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1. Le choc de la guerre

Le 4 août 1914, les Allemands envahissent la Belgique pour atteindre plus sûrement la France. Ils ne réussiront jamais à forcer la capitulation de l’armée belge, qui tient quatre longues années dans les tranchées de l’Yser. Dès la libération, la reconstruction du pays recommence, inaugurant paradoxalement une décennie de prospérité économique (les « années folles ») que vient interrompre la crise mondiale de 1929. La réduction de l’activité industrielle engendre alors un chômage qui s’accroît de façon inquiétante jusqu’en 1934. C’est l’année suivante seulement que l’économie du pays commence à se redresser, ce que symbolise l’Exposition de Bruxelles de 1935. Entre-temps, l’Europe assiste impuissante à la montée des fascismes : l’Allemagne quitte la Société des Nations en 1933, la Belgique elle-même connaît l’inquiétant succès d’un Léon Degrelle. Redoutée ou déniée, l’approche d’une nouvelle guerre est de plus en plus inéluctable.
La Belgique de l’entre-deux guerres se retrouve devant plusieurs problèmes non résolus en 1914. Le suffrage universel sans restriction (sauf pour les femmes) est instauré en 1919. Grâce à une égalité politique enfin complète, les socialistes envoient à la Chambre de nombreux députés, et participent à plusieurs gouvernements, ce qui permet d’améliorer considérablement le sort du prolétariat. Quant à la question linguistique, elle entre dans une phase décisive, grâce à la majorité flamande du Parlement : ainsi la flamandisation de l’université de Gand est-elle votée en 1930.

Sur le plan culturel, le choc moral provoqué par la guerre ébranle les modèles et les convictions qui dominaient l’avant-guerre. Deux phénomènes se sont produits durant le conflit : le pacifisme internationaliste (avec en France Romain Rolland, René Arcos, etc. Et en Belgique Clément Pansaers, Frans Masereel, etc.) qui contrarie le patriotisme officiel ; et surtout le communisme, victorieux en Russie avec la Révolution d’Octobre 1917. C’est pourquoi, de 1918 à 1939, deux grands tendances intellectuelles dominent :

-le rejet du monde d’avant-guerre et de ses valeurs, puisque c’est lui qui a « produit » le conflit et son cortège d’horreurs. La volonté d’instaurer une culture nouvelle prend deux directions distinctes, qui parfois se combinent entre elles :
a) esthétique (modernisme et surréalisme inspirent des formes radicalement neuves) ;
b) b) idéologique et politique (développement de la littérature engagée, du courant prolétarien).
-la reprise de formules « traditionnelles » (surtout dans le roman), mais au service de thèmes qui manifestent une profonde inquiétude quant à l’homme, à son identité, à son avenir : hantise de l’enfance, expérience de la folie, etc.


2. Esprit Dada et modernisme

De décembre 1917 à mai 1918 (soit encore en pleine guerre), à La Hulpe, Clément Pansaers édite un mensuel appelé « Résurrection », à teneur à la fois expressionniste, antimilitariste et internationaliste. On y trouve mêlés des textes d’écrivains allemands, belges et français, une étude de Pansaers sur « la littérature jeune allemande », etc. Après le n° 6, l’occupant interdit d’ailleurs la revue, tandis qu’à l’Armistice, son animateur est inquiété par des compatriotes zélés. Bien que son audience soit restée très limitée, « Résurrection » inaugure en Belgique la profonde mutation littéraire et artistique des années 20. Dès 1919, Pansaers écrit à Tristan Tzara pour lu signifier son adhésion au mouvement Dada.

La guerre finie, se développe à Anvers une intense activité intellectuelle qui se concrétise en 1920 par la naissance des revues « Lumière » (Roger Avermaete) et surtout « Ca ira » (sous l’impulsion de Paul Neuhuys). Sous ce titre « révolutionnaire » s’affaire une avant-garde quelque peu disparate, unie davantage par ce qu’elle rejette que par ce qu’elle poursuit. Le n° 16 (novembre 1921) est resté le plus célèbre : mené par Pansaers, intitulé « Dada - Sa naissance -sa Vie – sa mort », il fait le bilan du mouvement. « A plusieurs dadaïstes manquait certainement un critérium clair et net. Ne sachant pas très bien ce qu’ils voulaient, ils étaient entraînés dans le courant, qui essaya de rétablir l’ancien équilibre de 1914. Ils proclamaient la négation et passant à l’affirmation pour eux-mêmes, ils le faisaient à la remorque de Gide ou vaguement de Stéphane Mallarmé. Dada n’était plus, en dernière analyse, que Tam-Tam-Réclame » (p. 15).
Au même moment, Franz Hellens lance à Bruxelles les « Signaux de France et de Belgique », qui en 1925 prend le titre célèbre « Le Disque vert ». De tendance moins subversive que les prédécesseurs, ce périodique d’un excellent niveau se montre attentif à des phénomènes typiquement modernes, consacrant par exemple des numéros spéciaux à Charlot, à Freud, au suicide. Il constitue d’autre part un important trait d’union entre la France et la Belgique (on y trouve les noms d’André Malraux, de Jean Paulhan, de Jean Cocteau, de Blaise Cendrars, etc.), activant ainsi les indispensables échanges entre écrivains également soucieux de renouvellement. En 1923, Michaux en devient co-directeur.
Plusieurs autres publication littéraires et/ou artistiques voient le jour en cette période, lui assurant un dynamisme qui rappelle –le contenu excepté- celui des années 1880-1890. Toujours en 1921, Paul Vanderborght lance « La Lanterne sourde ». De 1922 à 1929, les frères Bourgeois dirigent avec Pierre-Louis Flouquet « 7 Arts », d’inspiration constructiviste, mais dépourvu de toute volonté d’engagement. Son titre le suggère, la revue milite seulement pour l’interpénétration des différentes pratiques artistiques et littéraires, et défend une conception de la poésie qui allie la rigueur et la sensibilité.
Bien entendu, les revues ne sont pas les seules en ces années 20 à proclamer le désir de renouveau né de la guerre. Il y a des récits provocants de Clément Pansaers « Pan Pan au Cul Nu du Nègre » (1920), « Bar Nicanor » et « Apologie de la paresse » (1921), le recueil « Salopes » et les collages de Paul Jostens, fortement marqué par le dadaïsme. Il y a d’autre part une série de plaquettes poétiques qui ne relèvent pas d’un courant particulier, mais témoignent d’une volonté commune de modernité –et qui, pour ce motif, peuvent se regrouper sous le terme générique de « Modernisme ». Ainsi « Le canari et la cerise » (1921° et « Le Zèbre handicapé » (1923) de Paul Neuhuys. « Des fragments du monde vivement colorés s’y trouvent (…) évoqués au gré de la fantaisie de l’écrivain, de même que des personnages aimés ou moqués, ou encore des bribes qui semblent toujours prêtes à dériver on ne sait quel inattendu » (Paul Emond) ». Plus classiques de facture, les poèmes de Norge ou d’Odilon-Jean Perier reflètent bien l’esprit du temps : poursuite vaine d’un idéal de pureté, rejet de ce qui est vil, étriqué, hypocrite. Mais là où Périer chante le décor citadin, avec ses toits et sa luie (« Notre Mère la ville », Norge évoque un désir d’évasion et de vérité inextinguible (27 poèmes incertains », 1923 ; « Plusieurs Malentendus », 1926.
Autre recueil caractéristique de l’époque : « Jazz-band », de Robert Goffin (1922), où perce nettement l’influence d’Apollinaire, de Cendrars.

Je me souvins jadis de chants d’église
Et ce soir j’écoute le jazz-band
Qui est le plus beau Te Deum du monde
Des nègres hurlent de tous leurs instruments
Et le jazz-drummer derrière son tambour
Est simple ainsi que Diogène.

Sans doute beaucoup d’autres titres pourraient-ils encore être cités, tels « La Courbe ardente », de René Verboom (1922). Il en est au moins un dont il faut souligner l’importance, notamment parce qu’il inaugure une carrière littéraire exceptionnelle : « Les rêves et la jambe », d’Henri Michaux (1923). Beaucoup des œuvres que nous avons qualifiées de « modernistes », il faut le souligner, sont éditées par « Ca Ira » ou « Le Disque vert », qui ne se contentent pas d’être des revues, mais construisent des foyers d’intense activité, où les rencontres et les discussions contribuent à former ce qui a manqué si souvent en Belgique : un milieu littéraire.



3. A l’enseigne du surréalisme

C’est dans le mouvement surréaliste que va, comme en France, se manifester de la manière la plus « organisée » le rejet de la culture et de l’esthétique traditionnelles. Il apporte sur la scène artistique et littéraire une cohérence théorique, une « logique » que les autres tendances novatrices, plus anarchiques, ne possèdent pas ou ne souhaitent pas. En 1919, André Breton, Louis Aragon et Philippe Soupault créent la revue « Littérature » où paraît le premier texte surréaliste, « Les Champs magnétiques ». Quant à la Belgique, il faut mettre en évidence une œuvre de Frans Hellens qui paraît en 1921 : « Mélusine ».

Sans être véritablement surréaliste, ce roman surprenant (seul antécédent peut-être qu’on puisse lui donner : « Impressions d’Afrique », publié en 1910 par Raymond Roussel) introduit dans le récit des éléments prémonitoires : le discontinu, la prédominance du rêve, l’image incongrue. Ainsi le tableau célèbre :

Après quelques heures de marche, nous aperçûmes une chose inattendue dans le vide accoutumé du désert. Devant nous se dressait une imposante cathédrale à deux tours carrées, sombres, presque noires. de loin, on pouvait la croire toute entière en bronze massif. Les rayons du soleil africain, avant de disparaître, embrasèrent un moment l’édifice.

Il faut attendre 1924-1925 pour qu’apparaissent les premières (et discrètes) manifestations surréalistes : une série de tracts intitulés « Correspondance », œuvre conjointe de Paul Nougé, de Camille Goemans et de Marcel Lecomte. Ce trio bruxellois est dominé par la forte personnalité de Nougé, communiste de la première heure, ami de René Magritte, esprit d’une rigueur et d’une profondeur remarquables, et dont le style à la fois lapidaire et légèrement énigmatique donne à ses textes polémiques un intérêt littéraire quasi supérieur à ses autres écrits.

Regarder jouer aux échecs, à la balle, aux sept arts nous amuse quelque peu, mais l’avènement d’un art nouveau ne nous préoccupe guère.
L’art est démobilisé par ailleurs, il s’agit de vivre. Plutôt la vie, dit la voix d’en face.
Nous poursuivions notre promenade, au passage délivrant de nos propres pièges quelques différences.
(« Correspondance », 22 novembre 1924).

Dispersés dans des publications confidentielles et devenus introuvables, les textes de P. Nougé sont restés longtemps inaccessibles. Grâce à Marcel Marien, ils ont été rassemblés et publiés, principalement dans deux volumes intitulés « L’expérience continue » et « Histoire de ne pas rire », où se traduisent les grandes préoccupations de l’écrivain : volonté de l’effacement de l’auteur, attention extrêmement perspicace au langage et à ses pouvoirs, refus de faire œuvre de « littérature », goût pour les aphorismes et les jeux de mots.
De telles options le montrent, les surréalistes bruxellois gardent leurs distances à l’égard de leurs homologues parisiens. Jamais ils n’adopteront les dogmes « bretonniens » de l’écriture automatique ou des hasards objectifs. Ainsi Camille Goemans, dont le recueil « Périples » paraît au Disque Vert en 1924, « La Lecture élémentaire » en 1929, etc.

Paysage fuyant
mobile comme l’eau
un arbre sous un arbre a fait un bond d’écume
les feuilles ont découvert les barques
et l’abîme l’abîme.
(La lecture élémentaire ».

Ainsi encore Marcel Lecteur, écrivain plus marginal qui ne se considère pas vraiment comme surréaliste, et dont les récits insolites en effet ne relèvent pas de cette école : « Applications » (1925), « L’homme au complet gris clair » (1931, « Les minutes insolites » (1936), « Le vertige du réel » (1936). Dans toutes ces nouvelles se joue un scénario privilégié : à force d’une attention extrêmement minutieuse aux détails les plus infimes de son environnement, le héros en arrive à découvrir une face cachée de la réalité ordinaire et bascule irrésistiblement dans cet « autre monde ».

C’est en 1932, au moment où des grèves violentes agitent la région de Mons et de Charleroi, que se constitue à La Louvière un deuxième foyer surréaliste : le groupe « Rupture », mené par Achille Chavée, et dont l’engagement politique est le souci principal. Il connaît en 1935 une année particulièrement féconde : premier recueil d’Achille Chavée (« Pour cause déterminée ), premier (et unique) numéro de la revue « Mauvais temps », où l’on trouve parmi d’autres les noms d’André Lorent, De Fernand Dumont, de Constant Malva. L’année suivante, Chavée s’engage dans les Brigades Rouges Internationales, tandis que deux recueils de lui paraissent aux éditions « Rupture » : « Le Cendrier de chair » et « Une fois pour toutes » (1937). Bien que moins connu, F. Dumont reste l’écrivain le plus attachant du surréalisme hennuyer, avec notamment « La région du cœur » (ensemble de tris contes paru en 1939). Il est en tous cas celui qui a le mieux assimilé et appliqué le « programme » littéraire défini par Breton, sans abdiquer toutefois sa sensibilité personnelle.


4. L’engagement de gauche

On l’a vu, l’engagement politique préoccupe beaucoup des écrivains qui se rattachent au dadaïsme, au modernisme et au surréalisme; pour être complet, il faut signaler dans les années 30 un certain nombre de groupes, de revues et d’œuvres qui, sans s’intégrer à l’un des courants précités, témoignent de l’aspiration à une littérature engagée, d’inspiration prolétarienne. C’est le cas pour la revue « Prospections », fondée en 1929 par Charles Plisnier et Albert Ayguesparse ; pour le « Front Littéraire de Gauche », instauré à Bruxelles le 24 juin 1934, où figurent les mêmes, Constant Malva, etc. Bien que relativement éphémères, ces créations manifestent une inquiétude partagée, qui sans doute doit être mise en relation avec la montée du fascisme dans l’Europe de l’époque.
Les œuvres les plus durables de ce courant sont sans conteste les romans de Charles Plisnier. Et d’abord « Mariages » (1936), tableau d’une société bourgeoise où la loi du profit aboutit à écraser les aspirations profondes de l’individu. Maus aussi « Faux passeports » (1937, recueil de nouvelles où sont évoquées diverses figures de révolutionnaires, et pour lequel la presse est encore plus élogieuse que pour « Mariages ». Plisnier reçoit à cette occasion le prix Goncourt.

Dans le même ordre de préoccupations, mais avec beaucoup moins de netteté idéologique, «Ma nuit au jour le jour », de Constant Malva (1938). Saisissant dans sa simplicité, ce « journal » décrit le travail au fond de la mine –accompli dans des conditions telles que, même dépeintes sans acrimonie particulière, elles constituent une sévère dénonciation de l’exploitation capitaliste.

En politique, parut en 1933 l'important ouvrage de Henri de Man "L'idée socialiste", un exposé sur la philosophie de l'histoire et du socialisme.



5. L’avant-garde dans l’isolement

De même qu’ Emile Verhaeren fut un « inclassable » pour son époque, l’entre-deux guerres voit s’accomplir une œuvre qui ne peut être rattachée à aucune autre : celle d’Henri Michaux. Ecrivain d’une originalité irréductible, comme en témoignent « Fable des origines » (1923), et surtout les premiers grands recueils édités à Paris : « Qui je fus » (1927), « Ecuador » (1929), « Mes propriétés » (1929), « Un barbare en Asie » (1933).

Sous-titré « Journal de voyage », « Ecuador » témoigne tout particulièrement des choix qui caractérisent, dès ce moment, le travail de Michaux : une exigence d’absolu, poursuivie au travers des aventures les plus risquées (en l’occurrence, une épuisante traversée de l’Amérique du Sud, des Andes à l’embouchure de l’Amazone) ; un mépris pour l’indigente « réalité » des choses, à quoi le narrateur préfère les pouvoirs mal explorés de l’univers mental ; l’image inquiétante du corps morcelé ; la diversité des registres stylistiques, qui alternent dans le texte, le poétique prenant le relais du narratif.

Ce n’est qu’un petit trou dans ma poitrine,
Mais il y souffle un vent terrible,
Dans le trou il y a haine (toujours), effroi aussi et impuissance,
Il y a impuissance et le vent en est dense,
Fort comme les tourbillons.



6. Le populisme et alentour

Le populisme, qui cherche à décrire de façon réaliste la vie quotidienne des gens du peuple, est un courant littéraire et artistique sans frontières très nettes. Pour nous en tenir à la Belgique, il est certain qu’il a partie liée avec le régionalisme et avec la littérature prolétarienne, auquel on l’assimile quelquefois. Ce qui caractérise les récits populistes, c’est bien entendu l’évocation des humbles et même de la misère (son expression extrême : le « misérabilisme »), mais en l’absence de tout réquisitoire, de toute revendication. Là où le courant prolétarien implique l’insertion dans un combat essentiellement collectif, le populisme n’envisage que des destinées individuelles, et se complaît souvent dans un fatalisme qu’éclairent quelquefois l’une ou l’autre lueur d’espoir.
En premier lieu, il faut citer les livres attachants de Neel Doff, romancière dont l’enfance s’est déroulée à Amsterdam dans une misère noire ; dès avant la guerre, elle l’avait racontée dans « Jours de famine et de détresse » (1911). « Keetje » paraît en 1919, « Keetje trottin » en 1921- sans doute ses meilleures œuvres, scandées par les images de la faim, de la prostitution, de la cruelle dureté des nantis à l’égard des miséreux, mais aussi par une indomptable confiance dans la vie. Paru en 1926, « Campine » évoque la période où, ayant trouvé l’aisance, elle vient en aide aux frustes paysans d’une Campine arriérée.

Bien que le ton y soit plus caustique et l’univers plus égocentrique, ce sont un peu les mêmes thèmes que l’on découvre dans deux romans d’André Baillon : « Histoire d’une Marie » (1921) et « En sabots » (1922). Largement autobiographiques, ces deux récits évoquent la vie de la prostituée un peu naïve mais généreuse que Baillon épouse en 1902 ; puis leur existence campagnarde en Campine, où l’écrivain s’était passagèrement essayé à l’élevage des poules. Ce qui retient particulièrement l’attention, c’est le mélange d’extrême simplicité et d’humour parfois grinçant avec lesquels sont relatés les péripéties les plus quotidiennes, comme si l’auteur se tenait constamment à distance de sa propre histoire.

Plus dur est « La Bêtise », de Constant Burniaux (1925), où sont mis en scène avec un vérisme quelque peu expressionniste les enfants des quartiers misérables d’une grande ville –souvenir de l’époque où l’écrivain était instituteur dans les Marolles bruxelloises. On retrouve dans « Une petite vie » (1929) l’alternance imprévisible du narrateur entre une ironie cruelle et une compassion attendrie pour les déshérités, dont tout l’universel moral se ramène en une sentimentalité « bête ».

Mais le monde de la ville (le côté pauvre et âpre de la ville), s’il est en effet le thème préféré des romans populistes, cède parfois la place à celui du travail manuel. Témoin « Le village gris » de Jean Tousseul (1927), croquis de la vie campagnarde au pays des carrières, avec ses bonheurs et ses petits drames, mais qui frôle souvent la sensiblerie. Ce défaut est absent des deux livres de Constant Malva « Histoire de ma mère et de mon oncle Fernand » (1932), et « Borins » (1935), témoignages d’un ton sobre et d’autant plus saisissant sur les conditions d’existence dans le Borinage.

Beaucoup d’autres titres pourraient trouver place dans cette rubrique. Mais il faut bien reconnaître que, comme pour le régionalisme, il s’agit d’un genre dont les potentialités littéraires ne sont pas renouvelables à l’infini. Et qui, lui aussi, offre une fâcheuse propension au pitoyable et au larmoyant. Comme les chansons de la même eau, les récits populistes se contentent souvent d’émouvoir à peu de frais, et seules méritent d’être retenues les œuvres qui comportent autre chose que des clichés factices. A cet égard, il faut mentionner les premiers romans de Georges Simenon, tels « Pietr-le-letton » (1929, première apparitions du commissaire Maigret, ou « Le testament Donadieu » (1936). Certes, l’intrigue est ici pour l’essentiel de nature « policière ». Mais les décors et les personnages de Simenon sont le plus souvent tirés des quartiers et des milieux populaires imprégnés de grisaille et de malchance.

En 1933, Robert Vivier publie « Folle qui s’ennuie », où il chante la vie modeste et tranquille des petites gens, mais sans atteindre la force des romans de Marie Gevers « La ligne de vie » (1937) et « Paix sur les champs » (1941. Ces récits dépeignent avec finesse et exactitude la fruste existence des paysans campinois au début du siècle, avec leur âpreté au travail et au gains, les mœurs brutales sinon primitives, l’importance des superstitions ; mais aussi, en dépit des obstacles, la victoire de l’amour et de la vie sur le passé maudit.


7. Naissance d’un théâtre

L’entre-deux guerres est aussi une période qui voit apparaître en Belgique un théâtre nouveau. Au début des années 20, pourtant, la situation n’est guère propice : divertissement mondain réservé à la bourgeoisie aisée d’une part, salles subventionnées pour les pièces à vocation « littéraire » d’autre part. Ce divorce se double d’un problème de création : les œuvres symbolistes d’un Maurice Maeterlinck sont déjà loin, le renouvellement de l’imaginaire et de l’écriture dramatiques paraît malaisé.

C’est dans cette ambiance que surgissent deux des plus grands dramaturges belges : Fernand Cromelynck et Michel de Ghelderode. Le premier se fait connaître avec « Le cocu magnifique », farce grinçante créée à Paris en 1920 : torturé par la jalousie, le héros préfère tout plutôt que l’incertitude, et offre sa femme à qui la veut, ce qui bien entendu a pour effet d’accroître son désespoir. Viendront ensuite « Les amants puérils » (créé en 1921), « Tripes d’or » (1925), « Une femme qu’a le cœur trop petit » (1934), etc. Ce qui caractérise le théâtre de Crommelynck, outre un sens aigu de la scène et du dialogue qui lui donne une vivacité hors-pair, c’est le mélange intime de comique et de gravité : les ressorts les plus secrets de l’âme humaine s’y révèlent d’une façon d’autant plus frappante au « sérieux » encombrant du drame psychologique –ce qui justifie la comparaison souvent faite avec Molière.

Tout autre est l’atmosphère qui se dégage des pièces de Michel De Ghelderode, dont les premières « grandes » apparaissent à la fin des années 20 : « Escurial » (publié en 1928, créé en 1929), « Barabbas » (créé en 1929, publié en 1931). S’y trouvent déjà les caractères spécifiques de l’univers ghelderodien : irréalisme carnavalesque, figures grotesques ou masquées qui sont autant de « types » et non de « personnages », présence constante de la mort allié à la bouffonnerie, mise en relief des instincts les plus élémentaires. La démesure est ici plus accentuée encore que chez Crommelynck, et rappelle quelquefois la farce moyenâgeuse. La faconde s’accroît encore dans ces chefs-d’œuvre que sont « Sire Halewyn » (1934), « Pantagleize » (1934), « La ballade du grand macabre » (1934), « Magie rouge » (1935), pièces qui feront scandale à Paris après 1945.

D’autres dramaturges, bien que d’une puissance et d’une originalité moindres, méritent d’être mentionnés : Henri Soumagne, avec notamment « L’autre Messie » (1924) et « Bas-Noyard », pièces à coloration étonnamment expressionniste. Et Herman Closson, dont le « Godefroid de Bouillon » (1933), au-delà de l’argument « historique, s’attache à dévoiler les motivations les plus secrètes des personnages.


8. A la recherche du « moi »

Cette période littéraire se constitue aussi, et à un titre nullement accessoire, d’une série de romans « psychologiques » : récits à base le plus souvent autobiographique, où le narrateur se livre à une difficile investigation autour de son « moi », et plus généralement à une quête de l’identité personnelle. De facture généralement plus traditionnelle, ces œuvres insistent notamment sur le rôle primordial et subconscient de l’enfance dans la formation de la personnalité, explicitant avec plus ou moins de netteté ce que les psychologues appellent le « roman familial ».

A cette tendance se rattachent plusieurs romans de Franz Hellens, surtout « Le Naïf » (1926), « Frédéric » (1935), « Les filles du désir » (1930). Ils manifestent plusieurs constantes caractéristiques de l’écrivain : la volonté de reconstituer les peurs, les rêveries, les fantasmes dont se nourrit et se construit l’imaginaire enfantin ; l’importance donnée à l’image (bienveillante ou non) de la mère, qu’il s’agira de retrouver en d’autres femmes, ; l’élargissement de la « réalité » pure et simple par le rêve, qui ouvre à la vie mentale son territoire illimité, à la fois exaltant et inquiétant.

Une place un peu latérale doit être faite à certaines œuvres d’André Baillon. Non tant aux écrits franchement autobiographiques de la fin de sa vie, comme « Le neveu de Mademoiselle Autorité » (1930) ou « Roseau » (1932), où la relation anecdotique nuit souvent au drame de l’aventure intérieure. Mais surtout aux œuvres qu’on pourrait dire « de la folie » : « Un homme si simple » (1925), « Délires » (1927), « Le perce-oreille du Luxembourg » (1928) : ici se révèle de la façon la plus nue l’intransigeance névrotique d’un héros pour qui le simple fait de vivre constitue une épreuve quasi insurmontable, et dont la seule défense réside dans cet humour grinçant qu’il dirige autant vers lui-même que vers on entourage.

Figure un peu comparable, Jean de Bosschère publie « Marthe et l’enragé » en 1927, « Satan l’Obscur » en 1933 : thèmes de l’adolescence révoltée dans une petite ville de province, du rejet dont souffre la jeunes infirme, de l’individualisme forcené qui répugne à toute forme d’hypocrisie sociale… Certes, il n’y a rien d’aussi amer dans « Madame Orpha », publié par Marie Gevers en 1933. Mais ce roman n’est pas aussi innocent qu’on le croit généralement. L’idylle entre Orpha (par ailleurs épouse d’un respectable fonctionnaire) et le jardinier Louis est vue par les yeux d’une fillette au seuil de l’adolescence : de par la personnalité du témoin, cette aventure banale est revêtue d’une dimension discrètement initiatique, la découverte par l’enfant de la réalité terrible et douce de la passion amoureuse.


