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Publications de Nonna Petrucci (1)

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Le Cargo

Clang, clang, clang ! Ça grince et résonne. Un drôle de bruit, comme un miaulement rouillé, coincé, éraillé…

C’est la tôle qui se rebelle. Elle voudrait fuir ces courants d’air qui se glissent, s’infiltrent dans tous les interstices.

Il a échoué là depuis si longtemps, qu’Il a perdu la notion des jours, des mois, des saisons. Il ne sait même plus comment Il est arrivé là…

Au début, comme sonné de se trouver dans ce milieu inconnu d’arbres, de feuilles, de mousse, Il ne s’est pas défendu. Chenilles, limaces et fourmis sont venues, longues colonies jamais rassasiées, s’insinuant à travers chaque espace, déchiquetant, coupant, engloutissant tout ce qu’Il contenait qui ne soit pas métallique.

 

Puis la pluie est venue. Il a accueilli avec plaisir les premières averses qui le lavaient de sa pellicule grasse et salée. Mais au fil du temps, sa tôle à nu s’est rouillée davantage, par plaques, dentelle lépreuse s’effritant sous les coups de butoir du vent…

Les jours de tempête, la coque semble hantée ; l’air qui passe et repasse se cogne, repart, valse d’une chambre à l’autre, entre par la cabine de pilotage, ressort vers la dunette arrière. Et ça geint et ça grince, hurle et mord, couine et gémit ;  chorale discordante, ensemble dissonant, clameurs d’âmes perdues.

Dans les premières années, lorsque les « voix » s’installaient et s’enflaient, lièvres et renards se terraient ;  les chouettes s’enfonçaient au creux des chênes. Plus un oiseau ne chantait. C’était l’attente méfiante face à cette masse de rouille dont les bruits incongrus, si différents de ceux de la forêt, les terrifiaient.

 

Une décennie, puis deux, se sont écoulées.

On s’est habitué à ces bruits d’enfer, ces bruits de chaînes qui claquent et se trainent, ces bruits de tôle qui s’effrite, ces gémissements intermittents, ces soubresauts du cargo qui se meurt.

Indifférents à la détresse du vieux porte-container, les arbres ont poussé droits et touffus, emprisonnant à jamais cet intrus de ferraille, jusqu’à l’ensevelir, jusqu’à l’engloutir. Jusqu’à l’oubli.

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