Ce sujet de discussion (ouvert à la suite d'un billet de blogue de Pascale Eyben ICI
Ouvrir une discussion à ce sujet, dans l'espoir que des membres nous en fassent connaître les fastes, ne me semble pas inutile.
Pascale Eyben nous cite la librairie de la Monnaie.
Réponses
LES BIBLIOTHÈQUES.
À Henri de Régnier.
Un rêve, depuis toujours, me poursuit périodiquement je me vois entrer dans une bibliothèque, publique ou privée, et là me sont offerts toutes sortes de livres étranges, ceux, justement, que, sans connaître leur existence ni leur nom, j'ai toujours souhaité obscurément de lire. Et leur comparant ceux que j'ai lus et jusqu'aux chefs-d'œuvre des littératures, je ne puis manquer de trouver ceux-ci insipides, insuffisants. Au contraire je découvre dans cette bibliothèque de mon rêve les plus curieuses merveilles, les seules qui méritent de retenir l'attention. Et je les lis dans un écoulement du temps et à une lumière qui me paraissent plus délectables qu'aucune des heures de ma vie passée.
Cette impression d'avoir enfin trouvé la lecture idéale m'a été donnée aussi en pénétrant dans certaines bibliothèques réelles, au cours, par exemple, de la visite d'un château ou d'un monastère. De sorte qu'il est certaines bibliothèques dont je ne saurais dire si je les ai vues en rêve ou en réalité. Ainsi j'en sais une où j'ai peut-être été au cours de mon existence éveillée, mais qui reparaît si souvent dans mes songes que je ne retrouve plus sa véritable figure. Elle est située à Paris, dans le quartier qui embrasse le Marais, la place des Vosges, l'Arsenal et son canal, les abords du Jardin des Plantes, l'île Saint-Louis, et qui est gris et plein d'endroits stagnants. Il faut pour découvrir la salle de lecture, monter un large escalier Louis XIII, éclairé, à quelques tournants, d'un pâle quinquet. La salle est vaste et voûtée. Les volumes, reliés de cuir, dorment derrière des grillages. Rien qu'à leur aspect je présume toute une littérature inconnue dont le charme dépasse les plus puissantes révélations, même celles que m'ont apportées mes toutes premières lectures, celles de l'enfance, les contes fantastiques, les premiers livres d'aventures et de voyages et jusqu'aux neuves histoires d'amour. Mais à peine ai-je obtenu d'ouvrir un de ces livres enchantés que je m'éveille. Il ne me reste plus qu'à supporter, toute la journée, et dans un arrière-goût de larmes, l'inaccessible saveur de cette littérature entrevue et désormais purement conjecturale.
Un jour les médecins me conseillèrent de quitter Paris et de m'en aller passer quelques mois dans une ville du Midi. Là je fis, ou crus faire, la connaissance d'une femme, elle-même en voyage et dont je ne devais jamais savoir à quelles profondeurs elle commençait à prendre conscience d'elle-même et de ses désirs. L'état d'impatience où me maintenait le commerce de cette femme me fit oublier mes rêves. C'est lui qui s'était substitué à mon espoir de jamais pénétrer les livres dont j'avais soif. La femme partie' et me retrouvant seul, démuni et un peu plus malade, j'éprouvai de nouveau l'envie de lire quelque chose d'extraordinaire. Je m'informai de l'endroit où se trouvait la bibliothèque municipale. Elle était au centre de la ville, et j'étais passé vingt fois devant elle sans la voir, ou pensant que c'était là un bureau de poste ou de perception. Je restai encore plusieurs jours sans m'y rendre. Mon projet, pour l'instant, me suffisait. Enfin, par une après-midi particulièrement triste, j'entrai. Je parcourus d'abord quelques salles consacrées à des collections de papillons et de minéraux, aux murs couverts d'estampes, de cartes géographiques, au plancher luisant. Puis au bout de cette zone qui sentait la cire fraîche et le renfermé, je parvins à la bibliothèque même, et là encore je ne sais plus si j'ai rêvé ou si j'ai vécu. Qu'y, ai-je lu, ou rêvé que j'y lisais? Je crois me rappeler que j’ai surtout feuilleté le catalogue, parcouru interminablement d'enivrantes fiches aux titres prometteurs. Quand je sortis, le soleil se couchait au bout de la rue, comme dans les villes maritimes, et cependant la ville où je me trouvais était loin de la mer. J'avais un peu de fièvre et je sentais plus que jamais le poids de ma faiblesse. Je me vis défaillant et mal habillé.