Histoire de la littérature belge

I. 1830-1880 : Le romantisme embourgeoisé

II. 1880-1914 : Un bref âge d’or.

III. 1914-1940 : Avant-gardes et inquiétude

IV. 1940-1960 : Une littérature sans histoire

V. 1960-1985 : Entre hier et demain

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Parution du Guide du Musée Magritte

Bonne parution belge Aux Editions Hazan Cet ouvrage, rassemble chronologiquement l’ensemble des œuvres exposées dans les trois niveaux du musée : la conquête du surréalisme (1898-1929), l’échappée belle (1930-1950), mystère à l’ouvrage (1951-1967). Chaque niveau aborde thématiquement l’œuvre de Magritte dans toutes ses composantes, peintures, œuvres sur papier, photographies, sculptures. Tout au long de l’ouvrage, ces œuvres exposées seront associées à des éléments biographiques ou contextuels qui par leur articulation et leurs commentaires, forment au total une monographie vivante en même temps qu’une introduction essentielle à l’art de Magritte et du surréalisme belge. ISBN-EAN13 : 9782754103541
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Noir

Un hurlement à l'infiniJe ne viens de rienNulle part m'habite follementJe suis le cauchemarRéincarné dans le rêve du désirJe suis le hurlement de la vieDans sa forme visuelleJe ne suis rienCar l'éternité tout entièreNe peut me contenirLa négation de l'obscurC'est moiJe mords toujours jusqu'au sangJe suis la vieCar je rends à sa pérénité perpétuéeLe sang toujoursFrédéric Halbreich27 janvier 1997
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ADMINISTRATEUR GENERAL
Vernissage le mercredi 15/072009 « Artistes du 4ème », est un groupe né en 1995 à l'initiative de plasticiens installés dans le 4° arrondissement de Paris : le Marais. Ce quartier culturel qui abrite les célèbres musées Carnavalet ou Picasso, est le lieu privilégié de nombreuses galeries et d'ateliers d'artistes. Peintres, sculpteurs, photographes, graveurs, de tendances et de techniques d'expressions variées, la plupart des artistes ont déjà un solide parcours professionnel et sont reconnus nationalement et à l'étranger. Dans le but de mettre l'art au cœur des cités, ils multiplient les expositions, en France et en Europe, réalisant régulièrement des échanges avec d’autres groupes d’artistes, confrontant ainsi leurs pratiques et la diversité de leurs talents. Artistes participants : Véronique ANDRE (peintures), Pascale BLAIZOT (dessins), Hélène DELANOE (peintures), Laurence DUBAUT (sculptures), Dominique FILLIERES (gravures), Mark GOODMAN (peintures), Koala GRANDJEAN (peintures calligraphiques), Danielle LE BRICQUIR (peinture), NADEE (peintures), Eric PERRIN (peintures), SOLOMON (peintures), Nina URLICHS (œuvres sur voile textile), Jean-Charles YAÏCH (peintures et collages) .
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Charles de Coster (1827-1879)

