I. Introduction Différent du mythe, ou mythe travesti dont il est sans doute une relique dégénérée quant à son sens sacré, le conte évoque, à travers l’apparente affabulation puérile qui le caractérise, une situation pourtant qu’on peut qualifier d’archétypale. Si le mythe explique, le conte exprime. Loin d’être un aspect accessoire de l’expression orale et littéraire d’une société, il est dans les sociétés sans écriture l’élément fondamental dans la transmission de certains caractères structuraux de la société. On peut dire du conte ce qu’avait dit R. Bastide de l’art, qu’ "il peut nous permettre d’atteindre les métamorphoses de la sensibilité collective, les rêves de l’imaginaire historique, les visions du monde". On passerait sans peine des interprétations du conte au conte des intérprétations tant les méthodes requises à cet effet sont nombreuses et variées. De la lecture de surface jusqu’à la psychanalyse, en passant par le structuralisme anthropologique, il n’est pas de thème qui ne soit étudié à la lumière du symbolisme universel. Ici sa valeur initiatique, là son sens psychologique. Sa richesse symbolique s’ouvre à des interprétations diverses sans qu’elles s’excluent pour autant. Bruno Bettelheim, dans Psychanalyse des contes de fées reconnaît que les "contes, comme toutes les oeuvres d’art, possèdent une richesse et une profondeur qui vont bien au-delà de ce que peut tirer d’eux l’examen le plus complet". Les interprétations qui ont voulu trouver ou retrouver dans le conte des pratiques sociales se sont toujours limitées aux aspects initiatiques. La structure initiatique des contes est sans aucun doute évidente. M. Eliade se pose, à ce propos, la question de savoir "si le conte décrit un système de rites ressortissant à un stade précis de culture ou si son scénario initiatique est ’imaginaire’ dans le sens qu’il n’est pas lié à un contexte historico-culturel, mais exprime plutôt un comportement anhistorique, archétypal de la psyché" . II. origine et originalité L’origine du conte kabyle, malgré plusieurs tentatives d’éclaircissement, reste un point sombre. J.B. Moreau affirme que c’est au carrefour des trois courants et riches des trois rapports ancestro-culturels : influence sémite, apport indo-européen et civilisation des éleveurs agriculteurs d’Afrique du Nord, que naquit le conte kabyle" . Les emprunts arabes proviendraient d’une époque qui remonte au IXème siècle, notamment à partir de la conquête arabe de l’Afrique du Nord au VIIème siècle. Ce dernier fait constitue une frontière dans l’histoire des berbères. La filiation et les emprunts des contes kabyles n’est pas encore bien établie à l’heure actuelle. Plutôt son origine, c’est son originalité qui nous importe ici. Certes, le conte est universel quant à sa structure et ses grands archétypes. Toutefois, il porte toujours la marque du groupe social où il est fonction, parce qu’il est conçu à l’intérieur d’une communauté, d’une tradition. Bien sûr que, au-delà de la structure et de la forme, au-delà des intuitions premières, on peut sonder les profondeurs du conte pour y trouver les grands archétypes. Néanmoins, "les archétypes se lient à des images très différenciées par les cultures et dans lesquelles plusieurs schèmes viennent s’imbriquer". Il faut chercher, en partant d’une unité de structure archétypale chez les peuples du monde entier, les différentes conceptions de l’idéal de chacun, lequel est modifié par l’histoire, l’interférence des cultures. Ainsi, dans la plante d’immortalité et de jouvence, le sémite aura soif d’immortalité quand l’indien y chercherait le rajeunissement : deux idéaux différents. L’agencement du récit, les lieux privilégiés, la structure dramatique sont les facteurs qui déterminent sa spécificité. "Les symboles, comme les archétypes, dit M. Eliade, sont diversement vécus et valorisés. Le produit de ces actualisations multiples constitue les ’styles culturels’". La variabilité d’interprétation n’épuise pas le symbole originel, ni les possibilités d’avoir accès à un symbolisme cohérent. Nous verrons plus loin qu’il y a une "logique des symboles" qui s’appuie sur les deux régimes (diurne et nocture) dont on a parlé plus haut, qui rappelle d’ailleurs celle des rites. Ici