Une autre fois, à Paris, alors que je faisais, pour le compte d'un autre, des recherches érudites, j'eus besoin d'aller dans une de ces bibliothèques d'archives qui sont absolument abandonnées et où un homme chauve, à blouse grise, fait office de gardien aussi bien que de conservateur et vous laisse fouiller à votre aise dans les rayons et monter aux échelles. Lui-même disparaît dans les profondeurs, s'enferme dans une pièce voisine et s'y livre on ne sait à quelle occupation. Il y avait là un silence écrasant et par les fenêtres on voyait les feuillages d'un maigre jardin. Je ne trouvai rien de ce que je cherchais, car on ne trouve jamais rien, et je n'en poursuivis pas moins mon travail, car il est toujours possible de fabriquer quelque chose avec du néant. L'homme pour qui j'avais fait ce travail daigna se montrer satisfait, signa et ne me paya point. Il est aujourd'hui célèbre et pour des ouvrages que je soupçonne d'avoir été tous écrits et publiés dans des conditions analogues. Un jour je l'ai rencontré : il a pâli et a détourné la tête comme l'on fait lorsqu'on rencontre un ancien compagnon de prison, grâce à qui on s'est évadé et qu'on a ensuite laissé dans le pétrin au lieu de revenir le chercher ainsi qu'on le lui avait promis. C'est que la journée que j'avais passée dans ces archives avait été vraiment la journée d'un prisonnier, et le jardin maigre entrevu par la fenêtre était un jardin de prison, avec des arbres et un soleil de jardin de prison.
Enfin il y a les bibliothèques des capitales étrangères, les bibliothèques illustres et où l'on se sent aussi fier d'être admis que si l'on pénétrait dans les palais de Persépolis. Un jour dans une bibliothèque royale je me suis endormi, la tête sur le précieux in-folio ouvert devant moi. Un si vaste in-folio que, réduit aux proportions d'un liliputien, je dus mettre un temps infini à parcourir son étendue et à parvenir jusqu'au bord. Mais je n'étais pas un liliputien, rien qu'un enfant, un petit garçon, et au bout du livre une route s'ouvrait, blanche, interminable, et s'enfonçait dans la forêt. Je marchai pendant des heures. J'étais tout petit et le cœur plein des petites pensées d'un petit garçon. Enfin j'arrivai devant une minuscule maison à la porte et aux fenêtres accueillantes. On y voyait une fillette, les yeux très noirs, des cheveux noirs sur le front, et les mains largement ouvertes, ce qui pouvait sembler un signe d'étonnement. Cependant elle ne parut pas surprise de me voir, et comme si elle m'attendait, me prit par la main et commença à me faire visiter sa maison.
- Comment t'appelles-tu? lui demandai-je.
Elle me dit son nom, et je lui demandai encore
- Tu habites toute seule ici?
- Non, dit-elle. J'habite avec ma mère.
Et ouvrant la porte d'un salon, elle me montra une grande jeune femme qui rangeait des cristaux. Le salon était plein de cristaux et de verreries : elles étaient rangées sur des étagères, le long des quatre murs, et les étagères montaient jusqu'au plafond. Toute la pièce rayonnait ainsi d'une lumière irisée et délicieuse. Des reflets d'arc-en-ciel passaient sur les mains de la grande jeune femme et sur ses cheveux noirs. Les cheveux noirs de la petite fille luisaient, eux aussi.
- Tu vois, me dit la petite fille. Voici ma maman.
La jeune femme me sourit et je m'approchai d'elle. Si près que je voyais, à hauteur de mon visage, les veines bleues de sa main admirablement blanche, cependant que ses doigts aux ongles de nacre caressaient un grand vase transparent. Mais j'aurais voulu m'approcher plus près encore, baiser cette belle main, enfouir mon visage dans les plis de la robe blanche, demeurer les yeux éternellement levés sur le sourire de la maman de ma petite amie. Celle-ci me prit par la main.
- Viens, me dit-elle.
Sa mère, toujours souriante, me fit un signe de la tête et nous sortîmes de la chambre des cristaux.
- Comme j'aime ta mère ! dis-je à la petite fille. Quand tu seras grande, tu seras aussi belle et je t'aimerai aussi.
Elle me regarda, comme si elle me regardait avec tout son visage, les yeux noirs, la bouche close, et ne répondit rien. J'étais un peu plus grand qu'elle et je disais des choses qu'elle ne pouvait encore comprendre.
- A présent, fit-elle, nous allons voir la bibliothèque.