Aucun écrivain belge avant Charles De Coster ne s’est vu reconnaître une réelle valeur internationale, aucun n’a été traduit en une dizaine de langues, en une centaine d’éditions, avec un succès que les années confirment au lieu de l’affaiblir. Et cependant, pour ne citer que trois écrivains de cette France qui ne lui rend pas justice, si Abel Lefranc a salué « La Légende d’Ulenspiegel » (texte intégral) comme un chef-d’œuvre des lettres françaises, si Romain Rolland a proclamé sa valeur d’art universelle, si Georges Duhamel l’a mise au rang des grandes épopées, à côté de l’Iliade, si presque tous les pays d’Europe et d’Amérique se sont élevés des éloges fervents, si la littérature néerlandaise, par ses traductions et ses imitations, a véritablement adopté cette œuvre française, peut-on dire que celle-ci, dans sa forme originale, a suscité, en Belgique et en France, l’intérêt et les lecteurs qu’elle mérite ? Sont-ils nombreux les Wallons et surtout les Français qui l’ont lue ? Sont-ils rares ceux qui s’imaginent qu’elle est tout au plus une brillante traduction ? Cette langue si française et si claire, mais émaillée çà et là de termes flamands, d’ailleurs traduits ou éclairés par le contexte ; cette évocation d’une page de l’histoire des Pays-Bas, mais surtout du peuple flamand, d’une famille flamande, de héros flamands ; ce titre même, annonçant un sujet folklorique qu’on pourrait croire assez mince, en faut-il davantage pour entretenir des préventions ? « Un livre bizarre, aussi étrange que son titre », écrit un rédacteur du Figaro, le 21 janvier 1877. De Coster aurait pu donner à son œuvre un titre moins compromettant. Il n’aurait pu en trouver un qui reflétât mieux les intentions affirmées déjà par les précédents : « Légendes flamandes » et « Contes brabançons ». « Mes ennemis ne me feront aller ni à droite ni à gauche. Je ne biaiserai ni ne tergiverserai, je marcherai droit dans la voir que je me suis tracée », écrit De Coster au moment où va paraître son premier livre. Nobles paroles du premier écrivain belge qui ait eu le courage de tout sacrifier à une impérieuse vocation. C’est sans preuves sérieuses et même contre toute vraisemblance qu’on a voulu faire de Charles De Coster le fils de deux Wallons. Si sa mère était de Huy, son père était bien un Yprois, intendant du nonce apostolique en Bavière. Charles De Coster naît à Munich, le 27 août 1827. Mais ses parents reviennent bientôt en Belgique et c’est à Bruxelles que s’écoulera sa vie. Il y termine à dix-sept ans ses humanités, chez les Jésuites, est employé de banque pendant six ans, démissionne en 1850 et s’inscrit à l’Université de Bruxelles. Ses études y sont médiocres et poursuivies avec la conscience d’enlever à la littérature, à l’imagination, à l’art, le temps qu’il faut consacrer aux cours. Aussi lui faudra-t-il cinq ans pour conquérir, en 1855, le diplôme de candidat en philosophie et lettres. Il ne pousse pas l’épreuve plus loin. Il se sent l’âme ni d’un avocat ni d’un professeur. Le journalisme le séduit davantage, mais il ne veut pas en accepter les servitudes : « Je ne ferai jamais de ma plume un outil. » Quelle fierté, quelle conscience, quelle inconscience aussi il lui fallut pour décider de n’être qu’un écrivain ! Il ne se faisait guère d’illusions cependant sur la rapidité du succès. « Je suis de ceux qui savent attendre », a-t-il dit. On cite souvent ce mot comme s’il exprimait son attitude hautaine en face de l’incompréhension qui l’entourait. Il ne l’a pourtant écrit qu’à propos d’un retard matériel dans la publication des « Légendes flamandes ». Mais ils s’est écrié, au moment où celles-ci allaient paraître : « Ha, il y a peut-être de la gloire là-dedans. Peut-être, et de la réputation. Mais je prends mon parti à l’avance, une seule chose me donne de l’espoir, c’est que c’est neuf et audacieux. » Dix ans plus tôt, dès 1847, avec un petit groupe d’amis, il avait fondé la Société des Joyeux. Elle réunissait des jeunes gens qui, sans renoncer à trouver la « joie » dans d’autres distractions, notamment dans la bière, étaient décidés à soumettre à une sévère critique collective leurs premiers essais littéraires. Le beau zèle des premiers jours bientôt s’attiédit, mais De Coster tint bon et mérita d’être cité en exemple. On ne peut pas dire que les Joyeux avaient une doctrine ou même des tendances très nettes. L’opposition entre classiques et romantiques animait la plupart des discussions. Mais plusieurs des membres de la Société devaient manifester plus tard de vives sympathies pour le réalisme. L’un d’eux, Emile Leclercq, dans la dédicace de son roman « L’Avocat Richard » (1858), reconnut que cette école lui avait été profitable. Elle le fut aussi à De Coster. Non que ses nombreux essais annoncent son génie. Il tâtonne, il passe de la prose aux vers et un moment il semble se croire poète. L’essentiel est qu’il se fasse la main et se forme le goût, qu’il apprenne à réagir contre une propension trop naturelle à la prolixité, aux digressions, au pathos. Après 1850, il s’inscrit dans un autre cercle, plus restreint, le « Lothoclo » animé par un de ses professeurs de l’Université de Bruxelles, Eugène Van Bemmel. Il collabore à la « Revue Nouvelle », publiée par cette société. Bientôt, en 1854, Van Bemmel fonde l’imposante « Revue trimestrielle », et De Coster peut adresser ses vers à un public plus large. Il vit alors un roman d’amour. De 1851 à 1858, il aime une jeune bourgeoise qui a cinq ans de moins que lui et qui comprend mal son romantisme et ses ambitions littéraires. Elle ne peut espérer que ses parents lui permettront d’épouser cet artiste, ce rêveur sans situation. Espoirs, déceptions, querelles, réconciliations se succèdent pendant sept ans, exaltent et dépriment tour à tour le jeune homme et le mûrissent dans la douleur. Il faudra finalement se quitter et renoncer au rêve du mariage. Mais cette épreuve, loin d’abattre l’idéalisme de l’écrivain, le fortifiera ; le souvenir d’Elisa se retrouvera dans les tendres amoureuses que De Coster mettra en scène avec délicatesse. L’émouvante histoire de ces amours un peu mystérieuses est conservée dans le choix des « Lettres à Elisa », publié par Potvin en 1894. On y voit un De Coster impressionnable à l’excès, timide, profondément mélancolique, exalté, incapable de s’adapter à « l’à peu près qui est toute la vie » ; il souffre d’être incompris ; il a besoins de tendresse et d’amitié, il aime les hommes, le peuple du moins ; il a horreur du bourgeois, bien qu’il refuse d’ « en manger » ; l’amour et l’humanité le déçoivent sans l’aigrir, son romantisme est sans orgueil, ni violence, ni révolte. Confrontés avec ces confidences épistolaires, les premiers écrits de Charles De Coster les confirment et les nuancent. On le voit dans les genres les plus divers, manifester un goût très vif pour les rêveries, l’apologue, les développements satiriques, les réflexions désabusées, les histoires d’amour les plus disparates. Avant 1856, il faut le reconnaître, De Coster, même après des années d’efforts, ne dépasse pas et souvent même n’atteint pas une honnête médiocrité. On le voit cependant se livrer à de timides essais de réalisme, faire des incursions éphémères dans le fantastique, se corriger pour introduire parfois dans son texte un détail caractéristique, une note picturale. Le fait le plus curieux est qu’à deux reprises, dans un récit exotique, oriental, il recourt à une prose qui, sans être archaïque, est poétisée, en quête de rythmes accentués par des phrases brèves, de courts alinéas, des répétitions. Réussites d’ailleurs sans lendemain et dont la formule est abandonnée aussitôt que découverte. Au contraire, en 1856, De Coster va prendre conscience de ses dons, opter pour un genre de sujets et pour un style. On ne l’a pas assez remarqué : 1856 est vraiment la plaque tournante de sa destinée littéraire. Que s’est-il passé ? De Coster cueille enfin le fruit de dix années d’essais divergents, mais tenaces. Il a aussi appris lentement à voir, à observer, à regarder vivre le peuple, surtout le peuple de Flandre ; il ne manque plus qu’un heureux concours de circonstances pour lui faire chercher son inspiration de ce côté plutôt que dans son romantisme, ses élucubrations, ses rêveries, ses exaltations généreuses, ses apitoiements ou ses indignations. Voici qu’il est enfin heureux, qu’il se lie à des amis dévoués dans une entreprise joyeuse, qu’il découvre de vieilles légendes qui lui permettent de se rapprocher du peuple et qui lui suggèrent un vieillissement de sa langue. Voici enfin que le succès et les critiques que rencontre un premier essai dans cette nouvelle voie l’encouragent à persévérer. en se renouvelant, en affirmant davantage son originalité. Insistons sur le bonheur qui le transforme en 1856. Quelques mois plus tôt, il doutait encore de l’amour d’Elisa ; elle refusait de le tutoyer, de l’appeler par son prénom. Maintenant il sait qu’il est aimé. Il se sent presque gai. Il surmonte ses découragements. Il regarde l’avenir avec confiance. Il est persuadé qu’Elisa lui porte bonheur. Bientôt ce rêve heureux se dissipera, sans doute, mais l’impulsion aura été donnée, l’écrivain aura pris son élan dans la bonne direction. Au même moment, au début de cette année, la fondation de l’ »Uylenspiegel » le détourne, elle aussi, des rêveries désabusées, des banalités sonores et utilitaires, et l’oriente vers une fantaisie plus joyeuse. Le 3 février 1856, avec Félicien Rops et quelques amis, De Coster lance, en effet, le journal « Uylenspiegel » . « Nous avons choisi un titre belge », déclare la rédaction. Uylenspiegel, pourtant est un héros allemand, rendu célèbre par des livrets populaires. A la fin du XVe siècle, une compilation en bas-allemand semble avoir groupé, sous le nom d’un paysan du duché de Brunswick, des tours malicieux, souvent grossiers, dirigés contre les riches, le clergé, les femmes et surtout les artisans. Transposé en haut-allemand vers 1500, traduit bientôt en flamand, à Anvers, et ensuite en plusieurs langues (c’est de là qu’est venu le mot français « espiègle »), ce recueil connaît en Flandre un vif succès au XVIe siècle et s’attire aussi les foudres de la censure à l’époque des guerres de religion. Allemand d’origine, Uylenspiegel a été adopté par la Flandre. Elle a cru que son tombeau était à Damme. Elle a conservé fidèlement son souvenir par l’image et dans les éditions gardant ou atténuant son irrévérence à l’égard du clergé. Notons-le tout de suite : c’est une version flamande publiée depuis peu à Gand chez Van Paemel, que De Coster prend pour guide quand il écrit sa « Légende d’Uylenspiegel ». Rien n’annonçait dans le premier numéro de « l’Ulenspiegel, journal des ébats artistiques et littéraires » la place que cet hebdomadaire allait occuper huit ans, dans la vie littéraire, artistique et politique. Il se présentait comme une œuvre gaie, jeune, de fantaisie pure, volontairement étrangère à toute coterie, à la politique, à la religion, aux questions sociales, franchement belge, et soucieuse d’échapper à la « réverbération de l’esprit français ». De Coster y collabore dès le troisième numéro. Il y publie quelques-uns des contes qui formeront les « Légendes flamandes » et les « Contes brabançons ». Bientôt Emile Leclercq, qui signe Pittore, y donne le branle à un mouvement de sympathie pour le réalisme pictural et littéraire. Avec une fantaisie et une verve croissantes, le journal tourne le dos au romantisme sentimental ou historique, autant qu’à l’académisme. Il accomplira en février 1860 une radicale métamorphose en se lançant dans la politique ; il deviendra la tribune des jeunes libéraux progressistes, et presque aussitôt Charles De Coster lui-même sera le porte-parole de l’équipe. Nous verrons l’importance de ces écrits. Pour l’instant, tenons-nous-en à cette année 1856, au cours de laquelle sont composées les « Légendes flamandes ». Elles sortiront de presse à la fin de 1857, avec la date de 1858. Mais c’est en 1856 que De Coster les écrit, en moins d’un an, dans une période d’euphorie. Il n’est donc pas étonnant qu’elles semblent à ce point détachées du romantisme. Accordons à celui-ci une part d’influence dans cette séduction du passé, de la couleur locale ; mais les sujets eux-mêmes n’ont rien de romantique, ni non plus la façon dont ils sont traités, sauf le fantastique dont De Coster les enrichit avec une complaisance progressive. L’étiquette « réaliste » convient moins encore, sinon à quelques détails. Ainsi apparaît tout de suite l’originalité de ce premier livre. Il mérite un examen attentif, car il est trop peu connu. Il est écrasé par « La Légende d’Uylenspiegel », dont il est le portail. Bien accueilli en 1858, il a eu la faveur exceptionnelle d’une seconde édition, en 1861, mais son succès reste un succès d’estime. A cause de l’archaïsme de son style et du caractère régionaliste de ses sujets un peu frêles, d’abord, à cause aussi d’une certaine prolixité. Chaque page a ses beautés, mais l’allure du récit est parfois lente, les développements et les dialogues trop complaisants, la broderie un peu lourde. Trompé par l’ordre où les quatre légendes se succèdent dans le recueil, on n’a pas prêté assez d’attention à leur ordre de composition et aux étapes de cette découverte que De Coster fait de son génie. Le 24 mars 1856, second jour de Pâques, il se rend en curieux et en sceptique à un centre célèbre de pèlerinage, Hakendover, près de Tirlemont. Il assiste à la procession des chevaux. Il ricane. Mais il a visité l’église, admiré le fameux retable. Il a su surtout, dans une version en français moderne, inspirée d’anciens documents et par un texte latin, le récit de la fondation miraculeuse, au VIIe siècle, de ce sanctuaire, édifié par trois vierges et treize ouvriers, dont le Christ en personne. De Coster ne croit pas aux miracles. Cette légende lui paraît « bête », c’est son mot. Cependant il a dû être intéressé, à travers la gaucherie un peu lourde du texte, par la naïveté, la poésie du thème. Il a dû se dire qu’il faudrait, pour retrouver ces grâces de vieille légende, mêler la fantaisie à la précision, la finesse et le sourire à l’émotion, et surtout (voici l’inspiration qui va transformer sa manière) adapter l’archaïsme du style à celui du sujet, vieillir légèrement sa langue et tenter un compromis entre prose et poésie, par une recherche de rythmes et une fragmentation du récit en alinéas ou versets n’excédant pas généralement trois lignes. Après tant d’essais de versification, il s’attache enfin à une forme plus originale et plus souple de poésie. Le conte paraît dans l’ Uylenspiegel du 4 mai 1856. le succès en est immédiat. On apprécie la nouveauté de ce « vieux français ». Encouragé de toutes parts, De Coster va chercher d’autres légendes, les traiter avec plus d’originalité encore dans l’invention, dans la fantaisie, dans le vieillissement de la langue, introduire dans son récit un fantastique très personnel. Il écrira à Elisa : « Cette fantaisie, si souvent attaquée par quelques-uns, me plaît. Ce monde étrange, j’aime à m’y plonger. J’aime l’espèce de folie qu’il faut pour créer dans ce genre. » Au lendemain de la publication de la légende des « trois pucelles » d’Hakendover, un jaloux a prétendu que De Coster en avait emprunté à un vieux livre les détails et la langue. Piqué au vif, notre auteur choisit une autre légende, rudimentaire et informe celle-ci, mais accrochée à une réalité plus matérielle et bien populaire, à une histoire de buveurs et de tir à l’arc, à la vie me^me d’une auberge qu’il fréquente ; il l’amplifie avec infiniment plus de liberté, il y insère du fantastique et surtout, après avoir lu Rabelais, il accentue l’archaïsme de son style. Ce second récit paraît moins de trois mois après le premier, dans l’ Ulenspiegel des 27 juillet, 3 et 10 août 1856 ; c’est l’histoire des « Frères de la Bonne Trogne », dont il fait une brochure. Deux autres légendes compléteront le volume es « Légendes flamandes ». De Coster sent qu’il s’est renouvelé : « Je voudrais tant ne marcher sur les traces de personne, me faire une spécialité. Je le ferai. » C’est d’ailleurs en partie pour cela qu’encouragé par des exemples français (il semble ignorer les belges), il a vieilli sa langue. Il faut s’entendre sur cet archaïsme qui n’a rien de scientifique ou de pédant. Et d’abord sur ses intentions. L’auteur écrit dans l’Ulenspiegel, à propos de son premier essai : « Un croyant du moyen âge a sculpté naïvement dans le chêne les personnages et les épisodes de la légende que je viens de vous raconter. Quant à moi, si j’ai essayé de la traduire en français du vieux temps, c’est tout simplement pour arriver à plus de vérité, et aussi par amour pour cette belle langue, châtrée aujourd’hui si vilainement. » Retenons ce désir d’une langue plus vigoureuse, renouvelée dans ses moyens d’expression, et cette assurance qu’une vieille histoire paraîtra plus vraie, aura un accent plus juste, si elle est écrite en une vieille langue. N’oublions pas non plus qu’en ces années d’apprentissage, De Coster s’est mis à fréquenter les artistes. Il s’est notamment lié avec Félicien Rops, Dillens, Wiertz, en attendant dix autres ; il a eu avec eux des conversations sur la peinture ; il s’est rapproché aussi des maîtres anciens ; il a visité les musées belges et hollandais. Il est impossible de lire les « Légendes flamandes » et « La Légende d’Ulenspiegel » sans penser à Bruegel l’Ancien, à Jordaens, à Teniers, à Jan Steen, à Jérôme Bosch, à d’autres encore. Non que De Coster se soit appliqué à des transpositions d’art. Mais les peintres lui ont imprimé dans l’esprit certaines images de ripailles, de diableries ou de tortures ; ils lui ont donné le sens de la couleur, ils l’ont incliné vers ce mélange de réalisme et de fantastique, dont ils lui offraient un frappant exemple. A vrai dire, l’archaïsme et le coloris n’atteindront leur pleine maîtrise qua dans « La légende d’Ulenspiegel », mais déjà ils contribuent à conférer aux « Légendes flamandes » une valeur d’art qu’on n’a guère eu l’occasion d’entrevoir dans les essais antérieurs. Se plaindra-t-on de ne pas trouver dans ce premier recueil une étude psychologique ? Ce serait, je crois, confondre les genres. Certes, ces sujets pouvaient se prêter à des analyses, à des conflits. Qu’on pense à ce qu’est devenue, chez Michel de Ghelderode ou Herman Closson, l’histoire de Sire Halewyn. Mais le halo légendaire n’est pas l’éclairage romanesque. Les caractères sont schématisés, vus à travers les gestes des personnages, saisis dans une action qui mêle à la vraisemblance et à la naïveté les arabesques de la fantaisie et un merveilleux où le surnaturel chrétien débouche sur un fantastique plus ou moins à la manière d’Hoffmann, un des auteurs préférés de Charles De Coster. Celui-ci veut cependant, il l’écrit à Elisa, « peindre de vrais caractères, de vrais hommes, avoir et montrer du bon sens ». Du moins ses héros, sont-ils vivants dans leur bonne humeur, leur tendresse, leur pudeur, leur effroi, leur pitié, leur colère, leur haine ou leur ruse. Au schéma sommaire des légendes dont il s’inspire, De Coster ajoute une observation malicieuse, des notes pittoresques, des traits savoureux, des contrastes étudiés. L’invraisemblance de certains faits se dilue dans l’atmosphère de légende et est corrigée par la précision, la vérité de nombreux détails. Parmi les circonstances heureuses qui favorisent la transformation de notre auteur, en 1856, il faut signaler la variété des quatre sujets qu’il découvre l’un après l’autre. L’histoire des trois vierges d’Hakendover, intitulée dans le recueil « Blanche, Claire et candide », est la plus simple, la plus sobre, la plus fraîche. Bien qu’elle soit la plus vieille des quatre légendes, elle se caractérise par un archaïsme plus discret de la langue et du style. On ne s’en étonnera pas si on lui restitue la première place, qu’elle a perdue dans le volume. Après ses trois expériences, quand il reprendra ce texte pour l’insérer dans son livre, De Coster amplifiera son récit et, tout en renonçant à certains vieillissements, il accentuera légèrement la teinte archaïque de l’ensemble. L’effet de « vieux français » est obtenu par la simplicité du vocabulaire, rarement désuet, et par un recours très discret à l’ancienne syntaxe. Il se confond avec une impression de poésie, avec une sensation de rythme, renforcée par une présentation très particulière de chaque idée, de chaque notation presque, en une sorte de verset. Certaines pages de ce conte sont des poèmes en prose : « Lors on était au treizième jour après la fête des Rois ; il avait neigé grandement et gelé par-dessus à cause d’une âpre bise qui soufflait. Et les trois pucelles virent devant elles, au milieu de la neige, comme une île de verdure. Et cette île était ceinte d’un fil de soie purpurine. Au delà de l’île était l’air du printemps florissant roses, violettes et jasmins, desquels l’odeur est comme baume. Au dehors étaient bises, autans et froidure horrifiques. » « Les Frères de la Bonne Trogne » sont inspirés par la vague légende des archères d’Uccle. Ce que De Coster accorde ici à un archaïsme intempérant, il l’enlève à la poésie et au rythme. Il atténuera d’ailleurs un peu cet archaïsme quand il insérera ce conte dans son livre. Mais il s’abandonne à sa fantaisie, teintée d’un humour malicieux ; il trouve, dans cette histoire de joyeux buveurs et de leurs femmes déçues, matière à un coloris plus chaud et surtout il y introduit du fantastique. Ce goût du fantastique et des diableries, d’où vient-il ? Des artistes sans doute, anciens et modernes, et d’Hoffmann. Peut-être aussi d’Aylosius Bertrand, qui offrait, en même temps qu’un échantillon de fantastique hoffmannesque, des séduisants exemples de prose rythmée, coupée en brefs alinéas. Ceux-ci, toutefois, dans « Les frères de la Bonne Trogne », sont nettement plus longs que dans le premier récit ; en 1857, plusieurs seront encore allongés ; cette variété caractérisera les deux derniers contes et s’introduira même dans « Blanche, Claire et Candide », grâce à de nouveaux développements. La troisième des « Légendes flamandes » est « Smetse Smee ». Je crois qu’elle a été composée après le voyage que De Coster a fait en Hollande, avec Dillens, en septembre 1856. Elle sera placée à la fin du volume, peut-être parce qu’aux yeux de l’auteur elle annonce « La Légende D’Ulenspiegel », déjà esquissée. De Coster, dans « Smetse Smee », exploite avec une invention très féconde le thème folklorique du forgeron qui a vendu son âme au diable, mérité les faveurs de saint Joseph et le pardon du Christ. Il mêle avec bonheur le miracle aux diableries, la satire historique au réalisme quotidien. Il installe dans son récit les mêmes préoccupations qui lui font faire d’Ulenspiegel le héros des guerres de religion ; il y rappelle avec sévérité les tortures et les bûchers de l’Inquisition, les cruautés du duc d’Albe et la sinistre figure de Philippe II. Ce fabliau s’élargit jusqu’à l’évocation d’une patrie livrée au feu et à la corde, jusqu’à la vision d’un au-delà où, joignant de vagues souvenirs de Dante à des figures grimaçantes de Jérôme Bosch et à la radieuse beauté de Lucifer. De Coster adapte à la nature des vices de l’humanité les châtiments infernaux. L’histoire est cependant plaisante, pleine de bonhomie et d’humour. Pittoresque à souhait, elle n’a pas cherché à retrouver le rythme qui va prêter à « Sire Halewyn » une sauvage poésie. Il manque à De Coster une légende pour étoffer son volume. Il lit la vieille ballade flamande d’Halewyn ; elle racontait, en de courtes strophes dont il reprendra le mouvement, la victoire d’une fille de roi sur un seigneur qui attachait au gibet les femmes charmées par sa chanson. Dépourvue de toute indication psychologique, cette ballade se bornait à évoquer une succession de dialogues et de gestes. De Coster est aussitôt plein d’enthousiasme. Il traduit le texte flamand, il porte en lui son sujet, il le laisse « bouillir », dit-il, attendant que « le métal et le moule » soient prêts pour « la fonte ». Il écrit sa légende avec fièvre en y insérant un fantastique très personnel. Puis il la reprend, tâche d’en supprimer les longueurs, de la rendre plus vivante, se reproche de ne pas être assez sévère, de se laisser aller à ‘émotion, aux larmes, comme s’il lisait l’œuvre d’un autre. Quand le livre aura paru, il s’étonnera qu’on puisse préférer « Smetse Smee » à « Sire Halewyn ». Pour la première fois, il affronte un thème pathétique. Pour la première fois aussi la nature, qui sera si souvent évoquée dans « La Légende d’Ulenspiegel », est réellement associée à la grandeur farouche du drame. L’héroïne, Matgelt, s’est retirée dans sa chambre, le soir où l’humiliation de son frère, vaincu par Halewyn, afflige et désespère toute la famille : « Et elle ouït le grand vent, précurseur de neige, s’enlevant par-dessus la forêt et grondant comme eau qui monte au temps des grandes pluies. Et il jetait contre les vitraux fenestrés, feuilles et ramules sèches, lesquelles y frappaient comme ongles de doigts de trépassés. Et il huait et sifflait en la cheminée bien tristement. » Et le lendemain, sa résolution prise, Matgelt chevauche droite et fière vers la terre d’Halewyn : « Et largement ouverts sont ses yeux assurés cherchant par la forêt le sire Halewyn. Et elle écoute si elle n’ouïra point le bruit de son coursier. Mais elle n’ouït rien, sinon emmi l’épais silence, le calme son des neigeux flocons tombant coîment comme plumes. Et elle ne voit rien, sinon l’air blanc de neige tout à fait, et blanche aussi la très-longue route et blancs aussi les arbres désenfeuillés. » Trois fois, à de brefs intervalles, ces phrases sont reprises, avec de légères variantes, scandant la chevauchée. De Coster, inspiré par la poésie populaire, tient là le procédé du refrain, qu’il utilisera aux moments les plus émouvants de « La Légende d’Ulenspiegel ». Sans renoncer aux alinéas de cinq à dix lignes, il reprend les courts versets de « Blanche, Claire et Candide ». Il les réduit parfois même à une ligne : « Matgelt, devant que de se mettre en lit, pria, mais non hautement. Et son visage était âpre et colère. Et s’étant dévêtue elle se mit en lit, fouillant aucunes fois sa poitrine de ses ongles, comme gênée d’étouffement. Et son souffle était pareil à expiration d’agonisant. Car elle était triste et marrie amèrement. Mais elle ne plourait point. » On voit comment il souligne le rythme par la répétition, au début de courtes phrases, de la même conjonction. Il lui arrive même de rompre la phrase davantage encore, pour mieux parquer les accents et les reprises (ch. XVII). Dans l’ensemble, la langue de cette légende offre une image fidèle du degré d’archaïsme des « Légendes flamandes ». On a pu remarquer, dans nos citations, la discrétion relative des emprunts à un vocabulaire périmé. De Coster pastiche-t-il le vieux ou le moyen français ou même la langue du XVIe siècle ? Non. Il essaye de se gorger une langue, de retrouver la saveur, la fraîcheur, la liberté, le pittoresque, l’allure plus souple d’un vieux style ; il se contente d’emprunter au français du XVIe siècle quelques-uns de ses caractères, surtout l’ellipse, le déplacement du pronom personnel ou de l’adverbe, l’inversion, l’abondance des participes présents. Il y a là une création plutôt qu’un pastiche et on fait tort aux « Légendes flamandes » en évoquant à leur propos les « Contes drolatiques » de Balzac. De Coster poursuivra encore pendant dix ans sa recherche d’une langue originale, au vieillissement atténué. Il a senti qu’il fallait éliminer davantage encore les mots oubliés, les anciennes formes, qui pouvaient nuire à la diffusion de son œuvre. Certes, bien que son cœur le portât vers le peuple, il ne semble pas avoir cherché un succès populaire. La présentation même de ses œuvres en belles éditions illustrées traduit le désir de toucher surtout une élite. Mais cette élite, fallait-il la heurter dans sa paresse et ses habitudes ? Emile Deschanel, dans l’élogieux article qu’il écrivit pour les « Légendes flamandes » et qui en devint la préface, approuvait l’écrivain d’avoir été plus discret que Balzac : « Il a fait tomber ainsi le plus grand épouvantail qu’il y ait pour le lecteur moderne, et a rendu son livre accessible à la majorité des lecteurs ». Il n’en déconseillait pas moins à De Coster de « persévérer dans cette voie étroite ». Il parlait, à tort, de « pastiche », « travail puéril et peut-être desséchant », et il concluait sans détours en approuvant le choix des sujets, mais en conseillant à l’auteur d’écrire « dans la langue de son propre temps ». Tout le monde ne fut pas de cet avis. Ni le journal belge « Sancho » du 7 février 1858, ni la « Revue des deux Mondes » du 1er avril ne firent pareilles réserves. Eugène Van Bemmel, lui aussi, dans la « Revue trimestrielle », refusa d’appeler pastiche cette heureuse imitation du français du XVIe siècle, mais il reprit à son compte ce mot malheureux, cinq ans plus tard, dans son rapport pour le prix décennal. Dans l’ « Ulenspiegel », qui avait d’abord protesté contre le mot « pastiche », Emile Leclercq, champion du réalisme, conseilla, le 14 mars, à Charles De Coster de peindre désormais les mœurs contemporaines et d’écrire en français du XIXe siècle, sans renoncer à sa simplicité savoureuse. A ne voir que les dates des deux livres suivants, « Contes Brabançons », 1861, et « La Légende d’Ulenspiegel », 1867, on pourrait croire que De Coster a tâché de suivre le conseil de son ami, avant de prendre finalement conscience qu’il faisait fausse route et de revenir à sa première manière. Il n’en est rien. Dès le moment où il publie les « Légendes flamandes », en 1857, il a en tête, je crois, son projet de « La légende d’Ulenspiegel » et il est en train d’écrire ses « Contes brabançons ». En décembre 1859, l’ « Uylenspiegel » annonce que « La Légende d’Ulenspiegel » est « sous presse ». Déjà, le 13 février de cette année, il en a publié un extrait où l’on voit que l’action est située au XVIe siècle. Le texte est précédé d’une note de la rédaction : « Nous nous occupons depuis plusieurs années à reconstituer cette légende altérée, annihilée presque par tant de sottes traductions. Un de nos collaborateurs, M. Charles De Coster, qui a fait ses preuves par la publication de ses Légendes flamandes, s’est chargé de ce soin. » Depuis plusieurs années ? Cela nous ramène aux premiers temps de l’ « Uylenspiegel », qui a commencé à paraître le 3 février 1856. De Coster et ses amis ont voulu revigorer l’histoire de leur patron, en y réinstallant les vivacités et les impertinences qui, depuis le XVIe siècle, avaient subi la censure d’éditeurs orthodoxes ou délicats. Revenir à Uylenspiegel, c’était revenir au début du XVIe siècle. Or, depuis quelque temps déjà, De Coster, comme beaucoup de ses contemporains, est fasciné par ce XVIe siècle. Il a été enflammé par les cours, à l’Université de Bruxelles, de son professeur Altmeyer, devenu son ami. En rendant compte d’un livre de cet historien. « Une succursale du tribunal du sang », la « Revue trimestrielle », en 1854, le compare à Michelet. Et elle évoque après lui le spectacle d’un petit peuple soulevé contre un empire, dans une lutte contre l’oppression religieuse et politique. Il y a plus. En mars 1856, Altmeyer achève à l’Université libre un cycle de conférences sur le XVIe siècle. Et le journal « Uylenspiegel », qui se défend bien à cette époque de s’occuper de politique ou de religion, écrit à ce propos, le 26 mars : cette lugubre page de nos annales où tout est meurtre, sang, pillage, où chaque phrase arrache un gémissement, une exclamation de colère ou de malédiction ». Il relate les protestations indignées de l’orateur contre ceux qui osent prétendre que le duc d’Albe avait « un cœur d’homme » : « Non ! ce n’était pas un homme, c’était une hideuse caricature de Satan ! » Altmeyer ravale Philippe II « au rang des assassins vulgaires ». Et le public lui fait une ovation : « Comme en 1854, la grande salle de l’Université était littéralement comble et l’enthousiasme indescriptible. » Voilà dans quelle atmosphère surchauffée va germer l’idée de « La Légende d’Ulenspiegel ». Quelques mois plus tard, De Coster, par un véritable coup de force, associera la farce de « Smetse « Smee » au drame lugubre du XVIe siècle. Avant cela, le 13 juillet 1856, dans l’ « Uylenspiegel » » encore, nous le verrons rêver devant un tableau de son amis Dillens, « Femmes espagnoles », qui représente un épisode de l’entrée du duc d’Albe en Belgique. Je ne dis pas que cette toile est à l’origine de la « Légende ». Mais le commentaire de Charles De Coster montre à quel point il saisit la poésie du contraste qu’offraient à ses méditations sur le XVIe siècle ce fond de massacres, d’incendies et de guerres et cette vie qui, malgré tout, joyeuse, chantante, hardie, continue au milieu des larmes. On le voit, tout nous conduit à placer en 1865 la genèse de l’œuvre, les premières rêveries sur son thème. Rappelons-nous que cette même année est celle où De Coster écrit ses « Légendes flamandes » et découvre sa voie et son style. Il lui faudra je pense, attendre 1857 ou peut-être même 1858 pour commencer à rédiger « La Légende d’Ulenspiegel », après l’avoir longtemps portée en lui, l’y avoir laissé mûrir. Or, dès 1856 encore, avant même de composer sa première légende flamande, il publie, toujours dans l’ « Uylenspiegel », un de ses « Contes brabançons ». Ceux-ci, en 1861, seront au nombre de sept. Mais trois d’entre eux ont paru avant le recueil des « Légendes flamandes », de 1854 à 1857. Un quatrième est inséré dans l’ « Uylenspiegel » en 1869. Trois donc seulement sont inédits ; encore faut-il tenir compte, pour l’un d’eux, « Ser Huygs », d’une lointaine ébauche, « Mohammed », qui remonte à 1848. Il ne faut donc pas voir dans les « Contes brabançons » une sorte de repentir de Charles De Coster tournant le dos à l’archaïsme du style comme aux vieilles légendes. Le titre même, peu adéquat au contenu de l’œuvre, atteste la volonté de passer pour un conteur national. En réalité, ces « contes » prolongent les essais tentés chez les Joyeux et à la « Revue Trimestrielle ». On y trouve, mêlés à de timides essais de réalisme, sensibles surtout dans les compositions les plus récentes, les tendances qui caractérisaient les œuvres de jeunesse. Ces médiocres essais de réalisme provoquèrent d’ailleurs la sévérité de Potvin. Dans la « Revue trimestrielle », il ne cacha pas sa déception. Si, dit-il en substance, De Coster, au terme de ces trois années où il a tenté l’abordage du roman moderne et du réalisme, a pu se convaincre qu’il a fait fausse route, il n’aura pas perdu son temps. l’Uylenspieegel lui même sembla partager cette sévérité, car il reproduisit l’article de Potvin en laissant, il est vrai, à l’auteur la responsabilité de son appréciation. Avouons que le réalisme de « Contes brabançons » est sans relief et sans âme. Mais c’est défigurer l’œuvre que d’y voir avant tout un essai réaliste. Le recueil est très disparate, il mêle les genres et les styles : romantisme grandiloquent, rêveries, morceaux de satire, récits d’un petit drame sentimental qui veut être émouvant, apologues sur les dons de l’écrivain, prose terne ou affadie, vers faciles alignés en prose. Vraiment le recueil ne nous intéresse plus que par ses confidences ou par la révélation d’une curieuse influence d’Alphonse Karr sur Charles De Coster. Et aussi parce qu’il achève de nous montrer, par contraste, à quel point fut bienfaisante la contrainte que l’auteur des « Légendes flamandes » et de « La Légende d’Ulenspiegel » s’imposa pour se forger une langue personnelle, archaïsante, simple, colorée, poétique. Seul « Ser Huys » ne nous déçoit pas. C’est qu’il a, lui aussi, un air de vieille légende. Nous retrouvons ici l’heureuse influence, sur Charles De Coster, du dépaysement dans l’espace ou dans le temps. Il aime ce sujet ; il l’a traité à une époque où il ne pensait pas à vieillir sa langue. Depuis lors il a eu l’illumination de 1856. Il reprend cette « histoire orientale », non certes dans le style des « Légendes flamandes », mais dans une sorte de compromis, tenté d’une main légère. Il n’y introduit pas de mots archaïques, mais il glisse des expressions au charme désuet, comme « madame la Vierge », « messieurs les saints », « son vouloir », « sa benoîte patronne » ; il recourt avec une extrême modération à l’ellipse, à l’inversion ; il s’en tient surtout à un vocabulaire très simple, à des images brèves, il introduit des participes présents, des rythmes sobres et nets. Et cela s’accorde parfaitement à la fraîcheur, à l’émotion naïve du récit. En cette année 1860 où, interrompant la rédaction de sa « Légende d’Ulenspiegel », De Coster assemble et complète ses « Contes brabançons », l’ « Uylenspiegel », nous l’avons vu, se jette dans la mêlée politique. Et c’est De Coster qui bientôt se charge de l’assaut hebdomadaire. Ce filleul d’archevêque a depuis bien longtemps perdu la foi. Comme Rops, autre ancien élève des Jésuites, il est devenu franc-maçon. Anticlérical sectaire, démocrate convaincu, il s’acharne, dans l’ « Uylenspiegel », contre les riches, contre les despotismes étrangers, contre le clergé, le pape, l’Espagne, Charles-Quint, Philippe II, Napoléon III et l’impérialisme français. Son idéalisme passionné, fourvoyé dans la politique, n’a d’ailleurs aucune indulgence pour les politiciens, qui sont pour lui des marionnettes. Il réserve toute sa tendresse à l’humanité qui travaille et qui souffre, il s’émeut devant toutes les oppressions et réagit avec la violence d’un anarchiste. Si l’on veut éclairer du dehors « La Légende d’Ulenspiegel », il faut la placer sous le projecteur de cette passion anticléricale et démocratique. M. Van Kalken dit, des jeunes libéraux progressistes, qu’ils « étaient avant tout férocement anticléricaux ». C’est l’époque où, en tête de son édition de Marnix de Sainte Aldegonde (1857), le français Edgar Quinet, réfugié à Bruxelles, se réjouit de voir, dans ce pamphlet, « le papisme » réfuté, extirpé, déshonoré, étouffé dans la boue ; tels sont ses termes. Et De Coster figure en tête de liste des souscripteurs. C’est aussi le moment où, à la suite de ceux qui présentent la Révolution du XVIe siècle comme une émancipation des consciences, se forment des sociétés de Gueux pour délivrer le pays « de la vermine papiste ». On voit la collusion entre les deux siècles. Reconnaître cette passion, cette haine de Charles De Coster, c’est expliquer la genèse de son œuvre et l’ardeur qui la brûle par endroits. Toutefois Romain Rolland a exagéré la place de la haine dans « La Légende d’Uilenspiegel ». De Coster entre dans la peau d’un Gueux ; dans l’élan de son fanatisme et de sa création littéraire, il ne se distingue plus de ses personnages. Mais il réserve au journal ses tirades, il sait se garder de transformer son livre en pamphlet, il n’écoute la violence que par intermittence, et sa « Légende d’Ulenspiegel » est l’image d’un monde où, à travers les orages, fleurissent les joies de la vie, les tendresses de l’amour, la poésie d’une nature généreuse, l’entrain d’un peuple ennemi de la servitude et des hypocrisies. Une heureuse décision du gouvernement a, en 1860, attaché De Coster aux Archives du Royaume, au service de la Commission royale chargée de la publication des anciennes lois et ordonnances de Belgique. Il dut sans doute cette nomination à sa connaissance apparente du vieux français. Elle lui donna l’occasion de lire d’anciens textes, de vieilles chroniques, des procès de sorcellerie, des documents historiques de toutes sortes. Il démissionne en janvier 1864. Pourquoi ? Cette position, dira-t-il, « n’était pas rentable et elle était sans avenir ». Sans doute aussi compte-t-il un peu imprudemment sur le succès de sa « Légende d’Ulenspiegel » ; il croit qu’elle va pouvoir paraître « en volume de luxe, de 500 pages, grand in-4°, illustré de 40 grandes eaux-fortes par Félicien Rops et de gravures dans le texte ». Mais l’éditeur des « Légendes flamandes » se récuse au dernier moment. Rops d’ailleurs n’est pas prêt. Il ne le sera pas en septembre 1867 et De Coster devra solliciter la collaboration d’autres artistes pour tâcher de paraître chez un autre éditeur avant la fin de l’année, afin d’être en course pour le prix quinquennal de la période 1863-1867. Vain espoir. Sans doute le livre pourra être déposé à temps, au prix d’un travail de typographie exécuté à vive allure, à Paris, en dépit des innombrables corrections faites sur épreuves et qui n’ont pas toutes été comprises. Mais le jury du prix quinquennal y verra surtout un « capharnaüm pantagruélique » et le prix sera décerné à Charles Potvin. De 1864 à 1867, De Coster attend avec impatience. Il n’ose pas bousculer Rops, qu’il admire, et dont la collaboration est gratuite. Il faut vivre cependant. Certes le malheureux a la tête pleine de projets dont le succès lui permettrait de faire patienter les créanciers. Mais il se laisse persuader qu’il faut d’abord publier sa « Légende » ; les autres livres pourront bénéficier de son succès. Pour gagner quelque argent, il se charge du secrétariat d’un journal de médecine. Il le lâche pour aller tenter sa chance à Paris, où « Candide » publie en 1865 le début de sa Légende. Mais il y étouffe. Le volume paraît enfin, sous le titre « La Légende d’Ulenspiegel », avec la moitié des illustrations prévues. Quelques exemplaires, destinés principalement au jury, portent la date de 1867 ; les autres sont datés de 1868. De Coster publie en 1868 une médiocre nouvelle, « Les Bohémiens », et en 1870 une autre, aussi peu intéressante, « Caprice de femme ». En 1869, quand toutes les illustrations sont achevées, l’éditeur lance une « seconde édition » de la « Légende » ; en réalité, c’est le même texte et le tirage, précédé d’une préface et illustré cette fois de tente deux eaux-fortes, sous le nouveau titre : « La Légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au pays de Flandre et ailleurs. » Le succès ne vient pas. Ni l’argent. La mère de l’écrivain veuve depuis 1833, n’a cessé de l’aider. Elle meurt. De Coster sollicite sans résultat, en 1868 et 1869, la place de bibliothécaire à l’Université de Gand. Il obtient une compensation. Il est nommé en 1870 professeur d’histoire générale et de littérature française à l’Ecole de guerre, qui vient d’être fondée, et répétiteur du cours de belles-lettres à l’Ecole militaire. En 1872, il devra renoncer au cours d’histoire générale, assumé par l’académicien Juste. Contrairement à ce qu’on affirme, il gardera jusqu’à sa mort les deux autres charges : les Annuaires officiels en font foi. En 1870, « Le Voyage de noces », roman annoncé depuis longtemps, sort de presse. La page de titre de cette édition princeps, destinée aux illustrateurs et à quelques amis, annonce sept eaux-fortes. Il faudra renoncer à ce projet et le volume sera mis en vente avec la date de 1872. De Coster ne chôme pas. Il collabore à la publication parisienne « Le Tour du Monde ». En 1855 et 1856, il est allé visiter la Hollande avec Dillens. Il retourne en Zélande avec son ami en 1873 et publie son reportage en 1874 (tome 28). Il repart en 1877, va revoir Amsterdam et la Néerlande. « Le Tour du Monde » imprimera en 1878 (tome 36) le texte que De Coster a rapporté de ce voyage et, après sa mort, en 1880 (tome 40), les notes qu’il n’avait pu mettre au point. Tout cela est très inégal d’ailleurs et d’un intérêt fort limité. Mais ces déplacements coûtent cher, plus peut-être qu’ils ne rapportent. De Coster, qui dépense largement, sans compter, est aux abois. On le voit, en 1875, lui qui est si charitable, tendre la main au gouvernement pour solliciter quatre cents francs, afin de donner un acompte à ses créanciers. Le 24 juillet 1878, quelques mois avant de mourir, il énumère les œuvres qu’il a « en préparation », notamment de nouvelles « légendes » de l’Escaut et de la Campine. En 1878, il écrit, en collaboration avec un lieutenant, un petit roman qui ne paraîtra qu’après sa mort, en 1879 : « Le Mariage de Toulet ». Traits forcés, invraisemblances, schématisations excessives rappellent, en les exagérant encore, les défauts du « Voyage de noce », dont nous allons parler. On croit reconnaître toutefois, dans la seconde partie, où se trouvent quelques pages d’un coloris plus chaud, la main de Charles De Coster. Signalons ici en passant qu’en 1865 De Coster s’était laissé tenter par une autre collaboration, avouée discrètement au verso de la page de titre d’une brochure de 32 pages, « Le Ballon Demine, Solution du problème de la navigation aérienne ». L’auteur, Edmond Deminne, inventeur du ballon, remercie « M. CH. De Coster qui s’est chargé de la partie littéraire de la brochure ». Cette collaoration se borne sans doute à une toilette du style et à quelques développements, surtout aux dernières pages. De Coster est usé par le travail, les privations, les soucis, la maladie, à bout de ressources, de talent, de vitalité. Le 7 ami 1879, il meurt à Ixelles, où ses nombreux déménagements dans le même quartier, pendant plus de trente ans, attestent ses continuels embarras d’argent en même temps que sa fidélité à ses mais et à ses habitudes. De toutes cette production, en partie alimentaire, il suffira de retenir un instant « Le Voyage de noce ». Disons-le franchement : l’œuvre est ratée. Elle a cependant été appréciée à l’étranger, surtout en Allemagne où, en 1940, un producteur l’a portée à l’écran. En Belgique, elle déçut les plus chauds admirateurs de l’écrivain. Caroline Gravière et Camille Lemonnier, entre autres, écrivirent spontanément à la « Revue de Belgique » (15 septembre 1872) pour exprimer leur opinion sur les invraisemblances et les ficelles de ce roman. De Coster, sans se libérer entièrement de son romantisme, a voulu se renouveler, s’essayer au roman réaliste et psychologique, mettre en scène avec une dureté cruelle – là où un malicieux humour aurait pu réussir- une belle-mère qui ne peut tolérer que son gendre partage avec elle la tendresse de sa fille. Mais il ne sait pas construire un roman où son caractère se dessine et s’affirme progressivement, dans une complexité vivante ; il ne sait pas, dans ce cadre, faire agir ou parler naturellement ses personnages, tout au long d’un conflit psychologique ; il ne sait pas toujours combiner heureusement la description, le récit et l’analyse. Il exagère surtout, dès l’abord, l’avarice, la bêtise, la méchanceté de la mère et ne parvient pas à rendre vraisemblable l’alliance, pourtant possible, de l’amour maternel et d’un égoïsme odieux. L’ambition tardive de cette cabaretière est enfin aussi caricaturale que son avarice ou sa jalousie. Le roman aurait pu être sauvé par le rôle des deux jeunes amoureux. Mais leur faiblesse pour cette marâtre est inexplicable. De Coster, en écrivant ce livre, a revécu son roman de jeunesse, ses rêveries, ses promenades avec Elisa, qui lui a révélé l’amour de la campagne. Cela nous vaut, dans la seconde partie, quelques pages de poésie et de fraîcheur, quelques lumineuses descriptions. Déjà la première partie contient quelques tableaux où l’auteur s’est même essayé, non sans bonheur, à de sobres transpositions. Ici, avec un sens pictural qui se donne plus libre cours, il trace de plus larges paysages. Qu’on lise par exemple la description de la campagne près de Ruysbroeck (deuxième partie, chapitre III). La composition en est d’une netteté remarquable. De Coster décrit le ciel, les nuages, les arbres, puis à grands traits les plans successifs ; il s’arrête ensuite, avec un art subtil, impressionniste, aux détails du tableau, sons, lignes et couleurs. Tout concourt à une sensation de bonheur paisible et lumineux qui fait jaillir la prière. D’autres scènes d’intérieur, sont de charmants pastels où l’amour apparaît vif, espiègle, chargé de mélancolie que de Coster associe à la profondeur. Mais en dehors de ces quelques réussites, le style est terne, lent, maladroit, déclamatoire ou encombré de fadeurs. Il nous faut mentionner encore les œuvres dramatiques de Charles De Coster. De 1850 à 1878, c’est-à-dire tout au long de sa carrière, il a été attiré par le théâtre ; il s’est par intermittence essayé à des comédies sentimentales, en vers ou en prose ; la moins mauvaise « Jeanne », a paru dans un journal, « L’Echo du Parlement », en 1863. Il n’a jamais définitivement renoncé à l’espoir de faire jouer un médiocre drame historique et romantique en vers, intitulé d’abord « Crescentius », en 1853, puis « Stéphanie » en 1878. Au soir même de sa vie, bien qu’il ait abandonné depuis longtemps la poésie, il se fait encore d’étranges illusions sur ce drame, qu’il veut remanier pour le porter à la scène. Il n’en voit ni le prosaïsme flagrant, ni la maladresse de la construction, ni la faiblesse psychologique, ni la prolixité, ni la redondance. Ce n’est pas le seul exemple d’un romancier ou d’un conteur qui n’excelle dans le dialogue que dans des conditions bien déterminées, sans pouvoir se soumettre aux cadres et aux servitudes du genre dramatique. De Coster, lui, a besoin de la souplesse et de la liberté qui lui laisse la formule inaugurée dans les « Légendes flamandes » et reprise dans « La Légende d’Ulenspiegel », mais appliquée à une matière infiniment plus vaste et plus variée. Son récit n’a pas l’allure habituelle d’un roman. Il procède par scènes détachées. Chaque chapitre contient un épisode présenté comme un tout, dans un développement d’une longueur très variable. L’écoulement des saisons est souvent évoqué avec poésie et pittoresque, mais la durée des intervalles est rarement précisée ; elle peut être, d’un chapitre à l’autre, de quelque jours ou de quelques années. La scène change brusquement de lieu, de pays, de personnages. Sous cette apparente dispersion s’établit, par un jeu subtil de correspondances, une profonde unité. Le drame historique se superpose à un drame domestique, les épreuves et la vengeance d’une famille sont associées à la douleur et à la révolte d’un peuple. L’équilibre n’est point parfait cependant. De Coster a trop sacrifié aux farces traditionnelles. Entraîné par les conséquences de l’heureuse idée qui lui fait opposer Ulenspiegel et son père, Claes le charbonnier, à Philippe II et à Charles-Quint, il doit attendre la mort des deux pères pour faire d’Ulenspiegel le champion de la révolte. Et il lui garde ainsi, jusqu’au-delà d la trentième année, une insouciance et même une méchanceté qui jurent avec la gravité des événements et le spectacle d’une patrie qui déjà souffre sous la rigueur des placards. Les farces empruntées au livret populaire ne méritaient pas toutes l’honneur que De Coster leur fait. Il aurait dû les trier plus sévèrement encore et s’en tenir à celles qui inspiraient sa verve et sa fantaisie. On regrette surtout de voir Thyl Ulenspiegel prolonger à plaisir son exil et oublier pendant dix ans son pays, ses parents, sa fiancée. Quand il revient à Damme, son père est en prison. Tenté par la loi qui assure au dénonciateur une partie des biens du condamné, un avare poissonnier a porté contre Claes l’accusation d’hérésie. Ulenspiegel assiste à l’interrogatoire et au jugement de son père, il sauve avec Nele, sa fiancée, le petit trésor convoité par l’accusateur. Claes est brûlé vif. La nuit, la mère et le fils, répondant à l’appel de la victime, vont recueillir un peu de ses cendres. Elles battront désormais sur la poitrine du héros, dans un sachet de soie rouge et noire. Soetkin, en l’attachant au cou de son fils, lui dit : « Que ces cendres, qui sont le cœur de mon homme, ce rouge qui est son sang, ce noir qui est notre deuil, soient toujours sur ta poitrine, comme le feu de vengeance contre les bourreaux. » Le voilà champion de cette nouvelle chevalerie de la haine et de la vengeance. Bientôt Soetkin et Thyl, qui ont fait entre eux « un pacte de haine et de force », supporteront la torture plutôt que de révéler l’endroit où est caché l’héritage. Malheureusement une indiscrétion de la mère de Nele, Katheline, qui croit avoir commerce avec les diables et n’est qu’une pauvre bonne sorcière affolée, permet à son séducteur de s’emparer de la somme. Soetkin, à bout de forces, meurt bientôt. Les bûchers continuent de brûler. Au cours d’une scène de sorcellerie, aux mystérieuses Pâques de la Sève, Ulenspiegel interroge les esprits sur le moyen de sauver la terre de Flandre ; il reçoit un message énigmatique : Cherche les Sept et la ceinture. Il se met en route et aussitôt rencontre Lamme Goedzak. Celui-ci cherche sa femme, qui l’a quitté sans raison apparente. On saura plus tard qu’elle a écouté un moine, Broer Cornelis. De Coster accepte sur ce fougueux prédicateur les inventions des pamphlétaires du XVIe siècle et il l’associe habilement à son intrigue. Quant à Lamme Goedzak (Agneau – Sac à bonté), il est emprunté à ce folklore flamand qui a fourni à « La Légende d’Ulenspiegel » tant de scènes et de détails. De Coster toutefois transforme le personnage ; il lui laisse son caractère de mari bonasse, mais il en fait un tendre gourmand dont la corpulence, l’humeur pacifique et la simplicité naïve forment un continuel et amusant contraste avec la vivacité d’esprit et de corps, la vaillance et l’ardeur d’Ulenspiegel. De Coster a sans doute pensé au couple Don Quichotte-Sancho, mais il n’a retenu que la suggestion opposant, dans une aventure pleine d’imprévus, le matérialisme à l’idéalisme ; pour le reste, ce serait une erreur de pousser plus loin le parallèle. Sans exagérer la transposition, il est permis de croire que De Coster a prêté à Lamme Goedzak certains traits du caractère de son ami Adolphe Dillens, et notamment « son immense amour qui pardonnait tout, tout, et était trop heureux d’être payé de franches caresses » (lettre à Elisa, n° 145). Les deux amis vont parcourir les Pays-Bas, prêcher la révolte, espionner l’ennemi, dénoncer les agents provocateurs, recruter des soldats, participer à des coups de main. Un retour opportun à Damme donne à Ulenspiegel l’occasion de venger ses parents et de libérer son pays d’un loup-garou qui le terrorisait. Puis, toujours avec Lamme, il repart vers la guerre, qui se poursuit sur la mer. De Coster dénoue le drame où Katheline est engagée depuis le début du récit. Elle meurt, accusée de sorcellerie, dans une épreuve de justice qui fait éclater son innocence. Nele, après avoir rempli jusqu’au bout ses devoirs filiaux, peut désormais rejoindre Ulenspiegel et l’épouser. Lamme bientôt retrouve sa femme et quitte la flotte des Gueux. Les Etats généraux proclament la déchéance de Philippe II, la guerre finit. Ulenspiegel et Nele s’installent dans l’île de Walcheren, la plus proche des Flandres ; gardien de la tour de Veere, le héros, qui n’a pas vieilli, pourra surveiller la côte contre un éventuel retour des Espagnols, en attendant de venir souffler « le vent de liberté sur la patrie Belgique ». Une dernière vision mystérieuse explique à Thyl et à sa femme l’énigme des Sept ; ils voient sept vertus se substituer aux sept péchés capitaux. Quant à la « ceinture », c’est une alliance entre la Hollande et la Belgique. Ulenspiegel reste engourdi sous le charme du baume e vision. On le croit mort. Un prêtre passe. Il ordonne d’enterrer le célèbre Gueux. Mais celui-ci se dresse dans sa tombe : -Est-ce qu’on enterre, dit-il, Ulenspiegel, l’esprit, Nele, le cœur de la mère Flandre ? Elle aussi peut dormir, mais mourir, non ! Viens, Nele. Et il partit avec elle en chantant sa dixième chanson, mais nul ne sait où il chanta la dernière. Ainsi l’épopée reste ouverte sur l’avenir. De Coster refuse de la clore sur la défaite des Pays-Bas méridionaux. Le héros reste disponible pour d’autres luttes, Flandre ne peut mourir. N’allons pas voir dans ce dénouement épique une vue de prophète prévoyant de nouvelles résistances à l’étranger. Ne croyons pas surtout, avec Nautet, que De Coster, en sa « rêvasserie poétique », regrettait « le pénible avortement » de la nouvelle union de la Belgique à la Hollande, entre 1815 et 1830. Il ne désirait qu’une alliance laissant à chaque peuple son indépendance. Flamand de cœur, il était Belge par-dessus tout. Son rêve d’une sorte de Benelux peut aujourd’hui nous paraître audacieux. Il n’était pas exceptionnel à l’époque chez de bons patriotes. Je viens de parler d’épopée. C’est bine à ce genre qu’il faut rattacher ce roman historique dont aucune littérature n’offre l’équivalent. Sans doute « le Légende d’Ulenspiegel » ne ressemble strictement à aucune épopée ancienne ou moderne, mais son sujet, sa composition, son style et ses procédés ne sont pas sans analogies avec nos vieilles légendes épiques. Certes l’histoire y est respectée davantage dans la maturité des faits. De Coster évoque, avec une fidélité relative les édits, les placards, les principaux épisodes du soulèvement, de grandes scènes comme l’abdication de Charles-Quint, le Compromis des nobles, la proclamation de la déchéance de Philippe II, des rencontres de conjurés, des batailles, des sièges, des massacres ; il s’inspire de documents authentiques pour imaginer procès et tortures. Il choisit, élague, développe ou transpose. Il suit dans l’ensemble le déroulement historique des faits, sans craindre d’opérer quelques décalages en vue d’effets artistiques. Son information est celle d’un érudit dont la bonne foi paraît entière, malgré son fanatisme et ses erreurs. Devant les contradictions des témoins et des historiens, il n’hésite pas, il se rallie à ceux qui lui paraissent avoir raison, c’est-à-dire à ceux qui fortifient son propre jugement. Sa vision, sa passion, son interprétation des faits sont bien d’un poète épique, dont le cœur a pris parti pour un champion, pour une armée, pour une patrie. Faut-il rappeler d’autre part, le mélange de la légende à l’histoire, du surnaturel au réel, le grossissement des traits qui dessinent un Charles-Quint, un Philippe II, un duc d’Albe, un Lamme Goedzak et combien d’autres personnages, l’éternelle jeunesse et l’immortalité d’Ulenspiegel et de Nele, les dimensions grandioses du cadre et les proportions gigantesques du conflit qui embrasse un demi-siècle ? Il n’est pas jusqu’à la présentation et au style de « La Légende d’Uylenspiegel » qui ne retrouvent d’instinct, sans aucune volonté d’imitation, qulques-uns des procédés de nos anciennes épopées : découpage si caractéristique des scènes, avec oppositions, parallélismes, refrains ; projection directe des épisodes, description animées ou parlées ; substitution de l’action à l’analyse ; brèves réflexions sentencieuses ; recours continuel au dialogue ; recherche constante de rythmes. On a l’impression d’une œuvre écrite pour la lecture à haute voix. Ceux qui l’ont entendue à la radio, dans une adaptation qui en respectait le texte, ont pu sentir à quel point ces phrases souvent brèves, scandées par leurs conjonctions et leurs adverbes, soutenues, pour peu qu’elles s’amplifient, par une cadence étonnante, portent parfois l’effet dramatique jusqu’à l’hallucination et répondent aux exigences de la diction. Les caractères des principaux personnages relèvent aussi de l’épopée. On connaît la prédiction de Katheline : « Claes est ton courage, noble peuple de Flandre, Soetkin est ta mère vaillante, Uilenspiegel est ton esprit ; une mignonne et gente fillette, compagne d’Ulenspiegel et comme lui immortelle, sera ton cœur, et une grosse bedaine, Lamme Goedzak, sera ton estomac. » Ne prenons pas à la lettre toutefois ces simplifications. Elles se bornent à mettre en évidence un trait dominant, qui n’exclut ni les nuances ni une évolution commandée par les circonstances et tellement naturelle qu’elle se produit toujours sans conflit intérieur. Sans doute, nous le savons déjà, il ne faut pas demander à De Coster un commentaire psychologique. Les sentiments se traduisent en actes. D’autre part, les caractères ne sont pas complexes. Epopée, « La Légende d’Ulenspiegel » classe les personnages en deux clans : les bons et les méchants. Mais il y a bien des façons d’être bon ou méchant, vaillant ou pleutre, cruel ou compatissant, et aucun personnage de la « Légende » ne ressemble exactement à un autre. On regrette seulement que le héros, Ulenspiegel n’atteigne pas plus vite un heureux équilibre entre la grossièreté et la malice de son modèle et le courage, la fierté, la loyauté, la passion que de Coster associe à son esprit d’indépendance et à son humeur frondeuse. Nele aussi a bien failli nous décevoir. D’après les notes consignées par de Coster dans un petit carnet, on sait qu’il prévoyait un plus grand nombre de scènes de sorcellerie. Katheline était une jeteuse de mauvais sorts. Nele elle-même devait être une vraie sorcière, qui n’aurait finalement gardé de ses expériences qu’un pouvoir bienfaisant. De Coster a bien fait de renoncer à troubler cette pure figure. N’eût-il pas dû renoncer de même à l’énigme des Sept ? Elle est formée d’éléments composites : goût progressif du fantastique, souvenirs littéraires et images de Bruegel et surtout de Jérôme Bosch, influences de l’occultisme, évangile maçonnique et rêves humanitaires, religion du Progrès, confiance dans les vertus moyennes, glorification de Lucifer, l’éternel insoumis, l’infatigable lutteur. Et surtout, foi en la Nature : aux Pâques de la Sève, après la victoire de Lucifer, le roi Printemps, sur le géant Hiver, tout bourgeonne, verdoie, fleurit, tout est force et jeunesse et les esprits de la Sève chantent la gloire de la nature. Quels que soient le sens profond, le mouvement et la richesse picturale des quelques scènes surnaturelles qui jalonnent l’œuvre, quelle que soit l’habileté avec laquelle De Coster maintient la présence de ce thème, celui-ci ne suscite aucun intérêt durable, il n’inquiète et ne soutient le héros que par intermittences. En dépit de quelques faiblesses dans son architecture, « La Légende d’Ulenspiegel » est vraiment le chef-d’œuvre d’un auteur dans la pleine maîtrise d’un art personnel. Elle palpite d’une vie intense, d’une passion âpre et haineuse, mais aussi d’une tendresse profonde ; elle ressuscite une époque et fait vivre un peuple dont tous les aspects lui sont familiers, sauf le sincère élan religieux. Elle évoque les scènes les plus variées, avec un pittoresque sobre et expressif, un coloris soucieux de lignes, des attitudes, des gestes, de la lumière autant que de la couleur proprement dite. De Coster excelle dans la description et le portrait, mais il n’abuse pas de ses dons et se contente souvent de quelques traits, de suggestives notations. Surtout il ne décrit pas pour décrire, mais pour créer une atmosphère, préciser un moment, rendre plus vivants les personnages, introduire dans le mouvement du récit plus de précision, plus d’intensité, plus d’émotion. La maîtrise de l’écrivain éclate même dans le brassage de ses emprunts. Il a lu notamment Marnix, Altmeyer, Potvin, des chroniques, des pamphlets, des procès de sorcellerie ; il s’est inspiré surtout de l’historien américain Motley et a suivi parfois pas à pas et jusque dans son plan la traduction française (1618) de l’ « Histoire des Pays-Bas » de l’Anversois Emmanuel Van Meteren. Il a lu et relu les premiers livres de ce monumental in-folio favorable aux révoltés, il s’en est inspiré pour fixer les grandes divisions de la « Légende », les limites de ses cinq livres ; il en a tiré des suggestions de toutes sortes, des précisions innombrables, des traits de couleur locale ; il s’est, à son contact, familiarisé avec un français archaïque, mais de cent ans plus jeune que celui de Rabelais ; il n’a pas craint de transcrire textuellement certaines données historiques. Toutefois, si l’on porte un jugement d’ensemble sur ces emprunts, on peut dire qu’ils n’entament as profondément l’originalité de Charles de Coster ; ils font même ressortir parfois une aptitude étonnante à tirer d’un récit assez froid de puissants effets dramatiques et pathétiques. Ne parlons point de plagiat. Ni surtout de pastiche. De Coster a poursuivi avec un art plus sûr l’expérience des « Légendes flamandes ». On peut suivre son patient travail sur une partie du manuscrit et des épreuves. Il réduit le nombre des archaïsmes lexicaux ; il s’en tient, avec une modération également progressive, à quelques vieillissements syntaxiques : inversion, ellipses, participes. Quant aux autres procédés, il les reprend aussi avec plus d’art et de mesure ; il a soin notamment de ne pas abuser des courts alinéas, mais il en tire des effets de variété, de relief et de rythme. Sa prose, à la fois simple et riche, ne ressemble à aucune autre. En fait, elle est très peu vieillie, mais elle a la saveur et, par moments, la poésie d’une vieille langue, souple, cadencée, gonflée d’images pittoresques, de comparaisons empruntées à la vie courante et souvent rajeunies. Elle a des audaces comme des délicatesses. On a reproché dès le début, on reproche encore à « La Légende d’Ulenspiegel » ses beuveries, ses trivialités, ses obscénités. On y mange et on y boit trop, a-t-on dit. Je louerais plutôt Charles de Coster d’avoir introduit ce thème dans son œuvre et d’en avoir tiré quelques scènes d’un vigoureux coloris et des images succulentes. Il a lu Rabelais, sans doute, mais surtout il a fréquenté les musées, les tavernes, les auberges, y regardant le peuple vivre, s’amuser, festoyer. A-t-il exagéré ? On peut à peine le prétendre, si l’on renonce à isoler ces éléments et si l’on n’oublie pas le rôle assigné à Lamme Goedzak dans cette évocation de la Flandre. Quant aux « obscénités », il faut les ramener, elles aussi, à leur juste mesure. Ici encore on retrouve l’influence des peintres, quelques scènes ou expressions assez crues, des détails parfois grossiers, des chairs épanouies. Mais beaucoup moins qu’on le dit. Et dans les plus grandes audaces, qui paraissent aujourd’hui toutes relatives, on ne décèle, aucune perversité, aucun érotisme. Enfin, pour un mot ou un geste un peu osé, combien de scènes délicates, où se glisse une pudeur pleine de réserve et d’émotion ! Tout l’amour d’Ulenspiegel et de Nele baigne dans une atmosphère étonnamment poétique de fraîcheur, de pureté, d’idylle. S’il est facile de mesurer l’influence de Charles de Coster sur les nombreux poètes, dramaturges, romanciers, sans même parler des artistes, qui après lui se sont intéressés à Ulenspiegel et à Lamme Goedzak, si l’on peut affirmer sans hésitation qu’il a fait de ces deux héros des « types » nouveaux, il est beaucoup plus délicat de déterminer la nature et l’importance de l’impulsion qu’il a donnée au mouvement littéraire de 1880. Comment déceler, dans bien des cas, ce qui revient à de Coster, à Lemonnier, à la personnalité vigoureuse des Jeunes Belgique ? La plupart de ceux-ci étaient trop jeunes pour avoir été tentés de lire, en 1880, une œuvre peu connue, dont l’auteur avait disparu discrètement en 1879. Lemonnier, Eeckhoud, Verhaeren admiraient cependant de Coster dès cette époque. Ils durent bientôt dissiper autour d’eux l’ignorance et les préventions. Révélée ainsi brusquement, « La Légende d’Ulenspiegel » a du produire un choc plus vif sur ces jeunes écrivains. L’influence combinée de Charles de Coster et de Lemonnier a peut-être orienté la nouvelle génération et ses successeurs vers un certain matérialisme sensuel qui n’exclut ni la poésie, ni l’émotion, ni le lyrisme. de Coster a donné à Eeckhoud et à Lemonnier, et tous trois ont certainement donné à leurs cadets l’exemple –je cite Eeckhoud –d’ « une littérature franche, colorée, vigoureuse et grasse comme le bel art flamand de nos peintres ». Mais surtout, et de leur propre aveu, les Jeunes Belgique ont été frappés, et vraisemblablement encouragés, par le souvenir de cet écrivain qui « avait choisi librement la solitude et la pauvreté » pour suivre son idéal d’artiste ; ils ont reconnu un maître et un modèle dans ce créateur qui, à une époque où cette préoccupation et ce don étaient rares en Belgique, s’était distingué par un style personnel, poétique, vigoureux, imagé, coloré, éclatant de sève.
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L'auteur de La Légende d'Ulenspiegel , la première grande oeuvre littéraire
créée en Belgique francophone après l'indépendance du pays en 1830, est né à
Munich d'un père flamand et d'une mère wallonne. Il passa l'essentiel de sa
vie à Bruxelles, dans des conditions matérielles souvent très difficiles. A
l'exception des trois années où il fut « employé de la Commission royale
chargée de la publication des lois anciennes » (1861-1864) _ ce qui lui permit
de perfectionner sa connaissance du français du XVIe siècle dont il imitera
bien des traits dans Ulenspiegel _ et d'un poste de professeur de littérature
à l'École de guerre à partir de 1870, il n'eut, en effet, d'autre occupation
que la littérature, mais ne connut guère de son vivant le succès ni la
renommée.
Il étudia chez les Jésuites, puis à l'université de Bruxelles, où il
acquit les idées démocrates et anticléricales qu'il ne cessa de professer par
la suite. En 1847, il fonda avec quelques amis « la Société des Joyeux », au
sein de laquelle il fit connaître ses premiers essais en vers et en prose. Il
eut également, à cette époque, une longue relation amoureuse, aussi passionnée
que malheureuse, dont on trouve le témoignage dans les Lettres à Élisa
(1894), publiées après sa mort.
Collaborant régulièrement, à partir de 1856, à
la revue Uylenspiegel , qui joua un rôle important dans les lettres belges de
l'époque, De Coster y publia notamment ses Légendes flamandes , dont il fit un
volume en 1857. De style archaïque déjà _ même si ce n'est pas encore la belle
langue singulière d'Ulenspiegel _, écrites en alinéas très brefs où abondent
les répétitions, ces adaptations du patrimoine légendaire flamand détonnèrent
fortement dans le climat réaliste qui régnait alors. D'une écriture moins
recherchée, les Contes brabançons (1861) n'ont pas l'originalité du premier
recueil. Mais l'écrivain, à cette époque, travaillait déjà à son
chef-d'oeuvre qu'il publia, avec des eaux-fortes de Félicien Rops, en 1867,
sous le titre La Légende d'Ulenspiegel , puis, en 1869 sous son titre
définitif, La Légende et les Aventures héroïques, joyeuses et glorieuses
d'Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au pays de Flandre et ailleurs .
L'accueil fut peu enthousiaste et abondantes les critiques formulées à l'égard de cette
oeuvre qui venait surprendre et déranger un milieu culturel belge habitué à
une littérature de forme beaucoup plus conventionnelle. Le jury du prix
quinquennal de littérature y vit un « capharnaüm pantagruélique » et préféra
couronner l'oeuvre d'un Potvin, écrivain aujourd'hui bien oublié, tandis que
d'autres reprochaient à Ulenspiegel qui son « obscénité », qui une difficulté
d'accès provoquée par la langue archaïsante forgée par l'auteur.
Il fallut attendre la génération des Jeune Belgique et des écrivains comme Lemonnier ou
Eckhoud pour que fût enfin proclamée, dans la dernière décade du siècle passé,
l'importance de ce livre.
Par la suite, De Coster publia encore un roman de moeurs, Le Voyage de noces (1872),
et des relations de voyage (La Zélande , 1874, et La Néerlande , 1878), mais ces textes
sont d'une qualité bien inférieure au chef-d'oeuvre qui fit sa renommée posthume. La Légende
d'Ulenspiegel fut traduite en de multiples langues et adaptée plusieurs fois
au cinéma. Quant aux plagiats divers que l'on en fit et aux adaptations pour
les enfants, on ne les compte plus.
Curieusement, ce grand livre est peut-être aujourd'hui mieux connu à
l'étranger qu'en France ou même qu'en Belgique. Faut-il en attribuer la cause
au fait qu'il s'insère mal dans les schémas traditionnels de l'histoire de la
littérature française (peu de traces de cette oeuvre par exemple, voire
souvent aucune, dans les manuels scolaires) ; D'inspiration plutôt romantique
à un moment où le romantisme est déjà passé de mode, La Légende d'Ulenspiegel
tient de l'épopée et du roman historique mais aussi du roman picaresque et de
la verve rabelaisienne, et ne manque pas non plus de traits réalistes. Si
l'oeuvre relate la lutte, au XVIe siècle, des provinces du Nord contre
l'occupant espagnol, le héros qu'elle met en scène n'apparaît jamais sous
l'aspect univoque d'un héros d'épopée valorisant une identité nationale. Car
le combattant qu'est Thyl Ulenspiegel est en même temps un esprit frondeur et
un farceur légendaire. De Coster en trouva le modèle dans des ouvrages dérivés
de vieilles compilations allemandes où étaient transcrits des récits oraux
bien plus apparentés aux fabliaux qu'à la tradition épique.
Personnage facétieux, peu scrupuleux de ses moyens, vagabond exubérant, Thyl est celui
qui, irréductible à toute institution des rôles, arrache tous les masques pour
présenter à chacun sa vérité profonde. D'où son nom Ulenspiegel, Ik ben ulen
spiegel (« je suis votre miroir »), dont on sait qu'il donna aussi en
français, dès le XVIe siècle, le mot espiègle .