tout concourt et s’agence dans un but précis : celui de la régénération. Symboles cycliques (serpent et lune) y souvent présents. La fontaine (eau symbole de la régénération) est fréquemment le lieu où s’établit l’énigme entre le héros et la stut (sorcière). C’est là que se préfigure toute l’action future et se réalisent toutes sortes de métamorphoses. Les rites d’initiation, apparents dans les contes, font souvent mourrir puis renaître. Plutarque disait déjà : "s’initier, c’est mourrir". L’initiation est non seulement un acte de la connaissance mais aussi un rituel de régénération, la promotion de la continuité de la vie. Aussi, dans le conte kabyle, y a-t-il une idée en filigrane d’une régénération du cosmos et du collectif humain. Le symbolisme du conte rend transparent cette idée de régénération de la nature et le commencement d’une "ère nouvelle", c’est-à-dire la répétition périodique d’une nouvelle création. La régénération est, comme son nom l’indique, une nouvelle naissance. Nous verrons plus loin que les débuts des contes s’activent souvent sur la stérilité de la femme et, corrélativement, de la famille, voire du danger de la non reproduction de la société. III. Analyse 1. Structure narrative Rapporté à la symbolique des structures anthropologiques de l’imaginaire, la régénération s’inscrirait, parce qu’elle présuppose la répétition cyclique ad infinitum du cosmos, au registre de la deuxième dominante du "régime nocture" qu’a décrit Gilbert Durand, régime à dominantes digestives et cycliques. La deuxième dominante (cyclique) regroupe les techniques du cycle, du calendrier agricole ou de l’industrie textile, les symboles naturels ou artificiels du retour, les mythes et les drames astrologiques. On verra dans les contes apparaître fréquemment les symboles cycliques et de retour, ainsi que les drames qui en découlent en vue d’une régénération future. On s’intéresse ici principalement aux symboles cycliques et à ces drames constitutifs de la régénération. D’abord la préparation de la régénération (début du conte), ensuite les épreuves de la régénération (le coeur du conte), enfin la remise en ordre, après régénération, constituera la fin du conte. Entendons par "régénération" (ré-génération) le quête symbolique du renouvellement du groupe social, et ce, dans le contexte du conte, par un éventail de symboles à caractère universel. Pour ce faire, nous nous sommes, entre autres, inspirés principalement des ouvrages de M. Eliade. Cependant le thème de la régénération, dans son agencement, épouse la structure du conte. Nous avons, par conséquent, transposé les étapes de la régénération sur les étapes ou grandes parties que V. Propp a définies dans son ouvrage sur la morphologie du conte. Propp en a, en effet, dégagé trente et une fonctions qui se regroupent en trois grandes parties : la première décrit la préparation du Mal. Pour notre première partie, ce sera "la préparation de la régénération". La deuxième partie de Propp est consacrée à la lutte du héro contre le Mal. Elle correspondra à notre partie intitulée "épreuves de la régénération". La victoire du Bien occupera la troisième partie de la division de Propp. Elle sera pour notre étude "la régénération" proprement dite. Cette transposition peut paraître arbitraire et sans fondements, ou à tout le moins force un peu à l’excès le symbole. Mais il faut inscrire cette correspondance symbole et représentations sociales dans une lecture de textes qui s’interdit toute conclusion quant à la véracité du reflet symbole sur la réalité ou la de réalité sur le symbole. Elle les prend dans leurs mouvements respectifs. Les coutumes, rites et autres pratiques sociales invoquées ici pour justifier un tel symbolisme sont empruntées à toute l’aire de la société berbère, principalement le Maroc et l’Algérie. 