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"Le livre se l'éternité" est une oeuvre de Mohammad Iqbal (1873-1938), écrivain persan, poète national du Pakistan et considéré comme chef spirituel par plusieurs dizaines de millions d'hommes, à la fois juriste, philosophe et essayste.

Ayant étudié en Occident -il obtint son doctorat de philosophie à Munich en 1908-, Iqbal écrivit d'abord en anglais, mais c'est en ourdou et surtout en persan qu'il composa ses oeuvres poétiques, tel le "Livre de l'éternité", publié en 1932 et dédié à son fils Djâvîd dont le nom signifie en persan éternel.

C'est le récit d'une pérégrination céleste entreprise par le poète sous la conduite de son maître spirituel Djalâl-ad-Din Roûmi, le grand poète mystique persan, fondateur de l' ordre des derviches tourneurs. Le "Livre de l'éternité" s'apparente donc, d'une part, avec l'ascension nocturne (Mi'râsj) de Mahomet qui servit de modèle à maint poète musulman et, d'autre part, à la "Divine comédie"; cependant ce n'est pas d'un récit visionnaire qu'il s'agit d'ici, mais d'une exposition de thèmes représentés par les personnages -poètes mystiques, hommes d'Etat- rencontrés dans l'au-delà par le narrateur.

Le "Livre" débute par une longue "Prière" où le poète s'adresse à Dieu de la terre: comment l'homme perdu au sein du cosmos, prisonnier de l' espace et du temps pourrait-il s'élever jusqu'à Lui, objet de son désir et de sa nostalgie?

Dans son "Prologue dans le ciel", où l'on reconnaît au passage l'influence de Goethe, le ciel du premier jour de la création blâme la terre et lui commande de s'apprêter à recevoir celui que Dieu lui enverra pour l'y représenter: l'homme.

Dans "Prologue sur la terre", l'esprit de Djalâl apparaît à Iqbal, qui prendra désormais le nom de Zinda-Rûd (Fleuve vivant), et lui explique le mystère du Mi'râdj. Auprès de Zinda-Rûd, Djalâl jouera le rôle qui est celui de Virgile dans la "Divine comédie".
Ils parviennent d'abord au ciel de la lune où ils rencontrent le mystique indien Vishvamitra qui y vit en ermite dans une caverne, puis quatre esprits qui exposent les enseignements, plutôt complémentaires qu'opposés, du Bouddha, de Zoroastre, du Christ et de Mahomet. Au ciel de Mercure se tiennent Djâmâl-ad-Din Afghânî, réformateur musulman du XIXe siècle et Saïd Halîm Pacha, ministre du dernier sultan turc. L'entretien porte sur les aspects actuels du monde politique musulman les abus du nationalisme, les erreurs des modernistes qui, au lieu d'utiliser les idées et les techniques occidentales en vue de la rénovation matérielle et spirituelle de l' Islam, font de l' Orient une caricature de l'Occident. Afghâni transmet à Zinda-Rûd un message destiné au peuple russe, où il l'invite à ne pas se détourner de sa vocation spirituelle au profit d'un matérialisme sans issue. Ce sont les dieux de l' antiquité qui peuplent le ciel de Vénus. Le poète les entend se réjouir du regain de vie que leur procure l'aveuglement des hommes qui ont abandonné le vrai Dieu pour adorer de nouvelles idoles. Mars est le séjour d'hommes supérieurs qui jouissent d'une civilisation indemne des maux du capitalisme. Iqbal stigmatise ici les erreurs des habitants de la terre et surtout celle dont dépendent toutes les autres, l' athéisme. Sur la planète Jupiter, les voyageurs rencontrent le poète indien Ghalib, la poétesse persane Tâhira et le grand mystique martyr de Bagdad Al-Hallâdj. L'apparition et le discours de Satan "seigneur des exilés" est un des passages les plus remarquables du "Livre"; Iqbal est ici très proche de l'idée de Satan telle qu'elle est exposée dans le "Paradis perdu" de Milton. Dans le ciel de Saturne, se lamentent deux Indiens traîtres à leur patrie, Mir Djafar du Bengale et Sadiq du Dekkan, puis l'âme de l' Inde enchaînée qui pleure sur son misérable destin.

Au-delà des cieux, "aux confins du monde contingent", demeure Nietzsche, le philosophe "ivre de Dieu" et qu' "on prit pour un fou", le seul Européen qui connut la "Voie mystique" et que l' Europe n'a pas compris. Plus haut encore, le pèlerin aperçoit les palais des rois, des poètes, des mystiques, et il parvient enfin au Paradis, mais ses enchantements ne peuvent retenir celui qui est épris de Dieu seul. Et c'est sur l'apparition de l'Ami, Epiphanie de la Beauté éternelle devant laquelle le poète tombe, "ivre de vision", que se clôt le périple. De retour sur terre, Iqbal s'adresse à travers son fils à la nouvelle génération: la prière musulmane, le Coran, contiennent tous les enseignements dont l'homme a besoin ici-bas; ils apprennent la souveraine splendeur de l' Unique, le développement du moi, le respect de l'homme pour l'homme, la solidarité humaine, mais ils ont cessé d'être compris, ils sont devenus dans la bouche des tièdes de vaines formules. C'est vers eux qu'il faut se tourner, car ils n'appartiennent pas au passé mais à l'avenir.
Croyant sincère et ardent, Iqbal condamne avec virulence le conformisme islamique; c'est vers une religion nouvelle qui sera à la fois un retour aux sources et une modernisation grâce à l'intégration des éléments assimilables des autres religions -dans la mesure où ceux-ci sont fidèlement monothéistes- et même des concepts scientifiques modernes, que se tournent tous les espoirs. C'est au-delà des nationalismes, ayant surmonté les contradictions qui naissent de l' occidentalisation et retrouvé, agrandie et rénovée, sa personnalité propre, que l' Orient islamique trouvera son salut, qu'il pourra reprendre la route glorieuse de l'intimité avec Dieu qu'ont tracée les grands précurseurs, les soufis persans.

Le "Livre de l'éternité" n'est donc pas seulement une oeuvre littéraire qui marque la renaissance de la grande poésie en langue persane au XXème siècle, c'est l'oeuvre d'un penseur à la fois révolutionnaire et traditionaliste, qui tente de rassembler et de préserver les valeurs vivantes de l' Islam, afin de les projeter dans l'avenir.

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