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12272815686?profile=originalMessieurs les ronds-de-cuir est un tableau-roman de Georges Courteline, pseudonyme de Georges Moinaux (1858-1929), publié en feuilleton, de façon régulière puis irrégulière, dans l'Écho de Paris d'août 1891 à novembre 1892, et en volume, remanié et avec des ajouts, chez Flammarion en 1893. En 1911, Robert Dieudonné et Raoul Aubry adaptèrent le texte de Courteline pour le théâtre; la première eut lieu à l'Ambigu-Comique le 4 octobre de cette même année. Messieurs les ronds-de-cuir furent aussi portés à l'écran, notamment en 1937, par Yves Mirande, et en 1959, par Henri Diamant-Berger.

 

Fonctionnaire au ministère des Cultes où il s'ennuya ferme pendant quatorze ans tout en pratiquant assidûment l'absentéisme, s'assurant la complicité d'un expéditionnaire qui le déchargeait d'une grande partie de son travail, Courteline mit à profit son sens de l'observation et de la dérision pour, comme avant lui l'avait fait Balzac avec les Employés (1837), brosser un tableau satirique de la vie de bureau. Avec la même verve caustique qui l'avait animé lorsqu'il décrivait la vie militaire dans les Gaîtés de l'escadron (1886) et le Train de 8 h 47 (1891), il détaille les turpitudes administratives dans une série de portraits au vitriol et d'épisodes truculents liés entre eux par le fil ténu d'une très mince intrigue: les démarches du conservateur du musée de Vanne-en-Bresse pour entrer en possession du legs d'un certain Quibolle.

 

Employé à la direction des Dons et Legs, Lahrier a pris l'habitude de s'absenter une fois par semaine sans que «l'Administration, bonne bête, eût l'air de s'en apercevoir». Or, un jour de printemps, l'atmosphère joyeuse de la ville l'ayant peut-être retardé plus qu'à l'accoutumée, son chef de bureau, M. de La Hourmerie, s'avise de le tancer vertement, à propos précisément de ses absences. Sauvé de l'ire de son supérieur par l'arrivée inopinée du conservateur du musée de Vanne-en-Bresse auquel on fait croire que son dossier est en passe d'être réglé alors qu'il a été perdu, Lahrier va retrouver dans l'atmosphère poussiéreuse de ces bureaux confinés son vis-à-vis Soupe, baderne bougonne et obtuse, mais aussi Ovide, le garçon de bureau, Chavarax, aigri dans l'attente bilieuse d'un poste de sous-chef, l'expéditionnaire Sainthomme se surchargeant de travail dans l'espoir toujours déçu d'obtenir les palmes académiques, le sous-chef Van der Hogen, cloporte dénicheur de dossiers caducs et rédacteur d'invraisemblables rapports, enfin l'employé Letondu dont le comportement bizarre vire peu à peu à la folie. Le lendemain de l'algarade avec son chef, Lahrier, arrivé plus tôt que d'habitude au bureau, surprend Soupe en train de s'y laver les pieds. Il parvient à s'en débarrasser pour recevoir plus à l'aise sa petite amie Tata, mais se fait surprendre à son tour par La Hourmerie qui en réfère à son supérieur hiérarchique Nègre. Ce dernier refuse de prendre des sanctions à l'égard de Lahrier, mais aussi de Letondu de plus en plus détraqué. Au bout d'une dernière et longue errance dans le dédale des couloirs des Dons et Legs où, à chacun des détours, il découvre, interloqué, les scènes les plus loufoques, le conservateur du musée de Vanne-en-Bresse finit par trouver M. de La Hourmerie, qu'il cherchait en vain, atrocement égorgé par Letondu. Après l'enterrement de leur chef de bureau et les discours officiels, tout le monde se retrouve au cabaret de la Crécelle où la cérémonie se termine par un hourvari de chansons à boire et de bouteilles cassées, aux frais de l'Administration.

 

«On ne peut rire que des individus. Les idées générales n'affectent pas la glotte», écrivait Marcel Schwob dans une présentation de Messieurs les ronds-de-cuir. Il mettait ainsi en évidence une des qualités essentielles de Courteline: s'intéresser au comportement humain plus qu'aux péripéties. Il soulignait aussi les difficultés d'un travail de refonte qui consistait ici à transformer une suite parfois hétéroclite de charges d'atelier, hâtivement crayonnées pour la presse, en une oeuvre charpentée au style travaillé. Courteline y parvient en créant un mouvement d'entropie: au fur et à mesure que l'oeuvre avance, le personnage de Lahrier, qui peut apparaître comme le double de l'auteur, tend au fil des pages à se fondre dans la masse, comme phagocyté par l'univers déliquescent des bureaux (proche en fait de celui de la caserne courtelinesque). Les tribulations du malheureux conservateur dans ce labyrinthe servent de fil directeur et permettent de faire basculer le récit et les personnages de la bouffonnerie dans le loufoque, puis de la jobardise dans un absurde aussi farfelu que celui du Grand-Guignol.

 

La satire sociale et morale porte moins sur l'actualité des problèmes du jour, qui pour la plupart sont éludés, par prudence peut-être, ou pour mieux s'attaquer à la racine même du mal: l'esprit délétère de la bureaucratie, et à l'insupportable cohorte de ses déviations: hargne, envie, goût de la persécution, irresponsabilité, monomanie, excès de zèle, gâtisme, folie. Le système paraît d'autant plus absurde qu'il tourne sur lui-même à la manière d'un cercle vicieux ainsi que l'explique Lahrier à Tata: «Les uns (ce sont les rédacteurs) rédigent des lettres qui ne signifient rien; et les autres (ce sont les expéditionnaires) les reçoivent. Là-dessus, arrivent les commis d'ordre, lesquels timbrent de bleu les pièces du dossier, enregistrent les expéditions, et envoient le tout à des gens qui n'en lisent pas le premier mot. Voilà» (Quatrième tableau, II).

 

Participe de cette même inspiration caustique et désenchantée une «scène de la vie de bureau» dont le sujet avait fait l'objet d'une chronique dans l'Écho de Paris du 29 juin 1890: Monsieur Badin. Cette saynète qui fut représentée le 13 avril 1897 au théâtre du Grand-Guignol reprend avec des variations le premier tableau de Messieurs les ronds-de-cuir en accentuant encore le côté facétieux de l'absentéiste. On pourrait rattacher à cette veine Une lettre chargée, saynète jouée au Carillon le 10 juin 1897. Courteline, en peignant dans cette pochade l'employé Ratcuit qui observe le règlement jusqu'à l'absurde et avec la plus extrême mauvaise foi, semble se conforter dans une idée-force qui revient dans son oeuvre comme une antienne: «La bêtise insondable des hommes [est] un contrepoids à leur surprenante méchanceté.»

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