Cette ambiguïté fondamentale, qui est une des grandes richesses de ce texte
mais qui le rend « inclassable », se retrouve en bien de ses aspects, comme
l'a signalé Marc Quaghebeur. D'abord si De Coster ressuscite une Flandre que
l'on dirait souvent sortie des tableaux d'un Breughel, c'est en français qu'il
écrit son Ulenspiegel . On peut également remarquer que les aventures du héros
se passent « en pays de Flandre », mais aussi, comme l'indique le titre, «
ailleurs ». Et, si le burlesque s'y mêle à l'épique, le légendaire y est sans
cesse relayé par l'évocation très concrète de certains faits historiques de
l'époque et par la mise en scène de plusieurs acteurs réels de ce siècle
sanglant (De Coster a d'ailleurs puisé abondamment dans certains ouvrages
d'historiens).
La construction du livre repose souvent sur un jeu de
contrastes et d'oppositions comme celle, sans cesse rappelée, des figures de
Thyl et de Philippe II d'Espagne, que l'auteur fait naître le même jour, l'un
grandissant « en joie et folies », l'autre croissant « chétivement en maigre
mélancolie ». Mais l'entrelacement des thèmes et la succession des épisodes
est d'une telle richesse et d'une telle complexité que jamais ces oppositions
n'apportent l'impression de répétition ou de stagnation que l'on ressent
souvent à la lecture de textes à caractère épique. D'autant plus que la langue
archaïsante inventée par l'écrivain, tout en gardant _ quoi qu'en aient dit
ses détracteurs _ un extrême degré de lisibilité, est d'une intense
expressivité et s'adapte parfaitement à l'univers très particulier que révèle
cette oeuvre. Related Posts with Thumbnails
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Fernand Khnopff par Joël Goffin

Figure de proue du symbolisme européen, Fernand Khnopff était peintre, pastelliste, sculpteur, poète et photographe. Suivons ce démiurge dans un Bruxelles qui vers 1900 brillait de tous ses fastes et qu’il a incontestablement marqué de sa personnalité mystérieuse.

Dans les années septante, pour quelques milliers de francs belges, le collectionneur trouvait encore aisément sur le marché de l’art des dessins de Fernand Khnopff (1858-1921). Le peintre connaissait en effet un long purgatoire, comme la plupart des artistes de la Belle Epoque. La destruction de la Maison du Peuple d’Horta en constitue l’exemple le plus frappant. Europalia Autriche (1987) l’a remis en selle pour longtemps. La rétrospective des Musées royaux des Beaux-Arts, qui lui est consacrée, présente des œuvres inédites du Maître symboliste.
Fernand Khnopff passe sa prime enfance à Bruges, qui selon ses propres termes est alors " une réelle ville morte ". Son père vient d’y être nommé substitut du procureur du Roi. L’Hôtel ter Reien, Langestraat 1, qui offre une vue imprenable sur le célèbre Quai Vert (Groenerei), occupe de nos jours la maison d’enfance du peintre. Marguerite, la sœur admirée, le modèle favori, est née dans la Venise du Nord. Au faîte de sa gloire, Fernand Khnopff reviendra à Bruges à une ou deux reprises, calé au fond d’un fiacre et portant des lunettes noires pour ne pas subir les changements apportés à la cité de son Graal. Pris d’une même obsession, il refusera toujours de voir les Memling de l’Hôpital Saint-Jean dont l’influence sur son œuvre est pourtant sensible. Autre lien avec la ville flamande : il exécute le frontispice de Bruges-la-Morte de Georges Rodenbach, son frère astral.
A nouveau promu, Edmond Khnopff installe sa famille dans un bel hôtel particulier de la rue Belliard, à proximité de la gare Léopold, quartier où réside une importante colonie britannique. Ceci expliquerait l’engouement du jeune artiste pour les préraphaélites anglais alors que ses compagnons ne rêvent que de Paris ! Après avoir abandonné des études de Droit décidées par son père, il ouvre son premier atelier rue du Luxembourg. Le gotha bruxellois en fait très vite son portraitiste favori. Ce qui suscite la jalousie d’un Rops vieillissant (l’on confond parfois Félicien Rops et Fernand Khnopff, alors que tout les oppose !). Avec sa plume au vitriol, Félicien fulmine : " L’exposition de la Rose+Croix du Sar Péladan s’ouvre aujourd’hui. Ah ! le joli fumiste ! Knoph, je ne sais jamais écrire ce nom, méritait comme plagiaire de faire partie de la Rose+Croix ! Comme son frère qui chipait Verlaine et les vers de tout le monde le Knoopht (ah ce nom !) chipe partout, photographie, croquis anglais, tout y passe !! Ce qui est bête, car il ne manque pas de talent ! Mais c’est un besoin, une seconde nature de ces deux animaux là ! ".
En 1888, le peintre suit ses parents à Saint-Gilles, rue Saint-Bernard 1. Ce clergyman en train de devenir dandy aménage un atelier discret parsemé de cercles, de masques et de voiles au premier étage de l’imposante demeure néo-renaissance.
" Si Fernand Khnopff est peu expansif, combien ne doit-il pas dans le seul à seul de l'étude, discuter avec lui-même : Pénétrer chez lui, c'est le diable " fait-il dire à Emile Verhaeren.
C'est là qu’il concocte le meilleur de son oeuvre et qu’il connaît la gloire internationale : expositions à Londres, Paris (salons Rose+Croix), Vienne et Berlin.
Par un fait curieux, Gottfried Benn (1886-1956), le meilleur poète expressionniste allemand, vivra durant la Grande Guerre des moments de création intense au même premier étage de la rue Saint-Bernard. En garnison chez nous, le médecin militaire soigne les prostituées belges qui contaminent " patriotiquement " les Prussiens en goguette. Extraordinaire jeu de miroirs à quinze ans de distance entre le peintre anglophile éthéré et ce poète nihiliste amateur de filles légères et de cocaïne. Gottfried Benn est le personnage central des Eblouissements de Pierre Mertens. Après la seconde guerre mondiale, l’angle de la rue Saint-Bernard et de la chaussée de Charleroi accueille un magasin de sanitaires. Plus tard, suprême dérive, ce lieu de mémoire n’est plus qu’une station service. Sauvé de la destruction, c’est devenu le " Khnopff ", un restaurant lounge-bar à la mode aux décors surprenants.
En 1900, le peintre préfère Edouard Pelseneer à Victor Horta, qu’on lui suggère, pour ériger un temple dédié à son Oeuvre, face au Bois de la Cambre. Il conçoit lui-même les plans de son nouvel atelier qui suscitera l’admiration de l’Europe entière. La mort de son père et le déménagement à Ixelles, qui le prive de la présence quotidienne de sa mère, l’ont-ils poussé à exécuter une série de vues de Bruges, déclinant des illustrations de Bruges-la-Morte ? Elles résonnent comme la profonde nostalgie d’une enfance idéalisée. Parallèlement, ce solitaire endurci s’affranchit d’un lien fusionnel avec sa famille en renonçant à une sexualité diffuse (on ne lui connaissait aucune liaison jusque-là). Dans les coulisses de la Monnaie, qui lui a commandé les costumes et les décors de plusieurs opéras, cet homme raffiné, marqué par l’humour anglais, séduit les jeunes cantatrices. Conséquence ? La veine artistique de la femme onirique, androgyne et lointaine, se tarit. Comme si les passades de la Monnaie lui avaient enfin ouvert les yeux sur d’autres " mystères féminins " que ceux dont il s’était fait le grand prêtre. Désormais, ses modèles sont plus charnels, à portée de la main. Elles décochent des oeillades, elles grillent des cigarettes, elles sont polissonnes, voire complètement dénudées…
A 51 ans, l’homme n’est pourtant pas au bout de ses paradoxes : il se marie à la maison communale d’Ixelles avec une jeune veuve qui a deux enfants. Le couple se domicilie au Boulevard Général Jacques, à une centaine de mètres de l’atelier de l’avenue des Courses mais le peintre en interdit formellement l’accès à son épouse ! " Je construis mon monde et je me promène dedans " tel est son credo. La séparation est prononcée trois ans plus tard… En réalité, le Maître privilégie le culte de sa sœur qui a quitté Bruxelles depuis longtemps. Ce " Fernand &endash; Faust ", privé de sa Marguerite mais sauvé de l’oubli pour n’avoir cessé de tendre vers l’idéal, conservera jusqu’à sa mort le magnifique portrait en pied qui la représente corsetée dans une robe quasi nuptiale et gantée de blanc pour éviter toute souillure.
Dans ce contexte, il est difficile d’imaginer le chantre du silence confronté aux 13 millions de visiteurs de l’Exposition universelle de 1910 dont l’entrée principale donne sur l’avenue Jeanne… en face de son atelier. A-t-il esquissé un sourire en contemplant le site ravagé par un incendie quelques mois après l’inauguration solennelle ?
Pendant la Grande Guerre, l’artiste signe courageusement des pétitions contre certaines décisions allemandes. Dans le même temps, le symboliste suit l’enseignement de Swedenborg à l’Eglise de la Nouvelle Jérusalem, rue Gachard. On y accorde une large place au mystère : un monde invisible d’intersignes et de correspondances, d'anges gardiens et de démons, influence sans cesse le monde visible. La vie de l'homme, dès lors, ne se borne pas à la sphère terrestre. A la connaissance scientifique, s’oppose une connaissance intuitive fondée sur l'illumination individuelle. Mais la plupart des visages féminins de Fernand Khnopff ne sont-ils pas des miroitements de l’autre monde ?
Peu avant sa mort, il donne cours à Marcel-Louis Baugniet, précurseur de l’abstraction et futur compagnon de la chorégraphe Akarova. A l’atelier libre du Labor, situé rue Veydt (l’actuel restaurant Amadeus), il conseille au jeune artiste d’approfondir la construction géométrique. Un Khnopff, qui aurait été ouvert au constructivisme et au cubisme, voilà qui sort des sentiers battus !
Au bout du compte, il n’essuiera qu’un échec dans sa carrière artistique : lui qui se croyait doué pour la peinture monumentale n’emporte pas la commande du Palais Stoclet de l’avenue de Tervuren. Il doit se contenter d’une Recluse toujours encastrée dans le Salon de Musique Plus tard, la décoration de la Salle des Mariages de Saint-Gilles l’inspire à peine. L’Administration lui versera à titre posthume des honoraires qu’il n’avait pas daigné réclamer.
Le 12 novembre 1921, Khnopff décède dans une clinique privée de la rue Marie-Thérèse (n° 98). Les obsèques se déroulent à l’église de la place Saint-Josse en présence de Jules Destrée, d’Emile Vandervelde et de l’Ambassadeur de France. Dans la nef, des visages ailés, qui font penser à L'Aile bleue ou à l’Hypnos omniprésent dans son œuvre, forment avec l’inscription latens deitas (divinité cachée) un curieux rébus. Serait-ce l’ultime clin d’œil bruxellois de Fernand ?
L’artiste est inhumé dans le caveau familial du cimetière de Laeken (division 28). Seul le nom de son grand-père magistrat figure sur la dalle funéraire.  Son maître des débuts, Xavier Mellery, qui est mort la même année, repose à quelques parcelles de lui. Moins de quarante ans après son édification, le splendide atelier du Bois de la Cambre est détruit pour une sombre affaire de succession qui oppose les neveux du peintre. Jacques Saintenoy, le fils de l’architecte de l’Old England, se charge de la triste besogne. Grandeur et décadence !
Fernand Khnopff a exercé une influence déterminante sur Gustav Klimt - celui-ci crée ses femmes mosaïques après les succès du Bruxellois à la Sécession viennoise - et sur… Magritte dont il préfigure l’univers décalé. L’homme au chapeau melon se ruait au Musée des Beaux-Arts pour admirer Une ville abandonnée qui voit Bruges, en bord de mer, dépossédée de la statue de Memling. On a découvert voici peu que l’artiste, évidemment peu loquace sur le sujet, s’adonnait avec talent à la photographie, celle-ci participant pleinement à l’alchimie de son Œuvre. Mais ce n’est sans doute pas le dernier secret transmis par le Maître du Symbole…

