce, in fine, l’ambition de les sensibiliser à l’univers créatif lié au règne de la Nature, participant de ce fait, à la pleine effloraison de leur personnalité en construction, en faisant montre à leur égard de Sapientia, selon le précepte philosophique de Roland Barthes[5] :

« Nul pouvoir, un peu de sagesse, un peu de savoir, et le plus de saveur possible. »

Concourir à susciter de l’émotion, sollicitant « les jeunes pousses » dans le dessein qu’ils coopèrent pour être davantage à l’écoute de leurs sens, plus qu’en faveur d’un esprit purement cérébral, voilà une discrimination positive vers laquelle nous tendons…

En tant que « Passeur de Verbes et d’Arts », nous formulons donc nos vœux les plus florissants afin que notre intervention revête l’une des significations que nous lui attribuons en toute humilité, soit, la valeur d’un apport  « thérapeutique »…

 Hymne à une noble essence à « la Multiple splendeur » :

l'Arbre,

Témoin séculaire de la courte existence des hommes

 

« Le vent se lève !...

Il faut tenter de vivre !... »

Paul Valéry

 

Arbre, mon modèle, arbre mon ami, tandis que la destinée éphémère de l'espèce humaine s'effeuille jour après jour et que cette dernière, arrogante, oublieuse de son statut précaire, joue à l'invincible, s'ingéniant à retarder le moment où elle s'éclipsera, tu perdures à imposer ta « force souveraine aux plaines »[6], enluminant coteaux et vallées, monts et bois, taillis et tertres mûrissants ronsardisants ...

Alors que nous autres Hominiens, appartenant à une race soi disant supérieure, dirigeons nos pas, dès notre naissance, tel un sablier, vers l'inéluctable proche, cheminement auquel nous ne pouvons nous soustraire… impassible, faisant montre d'un stoïcisme exemplaire hors du commun, même au cœur de la tempête la plus redoutable, dont tu ne ressors pas toujours indemne, hélas, puisque en ces instants de tragédie, nous pouvons t’entendre gémir, tu perdures dans ta mission d'élévation, indifférent à notre sort de fragiles créatures lilliputiennes.

Mais qui oserait t'en blâmer ?

Ainsi, ne pouvant comparer le moins du monde ton histoire à celle de l'homme, ce mortel au court séjour terrestre se berçant parfois d'illusions, homme, la tragique incarnation de ton prédateur le plus redoutable, tu persévères au cours d'une lente croissance, de tes nervures, à étoffer ta « vie ardente »[7], pour que certains bourreaux dictateurs s'arrogent, sans autre forme de procès, leur sentence de vie ou de mort sur les quatre règnes, végétal, minéral, animal et humain, jugeant opportun de l'interrompre, et ce, n'écoutant que leur bon plaisir !

Or, ne sembles tu pas, incomparable allié du genre « bipède », vouloir nous délivrer un message essentiel, celui de l'opiniâtreté, nous incitant à relever les défis, quelque en soit la complexité ? Et de ta « multiple splendeur » selon une formule du poète te célébrant avec la flamme lyrique de sa plume incandescente, soit de tes ramures caduques, verdoyant à nouveau, tel le Phénix renaissant de ses cendres, sous l’égide de Primavera, qui, en Avril daigne te couvrir

de plusieurs fils,  soit de tes ramées persistantes chlorophylliennes, puisant leur énergie substantielle fertile, bref, de ta souche enracinée dans des profondeurs abyssales de Gaïa, notre mère nourricière à tous, ne nous parles tu pas cette langue imagée, aux antipodes de la langue de bois[8], un blasphème à l’endroit  de ceux qui sont entrés en religion pour toi, si l’on adhère à l’idéologie nougaresque et néanmoins fort prisée de nombre de politiciens ?

Ne nous traces-tu point la voie de la sagesse, éminent philosophe, que nous ne percevons guère, de ta cime cherchant à s'évader des contingences bassement prosaïques pour aller courtiser la nue, comme si tu songeais à conter fleurette, toi le Magnifique, au firmament peuplé d’étoiles ?

 

 

Paysage de Louis Janmot

(1814-1892)

 

Quête d'altitude, de sommets que nous ne pourrons jamais prétendre atteindre, nous, autres terriens dépourvus d’ailes, d’élancement, qui sommes ancrés dans ce monde trivial, si fréquemment violent et cruel, cependant que nous ne cesserons ad vitam aeternam d'aspirer à nous en échapper, spirituellement s’entend,  afin de « tutoyer l'azur » à la manière de la palette de ce peintre annonciateur de l'Impressionnisme, épris de traduire en précurseur, les accordailles des éléments, «simples beautés de la nature »[9], et dont Camille Corot devait faire l’éloge, décernant à son cadet pour la postérité, la charge de « seigneur de la voûte céleste » [10], tandis que son coreligionnaire, Gustave Courbet, l’adoubait du titre de « Séraphin »[11] !

