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Mendiants et orgueilleux est un Roman d'Albert Cossery (1913-2008), publié à Paris chez Julliard en 1955.

Considéré comme le chef-d'oeuvre d'Albert Cossery, Mendiants et Orgueilleux est assurément, de tous ses romans, le plus connu et le plus abouti. Admiré par Henry Miller, mis en bande dessinée, adapté au cinéma par l'Égyptienne Asma el Bakri, il n'est pas pour peu dans l'attribution du grand prix de la Francophonie à son auteur, à l'automne 1990, et s'est érigé peu à peu en «livre mythique» pour les tenants d'un «droit à la paresse» et d'un ressourcement spirituel qui est d'abord présence accrue au monde. Sous couvert de dérision, Cossery exprime ici de façon magistrale une philosophie du dénuement dont les fondements se situent aux antipodes du matérialisme des sociétés de consommation et de l'idéologie du progrès, perçu comme une servitude et un avilissement.

Gohar, ancien professeur d'université, s'est fait mendiant pour atteindre la sérénité. En manque de haschich, il se met en quête de son ami Yeghen, poète et fournisseur de drogue (chap. 1). Au bordel de Set Amina, il ne trouve que la jeune Arnaba; dans un moment d'éblouissement, il la tue de façon gratuite (2). Durant ce temps, Yeghen, dont la laideur est repoussante, va soutirer de l'argent à sa mère, puis cherche à glisser l'un de ses poèmes à la jeune fille de ses rêves (3). De son côté, l'inspecteur Nour el Dine mène l'interrogatoire au bordel de Set Amina; arrive El Kordi, jeune fonctionnaire aux idées révolutionnaires confuses et ami de Gohar, dont la mâle beauté trouble le policier (4). Dans la soirée, Gohar, Yeghen et El Kordi se retrouvent comme habituellement, au café des Miroirs (5). Le lendemain, El Kordi, délaissant son travail, rend visite à Naïla, pensionnaire phtisique de Set Amina, qu'il croit aimer et qu'il prétend sauver (6). Nour el Dine, pour sa part, cherche à gagner les faveurs du jeune Samir qui méprise en lui le représentant d'une morale conformiste contre laquelle il s'est révolté (7). Yeghen, quant à lui, a deviné que Gohar est l'assassin: il veut l'aider à fuir vers la Syrie (8). El Kordi, après avoir renoncé à dévaliser une bijouterie, retourne au bordel de Set Amina et se vante devant un policier d'être le meurtrier (9). Le soir, il retrouve ses amis au café des Miroirs, lorsque survient Nour el Dine qui ne croit pas à sa culpabilité. Gohar et Yeghen tiennent au policier des propos qui ébranlent ses certitudes (10). L'un des jours suivants, Nour el Dine se rend chez Gohar, dont il soupçonne la culpabilité, mais dont l'ascétisme le trouble profondément. Plus tard, l'insouciance de Yeghen, qu'il fait pourtant torturer, achève de le désemparer: il décide de devenir à son tour mendiant, afin de trouver la paix de son âme (11).

«J'ai toujours fréquenté les marginaux, parce que les marginaux sont ce qu'il y a de plus vivant dans le monde: ils font ce qu'ils veulent et sont donc plus amusants que les autres. Les marginaux sont souvent plus intelligents aussi», déclare, dans un entretien, Albert Cossery. En quelques mots, se trouve présenté l'univers de Mendiants et Orgueilleux. C'est parce qu'ils refusent les mascarades et les préjugés du monde civilisé que ses héros atteignent à un détachement essentiel et à une liberté d'esprit sans laquelle il ne saurait y avoir plénitude de l'être. Gohar, ainsi, aurait pu devenir un mandarin universitaire; mais il a rejeté tous les mensonges philosophiques et les escroqueries intellectuelles qui l'empêchaient de jouir de l'instant et le détournaient de la simplicité de la vie: «Enseigner la vie sans la vivre était le crime de l'ignorance la plus détestable.»

C'est pourquoi, si la tentation de la révolte était présente dans le premier ouvrage d'Albert Cossery, les Hommes oubliés de Dieu, elle disparaît totalement de Mendiants et Orgueilleux. Au contraire, l'idéologie révolutionnaire apparaît comme aussi risible que les autres et c'est «l'extrême futilité» qui caractérise au premier chef El Kordi, le jeune fonctionnaire écervelé qui rêve de se dresser en justicier du peuple des opprimés, mais ne parvient jamais à se dégager d'un comportement superficiel et risible. En revanche, Nour el Dine, le policier homosexuel, peut-être parce qu'il est, par ses attirances, un marginal potentiel qui ne se raccroche aux valeurs sociales que par peur de se regarder et d'affronter la réalité, reçoit comme une révélation l'anarchisme absolu de Gohar et de Yeghen. Celui-ci lui ouvre, en effet, la seule voie qui puisse lui permettre de donner un sens à sa vie et de trouver une certaine sérénité. La paix ou le progrès, voilà d'ailleurs le thème du débat qui oppose, au café des Miroirs, le représentant de l'ordre à ses négateurs.

Qu'on ne se méprenne pas toutefois: Mendiants et Orgueilleux n'est aucunement un roman à thèse. Cossery abhorre le sérieux qui complique les choses et éloigne de la vie. L'humour et la dérision caractérisent son regard comme son style et, loin des grandes considérations abstraites, il s'attache à montrer la richesse d'enseignement du monde quotidien, pourvu qu'on sache lui prêter attention. Finalement, Mendiants et Orgueilleux ne dit qu'une chose: c'est lorsqu'on n'a plus rien à perdre et plus d'espoir-refuge qu'on échappe à l'angoisse du temps pour accéder à l'extase.

 

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