Joël Goffin

Le très enrichissant site de Joël Goffin:  Bruges-la-Morte

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Par une nuit sans lune

Par une nuit sans lune,Par une grotte sans fondSous une paupière closeNaquit jadisLa vague de la lumièreUne aurore enfantée,De la glace et du feuQui firent de l'homme un HommeIl me tendit la mainLe poing se fermeEt puis s'ouvreFrédéric Halbreichfévrier 2009
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L'art moderne en Belgique

À la césure du XIXème et du XXème siècle, l'avant-garde artistique a essaimé partout en Europe, en un foisonnement de mouvements, d'écoles, de tendances modernistes. L’art moderne belge reste marqué par cette même diversité féconde. Si la réputation de certains de ses artistes, comme Ensor, Magritte ou Delvaux, a largement dépassé les frontières, on ne connaît pas assez en France l’importance et l’intérêt de cette période en Belgique. Entre 1880 et 1885, tout un groupe de peintres va constituer une première vague impressionniste, un impressionnisme « autochtone », autour du tachisme. James Ensor est son chef de file. Autour de lui, Willy Finch, Fernand Khnopff, Guillaume Vogels, Théo Van Rysselberghe qui font partie de ces peintres progressistes travaillant, avec une touche libre et essentiellement au couteau, une matière pâteuse aux rehauts de teintes vives et pures. Ces peintres appartiennent au groupe Les Vingt. L’avant-garde européenne s’exprime alors, à Bruxelles, dans des cercles comme la Chrysalide et l’Essor. C’est après la disparition de l’Essor que se crée le groupe Les Vingt en 1883, qui va accompagner le développement de l’art moderne en Belgique durant 10 ans. Il rassemble un ensemble très hétérogène d’artistes dont le point commun est de réagir contre l’académisme et le conservatisme artistique. Ses membres, qui s’interdisent tout préjugé – outre les peintres déjà évoqués, on peut citer Georges Lemmen, Henry Van de Velde, et Toorop - choisissent en plein accord les invités aux expositions qu’ils organisent. Les premières sont consacrées à la peinture impressionniste française et anglaise, notamment de l’Américain James Mc Neill Whistler (en 1884, 86 et 88) qui va d’abord les influencer. En 1886, ils invitent Monet et Renoir, en 1887 Berthe Morisot et Pissaro puis, en 1888, notamment Caillebotte. L’influence de l’impressionnisme français devient alors notoire, la représentation de la sensation visuelle va dominer la recherche d’un groupe de peintres. C’est le cas d’Adrien-Joseph Heymans, membre de l’Ecole de Termonde, tempérament impressionniste depuis déjà plusieurs années et d’Emile Claus qui, après une période de réalisme clair, s’investit dans une technique impressionniste systématique et un chromatisme luministe. Le luminisme – dont Claus devient le chef de file dès la moitié des années 1890 - se définit comme « toute expression subissant l’ascendant de l’impressionnisme français et combinant une touche lâche et irrégulière à une gamme chromatique ensoleillée. » Il est plus traditionaliste que le néo-impressionnisme, notamment par son imprégnation réaliste. En 1904, les luministes, dont Heymans, Georges Buysse, Anna de Weert et Lemmen dès 1895, se regroupent autour de Claus au sein du cercle Vie et Lumière. Le luminisme est particulièrement apprécié dans la région de Gand et l’influence de Claus est importante. Impressionnisme, Luminisme, Néo-impressionnisme Pendant ce temps, à partir de 1886-90, une autre avant-garde se fait jour, le néo-impressionnisme. Découvertes à Paris par Emile Verhaeren, « importées » par les Vingt dans leur salon de 1887 à Bruxelles, les œuvres pointillistes de Seurat - et notamment le tableau emblématique de ce mouvement, Un dimanche à la Grande Jatte - influencent essentiellement Finch, Van de Velde et Lemmen (au moins pour un temps). Van Ruysselbergue est son principal représentant en Belgique à partir de 1887-88 et au moins jusque dans les années 90, quand il commence à s’évader de la contrainte du « pointillé ». Membre fondateur des Vingt , il vit à Paris où il est très intégré dans le milieu artistique à partir de 1898. Après 1910, il s’éloigne du néo-impressionnisme pour revenir à une touche plus libre et ensuite « à un réalisme plus conventionnel ». Le néo-impressionnisme sera pour beaucoup de ces peintres une transition vers l’expressionnisme ou le symbolisme. Parallèlement à ces avant-gardes, le symbolisme, qui a inspiré toute l’Europe, s’illustre particulièrement en Belgique, notamment grâce à La Libre Esthétique Pour ses adeptes, « peintres de l’âme », l’art doit révéler ce qui se cache sous la réalité apparente, loin de « la sensualité superficielle » des impressionnistes. Ils travaillent souvent au crayon ou à la craie, au pastel et à l’aquarelle, mieux adaptés à l’atmosphère anti-réaliste de leurs œuvres, particulièrement William Degouve de Nuncques et Léon Spilliaert. Ses principaux représentants –parmi eux Fernand Khnopff, et Ensor - ont été exposés chez les Vingt et au cercle Pour l’Art. A cette tendance, on peut rattacher Le premier groupe de Laethem-Saint-Martin, créé vers 1898, au bord de la Lys, sous l’impulsion du sculpteur Georges Minne. Retirés dans un village à l’écart de Gand en réponse à un besoin de ressourcement, ses membres viennent chercher la paix , le recueillement, « une sensation d’éternité ». Le mysticisme , la simplicité de portraits sensibles et de scènes de la vie rurale empreints de réalisme minutieux caractérisent l’art des membres de ce cercle parmi lesquels Valérius De Saedeleer et surtout, Gustave van de Woestijne, tous deux très proches des nabis, qui vont faire le lien avec l’expressionnisme flamand. Jan Toorop, symboliste hollandais le plus réputé, fait également partie des artistes exposés . Les précurseurs de l’expressionnisme Henri Evenepoel est le plus français des peintres belges, proche de Toulouse-Lautrec, élève de Gustave Moreau et, à ses débuts, admirateur de Manet, très marqué par la peinture de Goya et de Vélazquez. Sa courte carrière (il est mort à 27ans) le situe entre impressionnisme et fauvisme . George Hendrik Breitner , « Peintre du Peuple», connaît bien Van Gogh. D’abord dans la lignée de l’Ecole de la Haye, il s’en éloigne pour adopter une technique plus libre, souvent proche de celle d’Ensor. Ses peintures « sont de pures émotions faites couleur ». Léon Spilliaert est le principal représentant du symbolisme tardif en Belgique. James Ensor , fut le chef de file des Vingt jusqu’en 1885, adepte d’un tachisme sombre avant de se consacrer au dessin. C’est à partir de 87 qu’il introduit dans ses œuvres des éléments fantastiques, squelettes macabres, masques grimaçants ou grinçants proches de l’univers de Goya, qui côtoient un décor et des personnages réalistes. Son « fantastique symboliste » très caractéristique s’appuie sur un traitement expressif de la couleur . Sa réputation, définitivement assise dans les années 20, le positionne comme un des maîtres de l’avant-garde de son époque. Eugène Laermans se situe entre réalisme à dimension sociale, symbolisme auquel il s’apparente par sa vision de l’homme et expressionnisme que suggèrent le chromatisme de sa palette et la représentation déformée des corps. Le cercle des Vingt est dissous en 1893. Les expositions qu’il a organisées ont permis, avec celles de La Libre Esthétique, de découvrir en Belgique le post-impressionnisme de Gauguin, Van Gogh, Toulouse-Lautrec… La Libre Esthétique continue de promouvoir le modernisme européen, notamment grâce à sa grande rétrospective de l’impressionnisme, en 1904. Comme le cercle Doe Stil Voort et le groupe belge des Indépendants, elle va également présenter le fauvisme -notamment en 1906 et 1907- puis le cubisme et le futurisme aux artistes et amateurs d’art. Mais si, entre 1880 et 1890, l’avant-garde était au cœur des préoccupations artistiques belges, dans les débuts du XXème siècle, elles restent accrochées au néo-impressionnisme lumineux et ignorent ces nouvelles tendances. Les tendances fauves L’origine du « fauvisme brabançon » va donc se situer plutôt dans la lignée de la leçon de Paul Cézanne, James Ensor et Vincent Van Gogh, autour « de la synthèse, de la structure et de la division de la surface » et dans l’aire d’influence du post-impressionnisme. La nature est omniprésente, c’est elle qui génère l’émotion. La touche est expressive, la couleur pure, sans excès de dissonance, posée en aplats contrastés. Auguste Oleffe fait partie des fondateurs des cercles Le Labeur et l’Effort, en 1898, dans lesquels le fauvisme brabançon prend racine, dans ce milieu de luministes. Oleffe, attaché au réalisme et à l’impressionnisme d’influence française ne sera jamais un fauve authentique , mais plutôt « une figure de transition ». Rik Wouters est le plus connu des fauves brabançons. Emule de Cézanne, bruxellois, il adopte un style fauve à partir de 1910. Il privilégie la transparence des couleurs traitées en larges aplats lumineux et « cherche à traduire une réalité fugitive en un coloris franc et une technique assurée, rapide ». Jean Brusselmans , lui aussi inspiré par Cézanne, bien que proche des fauves brabançons, s’en distingue par un travail individualisé qui l’amènera à un réalisme synthétique. L’expressionnisme L’expressionnisme est un mouvement typiquement nordique, né des influences conjointes du symbolisme et du fauvisme, en réaction contre l’impressionnisme et le réalisme. Il apparaît en Allemagne, à Dresde où se crée en 1905 le groupe Die Brücke (Kirchner, Heckel, Karl Schmidt-Rottluff…) qui prône la révolte contre l’ordre établi et l’art académique, dénonce la dureté du monde moderne et incite à un retour à la nature qui en devient allégorique. Dissonances, transpositions chromatiques, outrance de la palette, dessin simplifié cerné de noir… sont quelques unes des caractéristiques de ce mouvement. En 1911, un autre groupe expressionniste Der Blaue Reiter est crée à Munich . Si l’expressionnisme allemand s’engloutit dans le désastre de la guerre de 14, il essaime dans les autres pays du Nord de l’Europe L’expressionnisme flamand n’apparaît qu’après la guerre. Il naît du « Deuxième groupe de Laethem Saint-Martin » (1905-1914), de tendance néo-impressionniste dans le sillage du luminisme de Claus, regroupant Gustave et Léon de Smet, Frits Van den Berghe, Constant Permeke. Ce n’est qu’après la guerre qui disperse chacun de ces artistes à l’étranger où ils découvrent l’expressionnisme allemand mais aussi le cubisme et le futurisme (en Angleterre pour Permeke, aux Pays-Bas pour Friz Van der Berghe et Gustave de Smet) que, de retour en Flandre, ils se rendent compte que leur évolution les a conduits dans la même direction, un expressionnisme nourri de cubisme et de futurisme. Soutenu par la revue Sélection et la galerie du Centaure, l’expressionnisme flamand atteint son apogée dans les années 20 . Floris, Oscar Jespers, Jozef Cantré, Gustave van de Woestyne, et, plus tard, Edgar Tytgat et Jean Brusselmans rejoignent le mouvement. Plus tardif , l’expressionnisme flamand est beaucoup moins révolutionnaire et agressif que son prédécesseur allemand. Une de ses caractéristiques est l’attachement à la terre, à la ruralité. Il fait « la synthèse des éléments de l’expressionnisme allemand, du cubisme et du néo-cubisme français, d’une picturalité typiquement flamande avec un goût pour une pâte riche et un lien profond avec le rythme vital de la terre ». Si le groupe s’avère extrêmement hétérogène, si l’évolution des personnalités qui le composent s’inscrit dans la diversité des courants de l’art à cette époque, il reste lié à Permeke et à la force de « son expressionnisme physique ». L’expressionnisme flamand survivra jusqu’à la guerre de 39-40. Les œuvres des peintres belges de ce mouvement côtoient, dans les collections, celles réalisées par des artistes étrangers acquises ou léguées au Musée de Gand. Ainsi, l’Autrichien Kokoschka, les Allemands Kirchner, Heckel, Christian Rohlfs, Paula Moderson-Becker, le Polonais Zadkine ou le Français Georges Rouault. Constant Permeke appartient au « Deuxième groupe de Laethem-Saint-Martin » de 1909 à 1912. Il réalise alors des œuvres impressionnistes dans la lignée du luminisme de Claus . Sa rencontre avec Albert Servaes le conduit vers un pré-expressionnisme. Blessé durant la guerre de 14, il vit isolé en Angleterre, informé des évolutions de l’art moderne par ses amis Gustave de Smet et Frits Van den Berghe. C’est là qu’il va construire un nouveau langage, à partir d’influences mêlées de Turner, Ensor, Rembrandt, du futurisme et de l’impressionnisme. De retour en Belgique, installé à côté d’Ostende, il choisit de peindre le monde paysan, des personnages monumentaux aux mains énormes dans une matière épaisse au chromatisme terreux qui expriment « la force originelle de l’existence ». Leur puissance d’évocation font de lui le principal représentant de l’expressionnisme flamand. Dans les années 30, il réalise aussi des marines et des paysages, ses premières sculptures vers 1935 et la plupart de ses dessins entre 1940 et 1945. Les œuvres de Gustave de Smet, après la période de Laethem-Saint-Martin, et lorsqu’il vit près d’Amsterdam durant la guerre, inscrites dans un paysage urbain, se situent entre expressionnisme allemand et cubisme français mêlé de futurisme. Puis, à partir de 1926, il peint des éléments urbains géométriques dans un chromatisme plus froid, et évolue dans les années 30 vers un « réalisme d’atmosphère » dans lequel intervient le monde paysan . La femme pensive est un de ses thèmes récurrents . Frits van den Berghe pose, dans ses œuvres, des questions philosophiques ou psychologiques au moyen d’images poétiques métaphoriques. Attiré depuis ses débuts par le bizarre et le fantastique, à partir de 1925, il change de thème de prédilection : le monde rural fait place à l’évocation de la difficile condition humaine, notamment la complexité des relations de couple. Après une période d’expressionnisme allemand mêlé de cubisme français, son style se rapprochera ensuite du surréalisme, autour d’évocations mélancoliques d’un monde « visionnaire et rêvé ». La première période de Gustave Van de Woestyne s’apparente à un symbolisme mystique jusqu’à son retour de la guerre où apparaissent des influences expressionnistes et post-cubistes, bien que toujours très proches des préoccupations métaphysiques de sa période symboliste. Il s’achemine ensuite vers un néo-réalisme qui s’apparente au Réalisme magique. Jean Brusselmans traduit la réalité par des éléments cubisants. À partir des années 20, il tend vers un constructivisme synthétique librement ordonné . Il deviendra ensuite une figure de proue de la modernité constructiviste et abstraite belge. Le premier style de Tytgat est réaliste et académique puis impressionniste avant d’être fauve. Mais ce qui l’intéresse, c’est l’élément narratif, la satire, le conte . Son évolution ultérieure le conduit à « un expressionnisme naïf ». Autodidacte, Ramah passe par l’impressionnisme avant de faire partie des fauves brabançons, sous influence de Cézanne qui l’amènera à simplifier ses compositions jusqu’à la géométrisation de la surface. Ce constructivisme synthétique disparaît peu à peu à partir de 1925 et , dans les années 30, il privilégie la couleur par rapport à la forme pour aboutir « à une sorte d’expressionnisme fauve, à la limite de l’abstrait ». Après une période d’influence des fauves brabançons, Prosper de Troyer s’implique dans le futurisme qui l’amène à l’abstraction dans les années 20. En 1922, il se lance dans un expressionnisme figuratif monumental, proche de la Nouvelle Objectivité, dans un univers dont l’Homme est le centre. Dans les années 20, au summum de la période expressionniste en Belgique (et notamment en Flandre) un autre courant issu du constructivisme qui balaye alors l’Europe, perce en Belgique. Cet art abstrait géométrique porte le nom de Plastique pure dont on dénombre quelque influence dans certaines œuvres de Gustave de Smet, Jean Brusselmans et même Gustave van de Woestijne.. Ce mouvement n’est pas traité dans l’exposition. Retour à l'ordre et surréalisme Comme partout en Europe à cette période de l’entre-deux-guerres, en parallèle à Dada, au surréalisme et au développement de l’abstraction, on assiste à une volonté de "retour à l’ordre", à un retour au classicisme, ... à la figuration, au réalisme. La Nouvelle Objectivité assied ce réalisme sur la sobriété objective d’un regard distancié qui pose « un constat froid, voire acerbe ou ironique de la société ». La Nouvelle Objectivité est très proche du Réalisme magique qui s’est développé dans les années 20 et qui s’attache à dépeindre un monde réaliste et apaisé, dans une atmosphère domestique et familière, sans âge, atone, incantatoire. Son réalisme méticuleux et raffiné, la particularité du traitement spatial, l’immobilisme des scènes représentées génèrent une sensation onirique de temps suspendu, de silence profond, qui transcende la banalité du sujet. Le surréalisme Parmi les courants artistiques qui fleurissent dans l’entre-deux guerres, le surréalisme se développe particulièrement en Belgique, comme à Paris. Le mouvement est préparé par Dada et le cubisme qui ont déjà battu en brèche la représentation du réel. En 1916 naît en Suisse, notamment grâce à Tristan Tzara, un mouvement rompant avec toutes les normes artistiques traditionnelles, y compris la peinture, inventant de nouvelles techniques souvent liées au hasard. Dada, qui essaime en suisse, en Allemagne, en France, et à New-York, est la matrice du surréalisme qui lui succède officiellement à partir de 1924, lors de la publication du « Premier manifeste du Surréalisme » par André Breton. Il faut aussi noter l’influence de De Chirico sur la genèse de ce mouvement. Le groupe initial, Arp, Man Ray et Max Ernst, issu de Dada, est bientôt rejoint par, notamment, Masson, Magritte, Tanguy, Dali, Miro… Le surréalisme se développe dans tous les arts, surtout la littérature mais aussi la musique, la photographie, le cinéma … C’est dans l’inconscient que l’artiste va essentiellement puiser une inspiration qui se situe dans le domaine de l’imaginaire, du rêve, de l’humour (dérision, goût des paradoxes, ironie…) Le surréalisme évolue selon deux directions : La première, -c’est le cas du surréalisme belge- promeut une figuration très réaliste, aussi précise qu’une photo, des associations d’images, d’objets, de lieux sans liens logiques apparents. La seconde s’appuie sur la recherche d’expérimentations qui font intervenir le hasard, par, notamment, l’écriture automatique, le frottage, le grattage, la « décalcomanie » … En Belgique, le mouvement, exposé dans les galeries Le Centaure et L’Epoque, est promu par la revue Sélection et le mensuel Variétés, publié par le directeur de galerie Van Hecke. Des groupes se développent notamment à Bruxelles et en Wallonie (Magritte en fait partie). En Flandre, seul Van den Berghe pourrait s’y rattacher par une inspiration onirique et l’usage de techniques d’expérimentations automatiques comme le frottage, si l’empathie qui soutient son œuvre n’en excluait une adhésion complète. René Magritte et Paul Delvaux sont les deux principaux surréalistes belges. René Magritte est le plus connu. Inspiré par De Chirico qu’il a découvert en 1922, Magritte réunit dans ses tableaux d’étranges associations d’objets, « fragments de réalité rendus avec soin et réalisme ». Ces associations ne sont pas liées à un automatisme, mais à une « perturbation consciente de la logique » et « un processus raisonné d’assemblages ». Paul Delvaux est également très célèbre. Il devient surréaliste en 1935 après une période sous influence de Permeke et De Smet, avant qu’il ne découvre de Chirico. Il n’y a pas trace chez lui de subversion, d’humour, mais plutôt création d’une atmosphère d’irréalité dans un décor réaliste dans lequel s’inversent intérieur et extérieur. Les personnages, statiques, inexpressifs, l’artificialité de la lumière, le rapprochent tout autant du réalisme magique que du surréalisme
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Le XIX ème siècle, surtout dans sa seconde moitié, se révèle être un siècle paradoxal : d’une part, l’on assiste à l’émergence de nombreux états nations concurrents et antagonistes ; d’autre part, l’unité culturelle de l’Europe se trouve à un moment d’apogée. La Belgique, au carrefour de l’Europe et des forces d’unité culturelle et de fragmentation politique qui la traversent, n’échappe évidemment pas à ce paradoxe. La naissance d’un nouvel État Nation. En 1815, faisant suite à l’effondrement de l’empire napoléonien, le Congrès de Vienne décide la réunion de la Belgique et de la Hollande en un royaume des Pays-Bas. Cette union, contre nature, provoque une opposition culturelle, religieuse et linguistique de la part des Belges. Celle-ci conduit rapidement à une insurrection bruxelloise qui amène en 1830 la proclamation de l'indépendance de la Belgique. L’indépendance de la Belgique est reconnue par la conférence de Londres de 1831 qui garantit la neutralité au nouvel État. Léopold Ier prête serment à la Constitution le 21 juillet 1831 et en devient le premier souverain : le royaume de Belgique est né. La création de ce nouvel état nation n’est pas un phénomène isolé en Europe. Qu’il suffise pour s’en convaincre de songer à l’Italie (1848), à la Pologne(1815-1918), à l’Allemagne( 1815-1834-1871), à la Serbie (1878), à la Bulgarie (1878-1908), à la Grèce (1830)… L’affirmation de la Nation par l’Histoire… Dans ce mouvement d’éveil des nationalismes, l’histoire fut souvent appelée à la rescousse pour affirmer la nation. Les historiens belges n’échappèrent pas à cette démarche. C’est ainsi que Henri Moke (1803-1862) dans son Histoire de la Belgique qu’il publie en 1839 annonce clairement son intention : «… au-dessus de la ville et de la province, j’ai toujours cherché à faire entrevoir l’unité nationale qui se préparait lentement, mais à laquelle le pays devait parvenir un jour ». Comme Jacques Stiennon le souligne de manière remarquable, les historiens belges ou de la Belgique comme Gérard (1863), Wauters ( 1817-1898), Gachard (1800 1885), Stecher (1820-1909) ou Kurth (1847-1916) « avaient sans doute compris que dans un pays qui venait de conquérir depuis peu son indépendance, l’idée nationale allait se développer avec une acuité particulière et que le jeune État belge allait, pour justifier son existence, rechercher des arguments dans l’arsenal de l’histoire… » [1] Cette entreprise trouva sans doute son expression la plus significative dans l’Histoire de Belgique (1900) du grand historien Henri Pirenne qui dès le premier alinéa de son introduction fixe clairement ses idées : « il s’agit de retracer l’histoire de Belgique au Moyen Âge en faisant surtout ressortir son caractère d’unité ».[2] …et par la peinture… Les peintres belges contribuèrent aussi à ce grand mouvement d’affirmation de la Nation. C’est ainsi que nombre d’entre eux recherchèrent des thèmes qui pouvaient justifier l’existence même de la jeune Belgique. Ainsi les figures et les évènements de la période bourguignonne[3] , considérée comme prospère et politiquement stable, furent parmi les sujets privilégiés de ce courant de la peinture belge. Les portraits de Philippe le Bon ou de Marie de Bourgogne se multiplient. Aujourd’hui encore l’hémicycle du Sénat propose aux visiteurs des scènes de la Cour des Ducs de Bourgogne, en particulier de Philippe le Bon, peints par Louis Gallait. Henry Leys (1815-1869) peint en 1862 L’Institution de la Toison d’Or, œuvre qui glorifie cet ordre chevaleresque et nobiliaire fondé en 1429 par Philippe le Bon, duc de Bourgogne, et destiné à propager la foi catholique. Certes l’Histoire est revisitée pour en conserver les moments heureux éliminant les guerres fratricides ou les périodes de famine. Les moments douloureux sont seulement retenus lorsqu’ils permettent de développer la fibre patriotique. C’est ainsi que se multiplièrent les compositions évoquant les moments de la résistance aux espagnols. Ainsi Le peintre Louis Gallait, installé à Paris où il avait des commandes pour Versailles, n’oubliait pas son pays et envoyait en primeur à Bruxelles, des tableaux monumentaux aux sujets dignes d’intéresser les belges et de leur rappeler leur glorieux passé comme L’Abdication de Charles Quint, de très grand format et remarquée au Salon de 1841.[4] De même par Les Derniers Honneurs rendus aux comtes d’Egmont et de Hornes, par le Grand Serment de Bruxelles (1851), Louis Gallait nous rappelle la tyrannie du Duc d’Albe.[5] L’œuvre fit sensation en 1851 au Salon de Bruxelles puis à Tournai lors de son acquisition. Le tableau représente une foule compacte qui se presse et assiste à une exécution. Le sujet, épisode dramatique de l’oppression espagnole aux Pays-Bas, est symbolisé par la présence vers le centre d’un espion du Duc d’Albe et d’un militaire au chevet des Comtes d’Egmont et de Hornes décapités à Bruxelles le 5 juin 1568. La toile décrit le moment où, la nuit suivante, les arbalétriers de la ville vinrent leur rendre hommage. Henry Leys fait également revivre ce passé, en particulier dans La Furie espagnole où il évoque avec une fougue toute romantique les épisodes glorieux et douloureux de cette période espagnole. Mais cette volonté artistique de renouer avec le passé s’exprime aussi par un retour aux styles des œuvres des grands artistes du passé et plus particulièrement à celui de Pierre Paul Rubens. Certains n’hésitèrent d’ailleurs pas à parler de « prérubenisme ». [6] Cette « passion rétrospective », pour reprendre l’expression de Charles Baudelaire[7] , se retrouve d’abord chez Henri Leys mais aussi chez Gustave Wappers à l’académie d’Anvers, Joseph Lies ,Nicaise De Keyser ou James Tissot. Les « prérubenistes » flamands reviennent ainsi par souci de l’exactitude et de l’analyse à l’art des maîtres septentrionaux des XVème et XVIème siècles. Ils en souhaitent retrouver l’inspiration, la fraîcheur et la force. Le plus souvent, il se contente d’en imiter l’écriture et les tics.[8] Les artistes ne se contentent cependant pas d’une plongée vers ce passé préfigurant la Belgique. Ils magnifient aussi les journées révolutionnaires de 1830 qui amenèrent la Belgique à l’indépendance. Ainsi le tableau de Gustave Wappers Épisode des journées de septembre 1830 –ressemblant à une caricature de La Barricade de Delacroix- est saluée dans l’Europe entière. Cette oeuvre conjugue parfaitement l’élan romantique et l’élan patriotique. Peint au moment d’une contre offensive hollandaise, le tableau représente un tas de corps blessés et mourants réunis autour du drapeau belge. La scène se déroule sur la Grand Place de Bruxelles, symbole des libertés conquises au fil des siècles. Camille Lemonnier parla à son propos de « … la Marseillaise d’un peuple nouveau …». Paul Fierens tempéra quelque peu le propos en parlant plutôt de Brabançonne mais non sans rappeler que si « La Brabançonne n’est pas un chef d’œuvre, nous ne l’entendons pas sans émotion. N’est-ce pas une émotion du même ordre qui s’empare de nous quand nous regardons la grande toile de Wappers ?»[9] Si Épisode des journées de septembre 1830 est le plus emblématique de ce type de tableaux et de composition, d’autres peintres viseront à éblouir le spectateur et à magnifier ces moments où la Belgique se crée. Songeons à Auguste Chauvin (1810-1884), à Charles Coubre (1821-1895) à qui nous devons Départ des volontaires liégeois sous la conduite de Charles Rogier ou L’arrivée de Charles Rogier et des volontaires liégeois à Bruxelles ou encore à Henri de Caisne qui peint en 1835 La Belgique couronnant ses enfants.La Belgique y est représentée sous les traits d’une femme entourée de personnages célèbres de l’histoire de la Belgique ( Godefroid de Bouillon, Philippe le Bon…) et à ses pieds le lion belge. …la sculpture et l’architecture. La sculpture urbaine participa également de ce mouvement d’affirmation de la nation par l’Art. Tantôt il s’agit d’éblouir et d’instruire le nouveau citoyen belge en rendant présent dans la ville les moments prestigieux de son passé. À Bruxelles, Eugène Simonis installe place Royale la statue à cheval deGodefroid de Bouillon, duc de Basse-Lorraine (1089-1095) qui fut le principal chef de la première croisade et fonda le royaume de Jérusalem (1099) qu’il gouverna avec le titre d'«avoué du Saint-Sépulcre». À Liège, Louis Jehotte nous laisse un Charlemagne à cheval dans un style métissé de néo-classicisme et de romantisme. Tantôt ce sont des monuments à la gloire de ceux qui firent l’indépendance de la Belgique. En 1838, Guillaume Geefs exécuta, à la suite d’un concours, l’allégorie de La Belgique triomphante qui occupe le centre de la place des martyrs à Bruxelles. Cette sculpture fût pendant un certain temps dépréciée à cause de sa prétendue ressemblance avec la Vénus de Milo. Aujourd’hui cette proximité apparaît cependant à l’œil averti assez vague et lointaine. En 1859 c’est Joseph Poelaert qui conçoit et inaugure la colonne du Congrès à Bruxelles qui rappelle l’adoption en 1831 de la constitution belge par le Congrès National. La colonne est surmontée d’une sculpture de Léopold Ier que nous devons à Guillaume Geefs. Dans le domaine de l’architecture, Baudelaire dans Pauvre Belgique n’hésite pas à parler de « pastiches du passé » ou pour les églises de « contrefaçons du passé ».[10] Si cette volonté de restauration du passé dans l’architecture n’est pas spécifique à la Belgique –songeons à l’œuvre de Viollet-le-Duc- , l’intention de concourir par ce rappel du passé à la cohésion nationale est évidente et ce, tout en respectant les hiérarchies symboliques de la ville. « Ces styles se paraient d’une valeur sémantique d’équivalence dans l’espace homogène de la ville moderne : ainsi, en Belgique, le néo-gothique fut l’expression du religieux, le néo-flamand Renaissance celle du sentiment civique et nationale (hôtels de ville), le néo-grec baroque celle de la dignité judiciaire (palais de Justice de Poelaert). À noter que l’éclectisme traduisait aussi la hiérachie sociale, soulignant dans l’ordonnacement des styles le coût des matériaux. Liés à la résurgence du sentiment national, les prolongements de l’historicisme en Belgique parurent spectaculaires … »[11] Le XIXème, au delà des nationalismes. Ce survol de l’art belge enchassé dans les aspirations nationales de la Belgique naissante pourrait donner une image injuste du XIXème siècle et de l’art qui le traverse. Sur le plan politique, il serait injuste de le réduire à celui du capitalisme triomphant et des nationalismes qui conduirent l’Europe à Verdun puis Auschwitz. Sur le plan artistique, il serait injuste de ne voir le XIXème siècle que comme celui qui « a rêvé d’être tous les autres et qui n’a pas eu … le simple courage d’être lui-même, de se connaître tout d’abord de s’accepter sans réticences et de se produire à visage ouvert. »[12] Bien évidemment, il ne faut pas cacher la face sombre de l’Europe du XIXème siècle : colonialisme, conditions de vie misérable pour la plupart des citoyens, âpretés des rivalités nationales et la folle course aux armements qui nous projetèrent vers l’abîme. Mais le XIXème siècle européen fût aussi celui de l’innovation, des découvertes scientifiques, des conquêtes sociales et des libertés fondamentales et des sources esthétiques de notre siècle. Formidable unité culturelle et même politique que cette seconde moitié du XIXème siècle puisqu’il fallut attendre 1989 pour que le record de la plus longue période de paix de l’histoire de l’Europe fut battu. La Belgique a participé activement à toute cette épopée et à tous ces mouvements européens. Sans évoquer les autres champs de l’activité humaine, songeons dans le domaine de l’art à Horta et l’Art Nouveau, à Ensor, à Meunier, à Khnopff, à Spilliaert, à Rops, Rik Wauters…qui contribuèrent à forger l’esthétique moderne de l’Europe. Oui la Belgique du XIXème siècle est bien la fille des nationalismes mais elle participe aussi de notre Europe, fille de cette époque. Bibliographie. 1. Monographies. Dumont (G-H), Histoire de la Belgique, Bruxelles,Le Cri,1995. Eemans (M), Les trésors de la peinture européenne, Bruxelles, éditions Meddens, 1996. Mabille (Xavier), Histoire politique de la Belgique. Facteurs et acteurs de changement, éd. Complétée, Bruxelles, CRISP, 1992). Pomian (K), L’Europe et ses nations, Paris, Gallimard, 1992. Smeets (A), L’art flamand d’Ensor à Permeke,Bruxelles, éditions Meddens, 1992. Vercauteren (F), Atlas historique et culturel de l’Europe, Bruxelles, éditions Meddens, 1962. 2. Ouvrages collectifs. La Belle Europe, Le temps des expositions universelles 1851-1913, Bruxelles, Tempora, 2001. Encyclopédie artistique belge, L’Art, 2 Tomes, Bruxelles, La Renaissance du Livre, date de la nouvelle édition non précisée. Encyclopedia Universalis, V° Belgique. Histoire mondiale de l’Art., Verviers, Marabout université, 6 volumes, 1966. Huit siècles de Peinture. Trésors des Musées Belges, Bruxelles, Arcade, 1969. Paris-Bruxelles ; Bruxelles-Paris, Anvers-Paris, Fonds Mercator-Réunion des Musées Nationaux, 1997. La Wallonie, le pays et les hommes, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1978. Notes [1] Stiennon (J), Les régions wallonnes et le travail historique de 1805 à 1905, in la Wallonie, le pays et les hommes, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1978, p 458. [2] Cité par Stiennon (J), op.cit., p 460. [3] C’est sous les ducs de Bourgogne (XIVe-XVe s.) qu’est tentée l’unification des Pays-Bas dont l’histoire se confond avec celle des principautés belges, fief français (Flandre) ou États du Saint Empire romain germanique. [4] Un Salon est une exposition collective périodique d'artistes vivants. Le premier Salon officiel, réservé aux académiciens, se tint au Louvre en 1667. [5] Le Duc d’Albe est un général de Charles Quint et de Philippe II (Piedrahíta 1508 - Lisbonne 1582) et Gouverneur des Flandres (1567-1573) où il exerça par l'intermédiaire du Conseil une violente répression contre les protestants, qui fut à l'origine de la révolte des Pays-Bas. [6] Fierens (P), La peinture au dix-neuvième siècle, in Encyclopédie artistique belge, L’Art, Tome 2, Bruxelles, La Renaissance du Livre, date de la nouvelle édition non précisée, p 447 [7] cité par Lacambre(G), Le voyage dans le temps, in Paris-Bruxelles ; Bruxelles-Paris, Anvers-Paris, Fonds Mercator-Réunion des Musées Nationaux, 1997, p 78. [8] Fierens (P), op.cit., p 447. [9] Fierens (P), op.cit., p 439. [10] Zazzo (A), L’historicisme comme méthode, in Paris-Bruxelles ; Bruxelles-Paris, Paris-Anvers, Fonds Mercator-Réunion des Musées Nationaux, 1997, p 74. [11] Zazzo (A), op.cit., p75. [12] Fierens (P), op.cit., p 410.
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Le surréalisme