 « L'arbre, c'est la puissance qui, lentement, épouse le ciel » professait le Père de « Terre des hommes »[12].

Figure riche d'idéaux, aimant à gagner les hauteurs afin de fendre les airs et de repousser, sinon de transcender ses propres limites, qui avait lui aussi, conscience de ta valeur, de ton rôle appelé à nouer un sublime trait d'union avec Ouranos, « souverain roi» du « Règne végétal », revêtu d’une parure émeraude, lorsque, à l’acmé de ton rayonnement, tu fais chanter tes frondaisons au son de la harpe du Dieu Éole !

Certes, à condition que nous t’en offrions le loisir, qu'une pléthore de profiteurs inconséquents, nuisibles d’entre les nuisibles, relevant d'une humanité inhumaine exploitant à l'infini tes ressources, qu'ils s'imaginent inépuisables, cher confident, à l’écoute des complaintes de «Monsieur le Vent et Madame la Pluie »[13], modifient radicalement leurs conduites suicidaires, qui plus est, comportements de drôles, de fieffés coquins, synonymes de massacres criminels !!!

 

 

Le chêne aux corbeaux de David Caspard Friedrich

(1774-1840)

Gageons que nos civilisations dites modernes, ne semblant guère, pour lors, cultiver l’antique Sophia des Grecs, sauront se ressaisir avant l'inexorable : l'heure fatidique sonnant le glas de la disparition de tant d'essences botaniques, à l'instar de l’un des membres de ta fratrie d’envergure, aujourd’hui éteint, l'orme…

 

 

Texte de  Valériane d'Alizée,

« Hymne  à l’Arbre » dédié à Rebecca Terniak,

l’âme-fleur des Éditions « la Lyre d’Alyzé »

 Le 23 Janvier 2012,

Légèrement retouché le 11 Avril 2013

© Tous droits de reproduction et de diffusion réservés

 

 

 

L’Arbre (sans doute un Chêne)

de René Magritte

(1898-1967)



[1] : Intervention artistique s’adressant dans l’idéal pour un ensemble de 12 à 15 élèves, groupe pouvant être élargi dans le cadre du milieu scolaire avec si possible, aide à la clé et dont la durée est modulable, restant à définir selon les desiderata des lieux et structures…

 

[2] : Expression employée par Alphonse Karr au sujet de la langue latine servant à la classification des espèces botaniques, au sein de son introduction du fameux ouvrage « Les Fleurs Animées De J. J. Grandville », 1867, Garnier Frères, Libraires-Éditeurs, et dont la citation savoureuse dans son entièreté est la suivante : « Il y a plusieurs manières d'aimer les fleurs. Les savants les aplatissent, les dessèchent et les enterrent dans des cimetières nommés herbiers, puis ils mettent au-dessous de prétentieuses épitaphes en langage barbare. »

[3] : Citation empreinte de métaphore extraite d’une Ballade Française de Paul Fort dont l’intégralité du texte est lisible en suivant ce lien : http://versautomnal.over-blog.com/article-5626940.html

 

[4] : Voir lien pour la poésie : http://www.unjourunpoeme.fr/poeme/matin-doctobre

 

[5] : Citation extraite de la «Leçon inaugurale au Collège de France » de Roland Barthes que nous restituons ici dans son intégralité : « Si je veux vivre, je dois oublier que mon corps est historique, je dois me jeter dans l'illusion que je suis contemporain des jeunes corps présents, et non de mon propre corps passé. Bref, périodiquement je dois renaître, me faire plus jeune que je ne suis. [...] J'entreprends de me laisser porter par la force de toute vie vivante : l'oubli. Il est un âge où l'on enseigne ce que l'on sait; mais il en vient aussi un autre où l'on enseigne ce que l'on ne sait pas : cela s'appelle chercher. Vient peut-être maintenant l'âge d'une autre expérience : celle de désapprendre, de laisser travailler le remaniement imprévisible que l'oubli impose à la sédimentation des savoirs, des cultures, des croyances que l'on a traversés. Cette expérience a, je crois, un nom illustre et démodé, que j'oserai prendre ici sans complexe, au carrefour même de son étymologie : Sapientia. Nul pouvoir, un peu de savoir, un peu de sagesse, et le plus de saveur possible. »

 

[6] :Emprunt poétique d’un vers d’Émile Verhaeren intitulé tout simplement « l’Arb

Lire la suite...

Hommage de Norge

 

 

Elskamp de bois

 

« J’ai triste d’une ville en bois,

J’ai mal à mes sabots de bois »

(Max Elskamp)

 

 

Le petit bonhomme de bois

Dans sa chair taille un poème

Et sa chair est aux abois,

Cet arbre doux, ce bon chêne,

Ce lisse pommier, donneur

De rondes pommes amènes

Est une pulpe souffrante.

Ah, le bois taillé de main

Ferme saigne quand il chante !

