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Usine mortelle , Juillet 1966, 16 ans !

Il est une douleur éternelle et inconsolable
Que celle de perdre un petit copain de son enfance,
Quand les ” années collège ” retentissent d’innocence
Courent heureuses et naïves et semblent inviolables.

Quinze ans. Il faut déjà décider, abandonner ses jouets.
C’est l’heure fatale des entretiens empreints de gravité !
Les repas jadis légers se mettent à peser lourdement
Sous le regard bienfaisant mais déjà inquiet de nos parents.

As-tu choisi ? Les années soixante sont ” fastes ” de projets !
A l’âge cité, les gars des villages ont déjà opté :
Ce sera l’usine, la ferme ou peut-être la mine.
Certains, ” refroidis ” d’avance, ont couru vers la marine !

D’autres plus" privilégiés" peut-être sont allés au lycée ;
L’avenir dira si je crois que cela est la vérité ?
Et si de plus nombreux enfants émergeant de leurs terroirs,
Dans une autre époque verront plus de portes les recevoir ?

J’arrive à la perte cruelle de cette jeune âme.
Je ne pouvais avant de raconter ce terrible drame
Omettre d’en situer l’action dans un temps pénible
Pour une jeunesse fort en quête de tous les possibles.
.
Aussi voulais-je rejoindre l’Eldorado des travailleurs
Et saluer définitivement mes bons vieux professeurs.
Cela déplut à mon père qui m’enrôla à l’usine.
Ce furent les rudes corvées, celles qui exterminent

Je commençais à comprendre, des batteries entières,
Mais que dis-je, des armées complètes de prolétaires !
Le sinistre métal, la sirène et les pissotières,
Les quolibets, les crachats et la rudesse ouvrière
Vinrent très vite souffler les lumières de l’adolescent
Qui composait la tendre symphonie d’un bonheur présent !

Mais au sein de l’enfer des ferrailles j’ai trouvé un ange.
Errant, déjà résigné, parmi des montagnes étranges.
Placé là tout exprès comme un miroir à mon intention,
Destiné à guider mes pas de stagiaire en perdition,

Un copain d’usine, pour m’accompagner dans l’aventure
Des fracas de rivetages, boulonnages ou soudures.
Le parrain en quelque sorte de la secte des pont-roulants
Qui déambulent sans fin sous la toiture en klaxonnant,
Transportant des tonnes d’ouvrages d’atelier en atelier,
Calibrés, assemblés, arrimés, solidement enchaînés
.
Ce gamin n’avait pas de métier, entré comme ouvrier,
Il n’avait pour unique projet à être sacrifié
Que de soulager sa famille nombreuse de son fardeau
Et puis finir comme elle, arc-bouté à un écriteau !

Enjoué à longueur de journée, je crois qu’il se riait
En vérité du rôle qu’il occupait et qui le clouait ;
Mais fier cependant d’assumer la responsabilité
D’un paumé venu tester sa quotidienne réalité.

Très tôt j’oubliais avec lui les tortures journalières
Des heures interminables et des remarques amères.
Je pense aussi que ma présence lui sembla passagère,
Tant mon effarement face à ce monde si primaire
Laissait à deviner que je le quitterai bien vite,
N’étant ici, chaque jour passant, qu’un témoin néophyte.

Chacun saura que sur de telles bases nous n’avions en tête
Que des visions d’enfants suppliant que cela s’arrête !
Tout était prétexte entre nous à bâtir des images,
Faire tourner des manèges la tête dans les nuages.

Nous venions de découvrir la véritable amitié,
Celle qui cimente les hommes quand ils sont prisonniers.
Aucune valeur ne nous paraissait ici convoitable
Que celle d’y rencontrer une humanité aimable.

Prisonniers, nous l’étions, mais avec une grande différence :
Pour moi, huit jours de contrat, mais lui à quand sa délivrance ?
Combien d’années couvriront-t-elles de leur sinistre manteau
Son existence clouée à cet inébranlable poteau ?

Un matin, beaucoup trop tôt, dans le vacarme des ateliers
Une sirène a mugi et la panique est née.
Des hommes couraient en tout sens et puis un groupe s’est formé.
Un petit corps gisait sous une poutre lâchement tombée.
Je voyais une ombre inerte, à jamais immobile.
Je suis plongé depuis, et vous, dans la question de l’utile ?

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Commentaires

  • Merci Béatrice. Votre commentaire est touchant. La vie est un drame vivant et la volonté de se tirer d'un faux pas, quel qu'il soit, aboutit au bonheur. Le combat dans votre exemple aboutit au bonheur. Rien n'est gratuit. La prévention évite bien des douleurs et des coûts.Il faut sans cesse marteler le message mais les enfants que nous sommes traversons parfois sans regarder ! Amitiés, gilbert.

  • Merci Michel. Les temps ont bien changé. Mais il reste encore quelques cellules isolées où la souffrance, elle, reste la même. Certes, les CHSCT, les CE, la médecine du travail , les inspections et syndicalismes modernes sont bien utiles à la soulager mais cela reste quand même le monde du travail où l'on est loin du bonheur absolu et de la liberté d'aller et venir ! Bien cordialement.

  • beau témoignage et combien douloureux malgré les années.

    Amitiés Josette

  • Merci Nicole pour votre commentaire toujours aussi attentionné, j'en suis touché. Ainsi que votre appréciation, Monsieur Paul. Bonne fin de journée à tous deux. Amitiés, gilbert.

  • Quel témoignage poignant !! Que ce doit être difficile d'exprimer cette indicible douleur si lointaine déjà et cependant sans âge ... en lignes poétiques de surcroît...

    Un terrible souvenir  à porter que celui de la mort d'un jeune dans cet univers si dur  qu'est le travail en usine...

    Vos lignes m'ont profondément émue, Gilbert . Elles m'évoquent  les témoignages de Gil Def  ...

    Merci de votre partage et douce journée à vous . Amitié, Nicole

     

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