2. Préparation de la régénération La majorité des contes débute par la stérilité, au sens large du terme, qui compromet la continuité du groupe et sa désintégration, augure d’une mort. C’est dans la crainte d’un devenir "néant", conséquent d’une effroyable stérilité, qu’il faut chercher le motif de la régénération, présent dans le conte kabyle. Les symboles mobilisés à cet effet sont : a) le symbole lunaire, b) le symbole ophidien, c) le symbole aquatique. La correspondance entre les phases de la lune et la croissance puis la décroissance de la vie végétale, animale et humaine, est l’une des plus vieilles croyances de l’humanité. Les phases de la lune sont elle-mêmes un élément de grands rythmes cosmiques. En cherchant à résumer en une formule unique la multiplicité des hiérophanies lunaires, M. Eliade conclut qu’ "elles révèlent la vie qui se répète rythmiquement. Toutes les valeurs cosmologiques, magiques et religieuses de la lune s’explique par la modalité d’être : c’est-à-dire qu’elle est ’vivante’ et inépuisable dans sa propre régénération". M. Eliade souligne un autre aspect de la lune comme l’agent de destruction périodique des ’formes épuisées’. Voilà pourquoi dans le conte "l’Homme-serpent", la mère vient consulter la lune pour connaître l’état de son ’vieillissement’. Et la lune de répondre : "toi et moi sommes également belles, mais la fille que tu portes en toi nous passera en beauté". Il faut rappeler que le terme agur, en kabyle, désigne indifféremment la lune et le mois. La lune est mesure du temps. "métreur" d’âge, ce qui lui vaut la capacité de prévoir l’avenir. Clair de lune ne se dit-il pas en kabyle thiziri n g agur ? dont thiziri vient du radical IZR qui veut dire voir ? Le choix du moment où la lune est croissante pour l’inauguration des labours, la célébration des mariages et l’ourdissage du métier à tisser, est très significatif de la valeur conférée à la lune pour son pouvoir de fécondation et de reproduction. Dans un conte intitulé "ce que deviennent les vielles lunes", l’ancienne lune est pilée en petits morceaux pour en faire des étoiles. Car "la lune est la mère du pluriel". On dit que la lune "naît", et, partant, annonce la naissance, voire le renouvellement, la régénération puisqu’elle est le premier mort et le premier ressuscité. La pelote de laine, produit de tissage, est une épiphanie lunaire. Elle est symbolique du devenir, de la continuité déjà anoncée par la lune, "tisseuse de destins". Pour récolter les fèves que leur mari a prétendu semer, les deux femmes du conte "le malin, la bête et l’ogresse" ont fait rouler un tamis de la hauteur d’une colline pour retrouver l’emplacement des fèves. La pelote de laine et le tamis sont souvent ainsi utilisés pour égarer un ou plusieurs personnages du conte, et symbolisent "l’éternel retour". De même, le symbole ophidien récèle le triple secret de la mort, de la fécondité et du cycle. Le serpent est une force tellurique, symbole de résurrection, car il vient de la terre, donc des morts. Aussi est-il le gardien de la pérennité ancestrale. Son nom est azrem, provenant sans doute de azlem : épeler, égrener, effeuiller. En changeant de peau, il se "rajeunit". D’où sa capacité symbolique de régénération. Ainsi, il est "l’époux de toutes les femmes". Ses relations avec les femmes sont néanmoins multiformes. Plusieurs contes kabyles le confirment. Elles ne peuvent en aucun cas être expliquées au moyen d’un symbolisme érotique simpliste. C’est d’ailleurs moins par son caractère phallique aue par son symbolisme de régénération et d’initiation qu’il intervient très souvent dans les contes kabyles. Dans "l’Homme-serpent", c’est lui qui inaugure, après la lune, toute la suite du conte en chargeant "l’homme-serpent" d’assurer la continuité du groupe social en élevant la fille aux cheveaux d’or. Dans le conte "le poil du bon secours", la reine stérile mit au monde un serpent après en avoir émis un voeu. Dans "la jalousie d’une marâtre", c’est paradoxalement une fille qui élève un serpent. Il lui régénérera plus tard les yeux, arrachés par la marâtre, en les léchant. L’hydromancie florissait chez les Kabyles, et les Berbères en général. N’est-ce pas l’eau qui garde les armes ardentes des ancêtres ? Les cours d’eau, les sources, sont les lieux d’un culte qui s’adresse aux morts, lesquels, par leur présence, donne à l’eau sa fécondité, son pouvoir de régénération et de renaissance. "Grain de pois chiche" est né après qu’une femme eut fait un souhait d’avoir un garçon. A la suite de ses pérégrinations, "grain de pois chiche" fut avalé par un lion. C’est à la proximité d’une fontaine qu’il réussit à faire une césarienne