Une sève de carmin

Colore toute l’image

Où le monde est engravé.

Et le savent à douleur

Ceux de dur et franc lignage,

Sans Pater et sans Ave,

Que rouge est couleur du cœur.

Et lors, grands âges qui vibrent :

Un petit homme benoît

Pénètre d’amour pour toi,

Pour moi,

Tant la rime que la fibre.

O petit homme de bois

De foi,

O petit homme de croix

De bois.

 

Norge

 

 

 

Hommage de Marie Gevers :

 

Max Elskamp

Naissance : 5 mai 1862. Mort : 10 décembre 1931 .

Centenaire : 5 Mai 1962.

 

 

Le jour de la naissance.

 

Max Elskamp pensait-il au jour de son centenaire en publiant l’un de ses principaux recueils de poèmes : « Enluminures » ? Il n’avait alors que trente-six ans… Les premiers vers sont émouvants à citer aujourd’hui :

 

Ici, c’est un vieil homme de cent ans

Qui dit, selon la chair, Flandre et le sang :

Souvenez-vous en, souvenez-vous en,

En ouvrant son cœur de ses doigts tremblants.

 

Toujours, nous retrouverons son cœur dans ses poèmes à la fois tendres, discrets, intenses, réservés, douloureux et d’une valeur poétique et littéraire absolue.

S’il parle de ses cent ans dès 1898, i chantera sa naissance bien plus tard, en 1922, déjà touché alors par la maladie qui devait peu à peu l’étreindre, puis l’éteindre. Néanmoins, dans « La Chanson de la Rue Saint-Paul », il s’écrie qu’il est né à la marée haute, sur le ton joyeux dont on dirait : « Je suis né coiffé ! »

 

C’est ta rue Saint-Paul

Celle où tu es né

Un matin de mai

A la marée haute !

 

Pour pouvoir évoquer avec précision, aujourd’hui, en souvenir du poète, son jour de naissance, je me suis adressée au savant météorologue « Star », qui a bien voulu me donner les indications nécessaires :

La marée haute natale de Max Elskamp, le 5 mai 1862, eut lieu à 8.06h. Les gens qui n’ont jamais vécu au bord d’un fleuve soumis à la marée ignorent ce que signifient ces mots « Marée haute ! ». Certes, il y a de l’inquiétude, les jours de gros temps où la poussée de l’eau menace, mais que d’allégresse par les jours ensoleillés d’azur !. Le ciel se berce largement à fleur des rives, le clapotis anime les pierres des quais et une activité règne au port. A la marée haute, les sirènes mugissent ou sifflent, car les bateaux chargés se confient au courant qui les entraînera vers l’estuaire, tandis que les navires amenés par le flot attachent les amarres et jettent l’ancre.

Or, en 1862, le mois de mai fut l’un des plus beaux du siècle et, les 5 et 6 mai, les plus chauds du mois. Toute l’œuvre du poète sera sillonnée de navires, de matelots, de nostalgie maritime, et soulevée par le désir de la mer.

M. Louis, Jean, François Elskamp, propriétaire d’un brick nommé l’Ortélius et d’un trois-mâts carré baptisé « Le Louis », fut le père de Max et l’un des notables de la rue Saint-Paul. Nous aimons à croire que l’un de ses deux vaisseaux, quittant le quai, vogua vers sa destination maritime au moment om l’enfant commençait son voyage sur l’océan des jours.

Le voisinage apprit vite que la jeune dame Elskamp venait de mettre au monde un fils, mais nul ne se doutait que l’enfant serait poète. Cependant, Elskamp lui-même pensait que –peut-être- la poésie s’était emparée de lui dès avant sa naissance. Il nous suggère cette idée dans l’une de ses chansons :

 

Un pauvre homme est entré chez moi

Pour des chansons qu’il venait vendredi Comme Pâques chantait en Flandre

Et mille oiseaux doux à entendre,

Un pauvre homme a chanté chez moi.

 

Si humblement, que c’était moi

Pour les refrains et les paroles

A tous et toutes bénévoles,

Si humblement que c’était moi,

Selon mon cœur, comme ma foi.

 

Ainsi Elskamp s’identifiait-il à l’Homme aux Chansons, venu dès Pâques, célébré le 20 Avril de celle année-là. Son poème « A ma mère » confirme qu’il croit devoir sa plus intime sensibilité et ses dons poétiques à l’amour de sa mère :

 

O Claire, Suzanne, Adolphine,

Ma mère qui m’étiez divine

 

Comme les Maries et qu’enfant,

J’adorais dès le matin blanc…

 

 

C’est ta rue Saint-Paul

Blanche comme un pôle…

 

Le soleil reluisait à toutes les façades repeintes à neuf dès le début du printemps, comme il se devait dans une rue « Dévote, marchande –Trafiquante et gaie, Blanche de servantes- Dès le jour monté. » Cette rue, orientée du sud-est au nord-ouest, court droit sur le fleuve. Les matinées y sont donc triomphantes de lumière et nous devinons ce que fut le premier baiser de la jeune mère à son nouveau-né, en ce beau matin clair :

 

« O ma mère, avec vos yeux bleus,

Que je regardais comme cieux,

Penchés sur moi tout de tendresse… »

 

Le soleil monta, évoluant dans le plus merveilleux des azurs : celui du printemps, près d’une grande eau mouvante.