Nous montâmes un escalier décoré de vieilles tapisseries. Enfin au bout d'un couloir elle s'arrêta devant une porte très haute, se leva sur la pointe des pieds pour atteindre la poignée. Je la devançai et ouvris la porte. Nous étions dans une immense bibliothèque sombre. Par les persiennes fermées filtraient des rayons de lumière, qui, à travers les vitrines, tombaient sur les lettres d'or de quelques gros livres rouges. Je m'approchai et parcourus les titres : ils me firent peur. Mon cœur battait. J'avançai la main vers la clef d'une des armoires vitrées : la porte s'ouvrit en grinçant. J'attirai à moi un des livres, la petite fille se pencha à côté de moi, et d'une main tremblante je feuilletai le livre, tandis que sous nos yeux épouvantés, des gravures sur acier faisaient tournoyer leurs ombres. Je voyais des cascades, des abîmes, des rocs aux parois gigantesques, des chemins sauvages, des savanes qui s'étendaient à perte de vue et des troupes d'oiseaux dont le regard était lourd de migrations monotones et de fuites sans fin.
Je refermai le livre d'un coup sec, et il s'en dégagea une vieille odeur, vieille et saisissante comme l'odeur du goûter de quatre heures. Puis je le reposai à sa place, fermai la porte vitrée, et je regardai longuement autour de moi tous les livres endormis.
- Tu ne crois pas, demandai-je à la petite fille, que je pourrais écrire des histoires comme celles qui se trouvent ici?
- Je ne sais pas, répondit la petite fille. Il faut demander à ma mère.
- Oui, fit alors celle-ci qui était entrée derrière nous sur la pointe des pieds et qui souriait toujours, oui, tu pourrais sans doute en écrire, lorsque tu seras grand. Mais alors, il faudrait que, tout grand que tu serais devenu, en même temps tu restes ce que tu es à présent. Et c'est très difficile. Ou trop douloureusement facile.
Là-dessus je m'éveillai de mon rêve ou du rêve que je croyais rêver. Je me revis endormi sur l'in-folio, dans la bibliothèque étrangère et il me fallut quitter le péristyle du rêve, m'éveiller de cette bibliothèque, repasser par la porte d'ivoire et me retrouver enfin, miséreux et malade, dans les fins de journée de tous les jours.
C'est vers le même temps que me revint en mémoire le titre d'un de ces livres que je poursuivais de bibliothèque en bibliothèque. Mais je n'osais jamais le demander. Il fallut que le hasard me ramenât dans la ville du Midi dont j'ai parlé tout à l'heure. J'entrai alors dans la bibliothèque de cette ville et allant droit au bibliothécaire, je lui demandai
- Avez-vous FOUGÈRE?
C'était le titre du livre. L'homme me regarda avec surprise et hocha la tête.
- FOUGÈRE, insistai-je. Oui, c'est l'histoire d'un homme qui est amoureux d'une fougère... J'ai lu cela il y a très longtemps, il faut à tout prix que je le retrouve.
- Vous voulez sans doute dire Picciola, dit l'homme en se tapant le front. Et cherchant dans son fichier il ajouta triomphalement
- z 8° 4.875.
- Mais non ! fis-je, impatienté. J'ai lu Picciola, j'ai lu tout ce qu'on peut lire, et je cherche autre chose. La pauvre aventure que Picciola ! Il est trop naturel que ce prisonnier s'intéresse à cette fleur, et puis une fleur, cela ressemble trop aisément à une femme, la comparaison est facile... Dans le livre dont je vous parle, c'est d'une fougère qu'il s'agit. Une fougère, dans un petit bois, près de la mer. Vous comprenez que l'amour d'une fougère, c'est bien plus étrange et bien plus sérieux. Une fougère, cela pense, cela possède un cœur et une âme, cela ne se gaspille pas en fleurs, en fleurs de rhétorique. Ces histoires de fleurs, tout le monde connaît cela. Mais dans ce livre, il y avait un homme et une fougère, un homme jeune, tout jeune et qui n'avait que cette fougère pour confidente. Alors, il mettait sa tête sur ses genoux ...
.- Les genoux de la fougère?
- Parfaitement, et elle, avec une patience et une humilité adorables, elle lui parlait des femmes dont il serait aimé plus tard, quand il aurait dépassé sa jeunesse et sa honte et toutes ces pauvres années où l'on n'a que l'amitié des fougères.
- Et alors?
- Et alors, repris-je, et alors... Je ne sais plus. Si je me rappelais ce qui arrive ensuite, je ne chercherais pas à relire ce livre 1 Mais décidément, vous ne l'avez pas?