Chronologie


1922

André Breton rompt avec le mouvement Dada en publiant des textes critiques dans sa revue Littérature, et regroupe autour de lui quelques poètes comme Robert Desnos, René Crevel ou Benjamin Peret. Ils poursuivent les recherches entreprises par André Breton et Philippe Soupault dans les Champs magnétiques, texte écrit selon la méthode de l’écriture automatique et publié en 1919. Le groupe s’auto-désigne comme le "mouvement flou" jusqu’à l’officialisation du Surréalisme en 1924.


1924

Le mouvement est officialisé à Paris par la publication du Manifeste du Surréalisme, texte qu’André Breton avait initialement conçu pour préfacer la parution d’un recueil de poèmes automatiques, Poisson soluble. Il définit le Surréalisme comme "automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée". Breton tire ainsi les conséquences artistiques de la théorie psychanalytique, en particulier de l’interprétation des rêves par Freud. La Révolution surréaliste remplace Littérature et un "bureau de recherches surréalistes" est ouvert : "son but initial est de recueillir toutes les communications possibles touchant les formes qu’est susceptible de prendre l’activité inconsciente de l’esprit". Les peintres André Masson et Joan Miró rejoignent le mouvement.


1925

À la galerie Pierre de Paris, le 13 novembre à minuit, est inaugurée la première exposition de peinture surréaliste, regroupant des œuvres de Giorgio De Chirico, Hans Arp, Max Ernst, Paul Klee, Man Ray, André Masson, Joan Miró, Picasso et Pierre Roy. Max Ernst se consacre à ses premiers frottages. Les premières expériences de "cadavre exquis", expression d’une pensée à plusieurs voix, sont réalisées. Louis Aragon publie Le Paysan de Paris. À Bruxelles, un groupe réuni par les écrivains Paul Nougé et E.L.T. Mesens autour de la revue Correspondance se lie avec les surréalistes français. Le peintre belge René Magritte réalise ses premières œuvres surréalistes et devient le chef de file de ce Surréalisme belge.


1926

André Masson réalise ses premiers tableaux "presque uniquement faits de sable collé" qui mettent l’accent sur la matière et le hasard. En mars, à Paris, Jacques Trual et André Breton ouvrent la Galerie Surréaliste avec l’exposition Tableaux de Man Ray et objets des Îles (Océanie) qui établit pour la première fois un rapport entre la création surréaliste et des œuvres primitives. La presse est scandalisée par une statue océanienne, jugée indécente, choisie par Man Ray pour figurer en vitrine de l’exposition et en couverture du catalogue.


1927

En janvier, André Breton adhère au parti communiste. En juin, la première exposition personnelle du peintre Yves Tanguy est organisée à la Galerie Surréaliste. Ses peintures, héritant de l’univers de Giorgio De Chirico, présentent un monde qui semble flotter entre le milieu sous-marin et le milieu terrestre. André Breton écrit Nadja, portrait d’une jeune femme dont il a été amoureux et qui a sombré dans la folie. L’ouvrage s’achève sur l’affirmation désormais célèbre : "La beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas".


1928

En février, paraît Le Surréalisme et la peinture, recueil d’articles d’André Breton sur Picasso, Giorgio De Chirico, Max Ernst, Man Ray, André Masson… Salvador Dali et Luis Buñuel réalisent le film Un chien andalou grâce au mécénat de Marie-Laure et Charles de Noailles, qui financent aussi au même moment un autre film surréaliste resté célèbre, Le Sang d’un poète de Jean Cocteau.


1929

En février, André Breton adresse un courrier aux collaborateurs du Surréalisme pour mesurer "le degré de qualification morale de chacun", ce qui le brouille avec Bataille, Leiris et Masson. Cette démarche aboutit à la mise au point théorique que constitue le Second manifeste du Surréalisme publié en décembre. Max Ernst réalise son premier roman-collage : Perturbation, ma sœur, la femme 100 têtes. En utilisant des gravures anciennes issues de l’imagerie populaire, Max Ernst présente un univers de rêve soumis aux caprices de l’inconscient. Du 20 novembre au 5 décembre, à la galerie Gœmans de Paris, se tient la première exposition parisienne de Salvador Dali. Son œuvre invite à la pratique de la paranoïa-critique, méthode pour appréhender le réel en doutant de l’univocité de ses significations.


1930

En riposte au Second manifeste, George Bataille fait paraître en janvier un tract intitulé Un cadavre dans lequel il dénonce les principes qu’il juge moralisateurs d’André Breton. Le tract est co-signé notamment par Michel Leiris, Robert Desnos, Raymond Queneau et Jacques Prévert. Le premier numéro du Surréalisme au Service de la Révolution, dont le titre est suggéré par Louis Aragon, paraît en juillet et remplace La Révolution surréaliste. En décembre, le second film de Dali et Buñuel L’Âge d’or est projeté au "Studio 28", salle de cinéma montmartroise. Des membres de la Ligue des patriotes et de la Ligue Antijuive saccagent les locaux.


1931

Les artistes surréalistes sont exposés pour la première fois aux États-Unis, à Hartford (Connecticut). Cette manifestation réunit des œuvres de Salvador Dali, Giorgio De Chirico, Max Ernst, André Masson, Joan Miró, Picasso et Pierre Roy.Alberto Giacometti réalise ses premières sculptures-objets, des "objets mobiles et muets" composés de formes organiques qui peuvent être mises en mouvement.


1932

En novembre, André Breton publie les Vases communicants, ouvrage qui tente d’établir l’existence de liens étroits entre les rêves et l’état de veille, dont il envoie un exemplaire à Freud. Il y critique les objets"à fonctionnement symbolique" de Salvador Dali qu’il juge trop réducteur du désir.


1933

Albert Skira publie la revue surréaliste Minotaure (1933-1938) dont le premier numéro est consacré à Picasso.


1934

Au Musée Royal de Bruxelles, les Surréalistes belges organisent la première grande exposition d'œuvres surréalistes venant de toute l’Europe qu’ils intitulent, elle aussi, Minotaure. L’artiste allemand Hans Bellmer adhère au Surréalisme avec la publication dans le numéro 6 de la revue Minotaure (décembre 1934) de photographies présentant un de ses objets surréalistes, La Poupée.


1935

Alberto Giacometti est exclu du groupe. Il récuse son œuvre surréaliste et annonce son désir de travailler à nouveau "d'après modèle".En novembre, la première exposition parisienne de l'artiste Victor Brauner est organisée à la galerie Pierre.


1936

En mai, à Paris, une exposition d’objets surréalistes à la galerie Charles Ratton réunit pour la première fois des objets naturels, des objets trouvés et des objets composés par les artistes surréalistes. L’International Surrealist Exhibition est organisée à Londres par l’historien d’art Herbert Read, et préfacée par André Breton. En décembre, le MoMA de New York présente l’exposition Fantastic Art, Dada and Surrealism.


1937

André Breton devient rédacteur en chef de la revue Minotaure.Il fait paraître l’Amour fou.


1938

À la galerie des beaux-arts de Paris se tient une nouvelle Exposition internationale du surréalisme, avec la collaboration scénographique de Marcel Duchamp. Cette exposition réunit plus de 60 artistes de différents pays, présentant près de 300 peintures, objets, collages, photographies et installations.


1939

Salvador Dali est exclu du groupe. La guerre disperse les Surréalistes, dont une grande partie s’exile aux États-Unis : le modèle qu’ils représentent sera déterminant pour les mouvements artistiques naissants ou à venir, comme l’Expressionnisme abstrait, le Néo-dadaïsme, et le Pop Art.


Le surréalisme domine l'histoire de la sensibilité du XXème siècle. Rares sont les domaines de la vie culturelle qui aient échappé à son activisme passionné. Au point de nous faire oublier aujourd'hui le mouvement, historiquement déterminé, qu'il fut un demi-siècle durant. Pourtant, ce mouvement a peut-être moins inventé une sensibilité nouvelle - quelques-unes de ses aspirations essentielles caractérisent déjà le romantisme du XIXème siècle : affirmation de la nature essentiellement poétique de l'homme, appel aux puissances de la vie inconsciente, de l'imagination et du rêve, identification de la science avec la poésie, de la littérature avec la vie, espérance millénariste fondée sur une transformation de l'homme - qu'il n'a soumis à son ontologie inquiète les doctrines esthétiques, scientifiques et même politiques majeures de son époque. Inlassablement, il leur aura posé la question de leur sens, dans une conception globale de l'homme dont il représente sans doute - avec le marxisme et l'existentialisme - la dernière manifestation dans la pensée occidentale. Mais, en déplaçant leurs problématiques, en déjouant leur sens manifeste, le surréalisme reste peut-être avant tout pour nous un incomparable révélateur de revendications latentes : littérature soumise à l'urgence du désir, psychanalyse envisagée dans son pouvoir critique plus que thérapeutique, ésotérisme pratiqué sans transcendance, matérialisme contesté par le " hasard objectif ", communisme affronté aux exigences irréductibles de la subjectivité. C'est l'ombre portée d'un demi-siècle décisif qui, d'une guerre à l'autre, ironiquement, gravement, se projette aussi bien dans la pensée que dans la chronologie de ce mouvement.


Le surréalisme dans son histoire


La conscience malheureuse (1919-1922)


Le surréalisme est né d'une guerre, la première à remettre non seulement en cause l'existence de frontières, de biens et d'organisations sociales, mais les fondements mêmes d'une civilisation dont vainqueurs et vaincus participaient à titre égal. L'absurdité d'une telle situation ne pouvait que frapper quelques esprits déjà sensibilisés aux mutations culturelles qui avaient précédé, comme son prodrome, le cataclysme où s'enfonça l'Europe en 1914. Acteurs d'une guerre qu'ils avaient faite contre leur gré, ils ont su mesurer l'ampleur d'une crise qu'aucune euphorie victorieuse, aucun rétablissement moral ne pouvaient à leurs yeux masquer. Hormis les figures tutélaires de Rimbaud et de Lautréamont, ils ne trouvaient guère dans le paysage littéraire français de l'époque beaucoup de ces " individus pour qui l'art avait cessé d'être une fin " (André Breton). À côté des symbolistes, de Saint-Pol-Roux et d'Apollinaire dont Breton avait médité le manifeste-programme intitulé L'Esprit nouveau (1917), de Pierre Reverdy dont la revue Nord-Sud accueillera ses textes, il n'y avait guère que Pierre-Albert Birot pour prendre position dès le premier numéro de Sic , en 1916, en faveur de l'art moderne, cubiste et futuriste. Rien dans tout cela qui fût en mesure d'exprimer la radicalité d'une révolte que Breton découvrira, en 1916, à l'hôpital de Nantes, incarnée à l'état pur dans la personnalité de Jacques Vaché. Mais c'est l'amitié de Breton avec Aragon et Philippe Soupault qui allait féconder cette révolte, avec la fondation en mars 1919 de la revue Littérature. Les Lettres de guerre de Jacques Vaché et les Poésies d'Isidore Ducasse, qui figurent au sommaire des premiers numéros à côté des signatures plus sages d'un Gide ou d'un Valéry, donnent d'emblée la mesure des ambitions de ses trois directeurs que rejoindra bientôt Paul Eluard ; former un groupe qui, par-delà la révision des formes de l'art, puisse efficacement intervenir sur la question de sa destination : " Pourquoi écrivez-vous ? " L'enquête publiée dans la livraison de novembre 1919, si elle enregistre des réponses déroutantes ou absurdes, trahit déjà le désir de dépasser cette activité purement destructrice à quoi se livre hors de France le mouvement dada dont l'influence ne cesse de croître dans l'Europe de ces années.


C'est en effet à Zurich que, depuis février 1916, un petit groupe réuni autour de Tristan Tzara fait l'inventaire de l'arsenal mis au point par l'avant-garde internationale pour subvertir le replâtrage idéologique que la liquidation de la guerre commence à rendre possible. Fondamentalement nihiliste, Dada ignore les classifications esthétiques, les frontières culturelles autant que nationales. Il porte comme sa raison d'être cette inquiétude fondamentale qui avait déjà fasciné Breton dans le comportement de Vaché. Et c'est moins d'une doctrine constituée que du détonateur nécessaire à l'élan révolutionnaire du groupe de Littérature que Tzara est porteur à son arrivée à Paris, en janvier 1920. À travers une série de spectacles-provocations corrosifs et de bulletins où apparaissent désormais les noms d'Aragon, de Breton, d'Eluard aux côtés de ceux de Tzara, de Duchamp, de Picabia, de Ribemont-Dessaignes, un ton est donné qui bouscule les règles du jeu culturel, fût-il moderne. Un refus - plutôt qu'un défaut - d'organisation aussi (" Les vrais dadas sont contre Dada. Tout le monde est directeur de Dada ") dont Breton, le premier, ressent et exprime le malaise avec les " Manifestes dada " qu'il signe dans le numéro 13 de Littérature , en mai 1920, ainsi qu'à l'occasion de l'instruction simulée du procès Barrès, en mai 1921, lorsqu'il s'oppose aux interventions anarchisantes de Tzara.


Le surréalisme intuitif (1922-1924)


On peut faire coïncider avec la naissance de la nouvelle série de Littérature née de la rupture dadaïste une période transitoire pendant laquelle les futurs surréalistes s'organisent progressivement en mouvement. Nul corps de doctrine en ces années où Breton reconnaîtra plus tard " l'époque intuitive du surréalisme ", mais déjà l'ambition moins de fonder une nouvelle école artistique qu'un organe de connaissance de ces continents jusqu'ici refoulés que sont le rêve, la folie, les états hallucinatoires. Ce qu'on commence à identifier sous la notion d'inconscient. La première œuvre surréaliste que Breton et Soupault écrivent en collaboration dès 1920, Les Champs magnétiques, se présente en effet moins comme le produit d'une littérature d'avant-garde que comme une évaluation expérimentale des pouvoirs du langage exercé sans contrôle. Les textes " automatiques ", dont cette œuvre inaugure l'abondante production, vont être le terrain d'essai du surréalisme naissant, la cristallisation du projet collectif qui trouvera en 1924, dans le Manifeste du surréalisme rédigé par Breton, sa définition canonique.


Il faut ici s'arrêter au mot qui donne enfin son nom au mouvement qui, sous l'autorité d'André Breton, voit en 1924 sa fondation officielle. Il est connu depuis qu'en 1917 Apollinaire avait qualifié ses Mamelles de Tirésias de " drame surréaliste ". Mais il prend ici un sens qui dépasse largement le domaine esthétique pour qualifier l'exploration du " fonctionnement réel de la pensée ". L'aspect littéraire du premier champ d'expérience de la recherche surréaliste ne doit donc pas ici égarer. Plus révélatrice est la collaboration qui présida à l'écriture des Champs magnétiques. La fulgurance des images qu'elle inspirait trahissait moins l'expression d'une sensibilité personnelle qu'elle n'était le résultat d'une technique, d'une pratique modulée de la vitesse d'écriture notamment. Cette " pensée non dirigée " était rien moins que subjective ou complaisamment poétique. Sommeils hypnotiques, récits de rêves, simulations de délires, paranoïa-critique allaient très vite enrichir l'équipement méthodologique des surréalistes. Vers la fin de 1922, le groupe (Crevel, Desnos et Péret notamment) se laissera envahir par cette " épidémie de sommeils " que décrira Aragon dans le bilan qu'il dressera, en 1924, de deux années d'activité surréaliste (Une vague de rêves).


Mais cette activité onirique débordante ne se définit pas seulement comme une quête d'informations objectives. Son caractère volontairement impersonnel n'annule pas son pouvoir de transmutation poétique, n'interdit pas l'accès de cette région surréelle dont chacun possède la clé en soi. La poésie est l'autre nom de cette pratique qui ne nie le talent individuel que pour mieux rendre à chacun la disposition intégrale de son être. À la permanence du groupe, rue de Grenelle à Paris, un " Bureau de recherches surréalistes " ouvert à tous les anonymes porteurs de secrets, de révolte et de rêves va tenter de réaliser le vœu de Lautréamont que la poésie soit faite par tous. La " centrale surréaliste " s'alimente à la vie quotidienne et veut contribuer à en inventer le merveilleux. À partir du 1er décembre 1924, un nouvel organe de diffusion des travaux du groupe, La Révolution surréaliste, se substitue à Littérature. Pierre Naville et Benjamin Péret, ses codirecteurs, donnent le ton d'une publication à l'aspect aussi sévère que celui d'un bulletin scientifique, mais dont la charge d'expériences impose avec éclat l'orientation révolutionnaire du mouvement. L'époque intuitive du surréalisme a vécu. Son âge de raison peut commencer.


L'âge de raison (1925-1939)


Marqués par la crise des grands systèmes de représentation du monde, les surréalistes étaient en quête de nouveaux fondements. Comme leurs contemporains marxistes, comme déjà les romantiques du siècle précédent, ils recherchaient les lois sur lesquelles asseoir une nouvelle approche de l'homme. Ils ne pouvaient par conséquent se contenter d'entériner les recherches de leur temps sans les réévaluer à l'aune d'une préoccupation essentiellement ontologique. Les expérimentations auxquelles avait donné lieu chez eux la découverte du champ inconscient demeuraient bien des expériences, au sens initiatique du terme. Une seule connaissance pour eux importait, qui pût transformer le sujet autant que l'objet, une sorte de gnose qui devait les conduire à la réconciliation de l'action et du rêve. Et la poésie pouvait être cette " connaissance productive du réel " dont parlera plus tard René Char, qui explorait dans la dimension onirique un degré plus profond de réalité. Car il y a un réalisme consubstantiel à la démarche des surréalistes, et l'on en mesure les effets si l'on compare, avec leur propre définition, celle qu'un Yvan Goll donnait du surréalisme, dans le premier numéro d'une revue du même nom et publié en 1924 précisément : "La transposition de la réalité dans un plan supérieur (artistique)." De ce réel sublimé, idéalisé, à celui que recherche Breton dans le noyau dur (et pur) de ce monde, il y a le saut d'un symbolisme qui n'en finit pas de se moderniser pour survivre, à une décision proprement révolutionnaire. Car si " l'au-delà, tout l'au-delà est dans cette vie " la " libération totale de l'esprit " qu'un tract de janvier 1925 revendique, relève moins de l'invention d'un monde autre que de la transformation de celui-ci au terme d'un double constat : le surréel n'est pas donné spontanément. Il faut désirer l'imposer contre l'appareil répressif de la logique, de la morale et de la société. Étant ce monde, il a ses lois qu'il faut apprendre à reconnaître. Partagée entre désir et conscience, entre inspiration prophétique et réalisme critique, ainsi va se jouer jusqu'à la Seconde Guerre mondiale l'histoire tourmentée du surréalisme.


Le désir, voilà le " seul acte de foi du surréalisme ", ainsi que l'avoue Breton en 1934 dans Qu'est-ce que le surréalisme ? Or, répondant en 1932 à l'"Enquête sur le désir" des surréalistes yougoslaves, Breton liait déjà, contre la tradition philosophique la mieux partagée, les destinées de la connaissance à celle du désir : "C'est par ses désirs et ses exigences les plus directes que tend à s'exercer chez l'homme la faculté de connaissance." Et l'on retrouverait dans les déclarations surréalistes cette mise en lumière nietzschéenne des sources pulsionnelles de la connaissance sur quoi s'est édifiée l'ère, si durable, du soupçon. Mais les surréalistes, que le désir tourmente autant qu'il interroge, furent moins, il ne faut jamais l'oublier, des généalogistes du savoir que des artistes animés par le souci de la vérité pratique. La connaissance devait avant tout réaliser le désir, et leur position à l'égard de l'institution psychiatrique y puisa son caractère délibérément subversif. Toute l'histoire du surréalisme, de la Lettre aux médecins-chefs des asiles de fous, de 1925, à la célébration du cinquantenaire de l'hystérie, en 1928, et à la mise en place de la " paranoïa-critique " de Dalí à partir de 1929, est engagée dans la défense de l'aliéné et l'exaltation des vertus cognitives du délire. De sorte que l'identification du désir et de la connaissance finit par se calquer sur celui de l'état normal et de la folie. C'est encore en 1928 que paraît Nadja , récit qui constitue le prolongement autobiographique et poétique des positions de Breton.