Ce jour-là, le vent venait du côté du fleuve. Il entrait librement et caressait d’une souple haleine les maisons de la rue Saint-Paul. Elskamp s’est toujours souvenu de l’air que l’on y respirait, aux temps de son enfance :

« Maritime en tout – L’air qu’on y boit – Sent avec la mer – Le poisson sauré… »

Ensuite, le soleil fléchit en direction des polders de la rive d’en face. Les transbordeurs allaient, venaient, sans cesse, battant des aubes pour faire passer le fleuve aux gens qui, journée finie, rentraient au logis. La nouvelle marée monta. Elle fut haute à 20.15 h. Ramenait-elle au port l’Ortélius ou Le Louis ? Qui le dira ? Mais nous savons que la première nuit du poète se glissa doucement dans « sa rue bien-aimée ». Il dormait, dans son berceau fanfreluché, près de sa mère. « O ma mère, dans mon enfance, - J’étais en vous et vous en moi ».

Dans son recueil : « Dominical » Max Elskamp se présente « avec les enfants du dimanche ». Sans doute eût-il préféré naître « un dimanche à midi », comme Mélisande ? Mais c’était un lundi –jour de la lune- et la lune est bonne aux poètes. Celle du 5 mai 1862 (premier quartier le 6) ne se couchera qu’après minuit. Elle entrera du côté du fleuve, comme le vent et le parfum de l’eau, elle aura eu tout le temps de baigner de rêve la maison de la rue Saint-Paul. C’est à elle sans doute que Max Elskamp doit d’avoir connu l’illusion, Maya :

 

Maya, l’illusion,

Vous ai-je assez aimée ?

 

 

La lettre à Van Bever

 

L’influence de la rue Saint-Paul occupe vraiment toute l’œuvre de Max Elskamp. Il le sait. Il l’écrit dans une lettre très importante pour lui, puisqu’elle est destinée à préciser son travail et son inspiration en vue de la fameuse Anthologie de Van Bever et Léautaud.

 

(Date de la poste : 20 juin 1907)

« Je crois que j’ai été très influencé par ces choses qui datent de ma petite enfance. Après la vie m’a pris, plus neutre, me semble-t-il, et à part la pratique des métiers, et ce qui touche à l’âme traditionnelle du peuple, peu de choses ont réagi sur moi. »

Sa mère tant aimée n’a pu lui donner l’âme traditionnelle du peuple de la rue Saint_paul, car elle venait d’ailleurs :

O Claire, Suzanne Adolphine – O ma mère des Ecaussines, mais il lui doit la sensibilité nécessaire à l’avoir ressentie, comprise, assimilée. Il a pu en nourrir sa poésie, au point d’être parvenu à lui donner une langue différente de celle que lui offrait la rue Saint-Paul. Je crois d’ailleurs qu’une telle métamorphose fut favorable à la magie si particulière à l’œuvre de Max Elskamp.

L’âme traditionnelle du peuple, le poète ne peut l’avoir reçue que des servantes. A cette époque, et dans toute la bourgeoisie, les enfants étaient, presque totalement, élevés par les servantes. Elskamp s’en souvient : « Bonne nuit, les hommes, les femmes  -bras en croix sur le cœur ou l’âme  - et rêve aux doigts en bleu et blanc – les servantes près des enfants ».

Retrouver comptines, proverbes, locutions originaires de la rue Saint-Paul, dans les poèmes d’Elskamp formerait l’élément d’une étude bien intéressante. De la nourrice de Juliette aux servantes, qui scandaient pour Max Elskamp l’histoire d’Anna-la-lune, en passant par celles dont Chateaubriand nous donne le souvenir dans les « M »moires d’Outre-tombe », que de vigueur, que de poésie leur ont dû nombre de grands écrivains !

Elskamp a reçu du petit peuple de son enfance le goût du folklore, et sa magnifique collection d’objets patiemment rassemblés forme le fonds du Musée d’Anvers. Sa naissance ensoleillée ? Nous aimons à supposer qu’elle soit au départ de sa passion pour les cadrans solaires… Et là, sa sensibilité l’y portant, il fit don, en souvenir de sa mère des Ecaussines, des merveilles qu’il avait rassemblées, au Musée de la Vie Wallonne, à Liège.

