Le 17 novembre à la librairie Le Failler de Rennes, Jean Rohou dédicace son dernier livre très critique sur la religion, pendant sa jeunesse, en Bretagne: Le Christ s'est arrêté à Rome.
Auteur de Fils de Plouc, il m'a permis de découvrir qu'un ami d'enfance avait une face cachée digne d'intérêt.
Le joueur de guitare
Le mec s’est pointé dans la cour de la maison des jeunes dans le milieu de l’été. Malgré sa gratte sur l’épaule, il n’a pas ladégaine d’un hippie de retour de Woodstock. Cheveux courts, un grand sourirelui fend la figure et ses yeux pourraient en faire chavirer plus d’une.
Normalement les nouveaux venus qui le souhaitent, s’intègrent très vite à l’équipe de joyeux fêtards qui font tourner la boutique. Celui-là,se débrouille mieux que bien et fait vite partie du premier cercle des membresactifs. Intelligent, fin et dévoué, son charisme indéniable lui donne unavantage certain sur la bande de forbans un peu rustres qui ne pensent qu’ànaviguer, par gros temps, sous la pluie, un litron de rouge à la main.
Il a branché Joëlle et sa copine ; il prétend leur apprendre à jouer de la guitare. Chantal et Line tournent aussi un peuautour, pour voir… Là c’est vraiment déloyal… Aucun des musicos de la maison, etils sont nombreux, même Yvon qui tapote un peu sur les pianos, n’utiliserait cesubterfuge éculé… Quoique…
Les vieux matous, bêtement jaloux, sont sur les griffes et leur look de vieux pêcheurs mal dessalés ne les avantage pas.
Comme ce n’est pas un touriste de passage mais un authentique carantécois il faut composer et faire contre mauvaise fortune boncœur car il est enraciné là, pour un bout de temps. Il ne fume pas, il ne boitpas, on le regarde avec circonspection. Un peu plus âgé que l’équipe fondatricede la maison, il doit aider à gérer l’avalanche des activités de la pleine saison.
Gilbert détonne un peu dans ce milieu de laïcards militants, un poil sectaires : il est protestant. Déjà avec le curé c’estdifficile d’être polis et civilisés, alors avec lui… Ne pas se moquer d’unereligion exotique, l’accepter, le respecter, demande une certaine abnégation. Malgrétout, son sourire désarme les plus réfractaires et depuis qu’une des filles l’anommé « Père Gilbert », il faut croire qu’il est en mission cheznous.
En réalité, des missions, il en prépare plusieurs et sous son air gentil c’est un vrai dur. Il n’a pas attendu la révolution pour trouverdes idées et son activisme n’est pas superficiel non plus. La preuve en estdonnée lorsqu’il soutient activement Alain qui objecte son antimilitarisme.Refuser de partir faire le zouave mérite de graves ennuis. De même, aider untel délinquant provoque chez les « Autorités » autre chose que de lacompassion.
Sa jeune existence est forgée de volonté et de détermination.
Croire en quelque chose doit l’aider, même si certains d’entre nous le regardent comme un extraterrestre. Il a voulu fairedes études de théologie… Vous parlez ! Avec tout juste un certif. On peutêtre ambitieux ; mais quand même ! Il a du rattrapage sur laplanche !
Il l’a fait ! Avec la complicité d’un prof qui l’a pistonné auprès d’un proviseur, le voilà en première à Tristan Corbière ;comme un grand benêt qui aurait redoublé d’abord et quadruplé ensuite. De plus,ce lycée du diable pratique la mixité, tout le monde le sait, peu favorable auxétudes.
Après le bac et une licence de théologie il deviendra Pasteur « avant de devenirl’un des opposants les plus actifs à l’injustice sociale et à la dégradation dela planète » *dans Jean Rohou, Fils de Ploucs (2007).
Ben nous… On l’a connu avant ; mais ça, on ne l’aurait pas vu venir !