au lion et sortir ainsi de son ventre, "renaître" naturellement alors que sa première naissance fut anormale. L’eau est en pays berbère remède contre la syphilis, contre donc la dégénérescence de toute forme de vie. Le caractère régénérateur de l’eau apparaît plus clairement dans les termes mêmes qui désignent les éléments aquatiques : lilu, vieux mots libyque, désigne "l’eau" ; la mer se dit ilel, le fleuve il et ilul veut dire "il est né". Enfin abbwuc désigne et le coquillage et le pénis. On y retrouve de fréquentes apparitions de la vieille sorcière qui, devançant le héros, s’installe à la fontaine et feint de puiser de l’eau. Le héros, en allant faire désaltérer son cheval à l’abreuvoir, trouvera la sorcière faisant semblant de remplir son outre d’eau avec un tamis ou une calotte de gland. Le héros impatient l’écartera de la margelle. Et la vieille de lui lancer : "tu ne traîterais pas les gens de la sorte si tu avais épousé une telle", ou lui annonçant l’existence d’une soeur qu’il n’a jamais connue. Ces jeux ont une valeur augurale dans la suite du conte. Ils introduisent par le truchement du symbolisme de l’eau, celui de la régénération. Le tamis, dont la fonction est de séparer le grain de l’ivraie, est réduit ici à ne rien séparer. Il perd sa valeur fonctionnelle au profit de sa valeur symbolique, annonçant, par sa forme circulaire, le cycle, le renouvellement. La fréquente apparition du tamis à proximité de l’eau, ne fait que confirmer la logique des symboles s’unissant pour contribuer à la régénération permanente. Un vieux sage expliquait au héros, dans le conte "l’enfant et le roi des génies", que le fontaine dont le fond était en argent, la voûte en or, et les eaux blanches, était la fontaine de la vie. Celui qui y boit ne mourra pas. Nous y voyons, d’après ce qui prècède, que le contact avec l’eau, parce qu’elle est le point de départ des drames qui attendent le héros, comporte toujours l’idée de régénération. "L’eau est aussi un type de destin (....), un destin essentiel qui métamorphose sans cesse la substance de l’être", "elle est (...) une invitation à mourir". 3. Epreuves de la régénération Le désir de régénération et d’éternité compose avec l’agressivité et la négativité. Car, c’est un passage difficile d’un état à un autre. La régénération est un acte grave et dramatique qui ne saurait s’accomplir sans désordre social. Les activités sociales s’usent et doivent se régénérer. C’est à cette nécessité fondamentale que répond en défintive la régénération. C’est dans le passage de la stérilité à une abondante progéniture, comme d’une saison sèche à une saison humide de germination et de fécondité, que se réalise l’épreuve de la régénration, s’accompagnant de destruction et de mort (sacrifice). Les contes obéissent à cette loi en mettant en scène des ogres anthropophages et nécrophages (anti-hommes), des teriel (ogresses anti-femmes), des nains et autres formes humaines étranges qui font frontière entre l’ordre et le désordre. Ils sont médiateurs entre la stérilité et la fécondité. Témoins ces combats violents entre ces personnages asociaux et le héros, car l’agon est générateur de fécondité. Les héros est souvent appelé à s’immiscer dans un combat pour séparer deux adversaires éperviers, serpents, fourmis, béliers. Le désordre qui caractérise l’épreuve de la régénération s’appuie sur l’inversion des rôles de tous ordres en mettant à nu les oppositions sacré/profane, masculin/féminin, culture/nature, dedans/dehors, sec/humide. Dans le conte de "l’Homme-serpent", le serpent se charge de toutes les activités féminines, entre autres cueillette du bois, éducation des enfants, domaines réservés à la femme. L’homme qui, selon le dicton kabyle, est la "lampe du dehors" devient la "lampe du dedans", espace féminin par excellence. L’homme-serpent se repaît du "sang menstruel" pour avoir failli à sa virilité en marchant sur un serpent. Virilité offensée exige réparation et, ce dramatiquement, dans le sang, car le "sang n’est jamais heureux". La chute de l’homme-serpent n’est que la traduction du moment néfaste et tragique, nécessaire à la régénération, moralisé sous forme de punition. Il y a, en fait, bouleversement et tremblement des valeurs : "une