 

Le Calvaire

 

« Notre maison, écrit-il encore à Van Bever, se trouvait pour ainsi dire  enclavée dans l’église Saint-Paul, et mon enfance s’est passée sous les cloches, au milieu des corneilles et tout contre un horrifique calvaire en grès et cendrée. » On voudrait citer ici tout le poème consacré au Calvaire

 

Mon Dieu qui mourez à Saint-Paul,

Un peu autrement que les autres…

Mon Dieu qui savez les étoiles

Qui fixent à chacun son lot…

 

Elskamp m’a écrit un jour : « Je crois aux étoiles ». Il croyait aussi à la mer, et le bonheur avait pour lui, comme symbole, un matelot : « Et c’est Lui, comme un matelot – c’est lui qu’on n’attendait plus, - et c’est lui, comme un matelot – qui s’en revient les bras tendus… »

Un matelot ne reste jamais longtemps au logis, si chaud si doux qu’il y fasse. Pour Max Elskamp, il l’a quitté, peu après qu’il eût lui-même quitté la chère rue Saint-Paul. Une grande douleur, une grande déception d’amour l’a emporté :

 

Un jour où j’avais cru trouver

Celle qui eût orné ma vie,

A qui je m’étais tout donné,

Mais qui, las ! ne m’a pas suivi…

 

Le père du poète a tenté de le consoler en lui offrant les vastes espaces maritimes : Elskamp, alors, a navigué :

 

Va, mon fils, je suis avec toi

Tu ne seras seul sous les voiles,

Va, pars et surtout garde foi,

Dans la vie et dans ton étoile !

 

Elskamp s’est attaché à corps perdu à ses parents, à sa sœur Marie. La mort les lui a enlevées :

 

C’est vous, mon Père bien aimé,

Qui m’avez dit adieu tout bas,

Vos yeux dans les miens comme entrés

Qui êtes mort entre mes bras.

 

A sa mère, il a dit :

 

Et lorsque vous êtes partie,

J’ai su que j’avais tout perdu.

 

Alors, le poète est entré en maladie.

J’ai dit ailleurs les circonstances de la mort de Max Elskamp, comment je l’appris, et quelles étaient les personnes rassemblées à la table de François Franck ce 10 décembre 1931. On soupait là, après la représentation à Anvers de l’Œdipe d’André Gide : pour cette première, Gide était présent, les Pitoeff, et quelques écrivains d’Anvers. En remémorant, aujourd’hui encore, après tant d’années, l’instant où Willy Konincks, en retard, entra en disant : « Max Elskamp est mort », je puis mesurer la puissance d’émotion soulevée par ces mots. Cependant, le poète en lui se taisait depuis des années… et ses voisins l’entendaient souvent crier dans ses délires… L’émotion fut si profonde, ce soir là, chez Franck, que le regard de Gide fit lentement le tour de la table, en la cueillant à chaque visage comme s’il avait voulu rassembler un herbier du souvenir d’un poète qu’il savait grand.

Je veux citer ici quelques lignes d’un article nécrologique que je possède, auquel manque la signature, mais que je crois dû à André Salmon : « S’exténuant à combattre le désespoir, il passe des années avec Bouddha, mais cette culture de l’idée du néant ne pouvait combler un tel poète. Il traversa le monde d’un pas tremblant – il nous quittait- il s’avançait seul dans la nuit. »

Aux fleurs d’émotion cueillies lors de la mort du poète, par André Gide, et puisque Max Elskamp aimait le folklore, les saints et les fleurs, je veux, à l’occasion de ce centenaire, ajouter deux fleurs qui le concernent particulièrement, il les doit à deux folkloristes : le Baron de Rheinsberg, et Isidore Teirlinck.

La fleur-marraine, offerte par son saint-patron, Maxime, est la « primula véris » ou primevère du printemps, et les servantes de son enfance lui auront dit qu’elle est une clef du Paradis, et vient droit de Saint-Pierre, grâce à qui elle germa dans l’humus des polders… Le 10 décembre, par quelle étrange coïncidence est voué au cyprès. Il figure au jour où le poète sombra dans la mort.

 

Marie Gevers, Mai 1962, in « Le Thyrse » revue d’art et de littérature, numéro consacré au centenaire de Max Elskamp.

 

 

 

 

Hommage de Robert Guiette

 

La Ville en Ex-voto

 

Sa « petite ville », Max Elskamp la chante dès « Dominical, « la ville de mes mille âmes ». Cette ville en bois, douce ville à bâtir, la ville en rond comme une bague, les bonnes madones aux coins des ruelles. Ce port marchand, cette ville très port-de-mer, il y montre des barques et des grands vaisseaux, et les bâtiments à voiles, les chapelles et les tours et les cloches, c’est toute sa longue litanie qu’il faudrait redire. Poésie frêle, à la voix fêlée. « Mes dimanches morts en Flandre » et « dans la paix bonne d’un pays tendre », avec les petites gens des beaux métiers, la mer à l’horizon.

C’est plus qu’un décor, cette ville, c’est un personnage avec lequel on cause gentiment, à voix basse, retenue, comme pour soi.

