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« Les hommes ont trop joué et le monde a explosé ». Le décor est planté. Un couloir plongé dans la pénombre, une sorte de bunker où se retrouvent deux rescapées et un homme semi-conscient, un revenant du "désert à guerre". Elle tentent de se dire bonjour mais apparemment tout est à réapprendre, à commencer par le langage car A et B ont perdu la mémoire de leur civilisation. « On sait plus rien : ça on sait. », c'est le constat affligeant qui émerge de leurs efforts pour trouver des repères communs.
« Innocentes, insolentes, tendres et heureuses, sans rancœur /amertume, sans malice, sans intelligence, sans bêtise, sans références, sans mémoire », voilà la seule didascalie que livre Duras au début de la pièce pour identifier ces deux survivantes qui vont accepter leur sort avec l'ingénuité de la découverte.
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Dans le désert qu'est devenu le monde, où la radioactivité est désormais le véritable danger, ces deux femmes vont se servir de la seule chose qui leur reste, la mémoire de mots hybrides désolidarisés de leur contexte dans une tentative hasardeuse de communication. Une situation qui rend absurde l'utilisation de slogans ou de références idéologiques qui surgissent à brûle-pourpoint comme des bulles d'air à la surface d'une mare de boue. Elles vont dire par exemple "Black is beautiful" pour désigner un jeu de lumière. Car A et B sentent qu'elles ont la lourde tâche d'assurer la survie dans un monde apocalyptique où rien ne leur sera accordé. 
Ne subsistent du passé que deux catégories "les stupides" et "les moins stupides". Se pose pour elles la question de savoir ce qu'elles vont faire de l'homme, un soldat désarticulé qui a perdu son statut. Sans son chef, il est incapable d'initiative. S'il parvient à se redresser sous l'effet de quelque décharge d'adrénaline, c'est pour lancer un appel hallucinatoire à la guerre. Les mots "honneur" et "patrie" qu'il arbore sur son corps sont des étendards ridicules devenus incompréhensibles. Peut-il servir à la reproduction ? se demande B. A raconte à B sa version de la Genèse, celle des premiers êtres humains tombés malades pour avoir mangé "le serpent qui a tout gâché".
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Mélange de français et d'anglais, la langue qu'elles recréent sous forme d'onomatopées "Ohlala" et d'expressions toutes faites détournées (Bonjour Bonsoir) se présente au spectateur comme autant de rébus à déchiffrer. Un humour caustique nait de la répétition notamment de ces "Yes" et "peut-être" qui ponctuent toute la pièce.
Écrite en 1968 et présentée en même temps que "Le Shaga", le texte se revendique de l'héritage de Beckett et du nouveau roman. Véritable spéculation sur le langage, la trame nait de la déformation de la langue et non de son agencement, une activité ludique qui plaisait à Duras et lui permet d'engager une réflexion critique sur la construction des idéologies et sur l'importance de la mémoire pour la survie de l'espèce. Une forme d'écriture qu'elle appelait "la voie du gai désespoir".
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Mise en scène par Michael Delaunoy dans le plus grand dépouillement, présentée dans une forme contemporaine dénuée de tout artifice scénique ridicule, le spectacle rend au manuscrit sa force et sa densité créatrice. Parfaitement intégré et restitué avec la fraîcheur qu'il requière par ses trois interprètes Chloé Struvay, Jeanne Kacenelenbogen et Baptiste Blampain, le texte ne rate aucune de ses flèches. Sobre, quasi claustrophobe, l'esthétique est aérée par une orchestration des corps conçue par Johanne Saunier, chorégraphe, et ce, pour un impact poétique saisissant dans cet univers militarisé.
Une fable futuriste qui ne cesse d'étonner et d'interpeller.
Palmina Di Meo
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