valeur qui ne tremble pas est une valeur morte". Laoust cite, chez les Douzrous (Berbères d’Anti-Atlas), ces rites de retour du printemps qui consistent à choisir deux fiancés symboliques, de les escorter jusqu’à un sanctuaire qui, pour l’occasion, devient un lieu de prostitution sacrée. Ce bouleversement des condition sociales, symbolisé dans le conte par la chute de l’homme-serpent, est omniprésent dans le conte kabyle. L’esclave prend la place de la princesse, où la princesse revêt la peau d’un âne pour se faire prendre pour esclave, la femme maligne met au monde un enfant idiot, et la femme idiote un enfant malin. Des alliances matrimoniales se contractent souvent dans le conte entre les animaux et les êtres humains. Les jeunes filles se marient avec des inconnus de forme animale, des démons, des ogres, avec des étranges personnages qui leur défendent de les regarder dans la lumière. Le héros du conte "l’ogresse Yemma nouja" épouse la fille de l’ogresse. C’est un ogre qui prend pour femme la fille de l’infortuné vieillard du conte "délivré par ses frères". Toutes ces relations sont une volonté d’assurer l’androgynie de tout être, de transcender les contraires, opération indispensable à la régénération. Ainsi le nègre se transforme en belle femme blonde, le héros en gazelle, le serpent en prince charmant. Métamorphoses qui annoncent la palingénésie. Le rétablissement de l’ordre, perturbé par les épreuves de la régénération, se fait par l’offrande aux "invisibles" d’un bélier en holocauste, surtout par la mort des ogres qui incarnent le monde sauvage et stérilisateur. Le massacre des ogres, de par leur nombre (40 ou 99), est un sacrifice caricatural, une offrande votive en vue d’une fécondité. Le héros hérite d’ailleurs de la richesse des ogres. Les ogres sont parfois brûlés, le feu purificateur anéantissant ainsi leur pouvoir stérilisateur. 4. La régénération Après le sacrifice, massacre du dragon, des ogres, du méchant, etc., s’inaugure l’ère de la remise en ordre du monde et des choses. L’Homme-serpent a retrouvé sa forme humaine, une fois le renouvellement du groupe social assuré. Si le vieux ou le roi représente "la mémoire collective", alors le remplacement du roi par son fils, et l’abondante progéniture ne fait que "rafraîchir" cette mémoire et, partant, garantir sa pérennité. L’ère nouvelle est toujours attestée, dans le conte, par la consommation d’un mariage, et la naissance d’enfants abondants, mâles, souvent au nombre de sept, symolisant le retour de l’ancêtre éponyme. Comme le souligne G. Durand : "l’abondance est liée à la notion du pluriel, comme la sécurité temporelle l’est à celle de redoublement, c’est-à-dire la liberté de recommencement qui transcende le temps". Comme la régénération est aussi renaissance, le héros renaît souvent après avoir été dévoré. En effet, le héros avalé par l’ogresse, puis extrait de son ventre par son frère ou demi-frère après avoir tué celle-ci, rescussite en humant une herbe qu’une fourmi ou un lézard aura fait sentir à son adversaire tué sous les yeux du héros. Le héros sauveur lave son frère comme un nouveau-né. Ainsi, la dissolution sociale est vaincue au travers de la régénération qui se donne à voir dans toutes ces métamorphoses et renaissances. IV. CONCLUSION Nous avons vu que le conte s’appuie, est-ce banal de le souligner, sur des pratiques sociales où le groupe social est confronté aux problèmes existentiels. Le conte, document ethnographique, est inépuisable quant à sa richesse symbolique. Il met en lumière, outre les structures imaginaires du groupe qui le porte et le dit, à travers ses transformations narratives au fil du temps, un véritable outil pour questionner le présent dans ses quêtes originaires et sa projection dans le futur. La langue berbère (Tamazight) qui fut et demeure le véhicule de ce conte concentre en elle tout ce qui tisse précisément cet imaginaire. Sans trop forcer le trait, on peut dire que la revendication pour sa reconnaissance n’est autre qu’une lutte contre la mort. On comprend pourquoi tous les blocages politiques peinent à l’éradiquer pour être ancrée profondément dans l’imaginaire qui sédimente le réel. Puissent les non à Tamazight se souvenir du verbe lacté ! Achour Ouamara