Cette irruption du désir dans le lieu même de la connaissance trouvera sans doute sa forme la plus accomplie dans L'Immaculée Conception que publient ensemble Breton et Eluard en 1930. Étonnante suite de poèmes en prose dont les auteurs se livrent à des "essais de simulation" d'états démentiels, de la débilité mentale à la démence précoce. Deux poètes s'y livrent sur eux-mêmes à une expérimentation de la fragilité des critères de normalité. Observations dont Dalí, à la même époque, fixera le protocole dans sa célèbre "paranoïa-critique" qui permet une interprétation de l'œuvre d'art (celle de l'Angelus de Millet par exemple) très éloignée de l'enquête freudienne.


C'est en effet sur un malentendu historique que s'est édifiée la célébration surréaliste des découvertes de Freud. L'intérêt distant dont fit montre Freud à l'égard des surréalistes (Breton lui avait rendu visite à Vienne en 1921) situe l'opposition des projets. L'un et l'autre reconnaissaient l'importance du désir, mais le premier visait sa sublimation, et les seconds sa réalisation. C'est par une confusion de la parole troublée et de la parole élucidante que Breton pouvait confondre Freud avec Sade dans une même aspiration libératrice.


Car le désir est par essence révolutionnaire. "La vraie révolution, pour les surréalistes, c'est la victoire du désir", constatait jadis Maurice Nadeau. Et son histoire est aussi celle de son errance, de ses difficultés à trouver son objet. Issus du projet de "changer la vie", les surréalistes ne pouvaient que rencontrer un jour la réalité politique. L'histoire du surréalisme trouve là son moment de haute turbulence. En retracer les épisodes marquants, c'est le débarrasser des positions dogmatiques qu'on est trop souvent tenté de lui prêter. 1930 est en effet l'année, paradoxale, de L'Immaculée Conception autant que du premier numéro d'une nouvelle revue succédant à la Révolution surréaliste : Le Surréalisme au service de la révolution , qui manifeste, par cette modification de l'ancien titre, l'évolution du groupe vers une position politique affirmée. Mais de quel groupe s'agit-il encore, qui réunit les explorateurs des terres vierges du surréalisme que sont Breton, Eluard, Crevel, Péret que sont venus rejoindre Dalí, Buñuel, Georges Hugnet, René Char, André Thirion, et un Pierre Naville acquis depuis 1926 à la cause communiste, ou un Aragon et un Georges Sadoul qui font en U.R.S.S. un voyage aux conséquences profondes ? Pour saisir la force, mais aussi les limites de la capacité d'intégration du surréalisme, il faut revenir à cette année 1924 où La Révolution surréaliste , dès son premier numéro, commence par justifier ainsi son titre : "Il faut aboutir à une nouvelle déclaration des droits de l'homme." Mais la révolution est encore une idée pour Breton qui réfléchit sur le "droit de grève" à accorder aux intellectuels, comme pour Eluard qui oppose la valeur transcendante de la révolution au pragmatisme révolutionnaire, ou pour Aragon qui avoue dans Un cadavre - pamphlet collectif contre Anatole France qui vient de mourir - son "peu de goût" pour le régime bolchevique. "Nous avons accolé le mot de surréalisme au mot de révolution uniquement pour montrer le caractère désintéressé, détaché et même tout à fait désespéré de cette révolution", peut-on lire dans un tract de janvier 1925. S'ils ne peuvent se résoudre au choix, les surréalistes, que la question de l'engagement agite de plus en plus, se sentent unis par un "certain état de fureur". Celui qui les pousse à se livrer au scandale lors du banquet d'hommage à Saint-Pol-Roux en juillet 1925, ou dans la "Lettre ouverte à Paul Claudel, ambassadeur de France".


Ce désir erratique, le spectacle de plus en plus intolérable des injustices sociales et des menées impérialistes, va pourtant lui offrir un objet où fixer sa fureur. Un accord avec le groupe de la revue communiste Clarté - le seul à mener une action idéologiquement efficace contre la guerre du Maroc (1924-1926) - se réalisera en mars 1926, qui concrétisera le début de ce que Breton appela la "période raisonnante du surréalisme".


Mais l'adhésion aux principes du matérialisme dialectique, si elle pouvait répondre à l'ontologie historique des surréalistes, exigeait d'eux qu'ils donnent priorité à l'abolition des conditions bourgeoises de la vie matérielle sur cette liberté de l'esprit qu'ils allaient parfois chercher jusqu'en Orient, écrivant, à l'image d'Artaud, leur Adresse au Dalaï-Lama. Concrètement, le "service de la révolution", c'est celui du prolétariat. "Que peuvent faire les surréalistes ?", demande dans La Révolution et les intellectuels Pierre Naville qui va devenir codirecteur de Clarté et qui est convaincu désormais de leur inefficacité pratique. Le consensus qui se reformait toujours autour de la critique de l'individualisme, de la vanité de l'activité littéraire et de la nécessité d'une action collective se brisait sur ce point. Les déclarations de Naville, en stigmatisant la "vanité des querelles de l'intelligence", vont agiter le groupe, au point d'inquiéter Breton qui, en septembre 1926, tentera dans Légitime Défense d'exorciser le risque de désunion. Il y réaffirme son adhésion de principe au programme communiste, mais en l'envisageant comme un "programme minimum". L'adhésion au Parti communiste de Breton, d'Aragon, d'Eluard, de Péret et d'Unik en administrera la preuve. Acte symbolique dont le Parti communiste ne sera pas dupe, même si les Cinq rendent publique l'exclusion d'Artaud et de Soupault, qui refusent la nouvelle orientation mais sont officiellement rejetés pour fait d'activité littéraire. Car une rigueur semblable à celle des partis révolutionnaires s'empare du groupe fidèle à Breton. Les procès d'individualités que celui-ci veut instruire (ceux de Baron, de Leiris, de Limbour, de Prévert, de Queneau, ainsi que de Desnos accusé d'activités journalistiques moralement suicidaires) finiront par susciter des réactions de révolte (Un cadavre par exemple, pamphlet publié en janvier 1930 sur le modèle de celui qui vise Anatole France, mais dirigé cette fois contre Breton par quelques-uns des exclus récents) et des prises de conscience que l'échec de la réunion de la "rue du Château" (provoquée par Breton, Aragon et Queneau pour enquêter sur les possibilités d'une action commune avec les groupes révolutionnaires) précipite. Des clivages nouveaux s'accusent, où s'expriment toutes les nuances de la sensibilité surréaliste, de l'idéalisme mystique du Grand Jeu de R. Daumal, de R. Gilbert-Lecomte et de R. Vailland (rupture des relations en 1929) au "bas matérialisme" de Georges Bataille qui, à travers la revue Documents , va prendre en 1929 l'offensive contre le "surréalisme idéaliste" ; à ceux encore qui, comme Aragon et Sadoul, reviennent d'un voyage en U.R.S.S. (participation au IIe Congrès international des écrivains révolutionnaires de Karkhov, en octobre 1931) convertis au communisme. Pour preuve de son ralliement, Aragon compose le poème "Front rouge" qu'il publie dans Littérature de la révolution mondiale , revue éditée à Moscou. Malgré la défense que Breton décidera de lui apporter lors de son inculpation (pour appel à l'assassinat des dirigeants du régime), Aragon finira par rompre, en 1932, avec le groupe qu'il avait contribué à fonder, s'alignant sur les positions les plus étroites du Parti communiste (le rejet du freudisme et du trotskisme notamment). On est loin des positions d'un Naville proclamant sept ans plus tôt l'engagement communiste au nom même du surréalisme. Mais la situation historique a changé. L'U.R.S.S. n'est plus une précaire expérience révolutionnaire, et la répression du pouvoir se fait en France plus ouverte (interdiction de quitter la France pour Eluard, et même emprisonnement pour Sadoul, par exemple). Les conflits se durcissent, à droite comme à gauche. Breton, Eluard et Crevel seront exclus du Parti communiste en 1933. En 1935, Breton sera interdit de parole au Congrès des écrivains pour la défense de la culture.


En dénonçant les compromissions du Front populaire dont ils prophétisent la faillite, les surréalistes continueront cependant d'affirmer leur projet révolutionnaire en se ralliant, en 1935 encore, au Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, en se rapprochant de Bataille et en fondant les cahiers de Contre-attaque qui prônent le recours à l'action immédiate. C'est avec Position politique du surréalisme, publié cette même année, que Breton confirme son opposition à Staline autant que sa capacité de "refus". La dénonciation des procès de Moscou en 1937, le resserrement des liens avec Trotski que Breton rencontrera, exilé, au Mexique pendant l'été de 1938 soulignent une indépendance que viendra appuyer la part prise dans la fondation de la Fédération internationale de l'art révolutionnaire indépendant et dans la rédaction du manifeste Pour un art révolutionnaire indépendant, en collaboration avec Trotski et le peintre Ribera.


L'indépendance du surréalisme, c'est, malgré lui, dans des œuvres et des réalisations personnelles qu'elle se réalise en ces années troublées. Loin d'être le reflet idéologique de rapports de production, l'art reste le lieu d'élection des réalisations les plus immédiates du désir. Breton s'élèvera contre un art de propagande pour "défendre la culture", et cette "faculté individuelle qui fait passer une lueur dans la grande ignorance, dans la grande obscurité collective" (Position politique du surréalisme). Breton, dont le rôle est plus que jamais - et c'est ce qui fit son autorité - de concilier les pôles antagonistes de son mouvement, cherche en fait à réaliser dans l'histoire même du surréalisme ce "point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas cessent d'être perçus contradictoirement". Déclaration sur quoi se fondait le Second Manifeste surréaliste, et dont l'objet, en 1929, était déjà de reformer l'unité compromise du groupe. Dépassement dialectique des oeuvres individuelles dans une universalisation de leur propos où il faut voir la réussite majeure du surréalisme comme mouvement artistique, certes, mais dont l'audience internationale va grandissant.


Car le surréalisme tend non seulement vers les formes les plus universelles, mais aussi vers les plus rigoureuses : vers ce Style dont Aragon écrivit le Traité en 1928. Qui s'interroge aujourd'hui sur l'exceptionnelle qualité des oeuvres qu'il a fécondées doit en revenir à ce texte, l'un des classiques du mouvement, où Aragon assigne les plus strictes limites à l'expression anarchique : balisage de l'écriture automatique, condamnation de la gratuité de la pensée, de l'idolâtrie de Rimbaud, du goût du suicide et de la vaticination sans but ni raison. Ce n'est qu'à ce prix que le mouvement va imposer sa vision du monde, et jusqu'à son vocabulaire : c'est en 1938 que Breton et Eluard rédigeront un Dictionnaire abrégé du surréalisme pour servir de préface à l'Exposition internationale du surréalisme, la première qui s'ouvre à Paris, galerie des Beaux-Arts. Bientôt, les expositions fleuriront hors de France, dans les pays où le surréalisme a fait école : en Belgique, en Tchécoslovaquie, en Suisse, en Angleterre et jusqu'au Japon.


Mais le surréalisme qui triomphe après 1930 est en même temps dépossédé de son organe. Aucune revue ne succède au dernier numéro du Surréalisme au service de la révolution, en mai 1933. Minotaure, édité par Skira et d'abord dirigé par Tériade, sera la dernière revue d'avant guerre où les surréalistes s'exprimeront régulièrement. Mais l'âge de la recherche ascétique est loin avec cette livraison d'art luxueusement illustrée où s'exprime, à travers des Enquêtes , un sens du merveilleux ("Pourriez-vous dire quelle a été la rencontre capitale de votre vie ?") que l'approche de nouveaux troubles mondiaux va enrichir d'un surcroît d'inquiétude.


L'âge métaphysique (1939-1950)


L'inquiétude, c'est-à-dire la mise en question de ce monde, et le refus de chercher hors de lui le salut restent au coeur de l'aventure surréaliste, autant que la recherche d'un sens caché, d'une vision renouvelée de l'ordre du monde. Si l'exercice du langage n'a jamais cessé de préoccuper les surréalistes quelle que fût la nature de leurs engagements, c'est parce qu'ils ont tôt compris qu'il détenait autant le pouvoir de dénoncer l'absurdité du monde - ainsi l'utilisera Dada - que de redonner sens à ce qui est reçu comme contingent, notre monde le plus quotidien. Si l'écriture automatique offrit d'emblée l'espoir de découvrir une logique plus profonde - et poétique en cela - dans le désordre apparent du discours spontané, la notion plus tardive de "hasard objectif" allait jouer un rôle majeur dans la compréhension des signes que suscite notre présence au monde.


En 1937, lorsqu'il apparaît au creuset de L'Amour fou de Breton, ce souci de rendre objectif le hasard se présente comme la réponse - qu'il faut bien qualifier de métaphysique - à l'irrationalité des conduites humaines. L'échec des tentatives de transformation de l'homme (l'homme socialiste d'Union soviétique n'a pas changé), le retour de la sauvagerie sous ses formes totalitaires, la préparation d'une guerre que l'on pressent inévitable poussent les surréalistes vers des positions progressivement plus spéculatives. La Première Guerre mondiale avait libéré leur pouvoir critique ; la Seconde va accuser en eux un désir de résoudre les contradictions de l'homme et du monde sur un plan bien plus archaïque que celui des conflits sociaux. Souci de renouer avec un fonds commun de l'humanité que rend plus aiguë la montée des nationalismes. "L'art n'a pas plus de patrie que les travailleurs", peut-on lire dans le premier numéro de Clé, en 1938, l'éphémère organe français de la Fédération internationale de l'art révolutionnaire indépendant. Quand survient l'entrée en guerre, la mobilisation et la dispersion du groupe, Breton va mettre sous presse son Anthologie de l'humour noir que le régime de Vichy censurera parce qu'il incarne "la négation de l'esprit de révolution nationale". Situé entre "l'humour objectif" de Hegel et le "quelque chose de sublime et d'élevé" de Freud, l'humour noir n'était rien d'autre que la tentative de rendre sa souveraineté à l'homme dépossédé de son unité.


Les Prolégomènes à un troisième manifeste surréaliste ou non que Breton composera en 1942 à New York, où il a décidé de s'installer, sont traversés par cette inquiétude qui tranche avec la spéculation hardie du premier, autant qu'avec les mises au point résolues du second. Car, ce qui frappe ici, c'est l'appel à une prise de conscience, le retour à la condition d'homme sous la condition sociale, à son "extrême précarité". De plus, la dénonciation ne se limite pas à l'exploitation de l'homme par l'homme, mais s'étend à "l'exploitation de l'homme par le prétendu Dieu d'absurde et provocante mémoire". Tout l'espoir de Breton va désormais se fortifier d'un engagement décidé "sur les voies de la révolution intérieure" qu'il pense rencontrer chez un alchimiste comme Nicolas Flamel ou un mystique comme Eckhart.


Réconcilier l'homme avec la nature, le microcosme et le macrocosme, retrouver l'universelle analogie chère à Baudelaire, sans dédaigner le message de l'hermétisme et de l'ésotérisme, telle sera l'occupation majeure, dans l'immédiat après-guerre, de ceux qui dans le groupe reconstitué suivront l'orientation choisie par Breton dans l'Ode à Charles Fourier (1945), Signe ascendant (1947), et surtout Arcane 17. Cette dernière œuvre, qui engage dès 1945 le mouvement sur le "chemin de la gnose", développe un hymne à la femme, figure unitive des deux mondes, matériel et spirituel, Nadja initiée aux échanges de la vie et du rêve que décrivaient déjà, en 1932, Les Vases communicants . Car il ne faut pas se laisser abuser par cette prédilection du surréalisme d'après guerre pour les sciences occultes (qui aboutira à la publication en 1957, par Breton et Gérard Legrand, d'une vaste enquête sur l'Art magique). Le "surréalisme en ses œuvres vives" que défendra Breton en 1953 est bien là, qui n'a pas renoncé à son acte de foi immanentiste, même si certains le quittent, qui refusent de signer Rupture inaugurale, le manifeste qui consacre, en 1947, le renouveau du groupe et son éloignement de la politique communiste. Nulle fuite ici dans quelque transcendance suspecte, mais la tentative inlassablement reprise d'unifier la dialectique et l'analogie symbolique, de légitimer " et d'" accomplir " l'une par l'autre (Gérard Legrand). " L'occultation profonde, véritable, du surréalisme" demandée par le Second Manifeste s'accomplissait ici, dans l'approche du message ésotérique et son intériorisation.


Mort et réalisation du surréalisme (1945-1969)


Déjà exposé avant guerre aux fruits suspects d'une semaison en tous lieux, le surréalisme ne risquait-il pas de s'éteindre dans la dispersion, autrement plus dramatique, de la guerre ? Tandis qu'en France le groupe de La Main à plume (Maurice Blanchard, Noël Arnaud, Christian Dotremont, Gérard de Sède, Boris Rybak...) continue de faire entendre la voix libératrice de la poésie surréaliste, Breton, aux États-Unis, ne reste pas inactif. Il organise en 1942, avec son vieil ami Marcel Duchamp, une exposition internationale et fonde la même année la revue VVV autour de laquelle se maintient l'esprit du surréalisme. Aussi bien son retour en France, au printemps de 1946, est-il salué comme la chance d'un ressourcement. Peu de noms anciens pourtant autour de Breton pour faire face aux attaques dont le mouvement est à nouveau la cible de la part de Tzara, de Sartre surtout qui l'accuse d'inanité dans Situations II. Benjamin Péret pourtant reste fidèle à Breton et, depuis Mexico où il s'est réfugié, s'élève en février 1945, dans Le Déshonneur des poètes, contre les "litanies nationalistes et publicitaires" d'un Aragon et d'un Eluard dont l'absence au sein du mouvement ne sera d'ailleurs jamais compensé. Mais de nouveaux venus annoncent un renouvellement de ses forces : Julien Gracq, André Pieyre de Mandiargues, Jean-Pierre Duprey, Malcolm de Chazal, Joyce Mansour, Yves Bonnefoy..., voyageurs d'un Troisième Convoi (titre d'une éphémère revue fondée en octobre 1945) qui, succédant à ceux de l'époque héroïque et raisonnante, suivent la voie d'une stylisation onirique. Mais la dimension historique et culturelle du surréalisme l'emporte désormais sur l'esprit militant. Signe des temps, l'activité du mouvement s'exprime moins par la voie féconde mais discrète des revues (elles se succèdent pourtant : La Révolution, la Nuit ; Médium ; Le Surréalisme, même ; Bief ; La Brèche ; L'Archibras ) que par des expositions conçues autour d'un thème et mises en scène comme un spectacle total (exposition internationale de 1947 à la galerie Maeght, de 1957 chez Daniel Cordier sur le thème de l'érotisme, de 1965 à la galerie L'oeil et sous l'invocation de Fourier). Prédominance des arts visuels qui se manifeste aussi bien dans la réédition, en 1965, du Surréalisme et la peinture de Breton augmenté de nombreuses découvertes que dans la participation de celui-ci à la fondation de la Compagnie de l'Art brut dirigée par Dubuffet, en 1951, ou par la création de la revue L'Âge du cinéma, la même année.


Autre signe des temps, l'évolution des positions politiques. Toujours aussi attentifs aux manifestations de l'oppression, d'où qu'elle vienne - protestation en 1956 contre l'intervention soviétique à Budapest, soutien par Breton de la Déclaration des 121 sur le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie en 1960 -, les surréalistes s'égareront un temps (en 1949) aux côtés de Garry Davis, fondateur d'un Mouvement des citoyens du monde, comme ils saisiront l'occasion d'une polémique avec les Chrétiens d'aujourd'hui pour réaffirmer, en 1948, leurs positions fondamentalement antireligieuses.


La mort d'André Breton, le 28 septembre 1966, précipite la fin d'un mouvement dont Jean Schuster signera dans Le Monde du 4 octobre 1969 l'acte de décès en ces termes : "Le numéro 7 de L'Archibras est la dernière manifestation du surréalisme, en tant que mouvement organisé en France." Mort de s'être pleinement réalisé, comme la philosophie selon Marx, dans les transformations qu'il a permises ; rêve à l'action aujourd'hui réconcilié moins dans les dimanches de l'histoire que dans la prose du quotidien. Une "philosophie" selon Ferdinand Alquié, un " fantôme partout présent " selon Maurice Blanchot, un "mythe nouveau" selon Breton lui-même, c'est-à-dire la fin d'une histoire.


2. Pour une philosophie du surréalisme


D'un bout à l'autre de son existence, le surréalisme fut inspiré et dominé par André Breton. C'est à partir de ses textes théoriques qu'a pu s'élaborer une doctrine dont les critères, il convient de le préciser, ne furent pas seulement esthétiques. En effet, le surréalisme a mis en jeu une conception générale de l'homme, considéré en lui-même et dans son rapport avec le monde et la société : il a débordé largement le plan de l'art, et s'est défini sans cesse par des prises de position politiques et morales. On peut même remarquer que presque toutes les exclusions prononcées ont été motivées non par des divergences esthétiques, ou, comme on l'a prétendu, par des questions de personnes, mais par des considérations relatives à la conduite et à l'éthique. Considérant les querelles passées, Breton a écrit, en 1946, dans son Avertissement pour la réédition du second manifeste : "Les questions de personnes n'ont été agitées par nous qu'a posteriori et n'ont été portées en public que dans les cas où pouvaient passer pour transgressés d'une manière flagrante et intéressant l'histoire de notre mouvement les principes fondamentaux sur lesquels notre entente avait été établie. Il y allait et il y va encore du maintien d'une plate-forme assez mobile pour faire face aux aspects changeants du problème de la vie, en même temps qu'assez stable pour attester la non-rupture d'un certain nombre d'engagements mutuels - et publics - contractés à l'époque de notre jeunesse." On ne peut que rendre hommage à la justesse de cette analyse.


La liberté de l'esprit


Phénomène collectif, le surréalisme est né d'un certain nombre de rencontres (en ses débuts, rencontre de Breton et d'Aragon, Soupault, Eluard, Ernst, Péret, Baron, Crevel, Desnos, Morise...). Mais elles n'ont eu de sens que parce qu'elles réunissaient des hommes qu'agitaient les mêmes problèmes, qu'animait une même fureur contre l'ordre établi, qu'habitait un même espoir. Il conviendrait aussi de parler de rencontre en ce qui concerne le rapport du groupe français et des groupes étrangers, qui ont spontanément retrouvé des préoccupations semblables ; ainsi, en Belgique, celui qui comprenait Paul Nougé, Mesens, René Magritte.

Il est malaisé, en étudiant les premiers textes surréalistes, de dégager, des états essentiellement émotionnels qu'ils expriment, une doctrine précise. Pourtant, on peut remarquer qu'une préoccupation commune se traduit en tous ces écrits : celle d'assurer à l'esprit une totale liberté.


Cette liberté, la guerre de 1914-1918, en dehors même des malheurs qu'elle avait entraînés, semblait l'avoir gravement mise en péril. Il s'agissait donc, avant tout, de s'interroger sur les conditions de son exercice. Tel fut le premier souci des surréalistes, et il est particulièrement remarquable que leur réflexion, trouvant son origine dans une réaction contre la guerre, où Breton ne voulait voir qu'un "cloaque de sang, de sottise et de boue", n'ait cependant pas porté sur la guerre elle-même. Ce qui, dès le départ, a intéressé les surréalistes, c'est plutôt de savoir comment l'esprit peut ne pas se laisser contaminer par de tels événements. Et leurs premières admirations semblent avoir été déterminées par cette préoccupation. En Jacques Vaché, on apprécie avant tout l'homme qui, grâce à l'humour, a pu se maintenir indemne. Chez Apollinaire, qui, pourtant, a chanté la guerre, on s'émerveille de voir l'esprit échapper à l'horreur par la poésie. Lorsque, beaucoup plus tard, dans La Clé des champs, Breton écrira que la beauté demeure "le grand refuge", il retrouvera cette pensée, et cette inspiration.


Humour et poésie seront toujours considérés par les surréalistes comme les moyens par lesquels l'esprit affirme son indépendance, se libère du déterminisme dont, d'autre part, la vie quotidienne accepte le poids. La folie elle-même semble pouvoir être utilisée en ce sens, contribuer à assurer le triomphe du principe de plaisir sur le principe de réalité. Breton signale l'influence qu'eut sur le développement de sa pensée un malade mental, rencontré au centre psychiatrique de Saint-Dizier, et qui tenait la guerre pour un simulacre, estimant que les blessures étaient seulement apparentes, etc. Dans les propos de ce malade il puisa l'idée première de son Introduction au discours sur le peu de réalité. Plus généralement, on peut y voir la source de son goût pour la philosophie idéaliste, qu'elle soit berkeleyenne ou fichtéenne, et l'origine de la notion même de surréalité.


L'espoir, la révolte et la révolution


Libérer l'esprit, c'est, d'abord, s'opposer à ce qui le détermine. On trouve donc, dans le surréalisme, un aspect de révolte et de négation. On a parlé, en ce sens, de nihilisme, de satanisme. Et il faut convenir que les surréalistes ont souvent semblé s'opposer à tout ordre : ils injurient Dieu, rejettent l'idée de patrie, font parfois l'éloge du crime, d'où le scandale que, souvent, ils ont provoqué. "Tout est à faire, tous les moyens doivent être bons, rappelle le Second Manifeste, pour ruiner les idées de famille, de patrie, de religion." Il importe pourtant de ne pas oublier, devant les innombrables défis des surréalistes, l'espoir positif qui en est la source. Le surréalisme n'est pas un pessimisme. Il est tout entier dominé par l'attente de ce que Rimbaud appelait "la vraie vie". Celle-ci "est absente". Il faut la retrouver.


Le surréalisme est riche en éléments "noirs". Ici se fait sentir l'influence de Sade, de Lautréamont et de maint auteur romantique. D'autre part, des sentiments de haine, de culpabilité subconsciente et de peur (Michel Leiris a insisté sur la présence en lui de ce dernier sentiment) sont inhérents à toute révolte. Mais les désirs qui inspirent le surréalisme demeurent positifs : ils engendrent l'espérance d'exister et d'aimer, l'émotion devant la bouleversante beauté, l'attente de signes donnant un sens à notre existence. Il est tout à fait caractéristique de voir, dès 1913, un poème mallarméen de Breton, dédié à Paul Valéry, interrompu par l'interrogation : "De qui tiens-tu l'espoir ? D'où ta foi dans la vie ?" Cette question ne cessera d'être la sienne et celle de tous les surréalistes demandant, par exemple, en une enquête fameuse : "Quelle sorte d'espoir mettez-vous dans l'amour ?"


La volonté de négation explique l'adhésion momentanée, en 1919, de plusieurs futurs surréalistes au mouvement dada, où ils rejoignirent Tristan Tzara. La positivité de l'inspiration et du projet explique leur rupture, deux ans plus tard, avec ce mouvement. Et, en 1924, le Manifeste du surréalisme s'ouvre par un appel à l'enfance ; oppose, à la décevante vie réelle, la "croyance", c'est-à-dire la confiance, vitale et innée, qui ne saurait mourir ; voit en l'homme un "rêveur définitif", dont, par la suite, l'imagination sera tenue pour force de réalisation et moyen de salut. Les textes de Poisson soluble, où domine une sorte de ravissement érotique, nous introduisent eux-mêmes en un climat fort différent de celui du négativisme dada.


Mais rêver n'est pas faire, et l'on ne peut, si l'on veut changer la vie, se contenter d'imaginer. Le premier mouvement des surréalistes fut de se désengager, d'abandonner un réel dont la guerre avait, en une expérience particulièrement significative, manifesté le scandale. Le second mouvement fut, au contraire, d'engagement. À l'idée de pure révolte se substitua alors le souci de la révolution.


Les rapports des surréalistes avec le Parti communiste furent un instant d'adhésion, puis de farouche hostilité. Mais les oscillations, les hésitations apparentes ne sont alors que le signe d'une tension intérieure, et irréductible. "Transformer le monde, a dit Marx, changer la vie, a dit Rimbaud, ces deux mots d'ordre pour nous n'en sont qu'un." Cette phrase de Breton résume le débat : il s'agissait pour les surréalistes d'affirmer, envers et contre tous, l'unité de deux impératifs fort différents. Il était impossible de le faire sans donner le pas à l'un ou à l'autre.