Max Elskamp était demeuré très attaché à son vieux quartier de la rue Saint Paul bien qu’il n’y habitât plus. Ecolier, il y retournait passer ses jeudis après midi. Avec son ami, Henri van de Velde, il allait, près de la grande écluse du Kattendyk, à marée haute, voir entrer les bateaux. Les deux amis se mêlaient à une foule affairée d’employés de la douane, de commis, d’affréteurs, de curieux et de femmes aux toilettes extravagantes. C’était parfois « un voilier gigantesque, fatigué et souillé, dont l’équipage composé de nègres agités ou d’hindous lents, n’attendait que d’avoir accosté pour offrir en vente : perroquets, singes, plumes de couleurs éclatantes, peaux d’animaux inconnus, os d’albatros ; ou au départ de pitoyables émigrants polonais ou russes qu’on descendait à fond de cale sans ménagement, avec enfants et bagages ! Spectacles qui fouettaient nos imagination en entraînaient nos pensées si loin, si loin… »

Plus tard, les travaux de rectification des quais entamèrent le plus ancien quartier de la ville, cette « ville en rond » dont il ne reste qu’un morceau. L’ancien pittoresque ne demeurait plus que dans le cœur et la pensée du poète : l’ancien « werf », les quais plantés d’arbres, la population même de ces rues étroites, besogneuses et joyeuses.

Lorsque le lecteur d’aujourd’hui découvre cette image dans les petits poèmes de Max Elskamp, il la compare à ce qu’il voit : la rive droite, tracée au cordeau, les entrepôts et les construction aujourd’hui démodés qui attestaient, vers 1910, la grandeur récente des firmes allemandes fixées à Anvers. Le poète écrivait : « les Rietdijk, les Frascati, toutes les belles prostitution d’antan sont abolies… » ; et depuis, le joli village de Tête-de-Flandre rasé, surgirent les tours, les tunnels et les buildings. Le lecteur se demande alors si, dans les poèmes, ce n’est pas une petite ville ou un village de la Flandre zélandaise que le poète aurait chantée, et non Anvers, cette actuelle grande ville moderne où les anciens monuments et même la cathédrale se trouvent dépaysés. La beauté du spectacle –beauté très réelle encore- est différente de ce qu’a dit le poète. Le fleuve seul, malgré la métamorphose de ses rives, est resté sans doute semblable à lui-même.

Comment imaginer que le poète pourrait encore dans le bruit et le mouvement que nous connaissons, aller bavarder avec les bateliers et les artisans, vanniers et cordiers pour lesquels il avait tant de sympathie ? Les vieux quartiers le voyaient passer, chaque jour, par leurs rues souvent solitaires comme des rues de béguinages, des rues où ne se rencontraient de loin en loin que des vieilles femmes sous leur mante. Elskamp ne se lassait pas d’errer par les vieilles impasses, les cours intérieures, voyant aux murs les madones entourées de guirlandes… Son petit chapeau rond et son macfarlane ne détonnaient pas dans les ruelles grises et mornes. Le poète y poursuivait sa longue méditation.

Que de fois je l’ai vu, vieillard, aller vers les quartiers de son enfance, comme enveloppé de solitude ! Une femme discrète et qui avait dû être très belle, l’accompagnait. Ils ne se parlaient pas. Ils allaient côte à côte, d’un pas sans hâte. Etait-ce « sa » rue Saint-Paul qui l’attirait ? Pensait-il à son poème, à l’église et au calvaire, à ses morts et à son passé ? Voyait-il revivre ses chers fantômes ? Ou bien poursuivait-il sa longue recherche de la Voie ? Refaisait-il la longue route des saints naïfs et des processions, celles des philosophes qu’il avait étudiés, celle de la souffrance et de l’inconnaissable, de cette longue vie qui serait une vie manquée s’il n’y avait les poèmes. Par tout cela, il avançait dans la Voie de la perfection bouddhique, celle qu’il s’était choisie et qui lui était propre.

Le décor désormais n’importait peut-être plus. Le poète avait magnifié sa ville natale, et l’avait réduite en son cœur, en son œuvre, immuable. Comme les vieux marins, du temps des grands voiliers, construisaient des trois-mâts qu’ils enfermaient dans des bouteilles, tout gréés.. Le site, pour jamais à l’image de son cœur, demeurait comme une sorte d’ex-voto de reconnaissance à la vie, tandis que sa pensée plongeait dans d’autres contemplations, hors du temps.

 

Robert Guiette.

 

 

 

 

Hommage de Jean Cocteau

 

 

1er Avril 1962

 

Il est de toute évidence que Guillaume Apollinaire, s’il doit aux « Serres chaudes » doit surtout à Max Elskamp. Il n’y a là rien qui le diminue, au contraire. Et si un grand poète fraternise avec un autre grand poète pour connaître ses œuvres, je m’en émerveille encore davantage. Mais il me semble que notre Apollinaire aimait Elskamp et que, de ces amours, naissent les monstres délicieux de la Poésie.