- Non, me répondit le bibliothécaire, nous n'avons pas FOUGÈRE
J e pourrais encore raconter beaucoup d'autres histoires de bibliothèques, à défaut de l'histoire de FOUGÈRE et de toutes celles que ce petit garçon que je fus prétendait vouloir raconter. L'aventure qui m'admit parmi les livres dédorés d'une vieille demoiselle, dans un village où je passais des vacances, et celle qui m'emporta sur un vaisseau où j'étais seul éveillé, tandis que tout l'équipage, depuis le capitaine jusqu'au dernier mousse, rêvait qu'il naviguait. Moi seul, j'étais là à savoir que nous étions immobiles, ancrés dans le port, de même que mon corps était resté immobile, assis au fond d'un vaste fauteuil de cuir, dans la bibliothèque dont un ami ruiné et désireux de la vendre m'avait demandé de faire le catalogue, et qui occupait le grenier d'une maison de campagne humide et moisie.
Telles sont les rêveries d'un cœur qui n'a pas refusé de vivre. Il s'y réfugie, et pourtant il aurait accepté de battre à l'égal des coeurs qui peuplent le monde. Mais tout le rejette au fond de l'aquarium où s'ébat le premier germe des livres à naître. Il rôde à travers les rues et, à l'heure où les gueux s'assoient sur les bancs, dans les lieux vides, et étalent auprès d'eux un morceau de journal avec quelque chose à manger, il s'assied aussi sur un banc. Le soir il s'assied sur un autre banc, le long de la Seine, regarde le coucher de soleil, vert et rose, qui est à tout le monde, puis son esprit se perd, au fond des galeries qui s'ouvrent entre les nuages, dans les bibliothèques du ciel. Il se retourne brusquement à cause de l'ange qui s'est assis sur le même banc. L'ange attend sa provision d'histoires. Ils en ont pour toute la nuit.
.- Et celle-là, demande l'ange, où l'as-tu lue?
- Ni lue ni écrite. Lue dans le cœur, écrite sur les reflets du soleil couchant. Et puisque tu n'es qu'un être inconsistant, oubliée sitôt qu'entendue.
Voilà ce qu'il répond à l'ange. Mais d'autres fois il a un auditoire plus sérieux : des vagabonds de son espèce s'assemblent autour de lui. Eux comprennent, eux n'oublient pas. C'est toujours cela de sûr. Il leur raconte les histoires qui étaient dans la bibliothèque de la petite fille et, parfois même l'histoire de Fougère, bien que ce ne soit pas tout à fait l'histoire de Fougère, bien que ce ne soit jamais la même histoire de Fougère. Arrive toujours un moment où cela dévie, il n'y a pas moyen de résister. Cela dévie, et il faut inventer. Grande fatigue. Mais l'auditoire est content, que peut-on demander de plus?
le Disque Vert
textes
de Jean Cassou
Au Disque Vert
Janvier 1934
De là le nom de cette librairie !
En plus, ce bouquiniste est situé dans un quartier - Le Béguinage - qui me plaît beaucoup, en face d'une magnifique église baroque. Tout un programme ! ... Merci Patrick pour ce précieux renseignement. Je vais d'abord (encore) m'acheter une étagère avant de me risquer dans cette caverne d'Ali Baba ...
Ma librairie préférée de Bruxelles est incontestablement "Het Ivoren Aapje" à la Place du Béguinage n° 4, en plein centre. Méprenez-vous du nom en néerlandais, ici on trouve bel et bien un grand nombre d'ouvrages en français, anglais, allemand, ... moi-même, toujours à la recherche de livres en espagnol et italien, y ai trouvé des merveilles à chaque occasion: éditions de Quasimodo, Montale, Ungaretti ou Alejandra Pizarnik, datant d'avant ma naissance ( je parle des années '60 mes amis ), et toujours en état presque parfait... à se demander où ces recueils ont étés conservés pendant 5 décennies, sans jaunir...? Les prix que Frederik Deflo ( le bouquiniste placidement assis en train de lire derrière son bureau au fond du magasin ) pratique sont pour ainsi dire dérisoires, comme il le dit lui-même avec un clin d'oeil ironique: "scandaleux". Voilà, chers amateurs de littérature ( d'occasion ), filez illico presto au "Singe d'Ivoire" !
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Ah, la réserve précieuse de l'ULB (Université libre de Bruxelles), que n'ais-je lu, relu et admiré un certain catalogue sur Elskamp fait par René Fayt.
Nos deux académies de Bruxelles abritent aussi des bibliothèques prestigieuses. Et que de plaquettes, bulletins et éditions savantes ont-elles publiées.
Pénétrer dans la librairie "Quartiers latins" abritant les éditions CFC afin de découvrir le "patrimoine et la création artistique de Bruxelles " reste toujours un plaisir consommé.
Et ces libraires antiquaires éclairés de la galerie Bortier (et d'ailleurs), combien de fonds précieux leur expertise ne nous ont-ils pas fait approcher. Leur immense devise: "amor librorum nos unit".