Adhérer au Parti communiste, travailler à la transformation de la société, c'était, les surréalistes s'en aperçurent vite, renoncer aux recherches proprement intérieures et au progrès individuel de l'esprit. Se consacrer à ces recherches, à ces progrès, c'était, au contraire, négliger l'activité proprement révolutionnaire. Entre ces deux tâches, les surréalistes ne parvinrent pas toujours à choisir nettement. Jamais, en tout cas, ils ne consentirent à abandonner leurs valeurs propres, à justifier les moyens par la fin, à louer, en peinture, le réalisme socialiste", à accepter, sur le plan moral, les verdicts de Moscou. Ce fut, pour eux, l'occasion de nouveaux et douloureux déchirements. Mais ce fut l'occasion d'affirmer qu'ils entendaient ne renoncer à rien de ce qui constitue l'espoir des hommes.


En réalité, le marxisme semble peu compatible avec le surréalisme. Aux yeux de Marx, le rapport fondamental de l'homme et de la nature est le travail. Pour Breton, ce rapport est fait de ravissement et d'amour. Selon Marx, l'esprit ne pourra se libérer que lorsque sera réalisée la société sans classes. Dès le Manifeste de 1924, Breton prend acte de la liberté intellectuelle qui nous est laissée : il estime que, dès maintenant, l'esprit peut, grâce à l'imagination, briser la plupart de ses chaînes, et entrevoir ce point sublime où toutes les contradictions seraient résolues. Il est donc permis de considérer, sans pour cela mettre en doute la sincérité et la volonté révolutionnaire des surréalistes, que les principes de la pensée marxiste et ceux de la pensée surréaliste diffèrent et s'opposent. Cette divergence a conduit Breton à se référer, plus encore qu'à Marx, à des penseurs soucieux de ne rien sacrifier de l'homme : son Ode à Charles Fourier en témoigne.


Le surréalisme dans les arts plastiques


Le surréalisme prolonge une tradition picturale où la rêverie, le fantastique, le symbolique, l'allégorique, le merveilleux, les mythes ont une part importante, éléments que l'on trouve dans les œuvres de Bosch, d'Arcimboldo, dans les anamorphoses, les grotesques, les préraphaélites anglais, dans les illustrations de William Blake et dans les tableaux de Gustave Moreau, des nabis, du Douanier Rousseau, d'Odilon Redon ou de Gustav Klimt. L'onirique, le choc visuel produit par la juxtaposition d'images ou d'objets incongrus, mais toujours agencés dans une oeuvre signifiante, sont l'un des fondements de la poétique surréaliste.


Les contemporains admirés par les surréalistes furent le peintre italien Giorgio de Chirico, les artistes français Marcel Duchamp et Francis Picabia, le peintre espagnol Pablo Picasso, bien qu'aucun d'eux ne fût jamais officiellement membre du groupe surréaliste. À partir de 1924, l'artiste allemand Max Ernst, le peintre français Jean Arp ainsi que le peintre et photographe Man Ray adhérèrent au mouvement. Ils furent rejoints par le peintre français André Masson et le peintre espagnol Joan Miró. Parmi les derniers adhérents du groupe figurent Yves Tanguy, le peintre belge René Magritte, l'artiste suisse Alberto Giacometti, ainsi que le peintre espagnol Salvador Dalí qui rejoignit le mouvement surréaliste en 1930.


Si elle emprunte parfois au cubisme ou à Dada, la peinture surréaliste innove toutefois en recourant à de nouveaux matériaux et à des techniques inédites. La plus connue et la plus pratiquée, en groupe, fut celle du "!cadavre exquis!" qui consistait à prendre une feuille de papier sur laquelle on dessinait, puis on pliait la feuille de telle sorte qu'on laissait apparaître seulement un bout du dessin, que le voisin continuait, lequel recommençait la même opération!; une fois le dessin déplié, on obtenait un montage d'images disparates formant une nouvelle image. L'automatisme de l'écriture sera repris par André Masson qui tenta de le retranscrire dans ses dessins, lorsqu'il peignit des lignes abstraites entre 1923 et 1924, ainsi que dans ses toiles au sable et à la colle. Ces expériences concernant l'automatisme inconscient seront également pratiquées par Max Ernst dans ses collages et frottages, ou encore par Miró dans ses toiles des années 1920.


Dalí, quant à lui, suit une méthode plus proche de la pensée psychanalytique lorsqu'il cherche à retranscrire ses phantasmes selon la méthode dite de "!la paranoïa critique!", laquelle se fonde sur une objectivation systématique des associations et des interprétations délirantes. La collaboration de Dalí avec Luis Buñuel pour la réalisation des films Un chien andalou (1928) et l'Âge d'or (1930) lança également le surréalisme dans l'art cinématographique. Les œuvres de Jean Arp, semi-figuratives semi-abstraites et souvent en bois peint, sont des œuvres biomorphiques situées entre le tableau et la sculpture!; dans ses Tableaux-poèmes abstraits des années 1920 et 1930, Miró traçait des formes qui semblaient être des adaptations des dessins exécutés par les enfants, y ajoutait des mots et des expressions, mêlant ainsi le verbal et le visuel. Enfin, les surréalistes créèrent des "!poèmes-objets!", où des objets étranges, souvent trouvés au marché aux Puces, étaient assemblés avec des textes poétiques ou découpés dans des journaux afin d'obtenir une beauté au premier abord fortuite mais qui se révélait être l'expression profonde du désir de son créateur.


Genèse de l'Art surréaliste


Le groupe des Surréalistes s’est formé à partir de l’esprit de révolte qui caractérise les avant-gardes européennes des années 20. Tout comme le mouvement Dada, auquel certains ont appartenu, ces poètes et ces artistes dénoncent l’arrogance rationaliste de la fin du 19e siècle mise en échec par la guerre. Constatant néanmoins l’incapacité du Dadaïsme à reconstruire des valeurs positives, les Surréalistes s’en détachent pour annoncer l’existence officielle de leur propre mouvement en 1924.


Dominé par la personnalité d’André Breton, le Surréalisme est d’abord d’essence littéraire. Son terrain d’essai est une expérimentation du langage exercé sans contrôle. Puis cet état d’esprit s’étend rapidement aux arts plastiques, à la photographie et au cinéma, non seulement grâce aux goûts de Breton, lui-même collectionneur et amateur d’art, mais aussi par l’adhésion d’artistes venus de toute l’Europe et des États-Unis pour s’installer à Paris, alors capitale mondiale des arts.


Les artistes surréalistes mettent en oeuvre la théorie de libération du désir en inventant des techniques visant à reproduire les mécanismes du rêve. S’inspirant de l’œuvre de Giorgio De Chirico, unanimement reconnue comme fondatrice de l’esthétique surréaliste, ils s’efforcent de réduire le rôle de la conscience et l’intervention de la volonté. Le frottage et le collage utilisés par Max Ernst, les dessins automatiques réalisés par André Masson, les rayographes de Man Ray, en sont les premiers exemples. Peu après, Miró, Magritte et Dali produisent des images oniriques en organisant la rencontre d’éléments disparates.


Leur première exposition collective a lieu à Paris en 1925. Puis le mouvement se diffuse à l’étranger pour atteindre une renommée internationale avec les expositions de 1936 à Londres et à New York, de 1937 à Tokyo, de 1938 à Paris, notoriété renforcée par l’immigration aux États-Unis de la majeure partie du groupe pendant la guerre. Le Surréalisme a ainsi profondément inspiré l’art américain : la pratique de l’automatisme est par exemple l’une des origines du travail de Jackson Pollock et de l’Action Painting, tandis que l’intérêt porté par les Surréalistes au thème de l’objet annonce le Pop Art.


Le Surréalisme est un mouvement qui se développe pendant plus de quarante ans, depuis les avant-gardes historiques du début du siècle jusqu’à l’émergence de nouveaux courants dans les années 60 : outre la peinture américaine et le Pop Art, l’art surréaliste a motivé l’apparition d’une seconde vague avant-gardiste en Europe dans les années 60, dont le Nouveau Réalisme est l’éminent représentant.

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Artemisia

ARTEMISIA(Née à Uccle en 1954)Formation1973 Diplôme en Dessin d'Architecture d'Intérieur à Bruxelles.2003 Certificat de Recherches Graphiques et Picturales (Peinture).Académie des Beaux Arts de Sambreville2004 Peinture. Académie des Beaux Arts de NamurProfesseurs : MM. Pêtre, Tavemier, Sinte, Zhu, Gonthier.Prix1971 Premier Prix de Peinture décerné par la Commune d'Uccle.1999 Prix de l'Espoir décerné par la Commune de Sambreville. (Aquarelle)Expositions2009 Exposition à l'Espace Ockeghem (Tour de Saint Ghislain).« Au Fil des Sens... ». (Huiles).2008 Exposition à la Maison du Patrimoine du Nord-Est Avesnois deCousolre (France). «Traces de Soi...» . (Huiles).2008 Exposition en la Galerie Espac'Art Gallery à Mons. «Traces de soi... ».(Huiles).2008 Exposition en la Galerie Dominium à Beersel.«Juste un Moment... ». (Huiles).2007 Participation à « Art Exhibition » en Espace Culturel de Loisirs Artistiquesà Spy, asbl ECLAS. (Huiles).2006 Exposition au « Caf'Concert » à Namur. « Juste un Moment... ». (Huiles).2006 Exposition à la Maison Magritte à Chatelet. « Juste un Moment... »(Aquarelles, huiles).2005 Exposition en la Galerie d'Art de la Maison de la Culture de Fosses laVille.TechniquesAquarelleHuile sur papier et sur toileDémarcheDès son plus jeune âge, Artemisia fut attirée par le dessin et la couleur.Quoique rompue à bien des disciplines, elle affectionne les graphismes abstraits, auxquels elle sait toujours donner une émotion très personnelle.Pour elle rien sur terre n’existe avant d’avoir été pensé ou rêvé.Sa peinture est un oubli de soi qui rend présent les paysages de son monde intérieur, aux rythmes variés de couleurs et de lumière.Chaque toile reste un moment d’émotion fait de silences afin d’échapper au tapage du monde, mais au cœur de ses silences rien n’est vide. Elle arpente ainsi le chemin du visible par l’invisible, du réel et de l’irréel et mets sa part de féminité ainsi que la relation particulière qu’elle entretien avec son esprit.L’univers des peintres comme J.W. Turner, Claude Monet, Pol Cézanne ou Zao Wou Ki a probablement guidé son esprit et ses yeux.Ses transparences laissent passer la lumière et révèlent la matière.Le monde d’Artémisia est fait d’une sérénité et d’une générosité, qui n’affectent en rien sa joie de vivre.Ses toiles méritent que l’on s’y arrête un moment afin qu’elles nous dévoilent toute leur richesse.Elles étonnent par leur profondeur, leur harmonie et leur diversité.Evelyne Lemaire

EVELYNE LEMAIRE(Née à Bouffioulx en 1956)FormationAcadémie des Beaux-Arts de Mons (sculpture et peinture)Académies de Châtelet et Charleroi (Poterie, céramique, et sculpture)Professeurs : e.a. Baron Gustave CamusPrix1986 Prix du Hainaut1991 Prix Alphonse MullerExpositionsNombreuses expositions collectives2008 Exposition en la Galerie Espac’Art Gallery à Mons (Bronzes et céramiques)TechniquesCéramiqueBronzeDémarcheIl est, en principe, bien compréhensible qu’Evelyne Lemaire, originaire de Bouffioulx, nous offre de remarquables réalisations dans le domaine de la céramique, et, particulièrement du grès. Diverses formations auprès de maîtres réputés, lui ont cependant permis de diversifier son œuvre, puisqu’elle tire souvent de ses modelages, de très jolis bronzes qui restent des pièces uniques, et qu’elle met aussi à profit sa maîtrise du tournassage de la terre, pour se créer des ébauches qu’elles travaille ensuite avec une grande originalité : elle n’hésite pas à en extraire de véritables compositions où elle atteint une abstraction inattendue.Si ses personnages, qu’ils soient de terre cuite ou de métal coulé, toujours foncièrement longilignes, parfois androgynes, sont souvent sculptés dans des postures inhabituelles, ils gardent toujours un équilibre parfait.Sylviane Ledocq

SYLVIANE LEDOCQ(Née à Charleroi en 1967)FormationEtudes secondaires artistiquesAutodidacteTroisième génération de photographes amateursExpositions2009 Exposition à la Maison du Patrimoine du Nord-Est Avesnois deCousolre (France). (photos 40x60).2008 : Exposition à l’Espac’art Gallery (Mons). Idem.2008 Exposition en la Galerie Dominium à Beersel.(photos 40x60).2007 Participation au « Sentier des Arts et des Lettres » à Chatelineau2007 Participation à « Festiv'Arterre » à Bouffioulx. (photos 50x70).2006 Participation à « Festiv'Arterre » à Bouffioulx. (pastels).TechniquesPastelsPhotographie argentiquePhotographie numériqueDémarcheJ´ai abordé la photographie en même temps que le graphisme, lors d´études artistiques. J’ai longtemps utilisé un boiter reflex équipé d´un zoom 50-300 macro, qui me permettais de laisser libre cours à ma créativité. Jusqu´il y a peu inconditionnelle de la prise de vue argentique, je ne suis passée que très récemment au numérique. J´utilise exclusivement la couleur et recherche des sujets très diversifiés pour lesquels j´ai le plus souvent recours à une focale longue, tandis que la macro me permet de saisir les moindre détails de sujets qui m´attire particulièrement. Quoique influencée par la rigueur de mon grand-père et le penchant descriptif de mon père, je crois avoir un tempérament éclectique qui me permet de dégager l´originalité de ma propre personnalité.Jean Ledocq

Jean LEDOCQ(Né à Charleroi en 1939)FormationAutodidacteInitié par son père photographe amateur.Expositions2008 : Exposition à la galerie Dominium (Beersel). Tirages 40x60 cadrés.2008 : Participation à l’exposition collective « Passion Photos » à Moustier sur Sambre (idem)2008 : Exposition à l’Espac’art Gallery (Mons). Idem.2009 : Exposition à la Maison du Patrimoine du Nord Est Avesnois (Cousolre France). Idem.2009 : Exposition collective au Bâteau Ivre (Vresse sur Semois). Idem.TechniquesPhotographie argentiquePhotographie numériqueDémarcheFidèle adepte de la photographie argentique, j’ai gardé de mon père, la volonté de ne fixer sur la pellicule que des sujets d’une esthétique soignée, refusant à tout prix la recherche de l’attention par le sensationnel de la violence et de la misère, voire, comme on le voit trop souvent, du sordide.Faisant preuve d’un éclectisme sans doute atavique, je ne me débarrasse jamais d’une certaine volonté de reportage, ce, quelle que soit l’émotion suscitée par le sujet capté ; mes passions pour la nature, la mer, les rivières et les bateaux, qui transparaissent dans toute mon œuvre picturale, ne m’empêchent pas de m’adonner occasionnellement au portrait, toujours instantané.Jusqu’il y a peu, je n’avais recours au traitement numérique que pour réaliser librement, sur imprimante à jet d’encre, des cadrages impossibles à la prise de vue ou pour traiter fidèlement, en noir et blanc, les sujets qui s’accommodent de cette discipline exigeante.J’utilise depuis quelque temps un appareil numérique, mais j’ai conservé les habitudes et les impératifs propres à l’argentique et, surtout, à la diapositive, que j’ai longtemps pratiquée ; je cadre le plus souvent à la prise de vue et je me refuse strictement à utiliser les moyens numériques à des fins « créatives ».
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L'actualité des Musées bruxellois: nocturnes

Les Nocturnes des Musées bruxellois : du 24/09/2009 au 17/12/2009 Tenez vos agendas à l’œil car c’est bientôt le retour des « Nocturnes des Musées bruxellois » ! Chaque jeudi soir de l’automne, jeunes et moins jeunes pourront découvrir ou redécouvrir les musées bruxellois dans une ambiance détendue. Vous croyez avoir déjà tout vu ? Alors, apprenez à manier l’arbalète après le boulot au Site archéologique du Coudenberg ; faites-vous tirer le portrait en famille dans le studio photo historique du Musée BELvue ou encore, explorez le splendide Jardin botanique de Meise au clair de lune... Après ça, qui oserait encore prétendre que les musées sont ennuyeux ? En pratique : Quoi ? Des musées qui proposent des activités originales et variées chaque jeudi soir (visites guidées, ateliers, découverte des coulisses…). Quand ? Du 24/09/09 au 17/12/09, chaque jeudi soir entre 17 et 22h. Où ? Dans 53 musées bruxellois. Chaque semaine, dans au moins 6 musées différents (à l’exception des nocturnes d’ouverture et de clôture). Prix ? 2,50 € (1 € jusqu’à 25 ans). Certains musées sont accessibles gratuitement. Qui ? Une initiative du Conseil bruxellois des Musées. Le jeudi 24/09/09, la 9e édition des « Nocturnes des Musées bruxellois » s’ouvrira en beauté par un grand vernissage festif aux Musées royaux d’Art et d’Histoire (Parc du Cinquantenaire). Le public y pourra participer gratuitement aux nombreuses activités. Dès le mois de septembre, le programme des Nocturnes sera disponible dans les bureaux de tourisme, sur le site portail www.museesdebruxelles.be ou auprès du Conseil bruxellois des Musées (02/512.77.80 ou info@brusselsmuseums.be).
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Peuvent introduire une candidature les personnes qui: • sont âgées de 18 ans au moins et ont moins de 30 ans au 31 octobre 2009 (Etre né entre le 30 septembre 1979 et le 31 octobre 1991) • ont une réelle vocation et en ont fait preuve par un début de réalisation, quelque soit le domaine d'activités (artistique, social, scientifique,...) établissent clairement que l’expression de leur vocation a un ancrage manifeste et substantiel* en Belgique ainsi que des retombées positives pour l’image de cette dernière sont en mesure de dialoguer utilement en Français ou en Néerlandais en avec toute personne représentant la Fondation. La Fondation n'octroie pas de bourses pour commencer des études ou débuter une activité commerciale mais bien pour permettre au jeune de réaliser ou faire aboutir le projet correspondant à sa vocation. Les dossiers sont introduits soit en Français, soit en Néerlandais. Cet ancrage peut, en particulier, se traduire par la possession de la nationalité belge ou par le fait d’avoir sa résidence de manière habituelle et légale en Belgique.
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Terre Abandonnée

Je suis une victime volontaire de la fièvre interprétative lorsque mon regard admiratif couvre les choses qui ont fait notre histoire et dans lesquelles courent les ornières creusées par les âmes qui les ont faites. Chambre de créativité à ciel ouvert.Je ne m’inspire pas que des couleurs qui les font, de leurs formes ou de leurs parfums. Non, Elles dégagent beaucoup plus que cela. Venez les voir, peut-être comprendrez-vous ce que je tente de vous expliquer mais que je ne puis exprimer avec les mots.Il fut d’ailleurs une période pendant laquelle l’inspiration de ces lieux m’amena à situer les constructions humaines dans des déserts de sable. Faut-il y voir un symbole lié à l’abandon de nos lieux par l’humain, après avoir pressé le citron ?Début août deux mille un. Il pleuvait depuis plus d’une semaine.En été, lorsque le temps le permettait, je pratiquais des activités physiques telles que la course à pied ou la randonnée. Cela me donnait l’occasion de jouir pleinement de mon environnement. Il était très rare que l’envie de peindre me prît à ce moment.Ce jour-là, comme justement le temps était un obstacle à ma sortie jouissive habituelle, je décidai de terminer le tableau commencé à la fin de l’hiver.Quand vous viendrez à la maison, vous pourrez le voir pendu sur le mur du salon, juste devant le fauteuil que je me réserve pour pouvoir souffler un peu lorsque je rentre du travail. ( http://www.macollection.be/site/News/article.php?newsid=168) Ça me permet de le regarder sans devoir faire l’effort de déplacer mon regard dont je suis, cela dit en passant, très économe. Je ne balaye de mes yeux que ce qui m’apporte du plaisir. Comme je n’en éprouve pas beaucoup en regardant un mur, je place soigneusement ce que je dois voir dans les endroits qui me permettent de les observer sans effort de recherche.Le tableau dont il est question ici est un paysage dont les prés et les champs ont été envahis complètement par la désertification qui n’a laissé que les clôtures en mauvais état. A l’horizon se dressent les dunes qui ont porté jadis, lorsqu’elles étaient des monts couverts de verdure, un verger dont témoignent certains arbres cadavériques.Le ciel est éclairé par la lune voilée.En bas, à droite, subsiste un étang aux eaux dormantes qui reflète le ciel et son voile lunaire qui lui donne sa noblesse. Il est ceinturé par une clôture dont les irrégularités lui donnent le charme des prairies d’antan. Elle le sépare de la rue qui le longe et qui s’éloigne à perte de vue à travers le verger séché par le soleil du désert après avoir coupé un carrefour.Les quelques arbres du verger supposé semblent brûlés par un soleil d’une sévérité implacable. L’un d’eux, celui qui fut planté le long du chemin, plus près de l’étang, supporte, sur sa grosse branche, un oiseau de mauvais augure. Il a l’apparence d’un corbeau, il pose son regard sur les ruines de ce qui fut une maison qui aurait pu être l’habitation d’une ferme, du temps où le paysage qui l’entoure était encore vert.Il ne reste de la maison qu’un pan de mur dans lequel une fenêtre est mystérieusement éclairée au travers du rideau fermé.L’inspiration de ce tableau m’était venue dans un songe dans lequel mission m’avait été donnée de le peindre. A l’époque, d’ailleurs, la plupart de mes tableaux étaient réalisés sur commande.Ils m’apparaissaient en rêve. Il m’était clairement demandé de les réaliser. N’ayant pas de formation dite « artistique », je les reproduisais du mieux que je pouvais, sans respect des règles académiques.Ce jour-là, je terminais donc ce tableau. J’étais occupé à interpréter l’étang, le chemin qui l’entoure, ainsi que la clôture qui le ceint.La séance de travail en question était une reprise, fait qui empêchait une motivation positive. Comme cela m’était arrivé maintes fois au préalable, je m’attendais à un changement en cours de route.Mais, à mon grand désarroi, un sentiment mystérieux m’empêchait de me remettre au travail. De toutes mes forces, je me mis à la combattre, bravant cette perturbation que je prévoyais passagère.A cet obstacle s’ajoutait la sensation aussi étrange qu’une force incontrôlable entraînait mon bras vers le tableau. Je ne pouvais m’en dégager qu’au prix d’un effort très intense, aussi physique que psychologique. Ce phénomène était surprenant, mais surtout très perturbant.Je n’éprouvai dès lors plus le plaisir de peindre. La mission qui m’avait été donnée en songe se concrétisait à la manière d’une photo qui sort de l’appareil photographique. Mon inspiration se concrétisait à la sortie de mon esprit via les poils de mon pinceau sans que ma volonté ne soit sollicitée. C’était du moins la sensation que j’éprouvais.Je ne maîtrisais pas mon interprétation. Je la subissais !N’étais-je pas soumis à l’émanation de mon propre esprit, à moi-même ?Une réflexion sur la situation me décida toutefois à poursuivre la séance pour terminer l’œuvre qui devait être, je l’avais décidé, la première d’une série de paysages désertiques que j’allais associer à des œufs dans des situations particulières, tableaux que j’avais peints pendant la saison précédente. Cette sous-série accordait à l’œuf une place proéminente. Je les transposais dans des paysages surprenants, leur donnant une place qu’ils n’auraient jamais pu occuper sans l’intervention d’un interprète : dans la mer, dans un verger, derrière un portail de l’entrée qui aurait pu être celle d’un domaine viticole ou émergeant d’un océan sous l’apparence de poissons et d’un phare qui veillerait à la justesse de leur destination.La série de tableaux interprétant la mort de notre monde en le transformant en désert devait rejoindre la renaissance représentée sous forme d’œufs.J’avais en effet mis la charrue avant les bœufs en créant la renaissance avant la mort qui devait nécessairement la précéder ! La mort et le renouveau, rythme de la vie qui mène la danse de l’éternel recommencement ! Envol et réincarnation via l’œuf !Je terminais l’étang qui avait résisté à la sécheresse quasi générale de ce monde. L’eau, symbole de la vie. Elle précédait l’œuf, dans mon esprit. A quoi servirait donc la naissance d’une vie physique en l’absence d’eau ?J’avais clôturé symboliquement encore cet endroit sacré, le séparant du néant apparent de la mort.Quelques heures auparavant, j’avais nettoyé la palette sur laquelle avaient séché les mélanges de couleur abandonnés lâchement. J’avais gratté sa surface à l’aide de la petite truelle et terminai mon nettoyage avec un coton imbibé de térébenthine.Après un séchage rapide, j’avais pressé les tubes de peinture nécessaire pour réaliser l’interprétation. J’y ai mis une once de bleu outremer, une petite pointe de noir ivoire, un peu de terre de Sienne et énormément de blanc de zinc.Avant de m’installer devant le chevalet, je pris la décision qui m’était habituelle de placer un disque dans l’appareil de lecture. J’avais choisi d’écouter « Excalibur » de Vangelis. Je puisais une partie de mon inspiration dans la musique. Je choisissais un morceau qui correspondait à la nécessité de l’instant sans qu’un effort de réflexion ne me fût indispensable. Le choix d’écouter une interprétation musicale se faisait automatiquement. Le morceau correspondait à la nécessité du moment sans que je dusse faire une corrélation. Mon effort ne consistait qu’à laisser tomber ma main sur le disque qui serait l’élu pour assurer la bonne marche de l’évènement qui allait prendre cours.J’avais pris l’habitude d’écouter des musiciens tels Mike Oldfield, Pink Floyd et Vangelis pour stimuler mes séances de peinture.Il m’est difficile, voire impossible, de peindre ou d’écrire dans une atmosphère de calme domestique. Cela n’est pas valable en ce qui concerne le calme extérieur de la nature qui est un calme serein, élément indispensable pour l’épanouissement. Le silence, les bruits du silence d’une maison, sont déprimants par leur monotonie et leur effort inutile d’illustration de notre existence qui, sans les piaillements de la nature, est morne et obstacle à toute forme d’expression créative.La musique que j’écoute lors de mes réalisations expressives me caresse l’oreille et masse mon cœur en faussant l’atmosphère pour favoriser l’interprétation picturale de ce que m’apportent mes yeux et mon âme.D’emblée, les percussions déchirèrent cruellement l’ambiance détestable qu’avait créée l’atmosphère domestique.de la pièce que j’occupais, entraînant derrière elles les charmes puissants des chants d’Excalibur.La séance était ouverte. L’expression avait le champ libre.
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Antoine Wiertz (Dinant 1806 - Ixelles 1865)

Peintre romantique excentrique de scènes religieuses, historiques et macabres, de thèmes philosophiques et allégoriques, et de portraits. Egalement sculpteur de trois scènes allégoriques (1860-62). Elève à l'Académie d'Anvers (1820-28, G. Herreyns et M. Van Brée). Se perfectionne à Paris (1829-32). Prix de Rome (1832). Séjourne en Italie, surtout à Rome (1834-37). S'installe après son retour d'abord à Liège, puis à Ixelles en 1850. A un tempérament mégalomane: il fait souvent des toiles gigantesques, ayant l'ambition d'égaler, voire de surpasser, Michel Ange et Rubens. Son art est souvent très spectaculaire par le format et une inspiration humanitaire, pseudo-philosophique, morbide parfois. Ses oeuvres de jeunesse et ses esquisses valent mieux que le reste. Son atelier à Ixelles est converti en musée. Oeuvres aux Musées d'Anvers, Bruxelles, Ixelles, Liège et Malines.
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Deux siècles de jazz en Belgique francophone

AU CENTRE WALLONIE-BRUXELLES À PARIS du 20 octobre au 24 janvier Deux siècles de jazz Expositions, concerts, spectacles et rencontres sont au programme du Centre Wallonie-Bruxelles pour célébrer deux siècles de jazz en Belgique francophone. La Troisième oreille est née sur une idée de Marc Danval, coup de projecteur sur la vitalité du jazz en Belgique francophone. 1,2,3 Jazz, exposition sur l’histoire du jazz de Adolphe Sax à nos jours (affiches, instruments rares), est accompagnée d’un programme de concerts accueillant des compositeurs et des musiciens de renom : Fabrice Alleman, Roby Glod, Jan de Haas, Steve Houben, Klaus Ignatzek, Charles Loos, Jacques Pirotton, Jean-Louis Rassinfosse, Claudio Roditi, Benoît Vanderstraeten, Reggie Washington… ainsi qu’un spectacle Les poètes du jazz, une rencontre et la présentation du livre Swing Café. La troisième oreille / Deux siècles de jazz en Belgique francophone, au CWB à Paris
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