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La fréquentation des Écritures, les affrontements de la fin du XVIe siècle métamorphosent la notion même de littérature religieuse, en un temps où le religieux représente plus de la moitié des livres édités. Une littérature institutionnelle polémique, didactique, historique prend un essor inouï dans les deux Églises, catholique et protestante. Mais, hors de la littérature des Églises et comme son complément vécu, une littérature du sentiment religieux, essentiellement poétique, s'épanouit chez les laïcs. Elle prend pour thème dominant la relation de l'homme à Dieu: elle est prière, parole confiante et l'élan d'un «je» vers le Dieu de sa foi. Cette position essentielle du sujet parlant est une structure constante (qui d'ailleurs ne garantit en rien la sincérité de l'auteur). Semblable à celle du sujet de l'écriture amoureuse, l'expression à la première personne conquiert ici un type de dignité nouveau, parce qu'elle est modelée sur les psaumes. Préparée par le courant de la Devotio moderna, la Réforme a en effet trouvé dans ceux-ci une expression de la foi collective: poésie scandée et chantée, construite sur la relation d'un sujet (David, prophète, peuple de Dieu) à la divinité. Tout croyant qui la prononce réincarne ce «je», parole redevenue vivante. Le succès foudroyant du psautier, traduit à la fois par Clément Marot et Théodore de Bèze, révèle la pertinence de cette structure textuelle et ses vertus communicatives qui accompagnent batailles et martyres. Jusqu'ici, nous ne sommes en littérature que parce que la traduction s'efforce de transposer les versets et les métaphores bibliques en rythmes et en images adaptés aux sensibilités. Quand enfin les catholiques se refusent à abandonner les psaumes aux seuls protestants et à en faire des traductions ou des adaptations (P. Desportes, J.-A. de Baïf, N. Rapin), les deux communautés ont à effacer un lourd passé. La proclamation de la foi se conjoint chez les lettrés à cette autre définition de soi qu'est la pratique littéraire, reconnue comme valeur sociale. Un nouveau mode du littéraire se crée alors, qui utilise les genres connus (sonnets, chansons, stances, poèmes héroïques), et en crée d'autres au besoin (paraphrase, méditations). Enfin, l'influence des grands maîtres de la spiritualité de la Contre-Réforme déborde les frontières confessionnelles: les Exercices spirituels de Loyola, les Méditations de Louis de Grenade, l'Introduction à la vie dévote de François de Sales ont appris à se pencher sur soi; la poésie peut devenir un instrument de l'introspection.

Les recueils de la fin du XVIe siècle montrent ce que fut leur première fonction: le militantisme par les cantiques et les paraphrases des psaumes. Les recueils de Bernard de Montmeja (1574), de E. de Maisonfleur et de Valagre (1581), La Muse chrétienne (1582) disent les espoirs du protestantisme. En prose, cette fois, les Méditations sur les psaumes en sont le complément: faites de rapprochements avec d'autres passages de l'Écriture, elles déploient sur près de quarante pages l'examen de conscience (les psaumes pénitentiels sont en grande faveur), l'analyse des situations politiques, sans qu'allusions bibliques et allusions contemporaines puissent être dissociables. Sous leur allure «spontanée» et pathétique, elles sont nourries des commentaires érudits (Augustin, Ambroise, Calvin). Protestants (P. Duplessis-Mornay, J. de Sponde, Agrippa d'Aubigné) et catholiques (G. Du Vair, J. de La Ceppède) s'y exercent. Une seconde fonction, épidictique, s'est manifestée par phases sous la forme des grands discours: poèmes héroïques de type cosmologique (la Sepmaine de Du Bartas) ou apocalyptiques. Les Tragiques d'Agrippa d'Aubigné (1616) forment une sorte de synthèse de toutes ces potentialités. Après une longue interruption, ce style se retrouvera dans les poèmes héroïques et les hymnes de Pierre de Saint-Louis et du jésuite Pierre Le Moyne.

Mais le plus important tient à l'exploration des mystères religieux, centrée sur quelques situations emblématiques: le moment de la «conversion» aux valeurs religieuses, la préparation à la Cène, la préparation à la mort, la contemplation de la Passion du Christ, le souvenir des extases. Ces thèmes nourrissent les oeuvres du cardinal Du Perron, de J.Bertaut, de Siméon de La Roque, d'Odet de La Noue, d'A. de Nervèze, de P. Motin... Le sommet esthétique reste toutefois Théorèmes de Jean de La Ceppède (1613) qui, en trois cents sonnets, approfondit le sens de chaque mot et de chaque symbole de la Passion du Christ. On peut cependant leur préférer les poèmes plus intuitifs, comme les agonies décrites par Auvray ou les extases lumineuses de Du Boishus et de Claude Hopil, qu'on retrouve ensuite chez Malaval et Mme Guyon. Toutes les facettes de l'esthétique baroque s'y épanouissent, principalement dans la fascination de la mort, l'anxiété devant la condition tragique du croyant qui ne perçoit plus de ce monde que l'illusoire, le tentateur, qu'il oppose à la beauté, à la stabilité, au bonheur du Dieu inaccessible. C'est une poésie du contraste sémantique, qui se développe par grandes antithèses représentant ces univers de valeurs affrontés, mais toujours avec le goût des renversements paradoxaux: la mort est vie suprême, et des ténèbres fulgure le regard lumineux. Des métaphores sont constantes, soit pour affirmer dans les aspects épidictiques l'unité du monde créé (platonisme et parfois ésotérisme obligent), soit pour représenter sa faiblesse: fleur qui fane, vent et onde, reflets et mirages.

Ce n'est pas tant l'arrivée d'une esthétique puriste qui cause le déclin de la poésie du sentiment religieux que le déclin du mouvement spirituel du début de siècle: les poètes s'éloignent progressivement des psaumes pour construire des modèles personnels, avant de revenir aux modèles laïcs, que la nouvelle sociabilité des salons met à la mode. Écrire de la poésie religieuse relève, au-delà de 1640, d'une foi originale ou de l'acte officiel, non dépourvu de réussites, mais voué à la froideur des genres nobles.

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