Ma découverte du poète anversois me laisse le souvenir d’un coup au cœur. Entre chaque page de l’herbier les belles plantes se mettaient à revivre et à embaumer ma chambre.

Je vous exprime toute ma reconnaissance de vous être adressé à moi, le presque belge.

Votre poète Jean Cocteau.

 

 

 

 

Hommage de Paul Neuhuys

 

Je me souviens de Max Elskamp

 

Je me souviens de Max Elskamp comme d’un causeur charmant. Il me parlait de la Chine, de la poésie… Je l’ai connu pendant la guerre 1914-1918. J’allais le voir dans sa paisible maison du boulevard Léopold (aujourd’hui avenue de Belgique) dans la bonne maison qui, dit-il, l’attend sous les arbres « en la blanche façon d’un très gauche évêché ».

Max Elskamp était alors à l’apogée de son activité poétique. J’étais un écolier des lettres, et il y avait dans son accueil quelque chose d’ineffablement bon, mais aussi de cruellement désabusé.

Max Elskamp, né à Anvers en 1862, y est mort en 1931. Toute sa vie il est demeuré attaché à sa ville natale, la ville « très port de mer » où il reçut un jour, en 1893 exactement, Paul Verlaine.

« Il y a là une certitude pour moi, me disait-il, un point sur lequel j’attire votre attention, c’est que malgré toute liberté, le poème est « musique » par nature ». Et il me citait à ce propos le « Pantoum négligé » de « Jadis et naguère » :

 

Trois petits pâtés, ma chemise brûle.

Monsieur le curé n’aime pas les os.

Ma cousine est blonde, elle a nom Ursule,

Que n’émigrons-nous vers les Palaiseaux ?

 

-Le sens en est exquis à cause du son.

Elskamp parlait volontiers de la rime diminuée par l’assonance, de sa bémolisation (âne et âme) et de sa diézation (Anne et lame). Il m’ouvrait toute grandes les portes de sa bibliothèque, me

Lire la suite...

12273055698?profile=original

12273056261?profile=original

Réunie, préfacée, annotée par Robert Mallet, cette "Correspondance" fut publiée en 1949. Elle comprend 167 lettres, 46 d'André Gide (1869-1951) et 121 de Paul Claudel (1868-1955), qui furent écrites entre 1899 et 1926. Le nombre plus restreint de lettres de Gide s'explique assez bien. Au cours du tremblement de terre de Tokio en 1923, Claudel perdit une partie de ses

archives; mais indépendamment de ce fait, Claudel écrivait plus fréquemment et plus longuement que Gide. Celui-ci reconnaissait ne pas être un bon correspondant: "C'est à cause du branle-bas que cause en moi chacune de vos lettres", répond-il à Claudel, qui lui reproche ses longs silences. Ces lettres nous retracent l'histoire d'une conversion manquée.

C'est en 1899, chez Marcel Schwob, que les deux écrivains firent connaissance alors que Gide venait d'envoyer à Claudel son "Prométhée mal enchaîné" et son "Philoctète". La vie itinérante de Claudel favorisa cette correspondance. Très souvent ce que Gide n'osait ou ne voulait pas dire à son convertisseur, nous le trouvons dans son "Journal". Après son entrevue avec Claudel en novembre 1905, Gide y note qu'il "a l'ait maintenant d'un marteau-pilon". Analysant son attitude devant lui, il écrit encore: "J'étais occupé un peu trop à me défendre et n'ai répondu qu'à demi à ses avances". Claudel veut convaincre à tout prix, quitte même à passer pour "un zélote et un fanatique". Gide, lui, veut se protéger et défendre son indépendance intellectuelle. Mais Claudel revient toujours à la charge: "Pourquoi ne vous convertissez-vous pas?", ne cesse-t-il pas de demander à son ami. Partant pour l'Extrême-Orient, il lui laisse un "Abrégé de toute
la doctrine chrétienne". Gide ne manque pas d'être touché par l'affection véritable qui motive la conduite de son ami; cependant, chaque fois qu'il le peut il tient à dire qu'il n'est toujours pas converti. C'est ainsi que peu de temps après la publication du "Retour de l'enfant prodigue" qui a
déchaîné la colère de Francis Jammes, il écrit à Christian Beck: "Peut-être ne savez-vous pas que Claudel, après avoir trouvé en Jammes une brebis facile à ramener au Seigneur, a voulu m'entreprendre à mon tour. Cela s'appelle, n'est-ce pas convertir". Claudel est conscient de
l'irritation que peut faire naître son prosélytisme dans l'esprit de Gide. Il s'en excuse: "J'ai toujours peur que vous n'interrompiez votre correspondance". La "Porte étroite" parue en 1909, est une nouvelle occasion de dialoguer. Gide critique l'état de repos auquel incline le catholicisme, mais Claudel lui répond en soutenant qu'il est au contraire un combat perpétuel. Claudel profite de la mort de Charles-Louis Philippe, auteur de "Bubu de Montparnasse", qui cherchait à se convertir, pour revenir à la charge: "Je me reproche de n'être pas assez fanatique et prédicant". Un an se passe avant que Claudel n'entonne son Magnificat à l'occasion de la Noël: "Je vais communier demain..., de quelles immenses joies vous vous privez." Claudel cherche, semble-t-il, à toucher la sensibilité de son ami.
Au cours de l'année 1911, le sujet brûlant paraît évité, mais brusquement en fin d'année la conversion au catholicisme d'une belle-soeur de Gide ranime tous les espoirs de Claudel: "La nouvelle de cette conversion dans votre famille m'émeut grandement. A quand la vôtre, mon cher ami?" A nouveau, Claudel assiège Gide, le pressant d'adhérer "à une chose aussi vaste que la voûte étoilée où l'océan lui-même a place pour se mouvoir". Car, pour lui, demeurer incroyant c'est "ne disposer que d'un monde rétréci, amputé de moitié". Mais Gide se déclare empêché d'abandonner le protestantisme au nom de "la fidélité qu'exigent de lui ces figures de
parents et d'aînés qu'il a vu vivre dans une communion avec Dieu si constante, si souriante, si belle...". Claudel veut rencontrer Gide, afin d'avoir avec lui une conversation décisive: "Il faudra que nous causions un de ces jours comme ces personnages de Dostoïevski qui se disent des
choses tellement confidentielles que le lendemain ils n'osent plus se regarder et sont pris d'une haine mortelle l'un contre l'autre". A l'occasion d'une polémique qui l'oppose à des catholiques peu chrétiens, Gide écrit à Claudel l'aversion qu'il ressent pour tous ceux "qui se servent du Crucifix comme d'un casse-tête". Claudel lui répond brutalement que "ce n'est pas avec les pailles qu'on trouve dans l'oeil du prochain qu'on construit la maison de Dieu, mais avec les poutres que l'on ôte du sien" (15-1-1912). Gide paraît las de ce dialogue: "Je voudrais n'avoir
jamais connu Claudel, écrit-il dans son "Journal"; son amitié pèse sur ma pensée et l'oblige et la gène".
Lorsque "Les caves du Vatican" paraissent en 1914, le drame éclate à propos des "moeurs affreuses" auxquelles Gide fait allusion. Claudel le somme de s'expliquer, mais Gide pressent qu'il n'y a plus rien à expliquer, car "que je réponde ou que je ne réponde pas, lui écrit-il, je
pressens que vous allez me méjuger". Il lui écrit cependant avec franchise et comme s'il parlait à un prêtre. Mais sa lassitude grandit: "Par instant, j'en viens à souhaiter que vous me trahissiez, car alors je me sentirais délivré de cette estime pour vous et pour tout ce que vous représentez à mes yeux, qui si souvent m'arrête et me gêne". Claudel ayant demandé à Gide de supprimer le passage incriminé, celui-ci s'y refuse: "Ne me demandez ni maquillage ni compromis ou c'est moi qui vous estimerai moins". Le livre paraîtra non expurgé et le silence grandira entre les
deux amis. Dix ans plus tard, à l'occasion de la parution de "Numquid et tu", Claudel écrit longuement à Gide: "Il me semble qu'en ces dix années votre chemin s'est tout de même rapproché de l'humble grande route que je suis". Alors qu'il doit le rencontrer lors de son passage à Paris en mai 1925, Gide ne peut s'empêcher de lui écrire: "Je souhaite de vous
revoir... Et j'ai peur de vous, Claudel". Après cet entretien, Claudel écrira au bas de la dernière lettre reçue de Gide: "Longue et solennelle conversation. Il me dit que son inquiétude religieuse est finie. Le côté goethien de son caractère l'a emporté sur le côté chrétien". Avec une certaine ironie, Gide raconte cette entrevue dans son "Journal". Il trouve à Claudel l'allure d'Ubu et termine en disant: "Devant Claudel, je n'ai sentiment que de mes manques; il me domine, il me surplombe; il a plus de bases et de surface, plus de santé, d'argent, de génie, de puissance, de
foi, etc., que moi. Je ne songe qu'à filer doux".
Dans sa dernière lettre à Gide (25-7-1926), Claudel affirme: "Vous êtes l'enjeu, l'acteur et le théâtre d'une grande lutte dont il m'est impossible de prévoir la conclusion". Quelques années plus tard, Gide écrira dans son "Journal" (décembre 1931) à propos de Claudel: Je l'aime et je le veux ainsi, faisant la leçon aux catholiques transigeants, tièdes et qui cherchent à pactiser. Nous pouvons l'admettre, l'admirer; il se doit de nous vomir. Quand à moi, je préfère être vomi que de vomir."
Cette "Correspondance"

Lire la suite...